7 LA GÉNÉTIQUE DES POPULATIONS Une population représente un groupe d’organismes de la même espèce, à un moment donné et à un endroit donné. Une population peut être isolée des autres populations de la même espèce et n’échanger que rarement du matériel génétique avec elles. Cet isolement touche particulièrement les populations habitant des îles éloignées, des lacs fermés ou des chaînes de montagnes entrecoupées de terres basses. Mais, les populations ne restent pas toujours isolées et n’ont pas nécessairement des limites précises. 7.1 Patrimoine génétique Le patrimoine génétique (« pool génétique ») d’une population comprend l’ensemble des allèles occupant tous les loci de tous les individus de la population. Chez une espèce diploïde, chaque gène figure deux fois dans le génome d’un individu, lequel est soit homozygote (allèles identiques) soit hétérozygote (allèles différents) pour ces allèles. Si tous les membres d’une population portent deux allèles identiques (homozygotes), on parle de fixation de l’allèle dans le patrimoine génétique. La plupart du temps, il existe deux allèles ou plus pour un gène, et chacun présente une fréquence relative (fréquence allélique) dans le patrimoine génétique. Comment les facteurs du milieu agissent-ils sur la fréquence des allèles d'une population ? Voici l’exemple de la phalène du bouleau : La phalène du bouleau (Biston betularia) est un papillon nocturne fréquent en Europe du nord. Ils se reposent le jour les ailes étalées sur les écorces claires des bouleaux. La phalène du bouleau se rencontre sous deux formes, une forme de couleur claire dit typica et l'autre sombre dit carbonaria ou mélanique. Ces variations de couleur sont dues à la quantité de mélanine présente dans les ailes du papillon adulte. A partir du XIXe siècle, les entomologistes observent que la forme sombre devient plus fréquente à proximité des villes industrielles d'Angleterre; observée pour la première fois en 1848 dans la région de Manchester, cette forme sombre est devenue largement majoritaire en 1895 dans cette même région (plus de 98% de la population). Cette observation est alors rapprochée d'un autre phénomène : en raison de la pollution atmosphérique par les résidus de combustion du charbon, les troncs et les branches des arbres devenaient plus sombres (à la fois par les dépôts de fumée et probablement aussi par la disparition des lichens plus clairs qui les recouvraient). Cette variété de phénotypes résulte de l'expression de deux allèles contrôlant la couleur des ailes. Au départ, l'allèle codant la couleur claire est le plus fréquent dans la population bien que l'allèle « mutant » existe. Dans les régions industrielles, l'écorce des bouleaux est recouverte de suie. La population de phalènes montre alors une majorité d'individus sombres et des formes claires rares : c'est le "mélanisme industriel". La fréquence de l'allèle donnant la couleur sombre augmente tandis que la fréquence de l'allèle donnant la couleur claire diminue. Or, à partir de la fin des années 1960, ce phénomène s'inverse. La forme typica redevient fréquente. C'est aussi à cette période que des efforts sont mis en place pour améliorer la qualité de l'air en Grande-Bretagne, efforts qui se traduisent notamment par une diminution des dépôts de pollution atmosphérique sur les troncs d'arbres. 74 Voici ci-contre la distribution des fréquences des deux formes vers la fin du XIXème siècle. On remarque que la forme mélanique est majoritaire dans les régions industrielles du nord et de l'est, tandis que la forme claire prédomine dans les régions rurales du sud-est. Dans les campagnes, la population de phalène montre toujours des individus clairs majoritaires. On peut supposer qu'il s'agit d'une sélection visuelle en rapport avec la prédation. En effet, les papillons sombres dans les zones industrielles, peu visibles sur les supports sombres échappent à la prédation des oiseaux. Les individus sombres survivant vont se reproduire. La fréquence de l'allèle donnant la couleur sombre va donc augmenter dans la population. Les papillons clairs, eux, n'échappent pas à la prédation car ils se détachent sur les écorces noires. C'est la population qui évolue et non l’individu. Cette évolution est liée à deux conditions : premièrement, la population initiale doit être composée de phénotypes variés d'origine génétique. Deuxièmement, cette variation phénotypique engendre une aptitude à la survie ou la reproduction. La prédation n'est pas le seul facteur sélectif, il peut s'agir de résistance aux maladies ou à des insecticides, antibiotiques, de conditions physico-chimiques du milieu (température, salinité, taux d’oxygène). A l’échelle la plus réduite, l’évolution consiste en une modification, au cours de générations successives, des fréquences des allèles dans une population ; une telle modification du patrimoine génétique de la population est appelée microévolution. On ne peut considérer des individus uniques en tant que représentants d’une espèce. Aucun individu ne peut porter toutes les caractéristiques de l’espèce. Celle-ci est décrite par la somme des caractères présents dans une population. L’individu peut être considéré comme l’unité de sélection, le gène comme l’unité d’hérédité et la population comme l’unité d’évolution 75 7.2 La loi de Hardy-Weinberg La loi de Hardy-Weinberg a été développée en 1908 par un Anglais, Godfrey Hardy (1877 – 1947) et un Allemand, Wilhelm Weinberg (1862 – 1937). Cette loi prédit que lorsqu’il n’y a pas d’agents évolutifs à l’œuvre, la population n’évolue pas car la fréquence des allèles ainsi que la fréquence des génotypes (déterminé par ces allèles) demeurent constantes de génération en génération. En conséquence, le brassage des allèles résultant de la méiose et des aléas de la fécondation n'ont pas d'effet sur la composition génétique globale d'une population. 