N° 1225 - Mai-juin 2000 -
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SANTÉ, LE TRAITEMENT DE LA DIFFÉRENCE
vénérien(8). Le système de représentation des maladies fondé sur l’ex-
clusion, quoique ancien, a pu être réactivé. Il ne peut être dissocié
de la montée, dés le début des années quatre-vingt, des idéologies
xénophobes dans l’opinion publique. La sociologie politique(9) montre
la confluence du courant anti-immigration avec celui de la peur du
sida, et pas seulement, d’ailleurs, parmi l’électorat extrémiste.
CHOISIR DES CATÉGORIES,
UNE NÉCESSITÉ
Ordonner les malades pour surveiller et soigner requiert d’énon-
cer des catégories. Le croisement des informations cliniques, biolo-
giques, thérapeutiques, sociodémographiques et comportementales
concernant le patient est au centre même de ce difficile exercice.
Comment classer sans induire et légitimer des attitudes d’exclusion ?
Comment cibler une population à des fins sanitaires sans risquer de
la désigner publiquement comme pathogène et donc comme dange-
reuse ? Les résultats des enquêtes et sondages de type KABP(10) ont
montré la force avec laquelle, malgré un certain fléchissement, se
manifestent encore les phénomènes d’exclusion sociale des personnes
atteintes par le VIH(11).
Le choix des catégories est dicté par la nécessité de décrire et
d’analyser l’état de l’épidémie. Il repose en partie sur des bases empi-
riques et biologiques – la séroprévalence dans les pays les plus tou-
chés (même si ni la partie subsaharienne du continent africain, ni
la Caraïbe ne sont uniformes, épidémiologiquement parlant), les com-
portements sexuels ou la toxicomanie –, mais en aucun cas sur des
méthodes démographiques. Cette question ne cesse d’activer le
débat sur l’ethnicité, le communautarisme et autres modèles anglo-
américains, souvent opposés aux principes universalistes des
Lumières, dans une France républicaine et intégratrice ne distinguant
ni races ni religions. Depuis la fin de la médecine coloniale du
XIXesiècle et jusqu’à aujourd’hui, les statistiques de la santé publique
s’étaient fort peu écartées de ce paradigme et n’avaient pas utilisé
de telles catégories.
Tel qu’il est stipulé dans le code de santé publique (art. L12), le
système de surveillance des maladies transmissibles, en France,
repose principalement sur la déclaration obligatoire (DO) faite par
les praticiens, c’est-à-dire sur l’ensemble “des professionnels de
santé qui, par leur notification régulière, contribuent de manière
irremplaçable à la surveillance, support essentiel des politiques de
santé publique”(12). D’autres procédures, telles que des enquêtes
périodiques ou ponctuelles, sont également requises, mais le système
8)- A. Corbin, “Le péril
vénérien au début du siècle :
prophylaxie sanitaire
et prophylaxie morale”,
in “L’haleine des faubourgs”,
Recherche, n° 29, Paris, 1977,
pp. 245-283.
9)- N. Mayer, Ces Français
qui votent FN, Flammarion,
Paris, 1999, 379 p.
10)- KABP : enquête
comportementale relative
à un problème particulier vu
à travers les connaissances
(knowledge), les attitudes,
les croyances (believes)
et les pratiques. Une des
premières enquêtes de
ce type en France a concerné
les comportements sexuels
et le sida.
11)- I. Grémy, N. Beltzner,
D. Echevin, groupe KABP,
Les connaissances,
attitudes, croyances,
et comportements face au
sida en France- Évolution
1992-1994-1998,
ORS Île-de-France/ANRS,
Paris, 1999, 156 p. + XXXVII.
12)- Jacques Drucker,
(directeur du Réseau
national de santé publique),
Épidémiologie des maladies
infectieuses en France,
RNSP, 1996.