Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XIII - n° 4 - juillet-août 2009
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Cas clinique
M
onsieur G., âgé de 57 ans, est cadre dans une
entreprise de transport. Son seul traitement,
depuis plusieurs années, comporte la prise
d’un sel de lithium (Theralithe®) pour une pathologie
bipolaire. Il a un suivi médical régulier, clinique et biolo-
gique. Au cours de cette surveillance, une hypercalcémie
a été récemment mise en évidence sur deux contrôles
eectués à 6 mois d’intervalle (2,7 puis 2,8 mmol/l).
Monsieur G. n’a pas d’antécédent médical ni chirurgical
en dehors de son trouble bipolaire, au demeurant bien
contrôlé par le traitement en cours. On ne retrouve pas
non plus d’antécédent familial endocrinien particulier.
Monsieur G. ne se plaint pas de symptômes cliniques
attribuables à une hypercalcémie. Aucun épisode de
colique néphrétique n’est retrouvé par l’interrogatoire.
La diurèse est de 1 500 ml/24 heures. Le poids est stable
à 75 kg pour une taille de 178 cm. La pression artérielle
est mesurée à 120/70 mmHg, et le rythme cardiaque
est régulier, à 72 pulsations par minute. La palpation
cervicale ne décèle aucune anomalie, et le reste de
l’examen clinique est sans particularité.
En regard d’une calcémie à 2,8 mmol/l, chire élevé
confirmé par le calcul de la calcémie corrigée et la
mesure du calcium ionisé plasmatique, le taux d’hor-
mone parathyroïdienne (PTH) plasmatique atteint
139 ng/l (norme : 10-55). La phosphorémie est normale.
La calciurie est de 2,45 mmol/24 heures, chire bas
compte tenu du poids du patient. La créatinine plasma-
tique est mesurée à 72 µmol/l et sa clairance à 110 ml/
minute. Le taux de 25-hydroxy-vitamine D plasmatique
est de 75 nmol/l (norme > 50), et la magnésémie est à
1,5 mmol/l (norme : 0,8-1,3). La lithémie s’inscrit dans
la zone thérapeutique. Enn, l’échographie cervicale
n’objective aucune anomalie.
Les taux plasmatiques de calcium, de magnésium
et, pour des motifs thérapeutiques, de lithium sont
élevés. L’élévation contemporaine du taux de PTH
plasmatique permet de conclure que l’hypercalcé-
mie s’explique par une hyperparathyroïdie. Si, dans la
tranche d’âge de monsieur G., c’est l’étiologie la plus
fréquente de l’hypercalcémie, plusieurs arguments
plaident contre l’hypothèse du caractère primaire de
cette hyperparathyroïdie : l’absence de signes rénaux,
la phosphorémie normale, l’hypocalciurie. L’absence
d’antécédent familial est en défaveur d’une hyperpa-
rathyroïdie sous-tendue par un contexte génétique,
néoplasie endocrinienne multiple ou mutation inac-
tivatrice du gène du récepteur au calcium, même si le
prol biologique est compatible avec cette dernière
possibilité. L’hypothèse la plus plausible est celle d’une
hyperparathyroïdie secondaire. Les résultats du bilan
biologique qui a été réalisé permettent d’exclure l’in-
susance rénale ou la carence vitaminique D comme
mécanismes physiopathologiques, au demeurant peu
vraisemblables compte tenu de l’hypercalcémie. Reste
donc l’hypothèse iatrogène, avec comme responsable
le traitement par sel de lithium.
Les conséquences endocriniennes les plus classiques
des traitements par sel de lithium incluent le diabète
insipide néphrogénique, les goitres et les dysthyroï-
dies. Ces eets satellites sont d’ailleurs parfois utilisés
pour traiter le syndrome de sécrétion inappropriée
d’hormone antidiurétique ou l’hyperthyroïdie lorsque
les armes thérapeutiques habituelles ne peuvent être
employées. L’hypercalcémie liée à une hyperparathy-
roïdie fait également partie des conséquences endocri-
niennes potentielles du traitement par sel de lithium.
Son incidence a été évaluée à 10-15 % des patients
traités. Chez monsieur G., plusieurs arguments étayent
cette hypothèse : la normalité du taux de phosphore
plasmatique, l’élévation de la magnésémie, et surtout
l’abaissement de la calciurie des 24 heures. Le retour
à la normale de l’ensemble du tableau biologique
après arrêt du traitement psychotrope conrmerait
rétrospectivement l’implication du lithium. La balance
entre les bénéces du traitement psychiatrique et la
modestie de l’intensité de l’hyperparathyroïdie a amené
à adopter, chez monsieur G., une attitude de simple
surveillance. Une association avec d’authentiques
adénomes parathyroïdiens, relevant d’une ablation
chirurgicale, a été décrite dans une minorité de cas.
L’action du lithium s’exerce en eet sur l’ensemble des
parathyroïdes et doit très vraisemblablement induire
une hyperplasie parathyroïdienne diuse plutôt qu’un
adénome sur glande unique. Le mécanisme d’action
du lithium paraît être une “désensibilisation” de la cel-
lule parathyroïdienne au rétrocontrôle négatif exercé
par le calcium. Le déplacement vers la droite, par le
lithium, de la courbe unissant la sécrétion de PTH à la
concentration en calcium à laquelle sont soumises les
cellules parathyroïdiennes étudiées in vitro témoigne
de cette désensibilisation (1). Des résultats similaires
Conflit de cations
Jean-Marc Kuhn*
* Service d’endocrinologie
et de maladies métaboliques,
CHRU,
hôpital de Bois-Guillaume.