DOSSIER THÉMATIQUE Rétrospective 2009 L’oncogériatrie en pleine jeunesse ! Oncogeriatry in the prime of youth É. Carola1, T. Cudennec2, H. Le Caer3 A u cours de l’année 2009, tous les journaux de cancérologie se sont fait un devoir de consacrer au moins un article aux aspects spécifiques de l’évaluation et du traitement des personnes âgées atteintes de cancer. Les oncologues et gériatres ont également eu la possibilité de confronter leurs expériences et leurs interrogations à l’occasion de 2 réunions phares, les Journées nationales d’Échanges de pratiques en oncogériatrie (EPOG) à Lille en septembre et le congrès international de la Société internationale d’oncologie gériatrique (SIOG) à Berlin en octobre. Des progrès incontestables se dégagent de ces 2 réunions, en particulier dans les prises en charge thérapeutiques tant chirurgicales que médicales. L’âge physiologique fait l’unanimité comme critère majeur de sélection, mais, en vérité, quelles que soient les études publiées et les localisations traitées, les moyennes d’âge relevées sont loin de correspondre à celles de la population âgée concernée. Pour autant, les patients au vieillissement harmonieux ou aux vulnérabilités réversibles selon L. Balducci peuvent profiter de prises en charge dynamiques. EPOG et SIOG sont à l’unisson pour confirmer l’indiscutable bénéfice apporté par le regard gériatrique avant toute décision oncologique. SIOG 2009 : le point sur les perspectives en oncogériatrie… après 65 ans… Sénescence et cancer Les 2 principales cibles pour favoriser le développement des nouveaux traitements en oncogériatrie sont la recherche oncologique et la recherche sur le vieillissement. Plusieurs mécanismes biologiques et moléculaires émergent comme facteurs favorisant la cancérogenèse au cours du vieillissement : les altérations de l’ADN, les dysfonctionnements mitochondriaux, de l’IGF1, du FOXO, de la P53 et de la P16INKA ainsi que des modifications de l’immunité (IL-6, peroxisome proliferator-activated receptors). La connaissance approfondie de ces mécanismes devrait à terme permettre une prise en charge thérapeutique plus ciblée (1, 2). Thérapeutiques innovantes Des progrès considérables ont été réalisés. Depuis 2 ans, des résultats sont communiqués dans les grandes localisations tumorales avec les thérapies innovantes dans la population âgée. Ces études sont malheureusement encore trop fréquemment rétrospectives et concernent le plus souvent des patients de plus de 65 ans. Une étude de F.F. Kabbinavar et al. (3) confirme que le bévacizumab améliore, quel que soit l’âge, la survie sans progression (SSP) et globale (SG) des patients atteints de cancer colorectal métastatique. Il s’agit d’une analyse poolée rétrospective, dans laquelle 439 patients avaient plus de 65 ans et 276, plus de 70 ans ; 218 ont reçu une association bévacizumab + chimiothérapie et 221, placebo + chimiothérapie. La SG dans le groupe bévacizumab est de 19,3 mois, versus 14,3 mois dans le bras chimiothérapie exclusive (HR = 0,70 ; IC95 : 0,55-0,90 ; p = 0,006). Les résultats en faveur du bévacizumab sont aussi significatifs en termes de SSP. Il en est de même dans le cancer du rein avancé en seconde ligne thérapeutique, où le sorafénib améliore la SSP des patients. Dans l’étude d’Eisen (4), parmi les 903 patients inclus entre novembre 2003 1 Upcog, CH de Senlis. 2 Unité mobile gériatrique CHU Ambroise-Paré, Boulogne. 3 Pôle de cancérologie, CH de la Dracénie, Draguignan. La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 1 - janvier 2010 | 85 Mots-clés Résumé SIOG EPOG Oncogériatrie Évaluation Actualités Thérapies ciblées Cancer colorectal Cancer du sein Cancer ORL Cancer pulmonaire Nutrition L’oncogériatrie est à l’honneur en cette fin d’année 2009 avec 2 congrès réunissant oncologues et gériatres francophones (EPOG) et internationaux (SIOG). Les avancées thérapeutiques semblent profiter aux patients plus âgés sélectionnés et nous n’en sommes plus à rechercher la place des polychimiothérapies chez le patient âgé mais à déterminer l’indication des thérapies ciblées dans cette population. L’évaluation gériatrique et les programmes spécifiques qui en découlent seront les seuls garants d’une proposition thérapeutique médico-chirurgicale adaptée. La chirurgie est le traitement princeps du cancer des voies aéro-digestives supérieures. Les patients âgés représentent 25 % des cas détectés. Leur prise en charge doit être adaptée en fonction de leurs comorbidités. Le statut nutritionnel doit être respecté, et la gastrostomie garde une place certaine pour alimenter correctement ces patients. Une fois de plus, l’évaluation gériatrique permettra d’organiser la stratégie thérapeutique la plus adaptée à chaque patient ainsi que le suivi post-thérapeutique. Highlights et mars 2005, 451 avaient bénéficié de sorafénib et 452 de placebo. Sur l’ensemble de cette population, 115 malades étaient âgés de 70 ans et plus (70 recevant du sorafénib et 45 un placebo). L’âge moyen de cette population était de 73 ans. Le bénéfice clinique (addition du taux de réponse complète, de réponse partielle et de stabilisation) est de 84,3 % chez les patients âgés traités, de 83,5 % chez les plus jeunes sujets traités, comparativement à 62,2 % et 53,8 % pour les groupes non traités. La SSP est doublée chez les patients âgés comme chez les plus jeunes quand ils bénéficient du traitement par sorafénib (26,3 versus 13,9 semaines ; HR = 0,43 ; IC95 : 0,26-0,69 pour les 70 ans et plus et 23,6 versus 11,9 semaines ; HR = 0,55 ; IC 95 : 0,47-0,66 pour les plus jeunes) La toxicité de grade 3-4 rapportée avec le sorafénib est un peu plus fréquente chez les patients âgés (grade 3 : 40,0 % versus 29,4 %). Les effets secondaires les plus fréquents sont le rash et la desquamation, la diarrhée, l’alopécie, la fatigue, le syndrome mains-pieds et l’anorexie, mais restent le plus souvent de grade 1-2 et facilement gérables. En revanche, simplifier une thérapeutique en espérant une meilleure tolérance dans cette population peut conduire à des résultats nettement inférieurs à ceux obtenus avec les traitements standard. H.B. Muss, dans