409-414 Dumont 366_f.qxp 15.5.2008 11:58 Uhr Seite 409 cabinet Forum Med Suisse 2008;8(22):409–414 Chirurgie réparatrice dans les lésions des os et des parties molles: entre synthèse et innovation Charles Dumont a, c, Gerhard Ulrich Exner b, c a Orthopädische Klinik Ziegler, Spital Netz Bern, b Kinder/Tumor Team, Uniklinik Balgrist 1, Zürich, c Orthopädie Zentrum Zürich Quintessence ( La chirurgie réparatrice de l’appareil locomoteur a amélioré le pronostic fonctionnel des lésions graves des parties molles et des os des membres. Des techniques dérivées de la chirurgie orthopédique, plastique et vasculaire sont combinées pour développer des solutions innovantes et individuelles pour chaque patient. Ces techniques permettent la reconstruction des parties molles et de l’os après des traumatismes graves, en cas d’infection ou de tumeurs. Summary Reconstructive surgery for bone and soft tissue: between synthesis and innovation ( Reconstructive surgery plays a role in improving the functional outcome in patients with severe soft-tissue and bone lesions of the limbs. Surgical techniques derived from orthopaedic, plastic and vascular surgery are combined to develop innovative and customised surgical treatment. These techniques allow reconstruction of soft tissue and bone defects due to severe injury, infection or tumour. La chirurgie réparatrice de l’appareil locomoteur se situe au carrefour des chirurgies orthopédique, plastique, vasculaire et des nerfs périphériques. Elle a pour principe fondamental d’aborder l’extrémité d’un membre comme un organe en soi. La chirurgie orthopédique réparatrice a nettement amélioré au cours des vingt dernières années le pronostic fonctionnel des lésions complexes des parties molles et des os des extrémités supérieures et inférieures. Après un traumatisme grave, dans certaines infections ou maladies tumorales, il faut parfois suturer, fixer ou réparer des vaisseaux, des nerfs, des muscles, les os et/ou la peau, de façon à obtenir une restitution aussi anatomique que possible des tissus. Une infection profonde de l’os après une fracture de jambe nécessite par exemple, pour commencer, l’ablation de la partie infectée ou nécrosée de l’os [1]. Dans une seconde étape, on débutera l’antibiothérapie et on procèdera à une plastie de couverture. La couverture de l’os par des tissus mous bien vascularisés est le moyen le plus sûr pour permettre la formation d’un cal osseux dans une pseudarthrose septique [2]. Suivant la taille et la localisation de la perte de substance et l’état général du patient, on pourra recourir à des lambeaux libres ou pédiculés. Chez les patients âgés présentant de grosses pertes de substance des parties molles, les lambeaux pédiculés combinés constituent une bonne solution [3]. Chez les jeunes patients ayant de gros defects, le lambeau libre reste la technique de choix. Une fois qu’un débridement osseux complet a été réalisé, que le defect a été comblé par un plot de ciment imprégné d’antibiotiques et couvert par un lambeau musculaire, il se forme une membrane à l’interface entre le ciment et les parties molles. Cette membrane contient des cellules produisant des facteurs de croissance tels que la bone morphogenetic protein-2 (BMP-2) et le transforming growth factor b-1 (TGF b-1) [4, 5]. Après un délai minimum de 6 semaines, on peut retirer le plot de ciment en conservant la membrane qui s’est constituée à son interface et mettre en place une greffe spongieuse prélevée au niveau de la crête iliaque (exemple n° 1). Cette technique permet d’obtenir un pont osseux de bonne qualité, même en cas de defects supérieurs à 5 cm et sans qu’il soit nécessaire d’implanter un fragment osseux vascularisé [6]. Les progrès réalisés au cours des quinze dernières années dans le domaine de la chirurgie réparatrice ont permis de réduire considérablement le recours aux amputations dans les tumeurs osseuses malignes et ouvert la voie à la chirurgie de conservation des extrémités[7]. Une tumeur osseuse, par exemple un ostéosarcome, doit être extraite en bloc avec tous les tissus des parties molles avoisinantes. L’énorme perte de substance osseuse qui en résulte doit ensuite être comblée par un transfert libre de fibula vascularisé lorsque l’articulation de voisinage peut être conservée. La fibula transférée va s’intégrer grâce au rétablissement de la circulation sanguine et adopter les caractéristiques que présentait l’os d’origine à cet endroit (exemple n° 2). La chirurgie à visée conservatrice des membres n’est malheureusement pas toujours possible. Si le nerf sciatique est par exemple touché par la tumeur, il n’y pas d’autre solution que l’amputation. Mais même dans ces cas, la chirurgie réparatrice peut offrir une solution qui améliorera les capacités fonctionnelles du patient