Chapitre 2 Anneaux et Modules 2.1 Anneaux : définitions et exemples Définitions 2.1. (1) Un anneau (A, +, ·) est un ensemble A, muni de deux opérations binaires + : A × A → A (l’addition) et · : A × A → A (la multiplication), qui sont soumis aux conditions suivantes : (a) (A, +) est un groupe commutatif, avec un élément neutre (appelé le zéro) noté 0 ; (b) (A, ·) est un monoı̈de, avec un élément neutre (appelé l’unité) noté 1 ; (c) deux lois de distributivité : (r + s) · t = r · t + s · t et r · (s + t) = r · s + r · t, pour tout r, s, t ∈ A. (2) Un anneau (A, +, ·) est appelé commutatif ssi (A, ·) est un monoı̈de commutatif. (3) Un anneau (A, +, ·) est appelé un corps ssi (A \ {0}, ·) est un groupe. (4) Un anneau (A, +, ·) est appelé un corps commutatif ou un champ ssi (A\{0}, ·) est un groupe commutatif. Remarque 2.2. (1) Les axiomes dans la définition d’un anneau (et ses variations) ne sont pas tous indépendants. Par exemple, il est clair que pour un anneau commutatif, les deux lois de distributivité sont équivalentes. En outre, pour chaque anneau A, la commutativité de la loi additive suit d’autres axiomes comme le montre l’argument suivant. Pour tout a, b ∈ A, (a + b) · (1 + 1) = a · (1 + 1) + b · (1 + 1) = a + a + b + b. Mais aussi (a + b) · (1 + 1) = (a + b) · 1 + (a + b) · 1 = a + b + a + b. Alors, a + b = b + a parce que (A, +) est un groupe et donc satisfait les lois de simplifications. 37 38 CHAPITRE 2. ANNEAUX ET MODULES (2) Néanmoins, il est possible de considérer des variations plus “exotiques” de la définition d’un anneau, par exemple des anneaux sans unité, non-associatifs ou sans inverse pour l’addition sont des objets bien étudiés dans la littérature. On a quelques propriétés immédiates : Proposition 2.3. Soit A un anneau. Alors on a pour tout a ∈ A, (i) a · 0 = 0 = 0 · a (ii) a · (−1) = −a = (−1) · a Démonstration. (i). Dénotons par −0 · a l’inverse additif de 0 · a. Alors, on trouve par la distributivité 0 · a = 0 · a + 0 · a + (−0 · a) = (0 + 0) · a + (−0 · a) = 0 · a + (−0 · a) = 0 Un calcul similaire donne a · 0 = 0. (ii). Par la partie (i), il suit que a + ((−1) · a) = 1 · a + ((−1) · a) = (1 + (−1)) · a = 0 · a = 0, et donc (−1) · a = −a. De la même façon, a · (−1) = −a. Exemples 2.4. (1) L’anneau nul, 0 = {0}, avec addition 0 + 0 = 0 et multiplication 0 · 0 = 0. Alors 0 est même un corps commutatif. De plus, c’est le seul anneau avec la propriété que 1 = 0. En effet, ceci suit du fait que dans ce cas r = r · 1 = r · 0 = 0 pour tout r ∈ R. (2) Des anneaux bien connus sont l’anneau (commutatif) des nombres entiers Z ; le corps (commutatif) des nombres rationnels (ou les fractions) Q ; le corps (commutatif) des nombres réels R et le corps (commutatif) des nombres complexes C. (3) Les quaternions H = {a + bi + cj + dk | a, b, c, d ∈ R}, avec l’addition et la multiplication données par les formules suivantes (a + bi + cj + dk) + (a! + b! i + c! j + d! k) = (a + a! ) + (b + b! )i + (c + c! )j + (d + d! )k, i2 = j 2 = k 2 = −1, ij = −ji = k; est un exemple d’un corps non-commutatif. (4) Soit n ∈ N, alors Cn , le groupe cyclique d’ordre N admet une structure d’anneau avec le groupe cyclique comme groupe additif. On sait que Cn ∼ = Zn , le groupe additif avec l’addition modulo n. La multiplication modulo n donne exactement une structure d’un anneau sur Zn . En outre, Zn est un corps ssi n = p est un nombre premier. On traitera les corps finis plus profondément au Paragraphe 2.9. 2.1. ANNEAUX : DÉFINITIONS ET EXEMPLES 39 (5) Soit R un ! anneau, alors on peut construire un nouvel anneau de polynômes R[X] = { ni=0 ai X i | n ∈ N, ai ∈ R, i = 0, . . . n}, ou X ∈ / R est une indéterminée sur R. L’addition et la multiplication sont données par les formules (où on suppose que n < m) # n " i=0 n " i ai X + i=0 m " bi X i = i=0 n " i (ai + bi )X + i=0 m " bi X i i=n+1 $ # m $ # $ nm " " " ai X i · bi X i = ak b ! X i i=0 i=0 k·!=i Ittérativement, cette construction nous donne l’anneau R[X1 , X2 , . . . , Xk ] des polynômes en n variables sur R, & %n n nk 1 " 2 " " R[X1 , X2 , . . . , Xk ] = ··· ai1 i2 ···ik X1i1 X2i2 · · · Xkik | n1 , n2 , . . . , nk ∈ N, ai1 i2 ···ik ∈ R i1 =0 i2 =0 ik =0 Un élément de R[X1 , . . . , Xk ] de la forme X1i1 X2i2 · · · Xkik , est appelé un monôme. La multiplication dans R[X1 , . . . , Xk ] est complètement déterminée par la multiplication des monômes : (X1i1 X2i2 · · · Xkik ) · (X1j1 X2j2 · · · Xkjk ) = (X1i1 +j1 X2i2 +i2 · · · Xkik +jk ). Si R est commutatif, les anneaux de polynômes sur R sont de nouveaux commutatifs. (6) L’anneau de polynômes R[X, X −1 ] = { n " i=−m ai X i | n, m ∈ N, ai ∈ R, i = −m, . . . , n} est appelé l’anneau des polynômes de Laurent. Si R = C, on peut interpreter un polynôme de Laurent comme un série de Laurent avec seulement un nombre fini de coefficients non-nuls. Bien sûr, ittérativement il est possible de construire des polynômes de Laurent en plusieurs variables. (7) Soient R et S deux anneaux. Alors on peut construire le produit direct R × S = {(r, s) | r ∈ R, s ∈ S}. C’est de nouveau un anneau avec les formules (r, s) + (r! , s! ) = (r + r! , s + s! ) 1 = (1R , 1S ) (r, s) · (r! , s! ) = (r · r! , s · s! ) 0 = (0R , 0S ) 40 CHAPITRE 2. ANNEAUX ET MODULES Ittérativement, il est possible de construire le produit R1'× R2 × · · · × Rn d’un nombre fini d’anneaux R1 , . . . , Rn et aussi le produit i∈I Ri d’une famille arbitraire d’anneaux (Ri )i∈I . En