l’étude adjuvante prospective comparant capécitabine en monothérapie à cyclophosphamide + méthotrexate + fluorouracil (CMF) ou anthracyclines (AC) dans le cancer du sein chez des patientes âgées (5), montre que la monothérapie est moins efficace. Le suivi médian a été de 2,4 années ; 317 patientes ont reçu le traitement standard (133 le CMF, 184 l’AC) et 303 la capécitabine. Deux tiers des patientes avaient 70 ans ou plus ainsi que des récepteurs hormonaux positifs, 70 % avaient une atteinte ganglionnaire, 10 % surexprimaient HER2. Les 2 groupes étaient sensiblement homogènes. La rechute dans le groupe capécitabine s’est avérée 2 fois plus fréquente que dans le groupe traitement standard (HR = 2,09 ; p < 0,001). Chez les patientes recevant la capécitabine, le risque de rechute est quadruplé en l’absence de récepteurs hormonaux par rapport à celles recevant un traitement standard. En termes de toxicité, 2 décès toxiques ont été rapportés avec la capécitabine. En revanche, 70 % des patientes recevant du CMF ont présenté une toxicité de grade 3 ou 4, versus 60 % Oncogeriatrics is of great importance for the end of year 2009 with two conferences gathering French-speaking (EPOG) and international oncologists and geriatricians (SIOG). Therapeutic progress seems to benefit the selected elderly patients and the polychimiotherapies for elderly patients, are now behind us and have been replaced by targeted therapies. The geriatric assessment and the specific programs which will follow will be the only guarantee of an appropriate therapeutic medico-surgical proposal. Surgery is the ENT cancer’s first treatment. Elderly patients represent 25% of detected cases per year. They must be appropriately handled according to their comorbidities. The nutritional status must be respected and gastrostomy remains important to feed the patients properly. Once again, the geriatric assessement will allow to organize the most appropriate, flexible therapeutic strategy as well as the post-therapeutic follow-up. Keywords SIOG EPOG Oncogeriatrics Assessment News Targeted therapy Colorectal cancer Breast cancer Head and neck cancer Lung cancer Nutrition 86 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 1 - janvier 2010 dans le bras AC et 34 % dans le bras capécitabine. Le Dr A. Huria a rappelé que ces bénéfices thérapeutiques ne profitent qu’à une fraction de la population âgée concernée. D.S. Buist et al. rapportent dans leur analyse rétrospective (6) que 20 % des patientes de 65 ans et plus à haut risque de rechute de cancer du sein ne reçoivent aucune chimiothérapie adjuvante. Programmes gériatriques L’évaluation gériatrique est un outil indispensable pour cibler les patients à traiter. Les interventions qu’elle engendre, comme le soutien diététique et ergonomique, contribuent à retarder la perte de l’autonomie. Une étude évaluant l’impact de ces interventions (7) a randomisé 641 patients survivant à plus de 5 ans d’un cancer du côlon, du sein ou de la prostate avec un bon indice de masse corporelle (IMC) en un groupe (319 patients) qui a bénéficié d’interventions pour promouvoir une activité physique et une qualité nutritionnelle et un autre groupe (322 patients) sans suivi particulier. À 12 mois, la qualité de vie était améliorée et le sentiment de déclin de l’autonomie était diminué dans le groupe intervention. Le programme ONCOSENIOR belge est fondé sur la mise en place d’une équipe mobile oncogériatrique très performante avec gériatre, infirmières cliniciennes en oncologie et en gériatrie, assistante sociale, attaché de recherche clinique, pharmacien clinicien, diététicienne. Le G8 est un outil de dépistage. Si son score est ≤ 14, le patient bénéficie d’une évaluation gériatrique standardisée (EGS). Deux tiers des patients dans l’expérience rapportée sont vulnérables. Les principaux problèmes identifiés sont : la dénutrition, la dépression et l’isolement social, l’altération des fonctions cognitives, et enfin les comorbidités et les polymédications. À propos de la radiothérapie La radiothérapie, qu’elle soit palliative ou curative, est une arme thérapeutique importante dans la prise en charge des patients atteints de cancer, en particulier chez les sujets âgés, du fait du faible risque de toxicité systémique avec ce type de thérapeu- DOSSIER THÉMATIQUE tique. L’équipe italienne du Dr G. Cerrota de l’IRCCS de Milan rapporte, dans une population âgée de 718 patients, une faisabilité de la radiothérapie chez plus de 80 % des patients. Ces patients ont cependant très peu de comorbidités, voire aucune, et ont un bon performance status (PS). Les techniques récentes et innovantes, comme la radiothérapie conformationnelle en 3D avec modulation d’intensité, optimisent la dose délivrée aux volumes cibles en épargnant les volumes ou organes critiques. Mais, en pratique quotidienne, l’accès à ces techniques est encore peu réservé à la population âgée, tout comme la tomothérapie, qui affine encore la performance mais, du fait des durées de mise en place et des contraintes de temps imposées à cette population, est loin encore d’être à leur portée. La radiothérapie hypofractionnée reste d’actualité, en particulier pour les patients fatigués, souvent en soins palliatifs, chez qui les transports doivent être limités. Sa place en adjuvant se développe dans certaines localisations (8). La curiethérapie est aussi une alternative pour simplifier un traitement radique adjuvant dans le sein, en proposant une hospitalisation de 5 jours à la patiente âgée (9). Évaluation gériatrique au service de la chirurgie Les résultats sont contradictoires dans le domaine de la chirurgie des cancers chez le sujet âgé : d’un côté, H. Rutten publie l’absence de bénéfice en termes de survie à 5 ans de la stratégie radiothérapie préopératoire puis chirurgie optimale du rectum avec résection totale du mésorectum chez les patients de 75 ans et au-delà (10), d’un autre G.J. Gardner constate que des chirurgies de debulking chez des patientes de 80 ans atteintes d’un cancer ovarien sont possibles (11). Déterminer les facteurs pronostiques de morbidité et de mortalité