tive du prénom, susceptible d’engendrer un phénomène
entièrement automatique ? Pour le vérifier, il était néces-
saire de comprendre l’importance du contenu séman-
tique du stimulus auditif. D’où l’idée de faire appel à des
paires de mots ayant ou non un lien sémantique. Depuis
le début des années quatre-vingt, on savait en effet qu’il
existe une onde cérébrale qui est amplifiée lorsque l’on
détecte une incongruité verbale [12].Ainsi, si l’on fait
entendre à un sujet des paires de mots sans lien séman-
tique, par exemple « sud, table », cette onde est plus ample
qu’avec deux mots liés, comme « sud, nord ». L’onde est
encore plus ample si le deuxième stimulus est un pseudo-
mot, comme avec « sud, rifre ».
Que se passe-t-il chez le sujet endormi ? L’un d’entre
nous, Fabien Perrin, a montré que les variations de l’am-
plitude de cette onde particulière persistent pendant le
sommeil léger et le sommeil paradoxal [13],ce qui laisse à
penser que la détection d’une discordance sémantique
est préservée pendant le sommeil. Principale différence :
pendant le sommeil paradoxal, les pseudo-mots ne sont
plus considérés comme incongrus. A priori surprenant,
ce résultat est en réalité cohérent avec le fait que des
contenus mentaux absurdes sont incorporés dans nos
rêves, sans déclencher pour autant aucune sensation
d’incongruité.
Cette nuance dans les variations de l’amplitude des ondes
enregistrées semble être en accord avec l’un des principaux
modèles de la conscience, celui d’Antonio Damasio.
Selon le neurologue américain, il existe en effet deux
niveaux de conscience : la
«conscience noyau » et la
«conscience étendue ». La
première correspond au pro-
cessus transitoire qui est
généré continuellement
lorsque l’organisme interagit
avec son environnement, et
qui implique une conscience
instantanée. D’un niveau
supérieur, la « conscience
étendue » serait dépendante
de l’histoire du sujet, fondée
sur la mémoire d’expé-
riences passées ou futures.
L’hypothèse d’une dissocia-
tion entre ces deux niveaux
de conscience pendant le sommeil – persistance d’une
conscience noyau avec assoupissement de la conscience
étendue – est plausible, mais elle n’a pas encore été testée
directement. Cependant, les études électrophysiologiques,
et celles prouvant l’incorporation des stimulations audi-
tives ou tactiles au contenu mental des rêves, apportent
des arguments forts en faveur de la persistance de cette
«conscience noyau », au moins au cours du sommeil
paradoxal. ❚❚ H. B., F. P. et L. G.-L.
Nº366 | JUILLET-AOÛT 2003 | LA RECHERCHE 69
[6] M. Steriade, « Fatal
familial insomnia inherited
prion diseases, sleep and
the thalamus », New York
Raven Press,177, 1994.
[7] H. Bastuji et al., Sleep
Medicine Reviews,3, 23,
1999.
[8] K. Cote et al., Clin.
Neurophysiol.,110, 1345,
1999.
[9] H. Pratt et al., Clin.
Neurophysiol.,110, 53, 1999.
[10] F. P errin et al., Clin.
Neurophysiol.,110, 2153,
1999.
[11] C. Portas et al.,
Neuron.,28, 991, 2000.
[12] M. Kutas et al., Science,
207, 203, 1980.
[13] F. P errin et al.,
Neuroreport,13, 1345, 2002.
À ce stade, on pouvait donc affirmer avec certitude qu’un
événement sonore inhabituel était relevé par le dormeur
–comme à l’éveil –, au moins pendant certains stades du
sommeil. En revanche, rien ne permettait de dire s’il était
relevé en raison de sa seule rareté ou si la nature du signal
–et sa signification pour le sujet – avait aussi son impor-
tance. L’étape suivante était donc d’analyser l’activité élec-
trique du cerveau en réponse à des stimulations ayant
une signification propre.
Deux niveaux de conscience
En 1999, deux équipes, celle de Hillel Pratt à l’Institut de
technologie d’Israël [9] et la nôtre [10],ont conduit des
expériences en utilisant comme stimulation auditive le
prénom des sujets. La raison : lorsque nous sommes
éveillés, nous focalisons automatiquement notre atten-
tion sur notre prénom. Dans notre expérience, nous avons
utilisé, de façon aléatoire mais équiprobable, 8 prénoms,
dont celui de la personne pour laquelle nous procédions
à l’enregistrement. Résultat : l’onde P300 en réponse au
prénom des sujets persiste pendant le sommeil lent léger
et le sommeil paradoxal [fig. 2].Même si elle ne réveille pas
le sujet, il semble donc que l’information est bien analy-
sée pendant ces stades. Autre élément incitant à croire en
l’existence d’une réelle analyse : au Surgical Planning Lab
à Boston, Chiara Portas a montré grâce à l’imagerie céré-
brale que, en réponse à l’audition du prénom, les mêmes
structures cérébrales étaient activées pendant l’éveil et
certaines phases du sommeil lent [11].
Comme les ondes P300 témoignent à l’éveil de la prise de
conscience d’une information, leur apparition au cours
du sommeil laisse à penser que nous sommes, jusqu’à un
certain point, « conscients » au cours de notre sommeil.
Cependant, les sujets ne mémorisent pas cette informa-
tion : au réveil, ils n’ont aucun souvenir d’avoir entendu
leur prénom durant la nuit. Cela nous conduit à supposer
l’existence de différents niveaux d’encodage de l’informa-
tion, avec une possible dissociation entre « conscience ins-
tantanée », préservée pendant le sommeil, et « conscience
à long terme », qui, elle, ne le serait pas. Si l’hypothèse est
juste, alors les ondes P300 ne devraient pas refléter exac-
tement le même phénomène à l’éveil et durant le som-
meil. Or, chose intéressante, on n’enregistre pas exacte-
ment aux mêmes endroits les ondes P300 à la surface du
cerveau selon l’état du sujet. Les générateurs de ces ondes
seraient-ils différents lorsque nous dormons ? Pour l’heure,
on sait que, pendant l’éveil, ces générateurs sont multiples,
répartis dans différentes régions du cerveau et très préci-
sément synchronisés. Au cours du sommeil, certains géné-
rateurs, notamment frontaux, semblent absents, et l’acti-
vité perd en grande partie sa synchronisation [7].Peut-être
y a-t-il là un élément d’explication de notre incapacité à
retenir ce qui se passe durant notre sommeil.
Aussi instructive fût-elle, l’expérience des prénoms ne
risquait-elle pas d’introduire un biais, dû à la portée affec-
ONSCIENCE
CSOMMEIL
L’écoute pendant le sommeil
Fig.2
Quand un sujet
entend son propre
prénom, il y prête
automatiquement
attention, alors
qu’un autre le lais-
sera indifférent.
Moins visible, ce
phénomène s’en-
registre aussi pen-
dant le sommeil.
© INFOGRAPHIES :
CHRISTOPHE CHALIER