particulier, on peut considérer le produit d’un nombre de copies d’un seul anneau R. Remarquons que dans ce cas, le produit de |I| copies de R, pour un certain ensemble d’indices I peut être identifié avec l’anneau RI = App(I, R), avec les formules (f + g)(x) = f (x) + g(x), f g(x) = f (x)g(x), ∀f, g ∈ RI , ∀x ∈ I et les elements neutres 0(x) = 0R , 1(x) = 1R , ∀x ∈ I. En particulier, si |I| = 2, RI = R × R. (8) Soient M un monoı̈de et R un anneau. Pour chaque x ∈ M on introduit un symbole ux . On introduit un nouvel anneau R[M ], appelé un anneau de monoı̈de, comme " R[M ] = { rx ux | rx ∈ R, rx = 0 pour tous x sauf un nombre fini} x∈M La somme et la multiplication sont données par les formules " " " rx u x + sx ux = (rx + sx )ux ; x∈M " x∈M rx u x · x∈M " sy u y = y∈M x∈M " xy∈M rx sy uxy = " rx sy uz . xy=z∈M L’unité est ue . Si M = G est un groupe, on dit que R[G] est un anneau de groupe. Si on considère le monoı̈de M = N (les nombres naturels), alors l’anneau de monoı̈de R[N] est exactement R[X], l’anneau de polynômes (à isomorphisme près). Si on considère le monoı̈de Nk , alors l’anneau de monoı̈de R[NI ] est R[X1 , . . . , Xk ]. Si G = Z, alors l’anneau de groupe R[Z] est l’anneau de polynômes de Laurent. (9) Soit T = {a1 a2 . . . ak | k ∈ N, ai ∈ S = {X1 , . . . , Xn }} le monoı̈de libre sur not l’alphabet S (voit Proposition 1.33), alors l’anneau R[T ] = R 'X1 , . . . , Xn ( est l’anneau libre sur n éléments. Parfois cet anneau est appelé l’anneau de polynômes en n variables non-commutatives. Remarquons que R[X] = R 'X(. (10) En général, il y a plusieurs possibilités d’introduire et étudier des variables noncommutatives. Un exemple motivé par la physique quantique est l’Algèbre de Weyl % n m & "" W = ai,j xi pj | n, m ∈ N, ai,j ∈ K , i=0 j=0 K un corps, avec la règle de multiplication xp − px = 1. 2.1. ANNEAUX : DÉFINITIONS ET EXEMPLES 41 (11) Soit R un anneau. L’anneau des matrices sur R est défini comme Matn (R) = {(aij )i,j=1,...,n | aij ∈ R} avec les formules suivantes (aij )i,j + (bij )i,j = (aij + bij )i,j # $ " (aij )i,j · (bij )i,j = aik bkj k i,j L’élément neutre pour la multiplication est noté comme In = (δij )i,j , avec δij le symbole de Kronecker. (12) Si R est un anneau, Rop est l’anneau sur le même ensemble sous-jacent avec la même addition, mais la multiplication renversée, c’est-à-dire a ·op b = b · a, pour tout a, b ∈ Rop = R, ou ·op est la multiplication dans Rop et · est la multiplication dans R. Définitions 2.5. Soient R, S et T des anneaux. (1) Un (homo)morphisme f : R → S d’anneaux est une application telle que f (a + b) = f (a) + f (b), f (a · b) = f (a) · f (b), f (1R ) = 1S ; pour tout a, b ∈ R. (2) Un morphisme d’anneaux f : R → S est appelé un monomorphisme ssi pour tous deux morphismes d’anneaux g, h : T → R, on a f ◦g =f ◦h ⇒ g = h. (3) Si R → S est un monomorphisme, on dit que S est une extension d’anneau de R. (4) Un morphisme d’anneaux f : R → S est appelé un épimorphisme ssi pour tous deux morphismes d’anneaux g, h : S → T , on a g◦f =h◦f ⇒ g = h. (5) Un morphisme d’anneaux f : R → S est appelé un isomorphisme ssi il existe une application f −1 : S → R tel que f −1 ◦ f = idR f ◦ f −1 = idS . 42 CHAPITRE 2. ANNEAUX ET MODULES (6) Un endomorphisme d’anneaux est un morphisme d’anneaux f : R → R, un automorphisme d’anneaux est un isomorphisme d’anneaux f : R → R. Théorème 2.6. Soit f : R → S un morphisme d’anneaux. (i) f est injective ssi f est un monomorphisme. (ii) Si f est surjective, alors f est un épimorphisme. (iii) f est un isomorphisme ssi f est bijective ; dans ce cas f −1 est un morphisme d’anneaux. Démonstration. (i). On démontre seulement qu’un monomorphisme est injectif, l’autre implication est triviale. Supposons que f (r) = f (r! ) pour r, r! ∈ R. Considérons alors l’anneau T = R[X], et définissons g, h : T → R par g(X) = r et h(X) = r! (Voit Proposition 2.9). Alors, f ◦ g(X) = f (r) = f (r! ) = f ◦ h(X) donc aussi f ◦ g(t) = f ◦ h(t) pour tout t ∈ T . Puisque f est un monomorphisme on trouve que g = h, et donc r = g(X) = h(X) = r! et f est injective. (ii). Trivial. (iii). La première partie de l’assertion est claire. On vérifie que f −1 est un morphisme d’anneaux. Pour tous s, s! dans S on trouve ( ) f −1 (s + s! ) = f −1 f (f −1 (s)) + f (f −1 (s! )) ( ) = f −1 f (f −1 (s) + f −1 (s! )) = f −1 (s) + f −1 (s! ) Similairement f −1 (s · s! ) = f −1 (s) · f −1 (s! ). Finalement f −1 (1S ) = f −1 (f (1R )) = 1R . Remarque 2.7. Les définitions de monomorphisme et d’épimorphisme telles qu’on les a introduites pour les anneaux sont les définitions les plus générales (et donc les plus correctes). Dans la théorie des groupes (et donc en particulier les espaces vectoriels), on peut utiliser la définition plus facile d’un monomorphisme (respectivement un épimorphisme) d’être un morphisme injectif (respectivement surjectif). Exemples 2.8. 1. Pour chaque anneau R, il existe un unique morphisme f : Z → R donné par f (1Z ) = 1R , et donc f (n) = 1R + . . . + 1R . * +, n En particulier, le seul morphisme d’anneaux Z → Z est l’identité. Le morphisme Z → Q est injectif, le morphisme Z → Zn est surjectif et le morphisme Z → Zn [X] n’est ni injectif ni surjectif. 