L Médecine personnalisée dans le cancer en gériatrie

410 | La Lettre du Cancérologue Vol. XXII - n° 10 - novembre 2013
Médecine personnalisée
dans le cancer en gériatrie
Personalized medicine for elderly patients with cancer
T. Cudennec*, S. Moulias*, **, A. de Malherbe*, L. Teillet*
* Service de gériatrie, hôpital
Ambroise-Paré, APHP, Boulogne.
** Laboratoire d’éthique médicale,
EA 4569, université Paris-Descartes,
Paris.
L
a prise en charge des patients âgés ayant un
cancer pose 2 problèmes principaux : celui
de l’absence de règles de prise en charge, les
patients âgés cancéreux étant exclus de la plupart des
essais et des recommandations, et celui de l’absence
de standard thérapeutique, alors que l’âge seul n’est
théoriquement pas une contre-indication aux trai-
tements. De ces absences apparaissent 2 écueils.
Le premier consiste à traiter insuffi samment, du
seul fait de l’âge, à interdire l’accès aux traitements
récents, à réduire les posologies sans justifi cation.
Ces éléments peuvent être à l’origine d’une perte de
chance oncologique. Lautre écueil consiste à trop
traiter, à appliquer le traitement usuel sans en avoir
estimé les conséquences potentielles, en négligeant
les aspects sociaux et neuropsychologiques. Il est, de
fait, nécessaire de bien identifi er les facteurs prédic-
tifs de la faisabilité d’un traitement oncologique
chez chaque patient, notamment lorsqu’il est âgé
et polypathologique.
Les préalables à la décision
en oncogériatrie
L’évaluation des personnes âgées ayant un cancer
pose de nombreuses diffi cultés, du fait notamment
de la diversité des patients et des cancers. L’apport
principal du gériatre consiste à détacher le raison-
nement menant à la décision de l’âge chronologique
du patient pour le focaliser sur l’état général et fonc-
tionnel du patient. En effet, pour un âge donné,
l’espérance de vie envisageable dépend beaucoup
des comorbidités du patient (1). Lévaluation doit
associer les paramètres oncologiques et gériatriques
utiles à la prise en charge. L’évaluation gériatrique
repose sur une démarche pluridisciplinaire, stan-
dardisée, qui permet une appréciation globale de
l’état de santé du malade âgé et de ses problèmes
principaux (somatiques, psychiques et cognitifs,
sociaux et environnementaux). En oncologie, elle
doit infl uencer la décision (2), permettre de détecter
les grands syndromes gériatriques qui ont une valeur
pronostique quant à la tolérance des traitements
oncologiques (dénutrition, polymédicamentation,
comorbidités, dépression, troubles cognitifs, perte
d’autonomie, etc.) et permettre d’établir un plan
de soins et d’aides.
Il est indispensable de faire un diagnostic complet
et de connaître la place du cancer dans l’histoire
médicale du patient. Il faut tenter de déterminer
si le patient risque de mourir plutôt de son cancer
ou de ses comorbidités (3, 4), s’il va souffrir des
complications de son cancer pendant le temps qu’il
lui reste à vivre, s’il est capable de supporter un
traitement actif.
Il ne s’agit pas de demander à tous les oncologues de
devenir gériatres, ni à tous les gériatres de devenir
oncologues, mais de créer un langage commun, dans
le respect des spécifi cités de chacun. Loncogériatrie
est en soi une approche personnalisée, car aucun
patient ne se ressemble, du fait de l’importance des
comorbidités, qui augmentent avec l’âge. Lévalua-
tion est, de fait, toujours plus complexe. D’autant
plus qu’elle est décisive dans le choix thérapeutique
commun.
L’algorithme de L. Balducci apporte une aide consé-
quente pour discuter la décision commune (5).
Il permet, après l’évaluation gériatrique, d’estimer si
le patient a un risque plus important de décéder de
son cancer que de ses comorbidités ; le traitement
du cancer est alors recommandé. Si ses comorbi-
Actualités sur
la MÉDECINE
PERSONNALISÉE
T. Cudennec
La Lettre du Cancérologue Vol. XXII - n° 10 - novembre 2013 | 411
Résumé
La prise en charge d’un patient âgé atteint de cancer est nécessairement personnalisée. Elle comprend,
idéalement, une évaluation gériatrique avant la réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP), permettant
l’appréciation des comorbidités, et une discussion de la décision thérapeutique en RCP. Tous les patients
âgés atteints de cancers n’ont pas accès à ces 2 prérequis, principalement du fait que les professionnels
connaissent peu la médecine gériatrique et en raison du manque d’interactions entre les différentes disci-
plines concernées. Certains patients n’ont ainsi pas accès au soin personnalisé qui leur est dû.
