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Elles sont soit des chambres d'enregistrement, soit des lieux de
lutte de pouvoir qui se poursuivent sans fin. Je schématise, mais,
à mon avis, rien n'a vraiment changé. Quant aux pôles, c'est une
bonne idée, mais on en voit déjà les risques. Les ambitions per-
sonnelles se bousculent à leur porte,sans même pouvoir préten-
dre à un vrai management d'hommes ni gestion de budget. Rien
ne change.Des super-chefs de service,avec plus de pouvoir et tou-
jours plus loin du terrain clinique.La plupart des décisions ne sont
pas centrées autour de ce qui devrait être notre unique souci :
le patient.C’est souvent « moi d’abord » avant le « bien commun ».
Et puis les textes, parlons-en ! En France, dans nos hôpitaux,
combien de contrats de plages additionnelles ont-ils été propo-
sés aux PH qui les font pourtant ? La réglementation les prévoit,
mais pas une administration,ou si peu,ne les met en place.Les PH
sont contraints d’aller au contentieux. La « machine » tourne
encore, mais pour combien de temps ?
PHAR : La part variable dans la rémunération ?
B. Dubau : Ça me fait rire et ça me rend pourtant triste. Est-ce
que les pouvoirs publics s’imaginent que les médecins vont res-
ter à l’hôpital pour 15 %.Le privé offre des augmentations de 100
à 150 %.Si nous restons à l’hôpital ce n’est pas pour ces 15 %.Notre
travail reste centré sur l’homme, sa maladie et sa souffrance.
L’hôpital public,plus que de l’argent, doit offrir des conditions de
travail (travail en équipe,écoute,multiplication des compétences,
respect,valorisation du travail,responsabilisation des différents per-
sonnels). Comment imaginer que l'hôpital public puisse se satis-
faire de PH qui n'auraient pas,par essence,un désir de qualité de
leurs soins ? Que nos collègues chirurgiens aient voulu jouer au
gagne-petit (15 %) me choque profondément. Même si je l'aban-
donne, le statut de PH permettait la reconnaissance des investis-
sements différenciés.On n'avait pas besoin de « ce bidule » de part
variable, une pièce de plus dans l'usine à gaz qu'est devenu l'hô-
pital public. Moi, je vais dans le privé, ça a au moins le mérite de
la clarté. Je suis obligé à la qualité, et ça ne change rien à ce que
j’ai toujours fait dans le public. La part variable, c’est la casse du
statut. Soyons clairs !
PHAR : Vous espérez donc un réel mieux-être en libéral ?
B. Dubau : Sans aucun doute.Tenez, ne serait-ce que l'accueil.J'ai
été reçu par le président du CME et le directeur de la clinique.
Ils me sont immédiatement apparus plus authentiques,fiers de leur
établissement,de ses potentiels,de son développement.Un atta-
chement que je ne ressentais pas dans le public de la part de leurs
homologues aux commandes. Une chose m'a particulièrement
frappé : après les années passées dans le CHU que je quitte,je n'ai
jamais rencontré le directeur général. Le directeur du CHU, je
connais son existence,sans plus.Je le redis,dans le public,tout res-
semble à de la figuration,tellement à distance du quotidien et de
la vraie vie au travail.J'espère que je pourrai prendre des décisions
avec mes confrères,là où,à l'hôpital,ma voix n'a en fait jamais vrai-
ment compté...
PHAR : Et les personnels paramédicaux ?
B. Dubau : J'ai apprécié et admiré leur réel dévouement et leur
attachement au patient,et ceci dans des conditions d'exercice vrai-
ment difficiles. Nous avons vécu des moments très forts que je
n'oublierai pas.Seul l'esprit d'équipe autour du patient nous a sou-
dés pour tenir ces dernières années. J'ai aussi le sentiment que
les IDE et les IADE sont à ce point désenchantées que la cote
d'alerte est atteinte, sans que les cadres s'en rendent compte
ou ne puissent réagir. On devrait mesurer plus systématique-
ment la satisfaction au travail dans les hôpitaux. Une anec-
dote : une amie est allée se présenter pour un examen d’em-
bauche comme IDE dans un CHU. Elle a été reçue par un
directeur des soins infirmiers qui lui a expliqué que c’était un
honneur de travailler dans un CHU, que peu importaient ses
desiderata :elle irait au bloc comme panseuse.Et oui,il manque
d’IBODE,mais personne ne se pose la question de savoir pour-
quoi les gens ne veulent plus travailler en bloc ! Il n'y a aucune
politique des ressources humaines digne de ce nom.On les dila-
pide avec l'illusion que le bénévolat va pouvoir encore fonction-
ner. C'est une grave erreur de management.La masse salariale,
c'est 70 % du budget hospitalier. À voir comment on gère ce
« capital humain », c’est pur gâchis !
PHAR : Vous êtes très pessimiste. Mais alors, où va l'hôpital
public ?
B. Dubau : Je ne le crains que trop, vers une perte de confiance,
une absence de messages positifs.On a oublié que l'homme est
au cœur du système pour ne le considérer que dans sa fonc-
tionnalité pure. Une forme inouïe est la flexibilité des person-
nels qui doit maintenant pouvoir s'exercer indifféremment ici
ou là,sans se soucier des apports personnels que le travail doit
procurer à chaque soignant.Les compétences relationnelles sont,
elles aussi, quasi « protocolisées », là où elles devraient s’enri-
chir au fil du temps au sein du collectif de travail. Les transmis-
sions ciblées ? Une succession de croix dans des cases.« C’est
pas mon secteur » est devenu la phrase la plus souvent pronon-
cée dans les couloirs des hôpitaux... Il n'y a plus assez de place
pour les échanges interhumains dans un système où ils sont,
pourtant, un mode de ressourcement essentiel.
SE SÉPARER DE SES RÊVES N’EST JAMAIS
SIMPLE
PHAR : Hôpital ou clinique : un choix facile ?
B. Dubau : Absolument pas ! Ça a été pour moi une forme de
déchirement que de prendre acte après avoir tenté de résister.
Je dois dire que le SNPHAR m'a toujours soutenu.Nos collègues
et nos directions ne respectent pas assez ce syndicat qui apporte,
sur le système, une réflexion à la portée de tous, sans jamais la
galvauder.Je sais bien que demain,dire « je travaille à la clinique X »
n'aura jamais le même écho en moi que « je travaille à l'hôpital Z ».
Mais je sais que j'y espère une forme de reconnaissance qui,à l'hô-
pital, n'est plus. Un de mes collègues du SNPHAR m'a souhaité
bon courage en me disant qu'il mesurait ce choix difficile. « Se
séparer de ses rêves n'est jamais simple ! » m’a-t-il dit.C'est à mon
tour de lui répondre « Bon courage à vous aussi ! Vous en avez
besoin ! Je continuerai de vous porter une grande confiance pour
tous les domaines que vous touchez... J’espère que vous pour-
suivrez votre combat, et que les jeunes vous rejoindront pour
défendre l’avenir de l’hôpital public ».D'ailleurs,je resterai abonné
à PHAR et à votre site Internet. Un lien qui a toujours été très
important pour moi et qui le restera.
Propos recueillis par la rédaction
INTERVIEW