2.1. ANNEAUX : DÉFINITIONS ET EXEMPLES 43 2. Il est important de remarquer que la réciproque du Théorème 2.6(ii) est fause. En effet, le morphisme Z → Q est un épimorphisme. Soit T un anneau et supposons que h, g : Q → T sont deux morphismes tels que g(m) = h(m) pour tout m ∈ Z ⊂ Q. Alors, on trouve pour chaque r = pq ∈ Q avec p ∈ Z, q ∈ Z0 , g(p) = g(qr) = g(q)g(r). De plus, q −1 ∈ Q, donc h(q)−1 = h(q −1 ) ∈ T et g(q)−1 = g(q −1 ) ∈ T . On peut conclure g(r) = g(q)−1 g(p) = h(p)−1 h(p) = h(r), 3. 4. 5. 6. 7. 8. et dès lors g = h et Z → Q est un épimorphisme. Remarque aussi que le morphisme Z → Q est un épimorphisme et un monomorphisme, mais pas un isomorphisme. Soit R un anneau, il existe un unique morphisme f : R → 0, donné par f (r) = 0 pour tout r ∈ R. Soient R et S deux anneaux, alors la projection πR : R × S → R, πR (r, s) = r est un morphisme d’anneaux surjectif. L’application d’échangement σ : R × S → S × R, σ(r, s) = (s, r) est un isomorphisme d’anneaux. Comme dans le cas des groupes, on a un isomorphisme d’anneaux Z6 ∼ = Z2 × Z3 . En générale, Znm ∼ = Zn × Zm si PGCD(n, m) = 1. Pour tout monoı̈de M et tout anneau R, on a un morphisme ι : R → R[M ], ι(r) = rue . Il est clair que ι est injective. En particulier, on a des monomorphismes naturels R → R[X1 , . . . , Xn ] et R → R 'X1 , . . . , Xn (. Pour tout anneau R et tout n ∈ N0 , on a un monomorphisme d’anneaux R → Matn (R), r ,→ rIn . Si R est commutatif, alors l’application identique est un isomorphisme R ∼ = Rop . Proposition 2.9 (propriété universelle de l’algèbre libre). Soit φ : R → S un morphisme d’anneaux. L’algèbre libre sur n éléments sur R satisfait la propriété universelle suivante. Pour tout n-tuple d’éléments a = (a1 , . . . , an ) ∈ S n , il existe un unique morphisme φa : R 'X1 , . . . , Xn ( → S tel que φa |R = φ et φa (Xi ) = ai . R! " ι " φ #! S ∃!φa R 'X1 , . . . , Xn ( Démonstration. On définit φa (Xi ) = ai pour tout i = 1, . . . , n. Si m et m! sont deux mots sur l’alphabet {X1 , . . . , Xn }, et r, r! ∈ R, on définit aussi φa (rm + r! m! ) = φ(r)φa (m) + φ(r! )φa (m! ); φa (mm! ) = φa (m)φa (m! ). 44 CHAPITRE 2. ANNEAUX ET MODULES Alors φa est un morphisme d’anneaux et parce que l’unité de R 'X1 , . . . , Xn ( est le mot vide, on trouve que φa |R = φ. Pour voir que ce morphisme est unique, il suffit de faire l’observation suivante. ! Soit t ∈ R 'X1 , . . . , Xn (, alors t = i ri mi , ou ri ∈ R et mi sont des mots sur l’alphabet {X1 , . . . , Xn }. Parce que φa est un morphisme d’anneaux, on trouve " " " φa (t) = φa (ri mi ) = φa (ri )φa (mi ) = φ(ri )φa (mi ). i i i Alors, φa est complètement déterminé par la valeur sur les mots mi . Soit m = Xi1 Xi2 · · · Xik un mot. Alors, φa (m) = φa (Xi1 Xi2 · · · Xik ) = φa (Xi1 )φa (Xi2 ) · · · φa (Xik ) = ai1 ai2 · · · aik . Et on voit que φa est déjà déterminé par l’image des indéterminées Xi . Définition 2.10. Soit R → T un morphisme d’anneaux et {X1 , . . . , Xn }. On dit que T satisfait la propriété universelle de l’algèbre libre sur les variables {X1 , . . . , Xn } si pour tous les morphismes d’anneaux φ : R → S et pour tout n-tuple d’éléments a = (a1 , . . . , an ) ∈ S n , il existe un unique morphisme φa : R 'X1 , . . . , Xn ( → S tel que φa |R = φ et φa (Xi ) = ai . Théorème 2.11. Soient T et T ! deux extensions d’anneaux de R qui satisfont la propriété universelle de l’algèbre libre sur les variables {X1 , . . . , Xn }, respectivement {X1! , . . . , Xn! }. Alors, il existe un unique isomorphisme φ : T → T ! tel que φ|R = idR et φ(Xi ) = Xi! pour tout i = 1, . . . , n. Par conséquent, si T est une extension de R qui satisfait la propriété universelle de l’algèbre libre sur les variables {X1 , . . . , Xn }, alors T ∼ = R 'X1 , . . . , Xn (. Démonstration. La propriété universelle de T nous donne un unique morphisme φ : T → T ! tel que φ|R = idR et φ(Xi ) = Xi! . De la même façon, la propriété universelle de T ! nous donne un unique morphisme ψ : T ! → T tel que ψ|R = idR et ψ(Xi! ) = Xi . Alors, ψ ◦ φ : T → T satisfait ψ ◦ φ|R = idR et ψ ◦ φ(Xi ) = Xi . La propriété universelle de T nous dit qu’il existe seulement un morphisme avec ces propriétés. Par conséquent, ψ ◦ φ = idT . De la même façon, φ ◦ ψ = idT ! . 2.2 Modules Définitions 2.12. (1) Soit R un anneau, un R-module à gauche M , est un groupe commutatif (M, +) muni d’une action de R R × M → M, (r, m) ,→ r · m, 2.2. MODULES 45 soumise aux conditions suivantes (r · s) · m = r · (s · m), 1R · m = m. (2) Similairement, on définit un R-module à droite M , avec une action M × R → M. (3) Un morphisme de modules à gauche f : M → N est une application telle que f (m + m! ) = f (m) + f (m! ), f (r · m) = r · f (m); (morphisme de groupes) pour tous m, m! ∈ M , r ∈ R. Un monomorphisme est un morphisme injectif, un épimorphisme est un morphisme surjectif et un isomorphisme est un morphisme bijectif. Exemples 2.13. (1) Si R = K un corps, un module est un espace vectoriel. Dans ce cas, un morphisme de modules est exactement une application lineaire. (2) Si R = Z, un module est exactement un groupe abélien. Les morphismes de groupes sont exactement les morphismes de Z-modules. (3) Pour chaque anneau R, R lui-même est un R-module à gauche (resp. à droite), appelé le R-module régulier à gauche (resp. à droite). (4) Si R est commutatif, chaque R-module à gauche est aussi un R-module à droite avec la même action. En plus grande généralité, si M est un R-module à gauche pour un anneau arbitraire R, alors M est un R-module à droite pour l’anneau Rop . (5) Soit X un G-espace, introduit des symboles formels vx pour chaque x ∈ X. Alors % & " RX = rx vx | rx ∈ R, seulement un nombre fini des rx est non-nul x∈X est un RG-module. ! Si f : X!