postchirurgicales est tout particulièrement indispensable en chirurgie oncogériatrique. L’outil PACE (figure 1) permet d’identifier les populations à risque chirurgical défavorable : l’IADL (instrumental activities of daily living), le BFI (brief fatigue inventory) et le PS sont corrélés à la mortalité à 30 jours ainsi qu’à une hospitalisation prolongée en postopératoire (12). Comme bien des évaluations performantes, PACE est chronophage. Aussi, actuellement, Italiens et Anglais s’associent pour simplifier les outils prédictifs du risque opératoire avec l’étude PREOP, qui compare PACE aux GFI (Groningen frailty index), VES-13 (vulnerable elders survey 13) et up and go test. La confusion postopératoire est une complication fréquente chez les patients âgés opérés : 3 facteurs de risque indépendants sont identifiés par l’équipe française de T. Cudennec (13), le score ASA, l’autonomie fonctionnelle et l’utilisation du tramadol pour contrôler les douleurs en postopératoire. Cet épisode confusionnel majore significativement la durée d’hospitalisation, même s’il est le plus souvent réversible dans le mois suivant la chirurgie. Avancées et interrogations dans le cancer colorectal du patient âgé L’année 2009 a eu son lot de résultats positifs mais aussi d’études négatives ! Cependant, le bilan global est plutôt satisfaisant, puisque, dans l’analyse rétrospective de S. Kopetz, les patients traités pour un CCR avancé ont vu leur SG passer de 18 mois dans les années 1998-2000 à 29,3 mois dans les années 2004-2006, et ce grâce notamment aux hépatectomies réglées (20 % des patients en bénéficient) et aux progrès des chimiothérapies (14). ◆ Concernant plus particulièrement la population âgée, que retenir de cette année ? ➤ De nombreux progrès thérapeutiques sont rapportés depuis peu, en particulier dans l’identification de patients pouvant bénéficier d’un traitement ciblé anti-EGFR. La recherche d’une mutation Kras permet uniquement de détecter les anomalies sur les codons 12 et 13 et, par conséquent, n’est que partiellement prédictive de la réponse aux anti-EGFR. Quoi qu’il en soit, chez les patients âgés (> 70 ans) à Kras sauvage, l’association cétuximab-capécitabine à la dose de 2 000 mg/m2/j est faisable en termes de toxicité et donne un taux de réponse ainsi qu’une SSP et/ou une SG significativement meilleurs que chez les patients à Kras muté (SG : 19 mois versus 13,4 mois ; log-rank : p = 0,04) [15] (figure 2). • Brief fatigue index (BFI) > 3 modéré ou sévère. RR = 1,46 (1,18-2,13) • IADL : au moins une anomalie. RR = 1,36 (1,04-2,05) • ADL : au moins une dépendance. RR = 2,00 (1,37-2,92) Mortalité à 30 jours Durée d’hospitalisation Figure 1. Facteurs de gravité pour la chirurgie : PACE. La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 1 - janvier 2010 | 87 DOSSIER THÉMATIQUE Rétrospective 2009 L’oncogériatrie en pleine jeunesse ! Les antiangiogéniques efficaces en situation avancée (cf. chapitre précédent – étude de F.F. Kabbinavar et al. [3]) posent le problème de leur toxicité thromboembolique (4 % versus 1,5 % accident artériel thromboembolique [ATE] dans l’étude BRITE). Leur utilisation en l’absence de comorbidité est envisageable, mais des données supplémentaires sont nécessaires. ➤ La question de la monothérapie en première ligne reste posée pour les patients âgés fragiles ou présentant une maladie peu agressive. 100 60 HR = 0,53 40 p = 0,02 20 KRAS muté SSP médiane : 6 mois 0 0 100 200 300 400 Temps (jours) SG KRAS muté SG médiane : 18,8 mois 80 Pourcentage 80 Pourcentage 100 SSP KRAS muté SSP médiane : 8,4 mois 60 KRAS muté SG globale : 13,5 mois 40 20 500 0 600 HR = 0,58 p = 0,11 0 100 200 300 400 500 600 Temps (jours) 700 800 Figure 2. Association cétuximab-capécitabine chez le patient âgé de plus de 70 ans. Overall survival Oral Oxaliplatine Anthracyclines dans le cancer du sein de la femme âgée : le meilleur choix ? Irinotécan La grande question concernant l’actualité dans le traitement du cancer du sein en adjuvant, et plus particulièrement chez les femmes âgées, est celle de la place des anthracyclines face aux taxanes. La cardiotoxicité des anthracyclines n’est plus à prouver (18) [tableau I]. Leur administration devra en tout Âge < 70 ans Âge ≥ 70 ans Overall Figure 3. Survie globale. ➤ En situation adjuvante, l’actualité est dominée par les résultats négatifs de l’analyse poolée du groupe ACCENT (figure 3) présentée à l’ASCO 2009 concernant les patients de plus de 70 ans. Cette analyse a comparé, à partir des données de 6 études randomisées, le 5-FU aux nouveaux traitements (associations avec oxaliplatine, irinotécan ou capécitabine). Cette analyse rétrospective a porté sur plus de 2 000 patients de plus de 70 ans avec une tumeur majoritairement de stade III (75 %). Le bénéfice observé aussi bien avec les chimiothérapies avec oxaliplatine qu’avec les chimiothérapies orales dans la population plus jeune ne l’a pas été dans la population âgée. Aucune donnée n’est rapportée concernant le statut gériatrique de ces patients, et il est difficile de conclure à l’absence d’intérêt d’une association dans ces conditions mais elle peut être réservée chez des patients ciblés. Des analyses complémentaires sont prévues pour essayer de comprendre les raisons de ce résultat. Cette étude a aussi permis de confirmer que, quel que soit l’âge du patient, la survie sans maladie à 3 ans est corrélée à la survie à 5 ans et celle-ci le serait aussi à la survie sans maladie à 2 ans. Ainsi, une analyse précoce des résultats permettrait d’anticiper sur les probabilités de survenue d’événements futurs (16). ➤ Enfin, les connaissances en profil génomique pourraient à court terme jouer dans la décision thérapeutique (17). 