176 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XXVI - n° 4 - avril 2017
DOSSIER
Qualité devie
encancérologie Expérience du cancer etrecherches qualitatives
Quelques illustrations àpropos del’après-traitement du cancer dusein
monde, etc.). Le concept subjectif, qualitatif et global
de “norme de vie” permet ainsi d’appréhender les
changements et dynamiques qui se déploient après
le traitement et de décrire la diversité des formes
“d’aller mieux”.
Qu’apparaît-il lorsque l’on donne la parole à
des femmes à la fin des traitements ? Lorsque la
thérapie s’arrête, leur situation n’est ni celle de
la santé d’avant ni celle de la maladie. Les récits
des femmes font apparaître certains changements,
problèmes et besoins communs : la sensation
d’être au moins désorientées, voire abandonnées ;
la prise de conscience de la finitude, plus ou moins
marquante, mais toujours réactualisée par la crainte
de la récidive ; un rapport nouveau au présent et
un désir de profiter plus authentiquement et plus
intensément de l’existence, en fonction de valeurs
et de choix propres. Après les traitements, l’enjeu
est de s’approprier, plus ou moins facilement, ce
qu’a été la maladie et ce qu’est maintenant la vie.
Cela peut se faire de différentes façons. L’analyse des
récits de ces femmes a permis d’élaborer de manière
inductive une typologie, avec 4 idéaux-types princi-
paux de “normes de vie” après le cancer : bouleversée,
transformée, confirmée et continuée.
➤
La norme de vie “bouleversée” est caractérisée
par le retentissement douloureux de la maladie,
la permanence de la souffrance et le bouleversement
du corps et/ou de l’esprit. La blessure et la violence
de la maladie, les séquelles et la permanence d’une
vie encore malade dominent ici.
➤
La norme de vie “transformée” dessine une
manière de vivre profondément changée, dans le
rapport à soi, au temps, au travail, aux obligations
sociales, sans être traumatisé dans son identité,
ses valeurs ou ses habitudes. Tout en conservant sa
personnalité, un rapport à l’existence renouvelé se
déploie ici, une autre manière de vivre et de se vivre
au quotidien. Il s’agit d’une véritable transformation
de la façon de vivre et d’envisager sa vie.
➤
La norme de vie “confirmée” correspond à la
confirmation, voire la revendication, d’avoir confirmé
ses valeurs et sa manière de vivre. L’épreuve de la
maladie conduit à éprouver d’une manière essen-
tielle, vitale, les priorités et les choix, à les confirmer
et à s’affirmer. On ressort de l’épreuve du cancer en
quelque sorte renforcé.
➤
La norme de vie “continuée” fait entrevoir une
vie qui continue comme avant. Si la santé peut
être moins bonne et l’allure de vie moins souple et
adaptative qu’auparavant, l’après-traitement ne fait
pas rupture, mais prolonge la vie antérieure et lui
ressemble. L’enjeu est alors de gérer, d’aménager
et de “vivre le mieux possible” cette vie continuée.
Bien entendu, il est important de garder à l’esprit
que, du fait de leur diversité, les récits recueillis
ne répondent pas strictement à ces idéaux-types
(c’est pourquoi ce sont des idéaux-types, d’ailleurs).
Les récits ne sont pas homogènes, ils comportent
des éléments disparates et parfois ambivalents.
De même, chaque expérience est dynamique, elle
circule entre les repères indiqués, elle évolue dans
le temps. Rien n’est figé dans l’expérience et les
“normes de vie” après un cancer.
Conclusion
On le voit au travers de ces quelques exemples,
la recherche qualitative nous fait entrer dans
l’épaisseur et la complexité de la vie des personnes
atteintes. Elle permet d’éviter les simplifications, de
mieux connaître leur expérience quotidienne pour
mieux la comprendre et ainsi réfléchir, en tant que
professionnels, aux moyens de mieux les traiter,
dans tous les sens du terme. ■
Les auteurs n’ont pas précisé
leurs éventuels liens d’intérêts.
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Références bibliographiques