→ Y est un morphisme de G-espaces, alors φ : RX → RY, φ( x rx vx ) = x rx vf (x) est un morphisme de RG-modules. (6) Si M est un R-module à droite, alors A = End(M ) est un anneau avec les lois (f + g)(m) = f (m) + g(m) (f g)(m) = (f ◦ g)(m) (1)(m) = m pour tous f, g ∈ End(M ) et m ∈ M . En outre, M est un A-module à gauche avec l’action f · m = f (m), pour tous f ∈ End(M ), m ∈ M . 46 CHAPITRE 2. ANNEAUX ET MODULES (7) R[X] est un R-module (à gauche), avec l’action r· n " ri X i = i=1 n " (rri )X i . i=1 (8) Soit φ : R → S un morphisme d’anneaux, alors S est un R-module à gauche avec l’action r · s = φ(r)s, pour tous r ∈ R et s ∈ S. De façon similaire, S est un R-module à droite. L’exemple précédent est un cas particulier. Une autre application nous donne que Mat(R) est un R-module. Parce que des modules sont en premier cas des groupes commutatifs, quelques constructions de la théorie des groupes s’appliquent directement sur les modules. Il reste simplement à vérifier si l’action de l’anneau est préservée par les constructions respectives. 2.14. Constructions sur des modules (1) Soit (Mi )i∈I une famille des modules à droite sur un anneau R. La somme directe de cette famille est le module à droite . Mi = {(mi )i∈I | mi ∈ Mi , ∀i ∈ I; mi = 0 sauf pour un nombre fini d’indices i ∈ I}, i∈I avec les formules de structure suivantes (mi )i∈I + (ni )i∈I = (mi + ni )i∈I (mi )i∈I · r = (mi · r)i∈I (2) Soit (Mi )i∈I une famille des modules à droite sur un anneau R. Le produit direct de cette famille est le module à droite / Mi = {(mi )i∈I | mi ∈ Mi , ∀i ∈ I}, i∈I avec les formules de structure suivantes (mi )i∈I + (ni )i∈I = (mi + ni )i∈I (mi )i∈I · r = (mi · r)i∈I . 0 ' Clairement i∈I Mi ⊂ i∈I Mi . Remarquons aussi que si |I| < ∞, la somme directe et le produit direct coı̈ncident. Pour tout i ∈ I on a un ' monomorphisme naturel ιi : Mi → ⊕i∈I Mi et un épimorphisme naturel πi : i∈I Mi → Mi . 2.3. SOUS-ANNEAUX ET IDÉAUX 47 (3) Soit M un R-module droit. Un sous-module N ⊂ M est un sous-ensemble qui est lui-même un R-module à droite avec la structure de groupe de M et l’action de R sur M restreinte à N . Comme pour les espaces vectoriels, il n’est pas difficile à démontrer que N est un sous-module ssi rm + sn ∈ N, pour tous m, n ∈ N et tous r, s ∈ R. Si f : M → M ! est un morphisme de R-modules à droite, alors le noyau Ker f = {m ∈ M | f (m) = 0} est un sous-module de M et l’image Im f = {f (m) | m ∈ M } est un sous-module de M ! . (4) Si M est un R-module à droite et N ⊂ M est un sous-module, on peut construire le quotient M/N comme groupe commutatif. Alors, M/N est un R-module à droite avec l’action de R donnée par mN · r = (m · r)N pour tous m ∈ M et r ∈ R. La projection πN : M → M/N est un morphisme de R-modules. Théorème 2.15 (Premier théorème d’isomorphisme pour les modules.). Soit R un anneau et f : M → N un morphisme de R-modules (droits). Alors il existe un isomorphisme naturel f¯ : M/Ker f → Im f, f¯(mKer f ) = f (m). Démonstration. Ce théorème suit directement de le premier théorème d’isomorphisme pour les groupes (Théorème 1.30) et l’observation immédiate que f¯ est un morphisme de R-modules. 2.3 Sous-anneaux et Idéaux Définition 2.16. Soit R un anneau. Un sous-anneau S ⊂ R est un sous-ensemble de R tel que S est lui-même un anneau avec les opérations de R restreintes à S et avec les mêmes zéro et unité de R. Théorème 2.17. Soit S un sous-ensemble d’un anneau R. Alors S est un sousanneau ssi 48 CHAPITRE 2. ANNEAUX ET MODULES (i) pour tous a, b ∈ S, a − b ∈ S (ii) pour tous a, b ∈ S, a · b ∈ S ; (iii) 1 ∈ S. Démonstration. Par Proposition 1.14 la condition (i) implique que (S, +) est un sous-groupe de (R, +). Les conditions (ii) et (iii) impliquent que (S, ·) est un sous-monoı̈de de (R, ·). Alors S est un sous-anneau de R. Exemples 2.18. 1. On a une chaı̂ne de sous-anneaux classique Z ⊂ Q ⊂ R ⊂ C ⊂ H. 2. Bien-sûr il y a encore beaucoup d’anneaux intermédiaires. Par exemple, considérons les anneaux suivants Z[i] = {n + mi | m, n ∈ Z, i2 = −1} Q[i] = {p + qi | p, q ∈ Q, i2 = −1} avec l’addition et la multiplication naturelles. Alors Z[i] ⊂ Q[i] ⊂ C. 3. Soit R un anneau. Alors on a une chaı̂ne de sous-anneaux R ⊂ R[X1 ] ⊂ R[X1 , X2 ] ⊂ R[X1 , X2 , X3 ] ⊂ ... Mais aussi R ⊂ R[X1 , . . . , Xn ] ⊂ R 'X1 , . . . , Xn (. 4. Soit Dn (R) = {(aij )i,j=1,...,n | aij ∈ R, aij = 0 si i /= j} i.e. Dn (R) est l’anneau des matrices diagonales. Soit Tn (R) = {(aij )i,j=1,...,n | aij ∈ R, aij = 0 si i > j} i.e. Tn (R) est l’anneau des matrices triangulaires supérieures. Alors on a une chaine de sous-anneaux Dn (R) ⊂ Tn (R) ⊂ Matn (R). 