0,2 ,04 0,6 0,8 1 1,2 1,4 1,6 1,8 Hazard-ratio 2 2,2 Tableau I. Cardiotoxicité des anthracyclines (19). CHEMO Maladie cardiaque CMF DOX CAF Hazard-ratio IC95 Hazard-ratio IC95 Hazard-ratio IC95 Hazard-ratio IC95 CM 1,55 1,38-1,74 1,33 1,11-1,59 2,48 2,10-2,93 2,33 1,83-2,96 CHF 1,20 1,14-1,27 1,13 1,03-1,23 1,38 1,25-1,52 1,29 1,12-1,50 HD 1,22 1,17-1,26 1,14 1,07-1,21 1,35 1,26-1,44 1,37 1,24-1,51 MI 1,03 0,87-1,21 1,08 0,83-1,40 0,90 0,64-1,26 1,09 0,70-1,71 CHEMO : chimiothérapie ; CMF : cyclophosphamide + méthotrexate + fluorouracil ; DOX : doxorubicine ; CAF : cyclophosphamide + doxorubicine + fluorouracil ; CM : cardiomyopathie ; CHF : congestive heart failure ; HD : heart disease ; MI : myocardial infarction. * Controlled for age, race, stage, year of diagnosis, pre-existing HD, comorbidity, and year of diagnosis. 88 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 1 - janvier 2010 DOSSIER THÉMATIQUE 1,0 Survie sans maladie 0,8 0,6 0,4 TAM EPI-TAM 0,2 0 0 24 Nombre de patients à risque TAM 155 117 EPI-TAM 163 144 48 72 Mois 96 60 60 16 23 93 107 120 144 Figure 4. Efficacité des anthracyclines chez la patiente âgée (20). TC alternative aux anthracyclines AC × 4 n = 1 016 patientes stade I à III opérées R TC × 4 1,0 1,0 0,9 0,9 0,8 0,8 0,7 < 65 TC < 65 AC > 65 TC > 65 AC 0,6 0,5 0,4 Survie globale Survie sans maladie 0,7 0,6 0,5 0,4 0 12 24 36 48 60 72 84 96 Mois < 65 TC < 65 AC > 65 TC > 65 AC 0 12 24 36 48 60 72 84 96 Mois Figure 5. AC versus TC en fonction de l’âge. Bévacizumab 15 mg/kg q3w + docétaxel (n = 48) Placebo + docétaxel (n = 38) HR stratifié = 0,48 (0,27-0,85), p = 0,0102 1,0 0,8 SSP estimée état de cause tenir compte au plus haut point de l’état cardiaque des patientes. La fraction d’éjection ventriculaire (FEV) était un paramètre incontournable, certains attachent de l’importance à la fraction diastolique, peut-être plus spécifique. Une chose est certaine, ne proposer aucun traitement à une patiente âgée est délétère sur la survie à 5 ans, qui passe de 90 % dans le groupe traité à 46 % en cas d’abstention (19). Le traitement par anthracyclines a largement été validé en situation adjuvante et métastatique (20). Chez la patiente âgée, le seul essai adjuvant de phase III (figure 4) comparant chimiothérapie plus hormonothérapie (tamoxifène) à hormonothérapie seule utilisait de l’épirubicine hebdomadaire et confirmait en termes de survie sans rechute le bénéfice apporté par la chimiothérapie (21). L’étude récente du sous-groupe âgé de S. Jones montre qu’une association taxotère + cyclophosphamide (TC) peut être une alternative aux anthracyclines. L’analyse rétrospective de cette étude a porté sur les patientes de 65 ans et plus (178/1 116 patientes étudiées). L’âge moyen est de 69 ans. La différence en survie sans rechute est significativement en faveur du bras TC par rapport au bras anthracyclines (81 % versus 75 % ; p = 0,033). Il en est de même pour la survie globale (87 % versus 82 % ; p = 0,032) [22]. La tolérance hématologique est cependant moins bonne dans le bras TC (figure 5). “Doxorubicine might not be the best choice” a dit M. Aapro. Pour autant, les données récentes sont probablement insuffisantes pour remettre en cause la place des anthracyclines en situation adjuvante (23). Le facteur prédictif génomique de réponse aux anthracyclines comme la topoïsomérase IIα pourrait conforter certaines indications mais est loin d’être utilisé en pratique courante (24). Au quotidien, l’indication de la chimiothérapie adjuvante chez les femmes âgées reste discutée principalement en fonction de l’expression des récepteurs hormonaux. En situation métastatique, les thérapies ciblées, et en particulier le bévacizumab, prennent une place indéniable en première ligne. L’étude AVADO (figure 6) avait prévu l’analyse des patientes de plus de 65 ans. Cette analyse a porté sur 127 patientes (sur 705 évaluées au total). L’association bévacizumab + docétaxel s’avère statistiquement meilleure en termes de réponse et de survie sans progression que le docétaxel seul (25). Les craintes d’accidents thromboemboliques secondaires au bévacizumab plus fréquents dans la cohorte de BRITE chez les plus de 75 ans (cancer colorectal avancé) ne semblent pas Population ITT HR stratifié = 0,67 (0,54-0,83), p = 0,0002 10,3 SSP médiane : 8 mois versus 10 mois 0,6 7,7 0,4 0,2 0 0 6 12 18 24 30 Mois Figure 6. Survie sans progression : patiente âgée améliorée avec bévacizumab. La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 1 - janvier 2010 | 89 DOSSIER THÉMATIQUE Rétrospective 2009 L’oncogériatrie en pleine jeunesse ! justifiées au vu des résultats de la cohorte Athena, qui décrivent principalement une majoration des risques d’hypertension artérielle et de protéinurie chez les patientes de plus de 70 ans (26). Quant à la cardiotoxicité du trastuzumab, ses effets sont le plus souvent réversibles après l’arrêt du traitement (27). Quoi de neuf en oncogériatrie du côté gériatrique ? Il est maintenant bien reconnu que seul l’âge physiologique compte dans la décision de prise en charge en oncologie d’un sujet âgé, le projet de soins devant par conséquent être personnalisé. C’est ce que rappelle le Dr B. Van Nes, de Belgique. La connaissance de l’existence de syndromes plus fréquemment rencontrés en gériatrie est nécessaire et repose sur une évaluation gériatrique initiale maintenant Tableau II. Échelle G8. Items Réponses possibles (score) A Le patient présente-t-il une perte d’appétit ? A-t-il mangé moins ces 3 derniers mois à cause d’un manque d’appétit, de problèmes digestifs, de difficultés de mastication ou de déglutition ? 0 : anorexie sévère 1 : anorexie modérée 2 : pas d’anorexie B Perte récente de poids (< 3 mois) 0 : perte de poids > 3 kg 1 : ne sait pas 2 : perte de poids entre 1 et 3 kg 3 : pas de perte de poids C Motricité 0 : du lit au fauteuil 1 : autonome à l’intérieur 2 : sort du domicile E Problèmes neuro-psychologiques 0 : démence ou dépression sévère 1 : démence ou dépression modérée 2 : pas de problème psychologique F Indice de masse corporelle (IMC) [kg/m2] 0 : IMC < 18,5 1 : IMC = 18,5 ≤ IMC < 21 2 : IMC = 21 ≤ IMC < 23 3 : IMC ≥ 23 H Le patient prend-il plus de 3 médicaments ? 0 : oui 1 : non P Le patient se sent-il en meilleure ou moins bonne santé que la plupart des personnes de son âge ? 