après l’amputation. Un lambeau libre comprenant la plante du pied et le calcanéum peut servir à allonger le moignon et ainsi améliorer la résistance de celui-ci aux 1 Tous les patients ont été opérés par les deux auteurs à la clinique universitaire du Balgrist Vous trouverez les questions à choix multiple concernant cet article à la page 399 ou sur internet sous www.smf-cme.ch. 409-414 Dumont 366_f.qxp 15.5.2008 11:58 Uhr Seite 410 Praxis Schweiz Med Forum 2008;8(22):409–414 contraintes auxquelles il sera exposé après appareillage [8]. La sensibilité du lambeau est assurée par la connexion des terminaisons nerveuses au nerf sciatique; ce procédé a de plus le mérite de diminuer les risques de douleurs fantômes (exemple n° 3). Comme aucun defect de tissus n’est en définitive complètement identique à un autre, il faut souvent proposer des solutions individuelles, adaptées à la situation. En l’absence d’un traitement documenté et connu, il faut imaginer de nouveaux lambeaux ou de nouvelles variantes de lambeaux. Des problèmes complexes associant des defects tissulaires multiples ou des infections profondes peuvent ainsi être traités avec succès grâce à la chirurgie de réparation qui repose sur une bonne connaissance de l’anatomie, une stratégie claire et une technique opératoire soigneuse. La chirurgie reconstructive constitue donc, grâce à la combinaison des connaissances de plusieurs spécialités chirurgicales, un complément précieux et indispensable à la chirurgie orthopédique proprement dite. Exemple 1 perte de substance osseuse à l’aide d’un plot de ciment imprégné d’antibiotiques (fig. 1C x), en une revascularisation par greffon veineux d’une occlusion traumatique de l’artère poplitée et enfin en une reconstruction des parties molles à l’aide d’un lambeau musculaire libre de grand dentelé. Après plusieurs semaines d’antibiothérapie, le plot de ciment a été retiré et la perte de substance osseuse comblée par une greffe d’os spongieux. Les suites ont été marquées par la formation d’un pont osseux solide, sans signes de récidive infectieuse (fig. 1D x). Aujourd’hui, la patiente pratique à nouveau l’équitation. De plus, les coûts du traitement ont pu être considérablement réduits, grâce à la prise en charge de la patiente par une seule équipe chirurgicale durant la totalité du traitement. – Patiente de 57 ans présentant une pseudarthrose infectée après traitement chirurgical d’une fracture ouverte de la jambe dans un autre établissement. La patiente avait déjà subi quatre interventions sans succès. Il existait une importante perte de substance osseuse et des tissus mous avec fistulisation et écoulement purulent (fig. 1A x). Une zone cutanée de 6 × 5 cm dans la région médiane de la jambe était complètement cicatricielle (fig. 1B x). Après débridement, la perte de substance du tibia mesurait 6 cm de long. La procédure chirurgicale a consisté, après débridement initial des tissus osseux et des parties molles, en un comblement de la Figure 1A Pseudarthrose (flèche double) à l’union du tiers moyen et du tiers distal de la jambe avec ostéolyse due à l’infection osseuse. Figure 1B Tissu de granulation (flèche) et fistule chronique avec écoulement purulent. 409-414 Dumont 366_f.qxp 15.5.2008 11:58 Uhr Seite 411 cabinet Forum Med Suisse 2008;8(22):409–414 Figure 1D Consolidation osseuse complète six mois après la greffe spongieuse. Figure 1C Stabilisation osseuse par fixateur externe et plot de ciment (double flèche) après débridement du tissu osseux. Exemple 2 – Fillette de sept ans avec ostéosarcome de l’humérus droit (fig. 2A x). Le traitement a associé une chimiothérapie néo-adjuvante, la résection de la tumeur et une reconstruction simultanée par transfert libre de fibula vascularisée. Compte tenu de la vascularisation indépendante de l’épiphyse humérale proximale, cette dernière a pu être conservée (fig. 2B x ). Une distraction progressive par fixateur externe a permis une ouverture du cartilage de croissance (fig. 2C x ), si bien que la tumeur a pu être excisée en bloc, en tissu sain, en conservant la tête humérale. La fibula ipsilatérale a ensuite été transférée et insérée dans le defect (fig. 2D x ). Dans le cadre du transfert libre de fibula vascularisée, l’artère et la veine péronière ont été anastomosées avec les vaisseaux du bras. La fibula s’est rapidement intégrée, puis s’est épaissie et renforcée au cours des années. Huit ans plus tard, les clichés radiologiques ne laissent pratiquement rien paraître du transfert de fibula (fig. 2E x). Cette reconstruction biologique a permis une excellente restitution de la fonction du bras, malgré un raccourcissement résiduel dû à la résection du cartilage de croissance proximal de l’humérus (fig. 2F x ). Figure 2A Ostéosarcome de l’humérus proximal (astérisque). 