5. Soit R un anneau. On définit le centre de R comme l’anneau commutatif Z(R) = {r ∈ R | r · s = s · r, ∀s ∈ R} Alors, Z(R) est un sous-anneau de R. 2.3. SOUS-ANNEAUX ET IDÉAUX 49 2.19 (L’image et le noyau d’un morphisme d’anneaux). Soit f : R → S un morphisme d’anneaux. On définit Ker f = {r ∈ R | f (r) = 0S }; Im f = {f (r) | r ∈ R}. On peut vérifier que Im f est sous-anneau de S. Cependant, en général, Ker f n’est pas un sous-anneau de R. En effet, supposons que 1R ∈ Ker f i.e. f (1R ) = 0S . Or, f (1R ) = 1S . Il suit que si S /= 0, Ker f n’est pas un sous-anneau. Ceci indique qu’on a besoin d’une nouvelle notion afin d’écrire le noyau d’un morphisme d’anneaux. Définition 2.20. Un idéal à gauche I ' R est un sous-ensemble de R qui est sousmodule du R-module régulier gauche. Un idéal à droite est un sous-ensemble de R qui est un sous-module du R-module régulier droite. Un idéal bilatère est un idéal à gauche qui est aussi un idéal à droite. La démonstration du lemme suivante est un exercice facile. Lemme 2.21. Soit L un sous-ensemble non-vide d’un anneau R. Alors, les conditions suivantes sont équivalentes. (i) L est un idéal à gauche sur R ; (ii) (a) pour tous x1 , x2 ∈ L, x1 − x2 ∈ L, (b) pour tous x ∈ L et r ∈ R, rx ∈ L ; (iii) pour tous x1 , x2 ∈ L et tous r1 , r2 ∈ R, r1 x1 + r2 x2 ∈ L. Exemples 2.22. (1) Pour tout anneau R, {0} et R sont des idéaux gauches, droits et bilatères. Un idéal différent de R et {0} est appelé un idéal propre. (2) Tous les idéaux de Z sont de la forme nZ pour un élément n ∈ Z. (3) Soit R un anneau et a ∈ R. Alors Ra = {ra | r ∈ R} est un idéal gauche, appelé l’idéal principal gauche, associé à a. C’est le plus petit idéal qui contient a, c’està-dire que Ra est exactement l’intersection de tous les idéaux qui contiennent a. De la même façon, on peut construire l’idéal principal droit aR et l’idéal ! not principal bilatère RaR = (a) = { i ri ari! | ri , ri! ∈ R}. Si R est commutatif, Ra = aR = RaR. (4) Considérons un sous-ensemble X ⊂ R. Alors " (X) = RXR = { ri xi ri! | ri , ri! ∈ R, xi ∈ X} i est le plus petit idéal qui contient X, c’est-à-dire l’intersection de tous les idéaux qui contiennent X. Bien sûr on peut aussi considérer les idéaux à gauche RX et à droite XR. 50 CHAPITRE 2. ANNEAUX ET MODULES (5) Soit R un corps commutatif et considérons R[X], l’anneau de polynômes d’une variable sur R. Soit f (X) ∈ R[X]. Alors, (f (X)) est l’idéal de tous les polynômes qui se factorisent par f (X). Par exemple, (X − 1) est l’idéal de tous les polynômes g(X) ∈ R[X] qui s’écrivent comme g(X) = (X − 1)g ! (X) pour un certain g ! (X) ∈ R[X]. Alors, (X − 1) contient tous les polynômes qui satisfont g(1) = 0 (i.e. 1 est une racine de g). La construction de l’idéal principal utilise le fait que l’intersection des idéaux est de nouveau un idéal. Ce résultat (valable pour des intersections arbitraires) est donné dans le lemme suivant. Lemme 2.23. Étant donnés I et J, deux idéaux gauches (resp. droits, bilatères) sur un anneau R alors les ensembles suivants sont de nouveau des ideaux gauches (resp. droits, bilatères) (i) I + J (ii) IJ (iii) I ∩ J Démonstration. Suit facilement du Lemme 2.21. Remarquons que si I et J sont bilatères, alors IJ ⊂ I ∩ J. Cette inclusion n’est pas toujours une égalité. Par exemple, (4Z)(6Z) = 24Z /= (4Z) ∩ (6Z) = 12Z. 2.4. QUOTIENTS ET THÉORÈMES D’ISOMORPHISMES 2.4 51 Quotients et théorèmes d’isomorphismes Proposition 2.24. Soit f : R → S un homomorphisme d’anneaux. (i) Soit J un idéal à gauche (resp. à droite, resp. un sous-anneau) de S, alors f −1 (J) = {a ∈ R | f (a) ∈ J} est un idéal à gauche (resp. à droite, resp. un sous-anneau) de R. (ii) Ker f est un idéal (bilatère) de R (iii) Si en outre f est surjective, et I est un idéal à gauche (resp. à droite) de R, alors f (I) = {f (x) | x ∈ I} est un idéal à gauche (resp. à droite) de S. Démonstration. (i). Soit J un idéal à gauche de S. Prenons a, b ∈ f −1 (J), i.e. f (a), f (b) ∈ J. Alors f (a − b) = f (a) − f (b) ∈ J, donc a − b ∈ f −1 (J). Prenons aussi r ∈ R. Alors f (ra) = f (r)f (a) ∈ J, donc ra ∈ f −1 (J). Par le Lemme 2.21, on dérive que f −1 (J) est un idéal à gauche. (ii). Suit de (i) parce que {0} est un idéal (bilatère) de R. (iii). Soit I un idéal à gauche de R. Prenons x, y ∈ I. Alors f (x) − f (y) = f (x − y) ∈ f (I). Prenons s ∈ S. Comme f est surjective, il existe un r ∈ R tel que f (r) = s. Alors sf (x) = f (r)f (x) = f (rx) ∈ f (I). Donc par le Lemme 2.21, f (I) est un idéal à gauche. Parce qu’un homomorphisme d’anneaux est avant tout un homomorphisme de groupes, on arrive directement à la proposition suivante. Proposition 2.25. Soit f : R → S un homomorphisme d’anneaux. (i) f est injective si et seulement si Ker f = {0} ; (ii) f est surjective si et seulement si Im f = S. 2.26. Construction de quotient. Soit R un anneau et I un idéal bilatère de R. On introduit une relation d’equivalence sur les éléments de R : a∼b ⇔ a − b ∈ I. Il existe plusieurs notations pour les classes d’equivalence. Soit a ∈ R, alors la classe d’equivalence qui contient a est dénotée par ā, [a] ou a mod I. Parce qu’un idéal est en premier lieu un sous-groupe pour la structure de groupe commutatif de 52 CHAPITRE 2. ANNEAUX ET MODULES R, on sait effectivement (voit Proposition 1.16) que cette relation est une relation d’equivalence. De plus, comme chaque sous-groupe d’un groupe commutatif est un sous-groupe normal, on peut construire le quotient R/I comme groupe commutatif. Notre prochain résultat dit que ce groupe commutatif est en effet un anneau, appelé l’anneau quotient. Proposition 2.27. Soit R un anneau et I un idéal bilatère de R. Alors le groupe quotient additif R/I est un anneau avec la multiplication (a mod I) · (b mod I) = (a · b)mod I et la projection canonique πI : R → R/I est un épimorphisme d’anneaux avec Ker πI = I. Démonstration. On vérifie que la multiplication est bien définie. Supposons que a ∼ a! et b ∼ b! , c’est-à-dire a! − a = x ∈ I et b! − b = y ∈ I. On doit contrôler que ab ∼ a! b! , c’est-à-dire a! b! − ab = (a + x)(b + y) − ab = ay + xb + xy ∈ I, parce que I est un idéal bilatère. On laisse la vérification de l’associativité et l’unité de la