Mots-clés
Cancer
Âge
Accès au soin
Summary
The care of elderly patients with
cancer is dedicated. It includes,
at best, a geriatric assessment,
to appreciate comorbidities,
and a joint discussion of the
therapeutic decision during a
multidisciplinary meeting. All
elderly patients with cancer do
not have access to this, most of
the time due to professionals’
lack of knowledge of geriatric
medicine and lack of interac-
tions between the relevant
specialties. Thus some patients
do not have access to the care
they deserve.
Keywords
Cancer
Elderly
Care access
dités sont majeures et risquent de grever sa survie
à court terme, un traitement de confort semble
alors raisonnable ; ou si une évaluation plus appro-
fondie avec une discussion interprofessionnelle est
incontournable pour évaluer la balance bénéfi ce/
risque, avec la nécessité probable d’adapter les
thérapeutiques. Cet outil est très utile, même s’il
est nécessaire de l’adapter aux différentes situations
cliniques rencontrées.
Réunions de concertation
pluridisciplinaire,
jeux d’infl uences
Selon les recommandations de l’Institut national du
cancer (INCa), tous les dossiers de patients ayant
un cancer, y compris les patients âgés, doivent être
présentés en réunion de concertation pluridiscipli-
naire (RCP). Beaucoup de prises en charge de patients
âgés n’arrivent pas jusqu’à la RCP, la plupart du
temps parce que les professionnels qui ont posé le
diagnostic ont jugé que “ça nen valait pas la peine”.
Une fois le dossier arrivé en RCP, la considération
qui lui est accordée dépendra beaucoup de qui le
présente (un gériatre connu des spécialistes, un
médecin non connu, un spécialiste de l’équipe de
la RCP, etc.) et de l’ardeur qu’il déploie à le faire. De
fait, l’accès au soin de ces patients, déjà très fragile,
est souvent tributaire de l’éloquence du présenta-
teur. Lapport indéniable de la réfl exion commune
en RCP en est affaibli.
Pour les patients âgés accédant à la RCP, il est
important d’avoir eu un avis gériatrique, idéale-
ment par un gériatre formé à l’oncogériatrie et
avant la RCP. Cela permet d’avoir une discussion
concertée consensuelle unique, plutôt que des
réévaluations et, donc, de nouvelles discussions
incessantes de la décision initiale, qui conduisent
le plus souvent à une perte de chances pour le
patient.
Démarche éthique
et oncogériatrie
Le malade âgé est souvent fragile et polypatho-
logique. L’âge, le cancer, les potentiels troubles
cognitifs sont des stigmatisations qui s’additionnent,
voire se potentialisent, favorisant la vulnérabilité.
Ses réserves sont souvent déjà amoindries. La dépen-
dance fonctionnelle est plus fréquente que chez les
personnes plus jeunes. En cas de troubles cognitifs,
la question se pose de la capacité du malade à bien
comprendre sa maladie et le traitement proposé.
Le cancer est une nouvelle maladie parmi d’autres,
chroniques et potentiellement invalidantes.
Les débats sont fréquents tout au long de la maladie,
qu’il s’agisse du choix des examens à proposer pour
établir le diagnostic, des modalités de l’annonce de
celui-ci, du choix des traitements ou de leur arrêt, de
la mise en place de soins palliatifs. Il n’existe pas de
solution toute faite, l’approche est donc nécessaire-
ment personnalisée. Le patient doit rester au centre de
la démarche de soin. Son avis doit être régulièrement
recherché, en particulier quant à son appréciation de sa
qualité de vie. Cette dernière est souvent évaluée par
les familles et les professionnels suivant leurs propres
critères. Le soutien d’une personne de confiance,
choisie librement par le patient, est un apport certain
tout au long de son parcours de soin. Le cas échéant,
elle pourra permettre au patient de mettre sa parole
en avant même s’il est affaibli ou incapable de parler.
Conclusion
La prise en charge d’un patient âgé atteint de cancer
est nécessairement personnalisée. Elle comprend,
idéalement, une évaluation gériatrique et une discus-
sion de la décision thérapeutique en RCP. Elle est
parfois très aléatoire, principalement du fait que les
professionnels connaissent peu la médecine géria-
trique et en raison du manque d’interactions entre
les différentes disciplines concernées.
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5. Balducci L, Extermann M. Management of cancer in the older
person: a practical approach. Oncologist 2000;(3)5:224-37.
Références bibliographiques
T. Cudennec déclare ne pas avoir
de liens d’intérêts.
Les autres auteurs n’ont pas déclaré
leurs éventuels liens d’intérêts.
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