“ L Médecine personnalisée, un modèle de partage d’information

374 | La Lettre du Cancérologue Vol. XXII - n° 10 - novembre 2013
AVANT-PROPOS
decine personnalisée,
un modèle departage dinformation
pour unmeilleur consentement
Personalized medicine sharing information
forabetter consent
F. Scotté 1,2,3,
P.Leroy 2, 3,
M.F.Mamzer 3, 4,
C.Her 3
1 Service d’oncologie médicale,
hôpital européen Georges-Pompidou,
Paris.
2 Unité fonctionnelle de soins
oncologiques de support,
hôpital européen Georges-Pompidou,
Paris.
3 Laboratoire d’éthique médicale,
université Paris Sorbonne Cité, Paris.
4 Service de néphrologie adultes,
hôpital Necker-Enfants malades, Paris.
La médecine personnalisée a été défi nie, par le directeur américain duconseil
pourles sciences et les technologies (President’s Council of Advisors
onScience and Technology), comme “l’adaptation des traitements médicaux
auxcaractéristiques individuelles de chaque patient; le but est de classer les personnes
dans des sous-populations en fonction de leur susceptibilité à certaines maladies
oude leur réponse à certains traitements. Ainsi, la prévention et les traitements seront
proposés à ceux dont on sait qu’ils pourront en bénéfi cier et ainsi limiter les dépenses
etles eff ets secondaires”(1).
Introduction à la problématique
Les progrès permanents de la médecine, tant d’un point de vue technologique
etthérapeutique qu’organisationnel, repoussent les limites de l’incurabilité, de la vie.
Cest ainsi que, dans le cadre d’une maladie cancéreuse, les données épidémiologiques
européennes montrent que plus d’un patient sur deux vit avec sa maladie (étude
EUROCARE4)[2]. En France, par exemple, près de 360 000nouveaux cas ont été
diagnostiqués en 2010, et l’on comptait près de 150 000décès dans lemême temps
(données de l’Institut de veille sanitaire et de l’Institut national du cancer)[3].
Denombreuses explications peuvent être avancées, dont l’amélioration
destechniques de diagnostic et de dépistage, mais également l’amélioration
de la qualité des soins, complémentaire d’immenses progrès dans le domaine
destraitements anticancéreux. Parmi ceux-ci, les thérapeutiques ciblées représentent
le principal eff ort de recherche. La notion de médecine personnalisée a ainsi été
défi nie et correspond, dans sa défi nition américaine, aux “formes de médecine
quiutilisent des informations sur le génome, les protéines et l’environnement
delapersonne dans le but de prévenir, diagnostiquer et traiter la maladie”(4,5).
Cette défi nition, en cancérologie, inclut la compréhension du mode d’action
et de l’effi cacité des traitements ainsi que la possibilité de poser un pronostic.
Unsynonyme fait également partie de cette défi nition émise par l’Institut national
ducancer américain : médecine de précision.
Diff érentes problématiques doivent alors être posées : la médecine personnalisée
correspond-elle exclusivement à une médecine moléculaire ? comment intégrer
cesdonnées moléculaires à la notion d’environnement tumoral ? faut-il prendre
encompte la notion de personne au sens large, à savoir l’environnement
génomique mais également le contexte de vie, les habitus, les comorbidités,
lesspécifi cités dechacun ? l’histoire de la maladie, le vécu de celle-ci, le choix
dupatient etdesesproches doivent-ils avoir un poids dans la décision ? au regard
decesrésultats moléculaires et des données d’études, comment annoncer, informer
ou encore s’assurer que l’information autour de cette personnalisation est bien
comprise et intégrée par chaque acteur du parcours du malade afi n de lui laisser
la possibilité d’un choix éclairé? quelle attitude tenir face à l’effi cacité, comme
àl’ineffi cacité, des traitements ciblés? quelle attitude avoir lorsqu’il s’agit d’expliquer
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cemécanisme moléculaire, mais également en cas d’absence de cible,
et que faire alors ? quel est l’impact pour la recherche?
Cette prise en compte de la personne transcende l’aspect moléculaire
et pourrait faire partie intégrante de la démarche développée dans le contexte
de la recherche, etnotamment au sein des centres de lutte contre le cancer (4).
CARPEM, développé par des équipes de l’université Paris Sorbonne Cité,
a pour mission de répondre à un programme de recherche afi n detrouver
lesmeilleures thérapeutiques et indications pour les nouveaux traitements ciblés.
Il inclut parmi ses équipes le département médecine éthique et vulnérabilité,
dans lebut, notamment, de réfl échir à l’articulation des diff érents pôles
derecherche, depuis lesplateformes biologiques jusqu’aux plateformes cliniques,
enintégrant lesentrepôts de données, et de défi nir le parcours de l’information
et du patient entre ces équipes.