multiplication comme exercices. On sait que πI est un morphisme de groupes. Par la première partie de la preuve on voit que πI (ab) = (ab)mod I = (a mod I)(b mod I) = πI (a)πI (b) et πI (1R ) = 1R mod I = 1R/I Alors πI est un morphisme d’anneaux. On sait de la théorie des groupes que πI est surjective. Donc par le Théorème 2.6, πI est un épimorphisme. Par ailleurs, la théorie des groupes nous apprend que Ker πI = I. Corollaire 2.28. Les idéaux (bilatères) d’un anneaux R sont exactement les noyaux de tous les homomorphismes d’anneaux de R dans autres anneaux. Théorème 2.29 (premier théorème d’isomorphisme). Soit f : R → S un homomorphisme d’anneaux. Alors il existe un isomorphisme d’anneaux naturel f¯ : R/Ker f → Im f. 2.4. QUOTIENTS ET THÉORÈMES D’ISOMORPHISMES 53 Démonstration. Du premier théorème d’isomorphisme des groupes (Théorème 1.30) on sait déjà que f¯ est un isomorphisme de groupe additifs (et commutatifs). On doit donc seulement vérifier que f¯ est un morphisme de monoı̈des multiplicatifs. Soient ā, b̄ ∈ R/Ker f , où on rappelle que f¯(ā) = f (a). On trouve Aussi f¯(ā · b̄) = f¯(ab) = f (ab) = f (a)f (b) = f¯(ā)f¯(b̄). f¯(1R ) = f (1R ) = 1S = 1Im f Alors f est effectivement un isomorphisme d’anneaux. Théorème 2.30 (deuxième théorème d’isomorphisme). Soit I un idéal (bilatère) de R. Il existe une relation bijective entre – les sous-anneaux de R qui contiennent I ; – les sous-anneaux de R/I. Sous cette correspondance, les idéaux de R qui contiennent I sont en correspondance avec les idéaux de R/I. Démonstration. Suit directement de la Proposition 2.24 Théorème 2.31 (troisième théorème d’isomorphisme). Soient S un sous-anneau d’un anneau R et I un idéal (bilatère). Alors (i) I + S = {x + s | x ∈ I, s ∈ S} est un sous-anneau de R qui contient I ; (ii) I ∩ S est un idéal bilatère de S ; (iii) S/(I ∩ S) ∼ = (I + S)/I. Démonstration. Considérons l’homomorphisme d’anneaux canonique surjectif πI : R → R/I, r ,→ πI (r) = r + I. Soit π ! : S → R/I la restriction de πI à S. (i) L’image de π ! est un sous-anneau de R/I, on obtient Im π ! = {s + I | s ∈ I} = (I + S)/I est un sous-anneau de R/I. Par le deuxième théorème d’isomorphisme, on sait que I + S est un sous-anneau de R qui contient I. (ii). On calcule le noyau de π ! : Ker π ! = {s ∈ S | s + I = I} = S ∩ I. Donc S ∩ I est un idéal bilatère de S. 54 CHAPITRE 2. ANNEAUX ET MODULES (iii). Du premier théorème d’isomorphisme on obtient que S/Ker π ! = Im π ! . Alors S/S ∩ I ∼ = I + S/I par combinaison de (i) et (ii). Exemples 2.32. (1) Soit fn : Z → Zn le morphisme d’anneaux défini par fn (1Z ) = 1Zn . Alors on trouve Ker fn = nZ et Z/nZ ∼ = Zn . est un isomorphisme d’anneaux. (2) Soit R un anneau. De la propriété universelle de l’algèbre libre sur n éléments on obtient un morphisme d’anneaux φ : R 'X1 , . . . , Xn ( → R[X1 , . . . , Xn ], défini par φ(Xi ) = Xi et φ|R = idR . Puisque Xi Xj = Xj Xi dans l’anneau de polynômes, on trouve que le noyau de ce morphisme est donné par Ker φ = (Xi Xj − Xj Xi | i /= j). Alors, on obtient un isomorphisme d’anneaux R[X1 , . . . , Xn ] = R 'X1 , . . . , Xn ( /(Xi Xj − Xj Xi | i /= j) (3) Soit K un corps et W l’anneau de Weil. La propriété universelle de l’algèbre libre sur deux éléments nous donne un morphisme d’anneaux φ : K 'p, x( → W défini par φ(p) = p, φ(x) = x et φ|K = idK . Alors on obtient pour le noyau de φ Ker φ = (px − xp − 1) et donc W ∼ = K 'p, x( /(px − xp − 1). Comme les deux derniers exemples indiquent, les anneaux libres permettent d’écrire beaucoup d’anneaux comme un anneau quotient d’un anneau libre, similairement au fait qu’on peut écrire tous les groupes comme des quotient d’un 2.5. EXTENSION D’UN ANNEAU AVEC UNE RACINE 55 groupe libre. Une question peu claire est quel ‘anneau de base’ R on doit choisir. Il est toujours possible de prendre R = Z, mais dans beaucoup de cas il est préférable de travailler avec un anneau de base différent, par exemple un corps comme C, comme dans le cas de l’anneau de Weil. Un anneau A avec un anneau (commutatif) de base R est appelé un R-algèbre. Plus précise, un R-algèbre A sur un anneau commutatif R est un R-module A, tel que A lui-même est un anneau, avec une structure additive donné par sa structure additive comme R-module, et une structure multiplicative · : A × A → A, (a, b) ,→ a · b qui satisfait (ra) · b = a · (rb) = r(a · b), pour tous r ∈ R. C’est-à-dire la multiplication de A est bilinéaire sur R. Il suit que le R-module morphisme φ : R → A, φ(1R ) → 1A est un morphisme d’anneaux. 2.5 Anneaux de polynômes et extension d’un anneau avec une racine Dans ce paragraphe on travaille avec l’hypothèse général que tous les anneaux sont commutatifs. Théorème 2.33 (propriété universelle de l’anneau de polynômes). Soit φ : R → S un morphisme d’anneaux (commutatifs). L’algèbre de polynômes en n variables sur R satisfait la propriété universelle suivante. Pour tout n-tuples d’éléments a = (a1 , . . . , an ) ∈ S n , il existe un unique morphisme φa : R[X1 , . . . , Xn ] → S tel que φa |R = φ et φa (Xi ) = ai . R! " ι " φ #! S ∃!φa R[X1 , . . . , Xn ] Démonstration. La démonstration est similaire à celle de la Proposition 2.9. Remarque 2.34. De la même façon que pour les algèbres libres, un anneau de polynômes est (à isomorphisme près) complètement déterminé par la propriété universelle (voir Théorème 2.11). Par conséquent, on obtient un isomorphisme canonique R[X1 , . . . , Xn ] ∼ = R[X1 , . . . , Xi−1 , Xi+1 , . . . , Xn ][Xi ] 56 CHAPITRE 2. ANNEAUX ET MODULES 2.35 (Le degré). Par définition, on dit que i1 +i2 +. . .