6 le Cerveau 3/2016
Le deuxième
cerveau
Qui n’a pas connu ça? Une nervosité,
une agitation peut-être due à l’ap-
proche d’un voyage ou d’un examen,
et le ventre qui gargouille. Ou alors,
une appréhension qui vous noue le
creux de l’estomac. Tout cela parce
que notre pauvre tractus gastro-in-
testinal encaisse le contrecoup d’une
fébrilité ou d’une angoisse née dans
la tête.
Conduisant directement du cerveau à
l’estomac et à l’intestin, le grand tronc
du nerf vague, également appelé pneu-
mogastrique, a entre autres propriétés
étonnantes celle de transmettre quatre
fois plus de signaux allant du tractus
gastro-intestinal au cerveau que du
cerveau au tractus gastro-intestinal.
Mais le nerf vague n’est pas le seul à
transporter des informations. L’intes-
tin dispose d’une deuxième voie de
communication avec le cerveau. Il est
en effet entouré d’une gaine constituée
de millions de cellules nerveuses for-
mant le système nerveux du tractus
gastro-intestinal. Sous l’action de dif-
férents neurotransmetteurs remontent
ainsi jusqu’au cerveau des informa-
tions transmises cellule nerveuse par
cellule nerveuse.
L’un des neurotransmetteurs les plus
importants de l’organisme humain est
la sérotonine. Notamment synthétisée
par les cellules du tractus gastro-intes-
tinal, elle règle à ce niveau l’activité
intestinale ainsi que le système immu-
nitaire. Une petite partie en remonte
par la voie sanguine jusqu’à la tête,
où elle agit sur les cellules du cerveau.
Ce qui fait que si les émotions peuvent
peser sur l’estomac, celui-ci peut, de
son côté, peser sur les émotions. Un
taux élevé de sérotonine génère par
exemple des sentiments de bonheur
auxquels l’intestin n’est sans doute
pas étranger. Quant à savoir si son
influence sur le taux de sérotonine,
et via celui-ci sur notre humeur, est
directe, et, si oui, jusqu’à quel point,
la question reste posée.
Intestin et dépression
Entre l’intestin et le cerveau existent
en outre des interactions bactériennes.
L’intestin humain héberge jusqu’à un
millier d’espèces bactériennes, qui
forment un écosystème commun,
le microbiome, vivant en relation
symbiotique avec l’hôte humain.
On pensait encore, il y a peu, que
seuls certains micro-organismes (dont
quelques germes pathogènes) parve-
naient à franchir la barrière hémato-
encéphalique, laquelle, enveloppant
les vaisseaux sanguins à la manière
d’une gaine, aide le cerveau à faire
barrage à des bactéries, des virus,
des toxines et des anticorps véhiculés
par le sang. Les vaisseaux sanguins du
cerveau ont des parois très épaisses,
très étroitement reliées entre elles par
une sorte de filet constitué de lanières
de protéines membranaires.
Selon les neurobiologues actuels, le
microbiome pourrait, lui aussi, avoir
une incidence sur le cerveau en ce
sens qu’il serait capable de franchir
la barrière hémato-encéphalique, per-
mettant ainsi à la flore bactérienne
intestinale d’agir sur le système immu-
nitaire, la perception de la douleur,
la sensibilité au stress, les sentiments
ainsi que les apprentissages et la mé-
moire de l’être humain.
L’interaction entre le microbiome
intestinal et les fonctions cérébrales
sera ces prochaines années au cœur
d’un projet de l’UE intitulé «My New-
Gut», que mèneront des scientifiques
de l’université de Graz. Pour Peter
Holzer, professeur de cette universi-
té, il ne fait aucun doute que la flore
intestinale joue un rôle dans certaines
maladies. Il en veut pour preuve que
les patients souffrant d’un côlon irri-
table ou d’inflammations intestinales
présentent souvent des troubles an-
xieux et dépressifs concomitants. La
question de la cause ou de l’effet n’est
toutefois pas résolue. Il se pourrait
bien, estime Peter Holzer, que les cas
de maladie psychique dus à des pro-
blèmes digestifs soient plus fréquents
qu’on ne l’admettait jusqu’ici.
Le chimiste Paul Ehrlich a apporté
en 1885 la première preuve de
l’existence de la barrière hémato-
encéphalique. On pense aujourd’hui
que certaines bactéries de
l’intestin parviennent à la franchir
et à agir sur le cerveau.
Source: Keystone