Linformation
Annoncer une nouvelle, qu’elle soit bonne ou mauvaise, tient d’abord aufait
demaîtriser les données à transmettre. Les chemins de l’information reçue
etdélivrée doivent être, pour cela, fl uides. Que l’on annonce une maladie,
unerémission ou un arrêt des traitements, que l’on explique un essai thérapeutique,
la notion deconsentement éclairé implique une connaissance précise des diff érentes
données dans le but de pouvoir les expliciter.
La loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système
desanté consacre une place essentielle au consentement et à l’information
despatients et introduit la notion de personne de confi ance dans la relation
médecin-malade (6). Cette information du patient était déjà une obligation
déontologique pour les médecins prévue par l’article35 du code de déontologie
médicale (7). Il faut cependant garder à l’esprit, dans l’évaluation de nos pratiques,
le trop fréquent fossé qui existe entre ce que le praticien pense avoir donné comme
information et ce que le patient a entendu(8).
Dans le cadre de la médecine personnalisée, le médecin doit intégrer et faire
comprendre des notions aussi complexes que les voies de signalisation intracellulaire,
les propriétés et modes d’action des nouvelles thérapies, leur intérêt en termes
detaux de réponse, de survie sans récidive ou de survie globale, puis il doit expliquer
l’intérêt d’intégrer des programmes de recherche.
La médecine personnalisée au temps de la recherche
Lenjeu de la médecine personnalisée, pour le milieu cancérologique, reste avant
tout de développer de nouvelles thérapeutiques et de permettre une sélection
des patients en fonction de critères de choix moléculaires afi n de leur proposer
les traitements les plus adaptés (9). Léquipe du programme SIRIC du Gustave-
Roussy Cancer Campus (GRCC) a présenté à l’oral, lors du congrès de l’association
américaine de cancérologie clinique à Chicago, au printemps dernier, les résultats
deson étude multicentrique prospective menée dans le cadre du cancer du sein(10).
Il a été rappelé que l’objectif de la médecine personnalisée est d’identifi er une cible
pour traiter la maladie cancéreuse, le processus consistant à défi nir le type tumoral
d’une patiente, puis son profi l moléculaire, afi n d’en déterminer les altérations
accessibles au développement d’une thérapeutique spécifi que. La question posée
par l’essai SAFIR01 était celle de l’application de ce concept aux patientes atteintes
d’un cancer du sein métastatique. Le processus de cette étude menée auprès
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de404patientes a consisté en une première phase de biopsies tumorales de malades
en phase de stabilisation ou de réponse tumorale. Par la suite, une analyse génomique
avec séquençage de zones spécifi ques était réalisée, suivie del’identifi cation
d’altérations génomiques pouvant servir de cible à unethérapeutique existante.
Cette identifi cation était menée de manière multicentrique et multidisciplinaire.
Untraitement ciblé était alors administré lors de la progression tumorale,
etlesrésultats en termes de réponse tumorale recueillis. Au cours de ce processus,
l’ensemble des données étaient analysées grâce à l’intervention de bio-informaticiens
en lien avec un entrepôt de données (nouveau temps spécifi que et indispensable
pour lagestion des informations récupérées, et enjeu majeur de l’éthique en termes
detraitement et de gestion de l’information) [11].
Chaque temps de l’analyse a été détaillé lors de cette présentation, en mettant
enavant des résultats importants à chacune de ces phases, et en rappelant
quel’objectif principal était d’évaluer la faisabilité d’une telle recherche dans le cadre
ducancer du sein métastatique. Des biopsies ont été réalisées chez 404patientes,
dont 287 (71%) ont pu avoir un séquençage génomique complet.
En eff et, 29 %desbiopsies étaient ininterprétables ou comportaient un matériel
tumoral non éligible pour l’étude. Les métastases hépatiques et ganglionnaires ont
été ici défi nies comme ayant les meilleures chances d’obtenir un test génomique
de qualité. Ce résultat met en avant un nouveau niveau de sélection des patients
en fonction de leurs sites métastatiques. Parmi ces patientes, 194 (67 %) ont eu
l’identifi cation d’une altération génomique accessible à un traitement ciblé.
Lesprincipales altérations ont ainsi été présentées. Il a été mis en évidence que
legroupe des altérations les plus rares était en fréquence supérieur aux altérations
individuelles les plus couramment retrouvées.
