L’HISTORIEN MARC VALLIÈRES
Une histoire du syndicat financier
du gouvernement du Québec
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En janvier 1970, l’économiste Jacques
Parizeau lançait dans l’arène politique un
débat sur le rôle dominant joué par le syndicat
financier canadien-anglais de la Banque de
Montréal et de la maison de courtage toron-
toise A.E. Ames dans le financement du gouver-
nement du Québec depuis l’époque du premier
ministre Honoré Mercier dans les années1880.
[...] La question du syndicat financier et de son
pouvoir sur le Gouvernement devenait un sym-
bole du problème plus vaste de la domination
économique des Québécois francophones.
Pour un jeune historien qui entreprenait
alors à l’Université Laval un vaste projet de
recherche doctoral sur l’histoire de l’adminis-
tration publique québécoise depuis la Confédé-
ration jusqu’en 1920, cette référence historique
ne pouvait manquer d’éveiller sa curiosité. [...]
Une fois la thèse soutenue en 1980,
les recherches se sont poursuivies sur la
période1920 à 1967. Lorsqu’en 2012, des cher-
cheurs de l’IRÉC travaillent sur l’histoire du
courtage financier au Québec de 1867 à 1987
[...] les recherches sont reprises et prolongées
jusqu’à la même échéance, caractérisée par
le décloisonnement des institutions financiè-
res. L’arrimage des deux projets allait de soi.
La question pouvait être étudiée en profon-
deur grâce à la correspondance du Trésorier
provincial et du ministère des Finances qui lui
succède, disponible aux Archives nationales
(maintenant BAnQ), aux archives d’Hydro-
Québec et à une multitude d’autres sources.
Important pour les finances
publiques du Québec
La question du syndicat financier revêt une
importance considérable dans les finances
publiques du Québec pendant plus d’un siècle.
Malgré sa complexité technique, réservée aux
initiés à la pratique des marchés financiers
(banquiers et courtiers en valeurs mobilières),
elle a de tout temps joué un rôle déterminant
pour le financement des investissements
publics dans les réseaux de transports (che-
mins de fer, routes et autoroutes), dans les
projets énergétiques (Bersimis-Manicouagan-
Outardes, la Baie-James et plusieurs autres)
et dans les dépenses publiques pour stimuler
l’emploi en période de crise (Grande Dépres-
sion) ou pour construire
des hôpitaux, des écoles,
des collèges et des universi-
tés. Emprunter se situe au
centre de tous ces projets
et permet de les réaliser
au moment opportun. De
plus, les sommes emprun-
tées sont considérables par
rapport à l’ensemble des
dépenses publiques et enga-
gent les générations futures
pour leurs charges d’intérêt
et leur remboursement.
Le point de
contact
Le point de contact
entre le Gouvernement,
le demandeur de finan-
cement, et les marchés
financiers, le pourvoyeur de
financement, est le syndicat financier. Dans le
cas des gouvernements, il s’agit d’un intermé-
diaire financier constitué aux fins d’émettre ses
obligations publiques sur les marchés finan-
ciers. Il se compose de banques et de maisons
de courtage qui acceptent de prendre à forfait
l’achat et la distribution d’une émission moyen-
nant une commission, sur la base d’un prix
d’achat et d’un prix de vente prédéterminés sur
le marché. Un syndicat financier dispose d’un
certain pouvoir sur les décisions de finance-
ment de l’emprunteur dans la mesure où les
projets d’investissement à la source des besoins
de financement font partie des débats publics
et peuvent avoir une influence sur la réception
des obligations sur le marché.
Une histoire d’émancipation
En bref [...] la question du Syndicat finan-
cier, c’est l’histoire d’une longue démarche
d’émancipation économique et financière
d’une société québécoise française dominée
par des milieux d’affaires canadiens-anglais.
Elle débute au 19e siècle sous les administra-
tions J.-Adolphe Chapleau et Honoré Mercier
entre 1880 et 1894 en s’appuyant sur la filière
française du Crédit Lyonnais et de la Banque de
Paris et des Pays-Bas comme syndicat attitré,
elle se poursuit sous l’ad-
ministration Duplessis de
1948 à 1957 en ouvrant la
porte du Syndicat au Crédit
interprovincial de Jean-
Louis Lévesque et à L. G.
Beaubien et elle se réalise,
dans les années1960 et
1970 pendant la Révolution
tranquille, en favorisant
une pénétration et une
prise de contrôle du syn-
dicat canadien par des ban-
ques et maisons de cour-
tage québécoises françaises
et en faisant appel à des
syndicats nouveaux sur des
marchés internationaux en
croissance spectaculaire.
Par nécessité et
par conviction
Autant par nécessité pour assurer le finan-
cement des grands projets que par conviction
pour se doter des pouvoirs financiers indispen-
sables à leur réalisation, les gouvernements
québécois qui se succèdent de 1960 à 1987 vont
accélérer le mouvement, certains animés par
René Lévesque et Jacques Parizeau multi-
plient les initiatives, les autres moins engagés
maintiennent tout de même le rythme. En
diversifiant ses sources de financement, en
développant celles internes au Gouvernement,
surtout la Caisse de dépôt et placement, et en
coordonnant ses opérations financières avec
Hydro-Québec et les autres organismes de
l’État, les gouvernements québécois réussis-
sent non seulement à améliorer radicalement
leur autonomie financière, mais à contribuer
fortement à la croissance des banques et des
maisons de courtage québécoises françaises.
Un ouvrage à lire
Une version préliminaire de l’ouvrage pro-
jeté intitulée Le Québec emprunte: le syn-
dicat financier et les finances publiques,
1867-1987 est disponible sur le site de l’IRÉC
dans le volet portant sur l’histoire du courtage
financier. [...] z
L’historien Marc Vallières explique dans cet article le cheminement qui l’a amené à faire une recherche sur le cour-
tage financier au Québec et résume ce qu’il a trouvé. «En bref, dit-il, la question du syndicat financier, c’est l’his-
toire d’une longue démarche d’émancipation économique et financière d’une société québécoise française dominée
par des milieux d’affaires canadiens-anglais».
Robert Laplante, Marc Vallières,
Christiane Barbe
Photo: Cédric Lavenant