Chirurgie de la main 25 (2006) 54–57 http://france.elsevier.com/direct/CHIMAI/ Cas clinique Avant-bras flottant : luxation périlunaire du carpe et luxation du coude The floating forearm: elbow and perilunate dislocation A. Waaziz *, M. Moujtahid, A. Bendriss Service de traumatologie–orthopédie (Aile 4), CHU Ibn-Rochd, Casablanca, Maroc Résumé Aux cinq cas publiés dans la littérature concernant l’association d’une luxation du coude et d’une luxation périlunaire du carpe, les auteurs ajoutent un sixième cas et discutent les particularités épidémiologiques, cliniques et thérapeutiques de cette association lésionnelle. © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract To the five cases published in the literature concerning concomitant elbow and perilunate dislocation, the authors add a sixth case and discuss the epidemiologic, clinical and therapeutic characteristics of this complex injury. © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Luxation ; Coude ; Périlunaire ; Carpe Keywords: Elbow; Perilunate; Dislocation 1. Introduction La chute sur la main en extension est une circonstance fréquente qui engendre le plus souvent des luxations du coude, des fractures distales du radius, des fractures du scaphoïde carpien et des luxations périlunaires. L’association d’une luxation du coude et d’une luxation périlunaire du carpe n’a été retrouvée dans la littérature que dans cinq cas [1–3]. Nous rapportons un cas de luxation bipolaire de l’avant-bras associant luxation postérieure du coude et luxation trans-scaphorétrolunaire du carpe. * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (A. Waaziz). 1297-3203/$ - see front matter © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.main.2005.11.001 2. Observation M M.S. âgé de 30 ans, sans antécédent pathologique, droitier, est admis aux urgences à la suite d’une chute de six mètres sur le pied gauche puis la main gauche. L’examen clinique retrouvait une impotence fonctionnelle totale des membres supérieur et inférieur gauches avec déformation du coude et du poignet sans trouble vasculonerveux. Le bilan radiologique a objectivé une fracture basicervicale du fémur et une luxation postérolatérale du coude (Fig. 1) concomitante à une luxation trans-scaphorétrolunaire du carpe (Fig. 2). La prise en charge a consisté en un triple vissage du col fémoral ; une réduction orthopédique en urgence de la luxation du coude et une ostéosynthèse du carpe par voie antérieure avec vissage du scaphoïde carpien, embrochage triquétrolunaire (Fig. 3) et immobilisation plâtrée brachioantébrachiopal- A. Waaziz et al. / Chirurgie de la main 25 (2006) 54–57 55 Fig. 1. Luxation postérolatérale sur la radiographie du coude (face). Fig. 3. Radiographie postopératoire du poignet (face). maire pendant trois mois avec libération du coude à la sixième semaine. Les suites opératoires à un an de recul ont été marquées par une bonne évolution radioclinique : la flexion du poignet était de 50° et l’extension de 30°, la pronosupination à 75°, la mobilité du coude et de la hanche était normale. Les radiographies du poignet et de la hanche gauche montraient une consolidation du scaphoïde sans signe d’instabilité secondaire et une bonne consolidation du col fémoral. 3. Discussion Fig. 2. Luxation trans-scaphorétrolunaire du carpe sur la radiographie du poignet (profil). La luxation bipolaire de l’avant-bras est une pathologie rare. Après une revue de la littérature, seulement cinq cas de luxation du coude associée à une luxation périlunaire du carpe ont été rapportés [1–3] (Tableau 1). Cette association lésionnelle a été retrouvée chez des adultes jeunes de sexe masculin, à la suite d’un traumatisme à haute énergie (accident de motocycliste [2], chute des escaliers [3] et chute d’un lieu élevé [1]). Le mécanisme impliqué dans la survenue de ces lésions est une chute sur la main en extension, coude en extension [2], ce qui concorde avec le mécanisme de la luxation du coude et celui de la luxation rétrolunaire du carpe. Par ailleurs, il a été retrouvé dans la majorité des cas des lésions associées au niveau du membre supérieur homolatéral (fracture des deux os de l’avant-bras [1], fracture de la styloïde ulnaire [3]) et au niveau du membre inférieur homolatéral (fracture du massif trochantérien [2], fracture du cadre obturateur [1]), 56 Tableau 1 Tableau récapitulatif des caractéristiques des cas rapportés avec une luxation périlunaire du carpe concomitante à une luxation du coude Auteurs Âge (ans) Sexe Côté atteint Étiologie Mécanisme Délai diagnostic lésions Coude Carpe Traitement Coude Carpe Autres Résultats Coude poignet Double voie : réparation ligamentaire + vissage (radius, scaphoïde, capitatum) + embrochage (scapholunaire, triquétrolunaire, scaphocapital et radiolunaire) Deux plaques vissées avant-bras Embrochage du médiotarse repos Mobilité normale Légère douleur Force 50 % F = 50°, E = 30° Chen WS [2] 27 Homme Droit Accident motocycliste Chute sur le coté droit Urgence Luxation postérieure du coude Luxation transscaphorétrolunaire 32 Homme Droit Accident motocycliste 35 Homme Droit Accident motocycliste Kerr CD [3] 25 Femme Gauche Chute des escaliers Notre cas 28 Homme Gauche Chute de 6 m Chute sur le membre supérieur en extension Trois jours Luxation postérieure du coude Luxation trans-scaphorétrolunaire Chute sur le membre supérieur en extension Six