Actualités sur la MÉDECINE PERSONNALISÉE Médecine personnalisée dans le cancer en gériatrie Personalized medicine for elderly patients with cancer T. Cudennec*, S. Moulias*, **, A. de Malherbe*, L. Teillet* T. Cudennec L a prise en charge des patients âgés ayant un cancer pose 2 problèmes principaux : celui de l’absence de règles de prise en charge, les patients âgés cancéreux étant exclus de la plupart des essais et des recommandations, et celui de l’absence de standard thérapeutique, alors que l’âge seul n’est théoriquement pas une contre-indication aux traitements. De ces absences apparaissent 2 écueils. Le premier consiste à traiter insuffisamment, du seul fait de l’âge, à interdire l’accès aux traitements récents, à réduire les posologies sans justification. Ces éléments peuvent être à l’origine d’une perte de chance oncologique. L’autre écueil consiste à trop traiter, à appliquer le traitement usuel sans en avoir estimé les conséquences potentielles, en négligeant les aspects sociaux et neuropsychologiques. Il est, de fait, nécessaire de bien identifier les facteurs prédictifs de la faisabilité d’un traitement oncologique chez chaque patient, notamment lorsqu’il est âgé et polypathologique. Les préalables à la décision en oncogériatrie * Service de gériatrie, hôpital Ambroise-Paré, APHP, Boulogne. ** Laboratoire d’éthique médicale, EA 4569, université Paris-Descartes, Paris. L’évaluation des personnes âgées ayant un cancer pose de nombreuses difficultés, du fait notamment de la diversité des patients et des cancers. L’apport principal du gériatre consiste à détacher le raisonnement menant à la décision de l’âge chronologique du patient pour le focaliser sur l’état général et fonctionnel du patient. En effet, pour un âge donné, l’espérance de vie envisageable dépend beaucoup des comorbidités du patient (1). L’évaluation doit associer les paramètres oncologiques et gériatriques utiles à la prise en charge. L’évaluation gériatrique 410 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XXII - n° 10 - novembre 2013 repose sur une démarche pluridisciplinaire, standardisée, qui permet une appréciation globale de l’état de santé du malade âgé et de ses problèmes principaux (somatiques, psychiques et cognitifs, sociaux et environnementaux). En oncologie, elle doit influencer la décision (2), permettre de détecter les grands syndromes gériatriques qui ont une valeur pronostique quant à la tolérance des traitements oncologiques (dénutrition, polymédicamentation, comorbidités, dépression, troubles cognitifs, perte d’autonomie, etc.) et permettre d’établir un plan de soins et d’aides. Il est indispensable de faire un diagnostic complet et de connaître la place du cancer dans l’histoire médicale du patient. Il faut tenter de déterminer si le patient risque de mourir plutôt de son cancer ou de ses comorbidités (3, 4), s’il va souffrir des complications de son cancer pendant le temps qu’il lui reste à vivre, s’il est capable de supporter un traitement actif. Il ne s’agit pas de demander à tous les oncologues de devenir gériatres, ni à tous les gériatres de devenir oncologues, mais de créer un langage commun, dans le respect des spécificités de chacun. L’oncogériatrie est en soi une approche personnalisée, car aucun patient ne se ressemble, du fait de l’importance des comorbidités, qui augmentent avec l’âge. L’évaluation est, de fait, toujours plus complexe. D’autant plus qu’elle est décisive dans le choix thérapeutique commun. L’algorithme de L. Balducci apporte une aide conséquente pour discuter la décision commune (5). Il permet, après l’évaluation gériatrique, d’estimer si le patient a un risque plus important de décéder de son cancer que de ses comorbidités ; le traitement du cancer est alors recommandé. Si ses comorbi- Résumé La prise en charge d’un patient âgé atteint de cancer est nécessairement personnalisée. Elle comprend, idéalement, une évaluation gériatrique avant la réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP), permettant l’appréciation des comorbidités, et une discussion de la décision thérapeutique en RCP. Tous les patients âgés atteints de cancers n’ont pas accès à ces 2 prérequis, principalement du fait que les professionnels connaissent peu la médecine gériatrique et en raison du manque d’interactions entre les différentes disciplines concernées. Certains patients n’ont ainsi pas accès au soin personnalisé qui leur est dû. dités sont majeures et risquent de grever sa survie à court terme, un traitement de confort semble alors raisonnable ; ou si une évaluation plus approfondie avec une discussion interprofessionnelle est incontournable pour évaluer la balance bénéfice/ risque, avec la nécessité probable d’adapter les thérapeutiques. Cet outil est très utile, même s’il est nécessaire de