0 : moins bonne 0,5 : ne sait pas 1 : aussi bonne 2 : meilleure Âge (ans) 0 : > 85 1 : 80-85 2 : < 80 Total 90 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 1 - janvier 2010 0-17 bien connue de tous, idéalement proposée après un screening par l’oncologue. La coordination des soins, à toutes les étapes de la prise en charge d’un patient âgé cancéreux, est probablement un des principaux enjeux de l’oncogériatrie. Qu’il s’agisse de chimiothérapie, de chirurgie, de soins de support ou de soins de confort, la vigilance de tous, oncologues et gériatres, médecins et soignants, est sollicitée. La gestion des situations de malnutrition ou des effets indésirables des thérapeutiques employées en sont des exemples significatifs. Le rapprochement entre oncologue et gériatre permet, selon le Dr E. Castel-Kramer, de Lyon, des échanges aboutissant à établir la meilleure stratégie possible de prise en charge d’un patient âgé porteur de cancer. Le plan personnalisé de soins qui en résulte concerne le traitement oncologique proposé et la prise en charge des critères de fragilité identifiés. Près d’un tiers des communications affichées concernait le type et la place de l’évaluation gériatrique en oncologie. Il paraît clair que l’oncogériatrie doit disposer de deux types d’évaluation. Le premier ne fait pas encore consensus, il s’agit d’un outil de screening à employer par l’oncologue afin de déterminer quel patient adresser au gériatre. Plusieurs échelles ont été évoquées, comme le VES-13, le G8 (tableau II), le Gerhematolim ou encore le GFI. Le second repose sur une évaluation gériatrique standardisée. L’équipe du Dr B. Van Nes souligne l’importance de ces évaluations mais insiste sur le fait qu’elles doivent s’inscrire dans un projet oncologique de prise en charge du sujet âgé, en n’oubliant pas les difficultés que peut poser une absence d’environnement social et la nécessité de suivre le patient et son entourage tout au long de son traitement, en collaboration avec son médecin traitant. Le Pr J.P. Droz, en abordant la prise en charge des patients porteurs d’un cancer de la prostate, propose une classification en 4 groupes permettant d’adapter le choix thérapeutique à l’état de santé de la personne dans ce contexte carcinologique. La constitution de ces groupes repose sur une évaluation de l’autonomie à l’aide de l’IADL et des comorbidités à l’aide de la cumulative illness rating scale (CIRS-G) et sur l’identification de troubles cognitifs. L’existence d’une situation de malnutrition fait entrer le patient dans le deuxième groupe, celle d’une altération cognitive dans le troisième groupe. Le deuxième groupe doit pouvoir bénéficier d’un traitement standard et d’une intervention gériatrique. Pour le troisième groupe, le traitement proposé par cette classification doit rester celui des symptômes, donc principalement palliatif. DOSSIER THÉMATIQUE Le diagnostic d’un nouveau cancer comme facteur de fragilité, c’est le résultat de l’étude du Dr S. Mohile réalisée auprès de 12 480 personnes âgées bénéficiant du système Medicare américain. Les sujets pour lesquels un nouveau diagnostic de cancer était posé présentaient plus de perte d’autonomie, de syndrome gériatrique et de scores anormaux au VES-13 que les patients ayant un diagnostic de cancer ancien. Par rapport aux personnes indemnes de pathologie cancéreuse, il faut ajouter aux critères précédents davantage de fragilité. Lorsque l’on sait que 60 % des patients qui reçoivent un traitement pour leur cancer sont en vie à 5 ans et que la moitié vivent au moins une vingtaine d’années, on peut se demander si l’un des nouveaux défis de l’oncogériatrie n’est pas également la prise en charge des personnes âgées ayant survécu à leur maladie cancéreuse, comme le soulignent le Dr F. Rétornaz, de Marseille, et son équipe. Ils insistent sur le fait que ces patients présentent davantage de fatigue, de troubles thymiques et de douleurs et donc une moins bonne qualité de vie et un plus mauvais état général. EPOG 2009 : la gastrostomie, le garant des apports maîtrisés ! Septembre 2009 marque le rendez-vous annuel des journées d’EPOG qui cette année se tenaient à Lille. Chirurgie ORL, traitement de choix : pour quels patients âgés ? La France a le triste privilège d’être l’un des pays où l’incidence du cancer ORL est très élevée : 40 000 nouveaux cas par an. Les sujets abordés lors de ces journées ont concerné la sphère aérodigestive, ces localisations cancéreuses étant particulièrement représentées dans la région Nord de la France. Les hommes sont plus souvent touchés que les femmes, mais cette différence s’atténue avec l’âge (28). Quinze à 20 % des cancers ORL surviennent chez des personnes âgées de 70 ans et plus (29), et, à l’instar des cancers mammaires et colorectaux, la fréquence de ces cancers n’augmente pas avec l’âge. Les facteurs de risque sont bien connus (tabac, alcool) mais la cause n’est pas toujours clairement identifiée chez les personnes âgées, en particulier dans les cancers de la cavité buccale. Il n’est pas rare dans cette population d’observer un second cancer synchrone ou métachrone. ◆ La chirurgie reste le principal traitement du cancer ORL quel que soit l’âge ! Le Dr D. de Raucourt a rappelé les 4 localisations qui appellent des traitements spécifiques, à savoir la cavité buccale, l’oropharynx, l’hypopharynx et le larynx. L’approche thérapeutique, quel que soit l’âge des patients, se heurte au risque de surmortalité lié aux comorbidités fréquentes, induites par les addictions. La démarche oncogériatrique prend aussi en compte ce type de risques. La détection d’au moins 1 comorbidité chez 75 % des patients de 75 ans et plus le confirme (30). Le bilan local comporte obligatoirement une endoscopie ORL et une exploration œsophagienne, nutritionnelle et cardiorespiratoire. B. Barry a insisté sur la gravité de ces cancers qui, tous stades confondus, n’offrent qu’une survie à 5 ans de 35 % dans les lésions du pharynx et de la cavité buccale et de 52 % dans celles du larynx. Hormis les petites tumeurs T1 et T2, pour lesquelles la radiothérapie offre les mêmes chances de guérison que la chirurgie, les stades T3 et T4 doivent bénéficier d’un traitement chirurgical en l’absence de contreindications opératoires, la radiothérapie complétant la prise en charge thérapeutique. Les suites opératoires dans