semaines Luxation postérieure du coude Luxation palmaire du lunatum Chute sur la main en extension Quatre jours Sub-luxation postérieure de la tête radiale Luxation palmaire du lunatum Chute sur la main en extension Urgence Luxation postérolatérale du coude Luxation Trans-scaphorétrolunaire Fracture de la styloïde ulnaire Fracture du col fémoral Réduction + immobilisation Double voie : réparation ligamentaire + embrochage + immobilisation dix semaines Réduction + immobilisation Traitement orthopédique Vissage Récupération complète F = 20° E = 25° IR = 15° IC = 15° Mobilité normale Douleur légère pronosupination : 75° F =50° E=30° Fracture du trochanter Réduction stable Voie dorsale : réduction + embrochage + immobilisation 12 semaines Réduction + immobilisation Voie dorsale : réduction + embrochage + immobilisation 14 semaines Réduction + immobilisation Voie palmaire : Résection de la 1re rangée des os du carpe + décommpression du canal carpien + immobilisation trois semaines DHS : vis à compression dynamique Récupération complète Pas douleur Force 105 % F = 60° E = 45° IR = 15° IC = 30° F : flexion, E : extension, IR : inclinaison radiale, IC : inclinaison cubitale. Récupération complète Douleur légère occasionnelle F = 75° E = 30° IR=15° IC = 30° Récupération complète Pas de douleur Légère atrophie de la loge thénar Force 70 % F = 30° E = 60° IR = 10° IC = 20° Voie dorsale : réduction + vissage du scaphoïde + embrochage triquétrolunaire + immobilisation 12 semaines A. Waaziz et al. / Chirurgie de la main 25 (2006) 54–57 Autres E. Masmejean [1] 29 Homme Gauche Défénestration (deux étages) Chute sur l’avant-bras en rétropulsion En urgence Luxation postérolatérale du coude Luxation transradioscaphocapitale rétrolunaire Fractures de l’avant-bras Fracture du cadre obturateur Luxation médiotarsienne Réduction stable A. Waaziz et al. / Chirurgie de la main 25 (2006) 54–57 Le diagnostic peut être difficile puisque la luxation périlunaire du carpe peut passer inaperçue devant le tableau clinique bruyant de la luxation du coude. Dans les cinq cas décrits dans la littérature, il existait un retard diagnostic dans trois cas avec un délai de trois jours et de quatre jours dans deux cas [2,3] ; dans un autre cas [2], un retard de six semaines a justifié une résection de la première rangée des os du carpe devant l’impossibilité de réduire à ciel ouvert le lunatum [2]. Cela doit inciter à bien examiner de façon globale et méticuleuse les patients pour ne pas méconnaître des lésions pouvant passer inaperçues en urgence et engendrer secondairement des séquelles fonctionnelles graves. Sur le plan anatomique, il existait une luxation trans-scaphorétrolunaire dans deux cas [2], une luxation antérieure du lunatum dans deux cas [2,3] et une Luxation transradioscaphocapitale rétrolunaire dans un cas [1]. Concernant le coude, il s’agissait d’une luxation totale postérieure dans quatre cas [1, 2] et d’une subluxation postérieure de la tête radiale dans un cas [3]. La prise en charge thérapeutique de la majorité des cas a consisté en un traitement orthopédique de la luxation du coude et en un traitement chirurgical de la luxation périlunaire du carpe. L’abord a été double dans deux cas [1,3], dorsal dans deux cas [2] et palmaire dans un cas [2]. Les gestes chirurgicaux ont consisté à : ● une ostéosynthèse du scaphoïde par vissage dans un cas [1] et un embrochage dans les deux autres cas [2] ; ● la stabilisation de la luxation rétrolunaire par embrochage dans tous les cas ; ● La réparation ligamentaire n’a été rapportée que dans deux cas [1,3]. Le résultat fonctionnel dépend essentiellement du poignet car nous avons noté que dans tous les cas le coude a bien ré- 57 cupéré sa mobilité normale sans signe d’instabilité séquellaire, alors que le poignet n’a de bons résultats que chez les trois patients traités précocement et ayant une fracture luxation périlunaire du carpe [1,2]. Le mauvais résultat fonctionnel dans les deux autres cas était dû à un retard de diagnostic et à la sévérité des lésions ligamentaires [2,3]. 4. Conclusion Il est important de comprendre que la luxation du coude peut entrer dans le cadre d’un contexte lésionnel plus complexe à la suite d’un traumatisme à haute énergie. Il faut savoir évoquer la possibilité d’une luxation périlunaire concomitante, même s’il s’agit d’une association rare, pour pouvoir en rechercher les signes. La prise en charge n’est pas très compliquée, elle consiste en un traitement orthopédique de la luxation du coude et en un abord chirurgical de la luxation périlunaire du carpe. Le pronostic fonctionnel de cette association lésionnelle dépend essentiellement de celui du poignet. Remerciements Les auteurs tiennent à remercier le Dr E. Masmejean1 pour son support bibliographique. Références [1] Masmejean E, Cognet JM. Luxation bipolaire de l’avant-bras : luxation du coude et luxation rétrolunaire du carpe. Rev Chir Orthop 2001;87(5):499– 502. [2] Chen WS. Concurrent perilunate dislocation in patients with elbow dislocation: three case reports. J Trauma 1994;37:504–7. [3] Kerr CD, Gunderson RJ. Concomitant dislocation of the wrist with posterior radial head subluxation: case report. J Trauma 1995;38:941–3. 1 Unité de chirurgie de la main et du membre supérieur, service de chirurgie orthopédique et traumatologique, hôpital européen Georges-Pompidou, Paris, France.