409-414 Dumont 366_f.qxp 15.5.2008 11:58 Uhr Seite 412 cabinet Figure 2B L’IRM montre que l’épiphyse proximale (flèche) est sans tumeur. Forum Med Suisse 2008;8(22):409–414 Figure 2D Reconstruction osseuse par transfert libre vascularisé de la fibula (flèche) après résection tumorale en bloc. Figure 2E Net épaississement de la fibula huit ans après la reconstruction osseuse. Figure 2C Distraction osseuse par fixateur externe permettant une disjonction du cartilage de croissance. L’écartement du cartilage de croissance (flèche) permet d’exposer l’épiphyse proximale sans risque de passer par la métaphyse pour pouvoir respecter la limite de la tumeur. Figure 2F Bonne mobilité de l’épaule. Le raccourcissement du bras (astérisque) ne gêne pas la fonction du membre. 409-414 Dumont 366_f.qxp 15.5.2008 11:58 Uhr Seite 413 cabinet Exemple 3 – Patient de 22 ans présentant un ostéosarcome fibroblastique «high grade» de la métaphyse distale du fémur avec envahissement des tissus mous et atteinte du nerf sciatique (fig. 3A x ). Une amputation au niveau proximal de la cuisse était nécessaire. Cela signifiait, en raison d’un moignon d’amputation court, que le tubercule ischiatique aurait du être inclus dans la zone d’appui de la prothèse. L’alternative consistait à utiliser le pied du membre amputé comme banque de tissus avec récupération de la plante du pied, du calcanéum et du réseau vasculaire et nerveux incluant l’artère et la veine tibiale et le nerf tibial postérieur (fig. 3B x ). Ce lambeau libre pluritissulaire a été fixé au moignon du fémur; les vaisseaux tibiaux ont été anastomosés avec les vaisseaux fémoraux et le nerf tibial a été connecté au nerf sciatique. La transplantation du calcanéum a permis d’allonger le moi- Forum Med Suisse 2008;8(22):409–414 gnon osseux (fig. 3C x ), ce qui a considérablement facilité l’adaptation de la prothèse, et la resensibilisation de la plante du pied offrait une couverture cutanée garantissant une résistance optimale du moignon aux contraintes mécaniques (fig. 3D x ). Six mois plus tard, le lambeau présentait une bonne sensibilité et le moignon supportait suffisamment les charges pour permettre l’adaptation d’une prothèse cruropédieuse courte (fig. 3E x ). Figure 3C Pont osseux complet entre le fémur et le calcanéum (astérisque) six mois après l’opération. Figure 3A Ostéosarcome de la métaphyse fémorale distale (petites flèches). L’IRM révèle une atteinte des vaisseaux et du nerf sciatique (longues flèches). Figure 3B Lambeau libre composé comprenant le calcanéum et la plante du pied ipsilatéral. Vascularisation par les vaisseaux tibiaux postérieurs (artère + veine), innervation sensitive par le nerf tibial (N.). Figure 3D La plante du pied greffée à la partie distale et postérieure de la cuisse offre une résistance optimale du moignon d’amputation aux contraintes mécaniques de la prothèse. Figure 3E Prothèse cruro-pédieuse courte sans surcharge de la tubérosité ischiatique. 409-414 Dumont 366_f.qxp 15.5.2008 11:58 Uhr Seite 414 cabinet Références Korrespondenz: Prof. G. Ulrich Exner Orthopädie Zentrum Zürich Seestrasse 259 CH-8038 Zürich [email protected] 1 Gordon L, Chiu EJ. Treatment of infected non-unions and segmental defects of the tibia with staged microvascular muscle transplantation and bone-grafting. J Bone Joint Surg (Am). 1988;70:377–86. 2 Musharafieh R, Osmani O, Musharafieh U, Saghieh S, Atiyeh B. Efficacy of microsurgical free-tissue transfer in chronic osteomyelitis of the leg and foot: review of 22 cases. J Reconstr Microsurg. 1999;15:239–44. 3 Dumont CE, Neumann H, Lingenfelter EJ. Pedicled flap for lower extemity reconstruction in the elderly: a restrospective study of 16 cases. Ann Plast Surg. 2004;53:368–72. 4 Pelissier P, Martin D, Baudet J, Lepreux S, Masquelet AC. Behaviour of cancellous bone graft placed in induced membranes. Br J Plast Surg. 2002;55:596–8. 5 Pelissier P, Masquelet AC, Bareille R, Pelissier SM, Amedee J. Induced membranes secrete growth factors including vascu- Forum Med Suisse 2008;8(22):409–414 lar and osteoinductive factors and could stimulate bone regeneration. J Orthop Res. 2004;22:73–9. 6 Schottle PB, Werner CML, Dumont CE. Two-stge reconstruction with free vascularized soft tissue transfer and conventional bone graft for infected non-unions of the tibia. Acta Orthop. 2005;76:878–83. 7 El-Gammal TA, El-Sayed A, Kotb MM. Reconstruction of lower limb bone defects after sarcoma resection in children and adolescents using free vascularized fubular transfer. J Pediatr Orthop B. 2003;12:233–43. 8 Werner CML, Exner GU, Dumont CE. Free vascularised osteocutaneous filet flap for covering, that permitted sensitive weight-bearing by a tight stump after transfemoral amputation. Scand J Plast reconstr Hand Surg. 2006;40:315–7.