AVANT-PROPOS Médecine personnalisée, un modèle de partage d’information pour un meilleur consentement Personalized medicine sharing information for a better consent “ L a médecine personnalisée a été définie, par le directeur américain du conseil pour les sciences et les technologies (President’s Council of Advisors on Science and Technology), comme “l’adaptation des traitements médicaux aux caractéristiques individuelles de chaque patient ; le but est de classer les personnes dans des sous-populations en fonction de leur susceptibilité à certaines maladies ou de leur réponse à certains traitements. Ainsi, la prévention et les traitements seront proposés à ceux dont on sait qu’ils pourront en bénéficier et ainsi limiter les dépenses et les effets secondaires…” (1). Introduction à la problématique F. Scotté 1, 2, 3, P. Leroy 2, 3, M.F. Mamzer 3, 4, C. Hervé 3 1 Service d’oncologie médicale, hôpital européen Georges-Pompidou, Paris. 2 Unité fonctionnelle de soins oncologiques de support, hôpital européen Georges-Pompidou, Paris. 3 Laboratoire d’éthique médicale, université Paris Sorbonne Cité, Paris. 4 Service de néphrologie adultes, hôpital Necker-Enfants malades, Paris. Les progrès permanents de la médecine, tant d’un point de vue technologique et thérapeutique qu’organisationnel, repoussent les limites de l’incurabilité, de la vie. C’est ainsi que, dans le cadre d’une maladie cancéreuse, les données épidémiologiques européennes montrent que plus d’un patient sur deux vit avec sa maladie (étude EUROCARE 4) [2]. En France, par exemple, près de 360 000 nouveaux cas ont été diagnostiqués en 2010, et l’on comptait près de 150 000 décès dans le même temps (données de l’Institut de veille sanitaire et de l’Institut national du cancer) [3]. De nombreuses explications peuvent être avancées, dont l’amélioration des techniques de diagnostic et de dépistage, mais également l’amélioration de la qualité des soins, complémentaire d’immenses progrès dans le domaine des traitements anticancéreux. Parmi ceux-ci, les thérapeutiques ciblées représentent le principal effort de recherche. La notion de médecine personnalisée a ainsi été définie et correspond, dans sa définition américaine, aux “formes de médecine qui utilisent des informations sur le génome, les protéines et l’environnement de la personne dans le but de prévenir, diagnostiquer et traiter la maladie” (4, 5). Cette définition, en cancérologie, inclut la compréhension du mode d’action et de l’efficacité des traitements ainsi que la possibilité de poser un pronostic. Un synonyme fait également partie de cette définition émise par l’Institut national du cancer américain : médecine de précision. Différentes problématiques doivent alors être posées : la médecine personnalisée correspond-elle exclusivement à une médecine moléculaire ? comment intégrer ces données moléculaires à la notion d’environnement tumoral ? faut-il prendre en compte la notion de personne au sens large, à savoir l’environnement génomique mais également le contexte de vie, les habitus, les comorbidités, les spécificités de chacun ? l’histoire de la maladie, le vécu de celle-ci, le choix du patient et de ses proches doivent-ils avoir un poids dans la décision ? au regard de ces résultats moléculaires et des données d’études, comment annoncer, informer ou encore s’assurer que l’information autour de cette personnalisation est bien comprise et intégrée par chaque acteur du parcours du malade afin de lui laisser la possibilité d’un choix éclairé ? quelle attitude tenir face à l’efficacité, comme à l’inefficacité, des traitements ciblés ? quelle attitude avoir lorsqu’il s’agit d’expliquer 374 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XXII - n° 10 - novembre 2013 AVANT-PROPOS ce mécanisme moléculaire, mais également en cas d’absence de cible, et que faire alors ? quel est l’impact pour la recherche ? Cette prise en compte de la personne transcende l’aspect moléculaire et pourrait faire partie intégrante de la démarche développée dans le contexte de la recherche, et notamment au sein des centres de lutte contre le cancer (4). CARPEM, développé par des équipes de l’université Paris Sorbonne Cité, a pour mission de répondre à un programme de recherche afin de trouver les meilleures thérapeutiques et indications pour les nouveaux traitements ciblés. Il inclut parmi ses équipes le département médecine éthique et vulnérabilité, dans le but, notamment, de réfléchir à l’articulation des différents pôles de recherche, depuis les plateformes biologiques jusqu’aux plateformes cliniques, en intégrant les entrepôts de données, et de définir le parcours de l’information et du patient entre ces équipes. L’information Annoncer une nouvelle, qu’elle soit bonne ou mauvaise, tient d’abord au fait de maîtriser les données à transmettre. Les chemins de l’information reçue et délivrée doivent être, pour cela, fluides. Que l’on annonce une maladie, une rémission ou un arrêt des traitements, que l’on explique un essai thérapeutique, la notion de consentement éclairé implique une connaissance précise des différentes données dans le but de pouvoir les expliciter. La loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé consacre une place essentielle au consentement et à l’information des patients et introduit la