+in est le degré du monôme X1i1 X2i2 · · · Xnin ∈ R[X1 , . . . , Xn ], i.e. deg(X1i1 X2i2 · · · Xnin ) = i1 + i2 + . . . + in . En particulier, 1R ∈ R est de degré zéro. Soit f = f (X1 , . . . , Xn ) ∈ R[X1 , . . . , Xn ]. Par définition, f (X1 , . . . , Xn ) est une combinaison linéaire des monômes. Si f est une combinaison linéaire des monômes de degré m, alors on dit que f est homogène de degré m ou une forme de degré m. En général, il est possible décrire chaque f ∈ R[X1 , . . . , Xn ] \ {0} comme fd /= 0 f = f0 + f1 + . . . + fd ; ou fi est une forme de degré i, pour tout i = 0, . . . , d. Alors on dit que f a degré d, notation deg(f! ) = d. Si f = 0, on défini deg f = −∞. Soit f (X) = ri X i ∈ R[X], un polynôme en une variable, on dit que f est unitaire (en anglais : monic polynomial) si rd = 1 ou d = deg(f ). Le prochain lemme est facile à démontrer. Lemme 2.36. Soient f, g ∈ R[X1 , . . . , Xn ]. Alors deg(f + g) ≤ max{deg(f ), deg(g)} deg(f g) ≤ deg(f ) + deg(g). 2.37 (fonctions polynomiales). Soit S une extension de R (i.e. R → S est un morphisme d’anneaux injectif). Étant donné " f (X1 , . . . , Xn ) = rν X1ν1 · · · Xnνn ∈ R[X1 , . . . , Xn ] ν=(ν1 ,...,νn ) un polynôme sur R. Cette seule somme est une notation brève pour n sommes " ν=(ν1 ,...,νn ) = d1 " ν1 =0 ··· dn " . νn =0 On peut considérer ce polynôme comme une fonction de S n dans S f : Sn = S · · × S- → S * × ·+, n (a1 , . . . , an ) ,→ f (a1 , . . . , an ) = " ν=(ν1 ,...,νn ) rν aν11 · · · aνnn = φa1 ,...,an (f ). Où φa1 ,...,an : R[X1 , . . . , Xn ] → S est le morphisme construit par la propriété universelle de l’anneau de polynômes (voit Théorème 2.33). On dit que f : S n → S n est une fonction polynomiale de S sur R. Un élément ! (a1 ,ν.1 . . , anν)n ∈ S est un zéro du (de la fonction) polynôme f si f (a1 , . . . , an ) = ν rν a1 · · · an = 0. Dans le cas n = 1 on parle d’une racine de f . 2.5. EXTENSION D’UN ANNEAU AVEC UNE RACINE 57 Définitions 2.38. Soit R ⊂ S une extension d’anneaux. (1) Un ensemble V = {a1 , . . . , an } ⊂ S est appelé une partie génératrice algébrique de S sur R si le morphisme construit par la propriété universelle de l’anneau de polynômes φa1 ,...,an : R[X1 , . . . , Xn ] → S est surjectif. (2) Une collection finie d’éléments {a1 , . . . , an } ⊂ S est appelée algébriquement dépendante sur R si (a1 , . . . , an ) ∈ S n est le zéro d’un polynôme non-nul f ∈ R[X1 , . . . , Xn ] \ {0}. C’est-à-dire le morphisme φa1 ,...,an : R[X1 , . . . , Xn ] → S n’est pas injective. (3) On dit que {a1 , . . . , an } ⊂ S est algébriquement indépendent sur R si cet ensemble n’est pas algébriquement dépendant. C’est-à-dire le morphisme φa1 ,...,an : R[X1 , . . . , Xn ] → S est injectif. (4) Un élément a ∈ S est appelé algébrique sur R, si le singleton {a} ⊂ S est algebriquement dépendant. C’est-à-dire un élément a ∈ S est algébrique sur R si a est une racine d’un polynôme f dans une variable, f ∈ R[X] \ {0}. (5) Un élément a ∈ S est appelé transcendant sur R si ce n’est pas algébrique sur R. (6) L’extension R → S est algébrique ssi chaque élément de S est algébrique sur R. Un extension qui n’est pas algébrique est appelé transcendante. √ Exemples 2.39. 1. Les éléments suivantes sont algébrique sur Z : 2, i. 2. Quelques nombres transcendant sur Z sont π et e. La preuve de ces propriétés est loin d’être triviale. √ √ 1 √ √ 3 3. Des√ensembles algébriquement dépendants sur Z : { 2, 3, 5 2 − 6 3}, {π, π}. √ 4. Des ensembles algébriquement indépendants sur Z : { 2, π}, {e, π, eπ, eπ , π e }. 5. L’extension Z → Q est algébrique. L’extension Z → R est transcendant. Le but de ce paragraphe est de comprendre les extensions algébrique de Z et Q. √ Par exemple, Z[ 2] et Z[i] sont des extensions algébriques de Z. Remarque 2.40. Une autre manière pour exprimer qu’un sous-ensemble {a1 , . . . , an } ⊂ S est algébriquement dépendant sur R est de dire qu’il existe des relations algébriques sur R entre les éléments {a1 , . . . , an }. C’est-à-dire, il existe une égalité entre deux expressions algébriques (i.e. polynômes) sur R en les variables {a1 , . . . , an }. Pareillement, {a1 , . . . , an } ⊂ S est une partie génératrice algébrique de S sur R, si chaque élément s ∈ S s’écrit comme une expression algébrique sur R dans les variables {a1 , . . . , an }. Les définitions de (in)dépendance algébrique sont aussi significatives pour des sous-ensembles infinis. 58 CHAPITRE 2. ANNEAUX ET MODULES Définition 2.41. Un sous-ensemble V ⊂ S est appelé algébriquement dépendant s’il existe un sous-ensemble fini de V qui est algébriquement dépendant. Un sousensemble V ⊂ S est appelé algébriquement indépendant si chaque sous-ensemble fini de V est algébriquement indépendant. Lemme 2.42. Soit R ⊂ S une extension d’anneaux. Si S contient une partie génératice V = {a1 , . . . , an } ⊂ S sur R telle que V est algébriquement indépendant sur R, alors S est isomorphe à l’anneau de polynômes en n variables sur R. Démonstration. Comme V est une partie génératice de S, le morphisme φa1 ,...,an : R[X1 , . . . , Xn ] → S est surjectif. Grâce au premier théorème d’isomorphisme, on sait que S∼ = R[X1 , . . . , Xn ]/Ker φa1 ,...,an . Si {a1 , . . . , an } est algébriquement indépendant sur R, alors Ker φa1 ,...,an = {0} et donc S ∼ = R[X1 , . . . , Xn ]. Exemple 2.43. On sait que π est trancendant sur Z, et donc π est aussi trancendant sur Q. Donc si on considère le sous-anneau Q[π] de C, généré par Q et π, on obtient que Q[π] ∼ = Q[X]. √ De même façon, Q[e] ∼ = Q[X]. La structure de l’anneau Q[ 2] est différent, comme on voit de l’observation suivante. 