l’adapter aux différentes situations cliniques rencontrées. Réunions de concertation pluridisciplinaire, jeux d’influences Selon les recommandations de l’Institut national du cancer (INCa), tous les dossiers de patients ayant un cancer, y compris les patients âgés, doivent être présentés en réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP). Beaucoup de prises en charge de patients âgés n’arrivent pas jusqu’à la RCP, la plupart du temps parce que les professionnels qui ont posé le diagnostic ont jugé que “ça n’en valait pas la peine”. Une fois le dossier arrivé en RCP, la considération qui lui est accordée dépendra beaucoup de qui le présente (un gériatre connu des spécialistes, un médecin non connu, un spécialiste de l’équipe de la RCP, etc.) et de l’ardeur qu’il déploie à le faire. De fait, l’accès au soin de ces patients, déjà très fragile, est souvent tributaire de l’éloquence du présentateur. L’apport indéniable de la réflexion commune en RCP en est affaibli. Pour les patients âgés accédant à la RCP, il est important d’avoir eu un avis gériatrique, idéalement par un gériatre formé à l’oncogériatrie et avant la RCP. Cela permet d’avoir une discussion concertée consensuelle unique, plutôt que des réévaluations et, donc, de nouvelles discussions incessantes de la décision initiale, qui conduisent le plus souvent à une perte de chances pour le patient. Démarche éthique et oncogériatrie Le malade âgé est souvent fragile et polypathologique. L’âge, le cancer, les potentiels troubles cognitifs sont des stigmatisations qui s’additionnent, voire se potentialisent, favorisant la vulnérabilité. Ses réserves sont souvent déjà amoindries. La dépendance fonctionnelle est plus fréquente que chez les personnes plus jeunes. En cas de troubles cognitifs, la question se pose de la capacité du malade à bien comprendre sa maladie et le traitement proposé. Le cancer est une nouvelle maladie parmi d’autres, chroniques et potentiellement invalidantes. Les débats sont fréquents tout au long de la maladie, qu’il s’agisse du choix des examens à proposer pour établir le diagnostic, des modalités de l’annonce de celui-ci, du choix des traitements ou de leur arrêt, de la mise en place de soins palliatifs. Il n’existe pas de solution toute faite, l’approche est donc nécessairement personnalisée. Le patient doit rester au centre de la démarche de soin. Son avis doit être régulièrement recherché, en particulier quant à son appréciation de sa qualité de vie. Cette dernière est souvent évaluée par les familles et les professionnels suivant leurs propres critères. Le soutien d’une personne de confiance, choisie librement par le patient, est un apport certain tout au long de son parcours de soin. Le cas échéant, elle pourra permettre au patient de mettre sa parole en avant même s’il est affaibli ou incapable de parler. Mots-clés Cancer Âge Accès au soin Summary The care of elderly patients with cancer is dedicated. It includes, at best, a geriatric assessment, to appreciate comorbidities, and a joint discussion of the therapeutic decision during a multidisciplinary meeting. All elderly patients with cancer do not have access to this, most of the time due to professionals’ lack of knowledge of geriatric medicine and lack of interactions between the relevant specialties. Thus some patients do not have access to the care they deserve. Keywords Cancer Elderly Care access Conclusion La prise en charge d’un patient âgé atteint de cancer est nécessairement personnalisée. Elle comprend, idéalement, une évaluation gériatrique et une discussion de la décision thérapeutique en RCP. Elle est parfois très aléatoire, principalement du fait que les professionnels connaissent peu la médecine gériatrique et en raison du manque d’interactions entre ■ les différentes disciplines concernées. T. Cudennec déclare ne pas avoir de liens d’intérêts. Les autres auteurs n’ont pas déclaré leurs éventuels liens d’intérêts. Références bibliographiques 1. Walter LC, Covinsky KE. Cancer screening in elderly patients: a framework for individualized decision making. JAMA 2001;285(21):2750-6. 2. McCorkle R, Strumpf NE, Nuamah IF et al. A specialized home care intervention improves survival among older post-chirurgical cancer patients. J Am Geriatr Soc 4. Diab SG, Elledge RM, Clark GM. Tumor characteristics 2000;48(12):1707-13. and clinical outcome of elderly women with breast cancer. J Natl Cancer Inst 2000;92(7):550-6. 3. Gross CP, Guo Z, McAvay GJ, Allore HG, Young M, Tinetti ME. Multimorbidity and survival in older persons with 5. Balducci L, Extermann M. Management of cancer in the older colorectal cancer. J Am Ger Soc 2006;54(12):1898-904. person: a practical approach. Oncologist 2000;(3)5:224-37. La Lettre du Cancérologue XXII - n° 10 - novembre 2013 | 411 • Vol.