une population très sélectionnée dans les années 1980 ne semblaient pas différer en fonction de l’âge (31, 32). Plus récemment, A. Sanabria et al. (33) ont décrit des facteurs prédictifs de complications postopératoires dans la population âgée : le sexe masculin, plus de 2 comorbidités associées, un curage bilatéral, une reconstruction et enfin un stade IV. L’existence d’un diabète, d’une dépendance ou d’un score ASA défavorable est associée à une hospitalisation postopératoire prolongée (34). Ces facteurs sous-entendent le nombre certainement limité des patients âgés pouvant bénéficier d’un traitement chirurgical curatif, et ce d’autant qu’il apparaît justifié d’éviter les chirurgies partielles laryngées chez les patients âgés de plus de 75 ans (risque de fausses routes de 22 %) [35] et qu’il faut proscrire toute chirurgie mutilante chez les sujets plus âgés. Des alternatives thérapeutiques sont alors proposées. La radiothérapie est un traitement potentiellement curateur en monothérapie ou en postopératoire. Son but principal est de délivrer une dose élevée dans une cible limitée afin d’éviter les complications, lourdes de conséquences chez les patients âgés, que sont les mucites et les troubles de la déglutition. Son efficacité est équivalente quel que soit l’âge du patient, mais sa toxicité et, en particulier, les mucites, sont significativement majorées chez les patients âgés (36). La radiothérapie hyper- La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 1 - janvier 2010 | 91 DOSSIER THÉMATIQUE Rétrospective 2009 L’oncogériatrie en pleine jeunesse ! fractionnée ne montre pas d’intérêt chez les patients de plus de 70 ans (37). L’alternative de traitement hypofractionné semble donc, en l’absence d’accès facilité vers les radiothérapies innovantes, une bonne option à proposer aux patients âgés, d’autant plus que, en plus de l’effet palliatif attendu, des guérisons sont parfois décrites (38, 39). La chimiothérapie n’était pas à l’honneur dans les présentations de ces experts chirurgiens ; cependant, l’association irradiation thérapie ciblée-Erbitux® (40) semble très prometteuse non seulement dans cette localisation mais aussi, peut-être, dans cette population chez qui la chimiothérapie concomitante n’a pas permis d’observer de bénéfice en termes de survie, contrairement aux patients plus jeunes (41, 42) [plus de comorbidités, plus de toxicité chez les patients âgés]. Enfin, les chirurgiens ORL sont particulièrement sensibilisés à l’état général de leurs patients et en particulier à leur état nutritionnel. Une alimentation adaptée et surveillée est donc indispensable lors de la prise en charge de ces patients. La gastrostomie semble l’indication retenue le plus souvent pour éviter et surtout corriger une dénutrition fréquente dans ce contexte (43). Deux objectifs sont à mettre en balance, a rappelé D. de Raucourt : le contrôle de la maladie et la qualité de vie du patient. L’un devrait aller avec l’autre, mais il faut compter avec les toxicités des traitements. Dès que possible, il faut s’approcher du traitement standard. Seule une approche pluridisciplinaire peut nous y aider. Deux options de prise en charge nous sont proposées par les gériatres, comme l’a rappelé le Pr L. Teillet : une évaluation d’alerte et de dépistage actuellement en cours de validation (ONCODAGE), puis une prise en charge adaptée après traitement : le soin de suite d’oncogériatrie. Ces options existent mais seront à développer et à intégrer à nos référentiels pour ce à quoi les patients âgés ont droit ! peut être proposée dans ces conditions. Dans les situations localisées à formes bourgeonnantes ou végétantes, une radiothérapie est à privilégier ; à l’inverse, les formes infiltrantes ou ulcérées, très souvent douloureuses, justifient un geste chirurgical d’emblée. La radiothérapie adjuvante peut être envisagée lors d’une résection insuffisante. Cependant, les réserves à l’égard de cette option thérapeutique sont liées essentiellement aux problèmes de tolérance muqueuse responsables d’une dénutrition sévère, dont on connaît le pronostic péjoratif, tout particulièrement chez le patient âgé. La place de la chimiothérapie dans les cancers de la cavité buccale reste à démontrer. ◆ Le cas de la cavité buccale Les cancers de la cavité buccale compromettent des fonctions essentielles de la personne humaine que sont la phonation, la respiration et l’alimentation, ainsi que l’estime de soi. Les traitements sont essentiellement chirurgicaux ou radiothérapiques. La chirurgie est à privilégier pour le contrôle des territoires ganglionnaires et de la tumeur, surtout si la lésion est limitée ; à l’opposé, la chirurgie mutilante ne doit pas être proposée aux patients âgés indépendamment des risques liés aux éventuelles comorbidités associées. La radiothérapie exclusive Quand on sait que l’âge supérieur à 75 ans constitue un des critères relatifs de non-opérabilité, on comprend d’emblée que la chirurgie œsophagienne sera réservée à une partie très sélectionnée des patients âgés. Les autres critères sont le PS, la perte de poids, les antécédents d’artériopathie et la cirrhose. Le traitement de référence reste chirurgical, en particulier pour les adénocarcinomes, et le bilan doit comprendre une échoendoscopie ainsi qu’un scanner. La TEP a une place importante dans l’évaluation si le bilan standard ne retrouve pas d’atteinte ganglionnaire, en particulier dans les 92 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 1 - janvier 2010 ◆ En résumé Les progrès considérables dans le traitement des cancers ORL profitent encore peu aux patients âgés, chez qui la chirurgie partielle avec reconstruction et la radiochimiothérapie concomitante sont clairement déconseillées en raison de leur manque d’efficacité et de leur toxicité trop importante. Une taille tumorale réduite, quel que soit l’âge, permettra un traitement limité (chirurgie endobuccale, pas de curage si N0), ce qui conviendra bien mieux à une population âgée chez qui la dénutrition peut être fatale. Des études spécifiques gériatriques comprenant des outils d’évaluation sont nécessaires pour déterminer