notion de personne de confiance dans la relation médecin-malade (6). Cette information du patient était déjà une obligation déontologique pour les médecins prévue par l’article 35 du code de déontologie médicale (7). Il faut cependant garder à l’esprit, dans l’évaluation de nos pratiques, le trop fréquent fossé qui existe entre ce que le praticien pense avoir donné comme information et ce que le patient a entendu (8). Dans le cadre de la médecine personnalisée, le médecin doit intégrer et faire comprendre des notions aussi complexes que les voies de signalisation intracellulaire, les propriétés et modes d’action des nouvelles thérapies, leur intérêt en termes de taux de réponse, de survie sans récidive ou de survie globale, puis il doit expliquer l’intérêt d’intégrer des programmes de recherche. La médecine personnalisée au temps de la recherche L’enjeu de la médecine personnalisée, pour le milieu cancérologique, reste avant tout de développer de nouvelles thérapeutiques et de permettre une sélection des patients en fonction de critères de choix moléculaires afin de leur proposer les traitements les plus adaptés (9). L’équipe du programme SIRIC du GustaveRoussy Cancer Campus (GRCC) a présenté à l’oral, lors du congrès de l’association américaine de cancérologie clinique à Chicago, au printemps dernier, les résultats de son étude multicentrique prospective menée dans le cadre du cancer du sein (10). Il a été rappelé que l’objectif de la médecine personnalisée est d’identifier une cible pour traiter la maladie cancéreuse, le processus consistant à définir le type tumoral d’une patiente, puis son profil moléculaire, afin d’en déterminer les altérations accessibles au développement d’une thérapeutique spécifique. La question posée par l’essai SAFIR 01 était celle de l’application de ce concept aux patientes atteintes d’un cancer du sein métastatique. Le processus de cette étude menée auprès La Lettre du Cancérologue • Vol. XXII - n° 10 - novembre 2013 | 375 AVANT-PROPOS de 404 patientes a consisté en une première phase de biopsies tumorales de malades en phase de stabilisation ou de réponse tumorale. Par la suite, une analyse génomique avec séquençage de zones spécifiques était réalisée, suivie de l’identification d’altérations génomiques pouvant servir de cible à une thérapeutique existante. Cette identification était menée de manière multicentrique et multidisciplinaire. Un traitement ciblé était alors administré lors de la progression tumorale, et les résultats en termes de réponse tumorale recueillis. Au cours de ce processus, l’ensemble des données étaient analysées grâce à l’intervention de bio-informaticiens en lien avec un entrepôt de données (nouveau temps spécifique et indispensable pour la gestion des informations récupérées, et enjeu majeur de l’éthique en termes de traitement et de gestion de l’information) [11]. Chaque temps de l’analyse a été détaillé lors de cette présentation, en mettant en avant des résultats importants à chacune de ces phases, et en rappelant que l’objectif principal était d’évaluer la faisabilité d’une telle recherche dans le cadre du cancer du sein métastatique. Des biopsies ont été réalisées chez 404 patientes, dont 287 (71 %) ont pu avoir un séquençage génomique complet. En effet, 29 % des biopsies étaient ininterprétables ou comportaient un matériel tumoral non éligible pour l’étude. Les métastases hépatiques et ganglionnaires ont été ici définies comme ayant les meilleures chances d’obtenir un test génomique de qualité. Ce résultat met en avant un nouveau niveau de sélection des patients en fonction de leurs sites métastatiques. Parmi ces patientes, 194 (67 %) ont eu l’identification d’une altération génomique accessible à un traitement ciblé. Les principales altérations ont ainsi été présentées. Il a été mis en évidence que le groupe des altérations les plus rares était en fréquence supérieur aux altérations individuelles les plus couramment retrouvées. Sur ces 194 patientes, 48 (25 %) ont réellement bénéficié d’un traitement ciblé (soit 12 % des patientes initialement biopsiées). Le taux de réponse globale obtenu a été de 9 % sur ces 48 patientes, et 19 % avaient une maladie stabilisée à plus de 16 semaines. Au total 12 patientes sur les 404 biopsiées (3 %) ont pu bénéficier de cette procédure. Les discussions ont concerné l’amélioration de la qualité des biopsies et de la détection des altérations génomiques, ainsi que la nécessité d’améliorer l’algorithme de recherche de la sensibilité des altérations aux thérapeutiques ciblées, d’où l’importance d’une collaboration étroite, d’une part, avec les bio-informaticiens et les entrepôts de données (pour déterminer les sensibilités) et, d’autre part, avec les industriels (pour améliorer l’accès aux thérapeutiques). F. André a terminé sa présentation autour de la nécessité d’évaluer l’utilisation médicale (en pratique clinique) de cette approche et d’augmenter le recrutement des patients dans des essais thérapeutiques. On en revient donc à l’importance de l’information pour mobiliser les malades vers un effort de recherche. Développement du programme CARPEM Le projet CARPEM recherche le même objectif que celui du GRCC, à savoir élaborer une recherche translationnelle, fondamentale et clinique, afin de découvrir et développer des thérapeutiques ciblées efficaces et d’optimiser ainsi le traitement des patients atteints de cancer. Les buts fi xés dans le cadre de ce programme sont : ➤ améliorer la compréhension des mécanismes de la cancérogenèse et du microenvironnement tumoral ; ➤ identifier des biomarqueurs pronostiques et théranostiques ; ➤ développer de nouvelles thérapeutiques. 