2.44 (L’extension d’un anneau). Soit maintenant {a1 , . . . , an } ⊂ S une partie génératice sur R, et algébriquement dépendante sur R. Comme dans la démonstration du Lemme 2.42, on sait que S∼ = R[X1 , . . . , Xn ]/Ker φa1 ,...,an , mais maintenant Ker φa1 ,...,an /= {0}. En effet, Ker φa1 ,...,an contient tous les polynômes f ∈ R[X1 , . . . , Xn ] tels que (a1 , . . . , an ) est un zéro de f . C’est-à-dire, l’idéal Ker φa1 ,...,an contient toutes les relations algébriques sur R entre les générateurs de S. On dénote S ∼ = R[a1 , . . . , an ]. L’observation ci-dessus peut être renversée afin d’ajouter des nouveaux éléments α1 , . . . , αn à R, qui satisfont des relations préférées fi (a1 , . . . , an ) = 0, fi ∈ R[X1 , . . . , Xn ]; i = 1, . . . , k Alors, on prend l’idéal généré par les relations fi , et on calcule le quotient R[α1 , . . . , αn ] = R[X1 , . . . , Xn ]/(fi ; i = 1, . . . , k). 2.5. EXTENSION D’UN ANNEAU AVEC UNE RACINE 59 Une application importante est le cas où on ajoute à un anneau la racine d’un polynôme unitaire de degrée n > 0. Théorème 2.45. Soit f (X) = X n + an−1 X n−1 + . . . + a1 X + a0 un polynôme unitaire de degrée n > 0. Tout élément z ∈ R[α] := R[x]/(f (x)) possède une notation unique z = r0 + r1 α + . . . + rn−1 αn−1 , avec ri ∈ R. Démonstration. D’abord, remarquons que par construction, le morphisme R[X] → R[X]/(f (X)) est surjectif. Alors, R[X] → R[X]/(f (X)) est algébriquement généré par un élément. Cette observation justifie la notation R[α] = R[X]/(f (X)), où α est le générateur. Alors, on peut construire le morphisme φα : R[X] → R[α], f ,→ φα (g) = g(α). Soit z = φα (g) ∈ R[α]. Pour g ∈ R[X]. Par application de l’algoritme d’Euclide on trouve que g(X) = f (X)q(X) + r(X), pour q(X), r(X) ∈ R[X] avec deg(r) < n. Parce que f (α) = 0, on trouve z = g(α) = f (α)q(α) + r(α) = r(α) = r0 + r1 α + . . . + rn−1 αn−1 Afin d’obtenir l’unicité, il suffit de démontrer que l’idéal (f (X)) ne contient pas d’éléments de degré plus petit que n, parce que cet idéal contient tous les polynômes pour lesquelles α est une racine. Soit e(X)f (X) ∈ (f (X)). Comme f (X) est unitaire, le terme de degré dominant est exactement le terme de degré dominant de e(X). Donc si e(X) /= 0, alors deg(e(X)f (X)) ≥ n. Corollaire 2.46. Soit R[α] l’extension de R par une racine α d’un polynôme unitaire de degrée n > 0. Alors on a un morphisme de R-modules R[α] ∼ · · ⊕ R-, =R * ⊕ ·+, n C’est à dire, R[α] est un module libre et de type fini, avec une base {1, α, . . . , αn−1 }. Exemples 2.47. (1) La construction permet d’étudier les extensions algébriques de Z. Quelques exemples sont ∼ = Z[X]/(X 2 + 1) ∼ = Z[X]/(X 2 − 5) ∼ = Z[X]/(X 2 + 5) 2πi Z[e 5 ] ∼ = Z[X]/(X 4 + X 3 + X 2 + X + 1) Z[i] √ Z[ 5] √ Z[i 5] 60 CHAPITRE 2. ANNEAUX ET MODULES (2) On a déjà rencontré les corps finis de p éléments avec p un nombre premier. La construction qui consiste à ajouter des racines à un anneau permet de construire plus de corps finis. On donne deux exemples, de 4 et 9 éléments. F4 = Z/2Z + Z/2Zα = Z/2Z[X]/(X 2 + X + 1) F9 = Z/3Z + Z/3Zβ = Z/3Z[X]/(X 2 + 1) Pour plus de détails sur les corps finis, on réfère au Paragraphe 2.9 Il est beaucoup plus difficile de décrire des anneaux R[X]/(f (X)) si le polynôme f (X) n’est pas unitaire. Dans ce cas, le nouvel anneau n’est pas toujours un extension de R (c’est à dire R → R[X]/(f (X)) n’est pas toujours un monomorphisme) et comme R-module R[X]/(f (X)) n’est pas toujours de type fini. On donne quelques exemples pour illustrer ces différences. Exemples 2.48. 1. Soit R un anneau, a ∈ R et considérons l’anneau R! = R[X]/(aX − 1). Si on dénote par α la classe latérale associée à X dans R! , alors on trouve aα = 1, donc on a ajouté un inverse de a. En général R! n’est pas de type fini comme R-module. En outre, les calculs dans R! sont plus compliqués parce qu’il n’existe plus une notation unique pour les éléments de R! . En effet, soit β ∈ R! et supposons que β = r0 + r1 α + . . . + rn αn . Alors on trouve β = r0 + r1 α + . . . + rn αn = (r0 an + r1 an−1 + . . . + rn )αn = r! αn , où r! = r0 an + r1 an−1 + . . . + rn ∈ R. 2. Soit K un corps (commutatif) et R = K[t], l’anneau de polynômes en une variable sur K. L’anneau R! = R[X]/(Xt − 1) = K[t, X]/(Xt − 1) est isomorphe à l’anneau K[t, t−1 ] des polynômes de Laurent sur K. Comme cas particulier de l’exemple précédant, cet anneau n’est pas de type fini sur R. 3. Soit R[α] = R[X]/I, alors par construction, I est l’idéal des relations algébriques de α sur R. On peut restreindre la projection π : R[X] → R[α] à un morphisme ψ : R → R[α]. Alors Ker ψ = R∩Ker π = R∩I. Donc R[α] est une extension de R, même une extension algébrique de R, ssi R ∩ I = {0}. Ceci est le cas si I = (f (X)) avec f (X) un polynôme unitaire ou dans l’exemple des polynômes de Laurent. Mais considérons maintenant un diviseur de zéro a ∈ R, c’est-à-dire il existe un élément b ∈ R tel que ab = 0. Alors b = −b(aX − 1) ∈ (aX − 1) ∩ R, donc R[X]/(aX − 1) n’est pas une extension de R. On termine ce paragraphe par quelques remarques sur les extensions algébriques des corps. D’abord un petit lemme.