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parfois n’est pas dénuée d’humour, ils cherchent la bonne façon de
répliquer au geste « incompréhensible, gratuit et puissant » des retraitées
et « trouver une réponse constructive à la débâcle – avant tout morale
– qui nous entoure. Incapables, impuissants. Mais conscients de cela. »
Cette réponse, ils la trouvent par les moyens du théâtre, donnant corps
avec dignité à toutes les disparitions.
Présentation de Daniel Loayza pour l’Odéon-Théâtre de l’Europe
www.theatre-odeon.eu/fr/2016-2017/spectacles/ce-ne-andiamo-non-darvi-altre-preoccupazioni
B. Extrait : Le Justicier d’Athènes
Nous sommes quatre retraitées, sans familles. Nous n’avons ni enfants, ni
chiens. D’abord, on nous a réduit nos retraites, notre unique revenu. Puis
nous avons cherché un médecin qui nous prescrive nos médicaments,
mais les médecins étaient en grève. Quand ils les ont enn prescrits, on
nous a dit à la pharmacie que nos mutuelles n’ont plus d’argent et que
nous devons payer de notre poche. Nous avons compris que nous étions
un poids pour l’État, les médecins, les pharmacies et toute la société.
Nous partons pour vous éviter cette charge. Quatre retraitées en moins,
cela vous aidera à mieux vivre.» L’écriture du message est soignée, en
lettres rondes. Elles ont laissé à côté leurs cartes d’identité. Ekaterini
Sektaridi, née le 23.4.1941 ; Angeliki Stathopoulou, née le 5.2.1945 ;
Loukia Haritonidou, née le 12.6.1943 ; Vassiliki Patsi, née le 18.12.1948.
Pétros Márkaris, Le Justicier d’Athènes, trad. M. Volkovitch, Éditions Points, 2014,
p. 10 et 144-145, 3 juin 2015 pour le Théâtre national de la Colline
C. Nous restons pour vous donner des soucis
Katia Ippaso, journaliste et auteure italienne, s’entretient avec Daria
Deflorian et Antonio Tagliarini. Dans ce dialogue à trois, Daria et
Antonio nous racontent comment, à travers leur dernier spectacle,
Nous partons pour ne plus vous donner des soucis, ils ont cherché à
s’enraciner au cœur d’un discours douloureux, celui de la crise.
Katia Ippaso : Nous partons pour ne plus vous donner de soucis part de
l’image des quatre femmes de Pétros Márkaris, vous tournez autour
de leurs vies tout en refusant de les incarner. Vous vous questionnez,
vous dépeignez l’atmosphère. Vous imaginez la mercerie où l’une
d’entre elles est allée acheter une nouvelle paire de collants parce
qu’elle ne voulait pas mourir les collants déchirés. Vous imaginez
les gens perdus dans les rues d’Athènes. Vous disposez leurs corps
dans la maison. Comme si la police criminelle ne devait pas tarder à
arriver afin d’établir les causes et les modalités de la mort.
Dans le cas des quatre retraitées de Márkaris, la contradiction inhérente
à cette image littéraire nous a attirés. Elle se déplaçait continuellement
sous nos yeux, et nous avec elle. Il ne s’agit pas de personnes réelles,
nous ne connaissons pas leurs mésaventures, mais ce qui nous a frappé
c’est leur geste collectif, leur capacité à dire non... À un certain moment
de notre travail, j’ai voulu les sauver et j’ai dit aux autres : je ne veux pas