Manifeste pour un Québec pluraliste
Pierre Bosset, Dominique Leydet, Jocelyn Maclure, Micheline Milot et Daniel Weinstock - Les auteurs sont tous professeurs (sciences juridiques, philosophie ou sociologie)
à l'UQAM, à l'Université de Montréal ou à l'Université Laval. 3 f é v r i e r 2 0 1 0 Actualités en société
Photo : Illustration: Christian Tiffet
Le débat sur l'identité prend un virage dangereux. Une vision ouverte et pluraliste de la société québécoise subit les foudres
conjuguées de deux courants en rupture avec les grandes orientations du Québec moderne.
D'un côté, une vision «nationaliste conservatrice» voit le Québec d'aujourd'hui comme ayant trop concédé à la diversité culturelle.
L'interculturalisme, la laïcité ouverte, les pratiques d'accommodement raisonnable mettraient en péril une culture québécoise
authentique, éclipsant la mémoire de la majorité historique. De l'autre côté, une vision stricte de la laïcité récuse les
manifestations religieuses ostentatoires dans la sphère publique. Elle entend renvoyer le religieux hors de l'espace public, au nom
cette fois d'une conception de la société qui limite tout signe d'allégeance religieuse au seul espace privé.
Ces deux courants, a priori différents, se rejoignent d'abord dans une même attitude d'intransigeance envers les minorités,
exigeant qu'elles se plient à une vision de la société québécoise qu'elles n'auraient pas contribué à forger. Ils se rencontrent
ensuite dans l'invocation d'une stricte application des principes de la laïcité à l'encontre de citoyens professant des croyances
religieuses tenues pour incompatibles avec les valeurs québécoises.
Mais il existe une autre vision de notre société, plus tolérante et surtout plus dynamique dans sa conception des rapports sociaux.
Elle correspond mieux aux exigences du Québec contemporain et doit être défendue.
Le pluralisme et l'interculturalisme
Le pluralisme est taxé de relativisme, de multiculturalisme trudeauiste, de «chartisme», d'antinationalisme, d'élitisme, etc. Mais
loin de tous ces «ismes», la position pluraliste considère que les membres des minorités ne doivent pas être victimes de
discrimination ni d'exclusion sur la base de leur différence, et l'intégration des immigrants à la société québécoise ne doit pas
exiger une assimilation pure et simple. Si l'immigrant doit s'efforcer de s'intégrer à la société d'accueil et de respecter ses lois et
ses institutions, cette dernière doit veiller à lever les obstacles à son intégration. Le devoir d'adaptation est réciproque.
La position pluraliste se fonde sur le respect et la reconnaissance de la diversité. Cela ne signifie pas qu'il faille tolérer toutes les
pratiques culturelles et religieuses, ni que la société québécoise doive être conçue comme la juxtaposition de communautés
repliées sur elles-mêmes. Au contraire, le pluralisme favorise les rapports interculturels et se veut un approfondissement des
valeurs démocratiques.
La laïcité
C'est à tort que l'on revendique parfois la laïcité comme si ses principes étaient absents de notre culture publique. Au Québec,
l'État élabore les normes collectives indépendamment des groupes religieux ou de conviction. Il exerce sa neutralité en s'abstenant
de favoriser ou de gêner, directement ou indirectement, une religion ou une conception séculière de l'existence, dans les limites du
bien commun. Cette orientation politique répond à l'exigence de protéger la liberté de conscience et sa libre expression, de même
que l'égalité des citoyens. Cela signifie que les droits civiques et politiques ne sont pas conditionnels à l'abdication des croyances et