Sur ces 194patientes, 48 (25 %) ont réellement bénéfi cié d’un traitement ciblé
(soit 12 % des patientes initialement biopsiées). Le taux de réponse globale
obtenu a été de 9 % sur ces 48patientes, et 19 % avaient une maladie stabilisée
à plus de16semaines. Au total 12patientes sur les 404biopsiées (3 %) ontpu
bénéfi cier decette procédure. Les discussions ont concerné l’amélioration
delaqualité des biopsies et de la détection des altérations génomiques, ainsi que
la nécessité d’améliorer l’algorithme de recherche de la sensibilité desaltérations
auxthérapeutiques ciblées, d’où l’importance d’une collaboration étroite,
d’unepart, avec les bio-informaticiens et les entrepôts de données (pour déterminer
lessensibilités) et, d’autre part, avec les industriels (pour améliorer l’accès
auxthérapeutiques). F.André a terminé sa présentation autour delanécessité
d’évaluer l’utilisation médicale (en pratique clinique) de cetteapproche
etd’augmenter le recrutement des patients dans des essais thérapeutiques.
Onenrevient donc à l’importance del’information pour mobiliser les malades
vers un eff ort de recherche.
veloppement du programme CARPEM
Le projet CARPEM recherche le même objectif que celui du GRCC,
àsavoir élaborer une recherche translationnelle, fondamentale et clinique,
afi ndedécouvrir et développer des thérapeutiques ciblées effi caces et d’optimiser
ainsi le traitement des patients atteints de cancer. Les buts fi xés dans le cadre
deceprogramme sont:
améliorer la compréhension des mécanismes de la cancérogenèse et du micro-
environnement tumoral;
identifi er des biomarqueurs pronostiques et théranostiques;
développer de nouvelles thérapeutiques.
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Ce numéro est routé avec le supplément 1 “Controverses dans le traitement chirurgical des métastases hépatiques
et nouveautés dans le traitement médical des tumeurs neuroendocrines digestives (TNED)” (12 pages).
Crédits photos : © Mikey_Man et © Sylwia Nowik
Les articles publiés dans
La Lettre duCancérologue
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© mai 1992 - EDIMARK SAS - Dépôt légal : à parution - Imprimé en France - Point 44 - 94500 Champigny-sur-Marne
Les auteurs déclarent ne pas avoir
de liens d’intérêts.
Afi n de permettre un meilleur accompagnement de ces patients,
dansuneapproche globale de la personne malade dans son environnement, il a
semblé indispensable d’associer au programme CARPEM un temps de réfl exion
éthique. Lobjectif de ce temps est d’aider au lien entre les diff érentes plateformes
intervenant dans le parcours de recherche et de prise en charge du malade. Il est
apparu incontournable de placer l’information au cœur de cette réfl exion, afi n :
d’améliorer la compréhension de chacun de ces intervenants par un juste partage
des savoirs;
d’anticiper l’information et le consentement autour de la présence ou de l’absence
d’une cible thérapeutique, voire de la perte d’effi cacité du traitement sur cette cible;
d’harmoniser les relais de l’information pour une cohérence et une adhésion de tous
les acteurs décisionnels.
Le développement de cette recherche éthique s’est appuyé sur 4temps
particuliers. Le premier est une analyse du niveau d’information et du lien entre
leséquipes avec, notamment, une évaluation du circuit de la recherche et duniveau
d’information des diff érents acteurs. Le deuxième s’appuie sur l’élaboration
d’undocument d’information et de recueil du consentement, travaillé en lien
étroit avec des équipes de linguistes et de psychologues. Le troisième devra
consister en une diff usion de cette information, et aboutir à un quatrième temps
de mise en pratique, avec proposition de création d’une réunion de concertation
pluridisciplinaire ou d’une unité fonctionnelle d’aide à la prise de décision.
La réalisation de ce travail de recherche au sein du CARPEM s’appuie
sur2comités. Un premier comité, “d’interface”, a pour objectif d’off rir un partage
del’information et des problématiques posées au sein de chacune des plateformes
de recherche. Un second comité, “patients”, a pour rôle d’analyser et de valider
leséléments d’information développés par les équipes de recherche.
De manière institutionnelle, un comité d’éthique clinique a été développé
surlesite, et s’enrichira à terme des travaux du groupe CARPEM, avec appropriation
desprocessus d’information.
Les regards, problématiques théoriques et pratiques, seront partagés
àtravers ce programme, qui réunit, dans le cadre du groupe éthique, chercheurs
fondamentalistes et cliniciens, acteurs des diff érentes plateformes d’examens,
praticiens cliniciens médicaux et non médicaux, et patients, afi n de défi nir au mieux
les contours de la personnalisation et l’aide au développement de la recherche
encedomaine.
Il s’agit là d’un véritable eff ort de création et de mobilisation d’une réfl exion
éthique dans le cadre de la recherche sur la médecine personnalisée optimisée
grâce au juste partage de l’information pour un consentement éclairé de qualité
au profi t du malade.
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