la place des thérapies ciblées, qui sont incontestablement une avancée médicale importante dans le traitement de ces cancers. Cependant, la chirurgie doit rester la principale proposition thérapeutique devant une lésion tumorale opérable chez un patient âgé non fumeur considéré, après une évaluation complète, en bon état de santé. Cancer de l’œsophage : les particularités chez le patient âgé DOSSIER THÉMATIQUE adénocarcinomes du bas œsophage. En effet, dans 15 à 20 % des cas, cet examen permettra de détecter une atteinte métastatique contre-indiquant tout geste chirurgical. Le Pr X. Mariette a rappelé que la voie avec thoracotomie permettait d’augmenter la survie dans les 1/3 inférieurs de l’œsophage. Les recommandations chirurgicales d’emblée d’œsophagectomie avec curage étendu des 2 champs sont réservées aux petites lésions T1 ou T2, N0. La prise en charge nutritionnelle peut justifier une alimentation parentérale de 10 à 15 jours en préopératoire, et à maintenir en postopératoire en fonction de la récupération du malade. L’immunonutrition avant et après l’opération peut être proposée. Concernant la radiothérapie, le Dr X. Mirabel rappelle la radiosensibilité des cancers de l’œsophage, y compris des adénocarcinomes. À la radiothérapie conventionnelle, dont on connaît les mérites, on peut proposer en alternative une radiothérapie en “split course” pour des patients âgés fatigués. La radiothérapie conformationnelle, qui a permis de limiter les irradiations au volume lésionnel, marginalise le risque de cancer radio-induit, qui est actuellement en augmentation dans cette population antérieurement traitée (exemple : chaîne mammaire interne dans les cancers du sein). Concernant les lésions superficielles œsophagiennes, le bilan recommandé est l’échoendoscopie avec minisonde. Le problème de ces lésions réside dans l’envahissement ganglionnaire fréquemment retrouvé (10 à 20 %) dès le franchissement de la musculaire muqueuse. Le traitement de référence est la mucosectomie. La photothérapie dynamique est réservée aux rechutes. Évaluation et prise en charge du statut nutritionnel : trop peu de gastrostomies ? Au cours de ces 2 journées, qu’il s’agisse de cancers ORL, broncho-pulmonaires ou œsophagiens, le facteur nutritionnel a été au cœur de tous les discours. Un atelier s’est intéressé à cette problématique en contexte périopératoire, au cours des traitements non chirurgicaux et en situation palliative. Force est de constater la nécessité d’être plus systématique dans le dépistage de ces situations, de réévaluer régulièrement l’efficacité de la prise en charge et d’être plus agressif dans les modalités de traitement, en favorisant les voies orales et entérales, notamment par le recours à la gastrostomie pour ces localisations néoplasiques. Pour le Dr D. Seguy, la dénutrition tue autant que le cancer ! Les résultats de l’étude NutriCancer 2005 (44), ont montré à l’échelon national que 39 % des patients étaient dénutris. Ce pourcentage atteignait respectivement 60, 49 et 45 % dans les cancers de l’œsophage, ORL et du poumon. S’agissant de la prise en charge nutritionnelle en contexte chirurgical, les effets bénéfiques d’une nutrition entérale ont été rappelés : elle permet notamment de diminuer les complications postopératoires, les épisodes infectieux et la durée du séjour comme cela a pu être montré dans la méta-analyse Impact en chirurgie (45). Malheureusement, elle ne réduit pas la mortalité. Les recommandations de la conférence de consensus s’appliquent 2 semaines avant et 2 semaines après l’intervention chirurgicale (ANAES, 1994). Le Dr Bachmann a insisté sur la nécessité, au cours des traitements non chirurgicaux, du dépistage et de l’évaluation nutritionnelle des patients âgés présentant un cancer, notamment à l’aide d’une échelle, la mini nutritional assessment (MNA) [46]. Les conseils diététiques et le recours aux suppléments nutritionnels oraux sont justifiés lors d’un traitement par radiothérapie, en plus de la gestion des symptômes. Lors d’une prise en charge en radiothérapie pour un cancer des voies aéro-digestives supérieures, la mise en place d’une nutrition entérale précoce par gastrostomie est souvent indispensable pour stabiliser l’état nutritionnel et permettre le bon déroulement du schéma thérapeutique carcinologique proposé. Selon les recommandations européennes (47), la nutrition entérale n’est pas indiquée en routine lors d’une radiothérapie ou d’une chimiothérapie. Cependant, cette modalité de prise en charge doit être envisagée lorsque les apports oraux sont insuffisants. En revanche, un support nutritionnel doit être commencé sans délai. En revanche, la nutrition parentérale lors de traitements anticancéreux n’est pas recommandée en routine et sera réservée aux situations d’échec des techniques précédentes. En situation palliative, le Dr R. Hermet a plaidé pour une décision personnalisée après une décision consensuelle, résultat d’une réflexion pluridisciplinaire. Il est évoqué une citation de H.S. Shah : “Occasionnellement, un essai temporaire de nutrition artificielle avec des objectifs clairement définis peut permettre une meilleure évaluation et laisser le temps à la famille de se faire à l’idée d’une mort proche.” En d’autres termes, il est nécessaire de dépister, prévenir et traiter la dénutrition du fait des bénéfices multiples à espérer. Cette prise en charge est indispensable lorsque l’on envisage un projet thérapeu- La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 1 - janvier 2010 | 93 DOSSIER THÉMATIQUE Rétrospective 2009 L’oncogériatrie en pleine jeunesse ! tique à visée carcinologique. Cependant, lorsque l’on confronte l’avis des experts aux situations observées en clinique, force est de constater que nous sommes probablement agressifs dans cette prise en charge et que le recours à la gastrostomie est insuffisant. Cancer du poumon : des avancées spécifiques – bilan de l’EPOG et du SIOG En 2009, plusieurs équipes françaises ont présenté des résultats en oncogériatrie pulmonaire dans différentes réunions. À la World Conference on Lung Cancer (WCLC), à San Francisco en 