7.2.1 Démonstration de la loi Hardy-Weinberg Mise en situation : Une population mère de fleurs sauvages : 320 homozygotes rouges (RR), 160 hétérozygotes rouges (Rr) et 20 homozygotes blancs (rr) «total de 500 individus». Patrimoine génétique de la population parentale Phénotypes Génotypes Fréquence des génotypes dans la population Nombre d’allèles dans le pool génique (total = 1000) Fréquence des allèles dans la population mère La somme des fréquences des allèles est 1 p : fréquence de R = 0,8 q : fréquence de r = 0,2 Patrimoine génétique de la population fille Gamètes mâles Gamètes femelles Tous les individus de la population mère se reproduisent et font des gamètes. La fréquence des allèles R et r dans les gamètes est la même que celle de la population mère. L’union des gamètes se produit au hasard et tous, ont la même chance d’être fécondés. Les fréquences des génotypes ainsi que celle des allèles «de la population fille» sont les mêmes que celles de la population mère. La population n’a pas évolué. Fréquence des génotypes Fréquence des allèles 76 En résumé, Lorsqu’il n’y a pas d’agents évolutifs à l’œuvre, une population maintient sa structure génétique de génération en génération. En d’autres mots, les fréquences des allèles et des génotypes de la population se maintiennent de génération en génération. On dit d’une population qui n'évolue pas qu’elle présente l'équilibre d'Hardy- Weinberg (équilibre panmictique). 7.2.2 Généralisation de la loi de Hardy-Weinberg Généralisation de la loi d’Hardy-Weinberg pour une population où deux allèles seulement sont étudiés : A et a. p est la fréquence de l'allèle A et q est la fréquence de l'allèle a (p+q) x (p + q) = p2 AA + 2pq Aa + q2 aa = 1 Fréquence des gamètes mâles Fréquence des gamètes femelles Fréquence des homozygotes dominants Fréquence des hétérozygotes Fréquence des homozygotes récessifs Fréquence des génotypes de la génération fille En utilisant cette équation, on peut déterminer la fréquence d’un allèle, d’un génotype ou d’un phénotype dans la population. 7.2.3 Application 1 Un bébé sur 25 600 souffre de phénylcétonurie au Québec, une maladie récessive (p). Supposons que la population du Québec présente l’équilibre de Hardy-Weinberg ; combien de personnes sont porteuses de la maladie ? p2 PP + 2pq Pp + q2 pp = Homozygotes dominants Hétérozygotes 1 P = santé p = phénylcétonurie Homozygotes récessifs La fréquence des homozygotes récessifs est : 1 / 25 600 = 0,000039 La fréquence du gène récessif q(p) est : √ 0,000039 = 0,0062449 La fréquence du gène dominant p(P) est : 1 - q(p) = 1 - 0,0062449 = 0,9937551 La fréquence des hétérozygotes est : 2 pq (Pp) = 2 (0,9937551 x 0,0062449) = 0,0124118 Donc 124 personnes 10 000 sont porteuses de la maladie au Québec. 77 7.2.4 Application 2 Chez le bétail Shorthon, trois génotypes sont possibles : RR : animaux rougeâtre RR’ = animaux rouans R’R’ = animaux blancs Une population de Californie contient 324 rougeâtres, 432 rouans et 144 blancs. Supposant qu’elle présente l’équilibre de Hardy-Weinberg, quelle est la fréquence des gènes dans son pool génétique ? p2 RR + 2pq RR’ + q2 R’R’ = 1 Homozygotes dominants Hétérozygotes Homozygotes blancs R = Rouge R’ = Blanc On peut utiliser les homozygotes rougeâtres ou blancs pour le calcul mais pas les hétérozygotes rouans qui contiennent les 2 allèles à la fois. Prenons les blancs : La fréquence des animaux blancs est : 144 blancs / 900 animaux = 0.16 La fréquence de l’allèle est : R’ = √ 0 .16 = 0.4 La fréquence de l’allèle est : R = 1 - 0.4 = 0.6 7.3 Les conditions d’application de la loi d’Hardy-Weinberg • • • Les individus de la population sont diploïdes. Les individus se reproduisent selon un mode sexué. (Cette loi suppose la rencontre des gamètes.) Les couples se forment au hasard et tous ont la même chance de se reproduire. IL N'Y A PAS D'AGENTS ÉVOLUTIFS À L'ŒUVRE DANS LA POPULATION. • • • • Pas de dérive génétique car la population est de grande taille. (Les lois de la probabilité s'appliquent.) Pas de flux génétique. (Pas d'immigration de gènes ou d'émigration de gènes vers d'autres populations qui pourraient changer le pool génique.) Pas de mutations qui feraient apparaître de nouveaux allèles. Pas de sélection naturelle qui pourrait favoriser la transmission de certains allèles à la descendance au détriment des autres. 7.4 L’équilibre d’Hardy-Weinberg n’existe pas mais est utile Modèle théorique qui n'existe pas dans la nature. Impossible que toutes les conditions nécessaires à l'équilibre d'Hardy-Weinberg soient présentes en même temps. Modèle qui permet d'évaluer s'il y a de la microévolution dans une population. On mesure la fréquence des allèles dans la population mère et l’on applique l'équation. Si la structure génétique de la population fille s'écarte de celle prédite par la loi, alors on sait qu'au moins un agent de l'évolution est à l'œuvre. 78 Modèle qui permet de prédire les coûts sociaux des maladies génétiques. Si on connaît le pourcentage d'individus qui présentent une maladie récessive dans une population, on peut évaluer le nombre de transmetteurs sains puis prévoir la probabilité d'apparition de la maladie dans les générations futures. Si celle-ci est grande, on peut décider d'investir dans la recherche ou prévoir des budgets pour soigner les malades. 79