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*La prise en charge de la diversité ethnoculturelle représente un défi sans
précédent pour toutes les nations démocratiques. La réflexion québécoise, sur ce
plan, est ancienne et elle fait montre de dynamisme et d’originalité ; il faut s’en
réjouir. Comme ailleurs, elle procède en grande partie, au sein de la culture
majoritaire, d’une vive inquiétude pour l’avenir de l’identité et de l’héritage dont
elle se nourrit. Inévitablement, l’émotivité et le symbolique occupent donc une
large place dans les débats, tout comme la divergence des visions et, souvent,
l’incompatibilité des aspirations. Tout cela appelle un arbitrage difficile axé sur la
recherche d’équilibres délicats entre des impératifs concurrents. C’est dire toutes
les précautions et toute la modestie dont doit s’entourer la quête d’un modèle
général d’intégration.
En gardant ces considérations à l’esprit, j’aimerais, dans le cours du présent
essai, présenter en premier lieu ma vision de l’interculturalisme comme modèle
d’intégration et de gestion de la diversité ethnoculturelle. Je m’inspirerai à cette fin
du parcours québécois amorcé depuis les années 1960 et 19701, mais aussi de la
réflexion et des expériences conduites en Europe où l’approche interculturaliste,
comme formule de coexistence en contexte de diversité, a d’importantes racines2.
Au Québec même, l’interculturalisme bénéficie présentement de larges appuis dans
la population (comme l’ont montré les audiences publiques de la Commission
Bouchard-Taylor3), mais il fait aussi l’objet d’importantes critiques. Il est certain
* L’auteur a retiré un énorme profit des commentaires critiques formulés par François Fournier, Céline Saint-Pierre,
Geneviève Nootens, Pierre Tremblay et Pierre Bosset sur des versions antérieures de ce texte dont il assume
cependant toute la responsabilité. Il a également contracté une dette immense envers plusieurs chercheurs du Conseil
de l’Europe et de l’Union européenne avec lesquels il a longuement débattu des questions ici abordées. Enfin, il
remercie les évaluateurs anonymes ayant agi pour la revue.
1 On en trouvera une excellente reconstitution dans F. ROCHER, M. LABELLE et alii (2008).
2 Elle y a trouvé de puissants lieux de promotion et de réflexion, notamment au sein de l’Union européenne et du
Conseil de l’Europe. Une revue de tous ces antécédents exigerait toutefois une autre étude.
3 Il s’agit de la Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles
(créée en février 2007 par le gouvernement du Québec). J’ai coprésidé cette Commission avec le philosophe Charles