2009, le GFPC (Groupe français de pneumo-cancérologie) a présenté les résultats préliminaires de l’essai GFPC 0504. Dans cet essai tenant compte de l’algorithme de L. Balducci, les patients étaient sélectionnés à l’aide d’un logiciel d’évaluation par PDA (assistant personnel) en fonction des risques de fragilité et de perte d’autonomie chez la personne âgée et de comorbidités selon le score de Charlson (tableau III) : les patients de type autonome étaient randomisés en 2 bras et recevaient tous une bithérapie docétaxel 30 mg/m² hebdomadaire (6 semaines sur 8) et gemcitabine 900 mg/m² (semaines 1, 2, 4 et 5). Dans le bras A, ce traitement était remplacé en cas de progression par de l’erlotinib ; dans le bras B, il était précédé par de l’erlotinib, et remplacé en cas de progression par une chimiothérapie. Sur 100 patients inclus de juillet 2006 à novembre 2006, 85 étaient évaluables. Les caractéristiques des patients étaient les suivantes : 50 hommes, 35 femmes, âge médian : 75,7 ans (extrêmes : 67-86) ; PS 0/1/2 : 40/41/4, Tableau III. Critères gériatriques d’inclusion. Âge (Charlson) Dépendance pour les ADL et les IADL Syndrome gériatrique Comorbidités Score de Charlson PS Éligibilité 65-69 (2) Non 0 0-2 0-2 3-4 3-4 2-4 2-4 5-6 5-6 0-1 2 0-1 2 Inéligible Éligible Éligible Inéligible 70-79 (3) Non 0 0-1 0-1 2-5 3-4 3-4 5-8 0-1 2 0-2 Éligible Inéligible Inéligible 80-89 (4) Non 0 0 1-4 4 5-8 0-1 0-1 Éligible Inéligible 94 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 1 - janvier 2010 score médian de comorbidité de Charlson : 0,4 (0-4), index gériatrique médian : 18,5/20, stade IV/IIIB : 34/5 (bras A) versus 40/3 (bras B). Les résultats ont montré un temps avant progression (TTP) de 4,2 mois (bras A) et 3,7 mois (bras B) et une survie médiane de 10,7 et 10,3 mois. La toxicité est modérée dans les 2 bras. Cet essai, dont les résultats définitifs seront présentés en 2010 avec le temps jusqu’à deuxième progression, tend à montrer qu’une évaluation gériatrique permet d’obtenir des résultats proches de ceux des sujets jeunes pour une population âgée de type indépendant (48). À la 13e WCLC toujours, l’Intergroupe francophone de cancérologie thoracique (IFCT) a présenté l’analyse du sous-groupe des sujets de plus de 70 ans d’une étude randomisée de phase II évaluant deux monochimiothérapies (docétaxel ou gemcitabine) ou une thérapie ciblée (géfitinib) en première ligne des CBNPC avancés chez des sujets de PS 2 ou 3, habituellement exclus des essais thérapeutiques. Paradoxalement, les résultats en termes de survie globale et de survie sans progression sont meilleurs dans le sous-groupe des sujets plus âgés (âge médian : 73 ans). Cela peut s’expliquer par une plus forte proportion de non-fumeurs et de femmes, et une plus faible proportion de sujets de PS 3. On ne note pas de différence en termes de survie globale ni de survie sans progression entre les 3 bras de traitement chez les sujets âgés (49). Au 10 e SIOG (Berlin, 2009) ont été présentés les résultats préliminaires d’un essai de phase II associant du carboplatine et du pémétrexed chez 62 patients de plus de 70 ans présentant un CBNPC avancé, avec un taux de réponse comparable à celui des patients plus jeunes (28,6 %), un temps jusqu’à échec de 16 semaines et un pourcentage de neutropénie de grades 3 et 4 de 51,6 %, relativement élevé, mais en l’absence d’utilisation systématique de GCSF, qui pourrait être recommandé dans cette population (50). Au 10e SIOG toujours, le GFPC a présenté le schéma de son futur essai ESOGIA-GFPC 0802, qui sera une étude randomisée de phase III chez des patients de plus de 70 ans comparant une stratégie classique de bithérapie versus monothérapie fondée sur le PS et l’âge à une stratégie “optimisée” fondée sur une évaluation gériatrique, l’objectif principal étant le temps jusqu’à échec. Le but de cette étude est de valider l’utilisation d’une évaluation gériatrique dans les critères d’inclusion (51). Enfin, en termes d’épidémiologie, l’IFCT a présenté aux Journées d’EPOG de Lille les résultats de son étude IFCT 0202 sur la prise en charge du cancer du DOSSIER THÉMATIQUE poumon du sujet âgé. Parmi 1 627 patients inclus, on dénombrait 46,8 % de patients de 70 à 74 ans, 34,4 % de 75 à 79 ans et 18,9 % de plus de 80 ans, on retrouvait plus de PS 0/1 et plus de non-fumeurs et chez les plus de 80 ans, un nombre important de comorbidités, avec significativement plus de diabète (16,2 %), de BPCO (56,5 %), d’artériopathie membres inférieurs (19,5 %), de coronaropathies (20,5 %) et d’insuffisance cardiaque (11,2 %) chez les hommes. En ce qui concerne les traitements, on observait un nombre plus important de traitements symptomatiques après 80 ans, de participation à des essais thérapeutiques chez les moins de 75 ans et significativement plus de chimiothérapie pour les moins de 80 ans. La médiane de survie était plus basse chez les plus de 80 ans et les ex-fumeurs (52). Conclusion L’oncogériatrie est jeune, mais il importe de définir l’âge de sélection de la population “âgée”. Soixantequinze ans ne seraient-ils pas une limite raisonnable ? L’oncologie n’a pas d’âge, mais la gériatrie doit s’impliquer pour permettre des traitements adaptés aux patients âgés. L’évaluation rigoureuse de ces derniers permettra l’accès aux traitements innovants. Les échanges de pratiques dans ce domaine sont donc indispensables pour faire progresser cette cause médicale, sociale et humaine. L’implication de chacun dans cette cause est le gage de progrès encore plus rapides. Le SIOG et le GEPOG sont des relais de communication incontournables dans cet engagement. ■ Références bibliographiques 1. Vijg J, Campisi J. Puzzles, promises and a cure for ageing. Nature 2008;454(7208):1065-71. 2. Schumacher B, Garinis GA, Hoeijmakers JH. Age to survive: DNA damage and aging. Trends Genet 2008;24(2):77-85. 3. Kabbinavar FF, Hurwitz HI, Yi J et al. Addition of bevacizumab to fluorouracil-based first-line treatment of metastatic colorectal cancer: pooled analysis of cohorts of older patients from two randomized clinical trials. 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