376 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XXII - n° 10 - novembre 2013 AVANT-PROPOS Références bibliographiques 1. President’s Council of Advisors on Science and Technology. Priorities for personalized medicine. www.whitehouse.gov/ files/documents/ostp/PCAST/ pcast_report_v2.pdf 2. Istituto Superiore di Sanità. http://www.eurocare.it 3. Institut de veille sanitaire. www.invs.sante.fr 4. National Cancer Institute. www.cancer.gov/dictionary? CdrlD=561717 5. Doz F, Marvanne P, FagotLargeault A. The person in personalised medicine. Eur J Cancer 2013;49(5):1159-60. 6. Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. 7. Code de déontologie médicale. 8. Ghrea M, Dumontier C, Sautet A, Hervé C. Quality of information transfer for informed consent: an experimental study in 21 patients. Rev Chir Orthop Reparatrice Appar Mot 2006;92(1):7-18. 9. André F, Ciccolini J, Spano JP et al. Personalized medicine in oncology: where have we come from and where are we going? Pharmacogenomics 2013;14(8): 931-9. 10. André F, Bachelot TD, Campone M et al. Array CGH and DNA sequencing to personalize targeted treatment of metastatic breast cancer (MBC) patients (pts): A prospective multicentric trial (SAFIR01). ASCO® 2013: abstr. 511. 11. Ferté C, Trister AD, Huang E et al. Impact of bioinformatic procedures in the development and translation of highthroughput molecular classifiers in Oncology. Clin Cancer Res 2013;19(16):4315-25. Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts. Afin de permettre un meilleur accompagnement de ces patients, dans une approche globale de la personne malade dans son environnement, il a semblé indispensable d’associer au programme CARPEM un temps de réflexion éthique. L’objectif de ce temps est d’aider au lien entre les différentes plateformes intervenant dans le parcours de recherche et de prise en charge du malade. Il est apparu incontournable de placer l’information au cœur de cette réflexion, afin : ➤ d’améliorer la compréhension de chacun de ces intervenants par un juste partage des savoirs ; ➤ d’anticiper l’information et le consentement autour de la présence ou de l’absence d’une cible thérapeutique, voire de la perte d’efficacité du traitement sur cette cible ; ➤ d’harmoniser les relais de l’information pour une cohérence et une adhésion de tous les acteurs décisionnels. Le développement de cette recherche éthique s’est appuyé sur 4 temps particuliers. Le premier est une analyse du niveau d’information et du lien entre les équipes avec, notamment, une évaluation du circuit de la recherche et du niveau d’information des différents acteurs. Le deuxième s’appuie sur l’élaboration d’un document d’information et de recueil du consentement, travaillé en lien étroit avec des équipes de linguistes et de psychologues. Le troisième devra consister en une diffusion de cette information, et aboutir à un quatrième temps de mise en pratique, avec proposition de création d’une réunion de concertation pluridisciplinaire ou d’une unité fonctionnelle d’aide à la prise de décision. La réalisation de ce travail de recherche au sein du CARPEM s’appuie sur 2 comités. Un premier comité, “d’interface”, a pour objectif d’offrir un partage de l’information et des problématiques posées au sein de chacune des plateformes de recherche. Un second comité, “patients”, a pour rôle d’analyser et de valider les éléments d’information développés par les équipes de recherche. De manière institutionnelle, un comité d’éthique clinique a été développé sur le site, et s’enrichira à terme des travaux du groupe CARPEM, avec appropriation des processus d’information. Les regards, problématiques théoriques et pratiques, seront partagés à travers ce programme, qui réunit, dans le cadre du groupe éthique, chercheurs fondamentalistes et cliniciens, acteurs des différentes plateformes d’examens, praticiens cliniciens médicaux et non médicaux, et patients, afin de définir au mieux les contours de la personnalisation et l’aide au développement de la recherche en ce domaine. Il s’agit là d’un véritable effort de création et de mobilisation d’une réflexion éthique dans le cadre de la recherche sur la médecine personnalisée optimisée grâce au juste partage de l’information pour un consentement éclairé de qualité au profit du malade. ” Ce numéro est routé avec le supplément 1 “Controverses dans le traitement chirurgical des métastases hépatiques et nouveautés dans le traitement médical des tumeurs neuroendocrines digestives (TNED)” (12 pages). Crédits photos : © Mikey_Man et © Sylwia Nowik Les articles publiés dans La Lettre du Cancérologue le sont sous la seule responsabilité de leurs auteurs. Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés réservés pour tous pays. © mai 1992 - EDIMARK SAS - Dépôt légal : à parution - Imprimé en France - Point 44 - 94500 Champigny-sur-Marne 378 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XXII - n° 10 - novembre 2013