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INTERVIEW
INTERVIEW DE J-N FABIANI
PHAR : A quel service ou à quel pôle devraient
appartenir les unités de lits de réanimation dédiés
à la chirurgie cardiaque ?
Pr Fabiani : Le décret semble vouloir différencier
les lits de réanimation et des lits dits de
surveillance continue que l’on devrait plutôt
appeler lits de soins intensifs de chirurgie
cardiaque.Autrement dit, il faut distinguer les lits
de soins intensifs pour des malades qui vont
récupérer sans complications en 2 ou 3 jours et
des lits de réanimation pour des patients qui ont
une défaillance multiviscérale ou ceux qui ont
besoin d’une assistance circulatoire ou encore les
transplantés pulmonaires. Je pense que tous les
chirurgiens cardiaques de France seront d’accord
pour dire que les lits de soins intensifs doivent
appartenir au service de chirurgie cardiaque,
éventuellement sous la forme d’une unité
fonctionnelle, éventuellement partagée avec les
anesthésistes-réanimateurs. Quant aux lits de
réanimation, ils doivent être sous la responsabilité
d’un réanimateur médical ou d’un anesthésiste-
réanimateur chirurgical.
Ce décret permet de résoudre un problème majeur
de responsabilité médicale. En effet, le patient est
confié au chirurgien. Si les lits de post-chirurgie
étaient confiés à d’autres que le chirurgien, ce
dernier échapperait à sa responsabilité.Ainsi, pour
prendre un exemple classique : un patient saigne,
est-ce biologique ou chirurgical,faut-il réintervenir
ou non ? Le débat peut exister,mais il est nécessaire
que ce soit celui à qui l’on a confié le patient qui
tranche en dernier ressort car c’est lui qui est
investi de la responsabilité médicale du patient.
En revanche, en cas de défaillance multiviscérale,
on confie le patient au réanimateur.On prévient
alors la famille en lui expliquant que le patient
nécessite, du fait de son état, une réanimation
spécialisée.
Cela permet d’éviter de se renvoyer mutuellement les
responsabilités d’une éventuelle complication.
PHAR : Avec les nouvelles techniques de fast track
anesthésie, les patients bénéficiant d’une chirurgie
cardiaque pourraient séjourner en post-opératoire
immédiat au sein d’une unité de réveil puis être
transférés au sein de l’unité de surveillance conti-
nue. Que pensez-vous de cette alternative ?
Pr Fabiani : Personnellement, je ne vois pas bien
l’intérêt de placer le patient dans un premier temps
dans une salle de réveil, puis dans une unité de
surveillance continue.Autant le placer directement
dans l’unité de soins intensifs. Les patients que l’on
opère aujourd’hui sont relativement âgés (70 ans en
moyenne dans mon service) et sont particulièrement
susceptibles de faire des complications. Même avec
le fast-track, ils nécessitent une surveillance d’au
moins 24-48 heures.
PHAR : Pour un service de chirurgie cardiaque, à quel
niveau se situe le seuil minimal annuel d’activités pour
justifier le maintien de l’activité de chirurgie car-
diaque (nombre de patients par an, nombre de CEC et
de cœur battant) ?
Pr Fabiani : Il semble qu’un service de chirurgie
cardiaque digne de ce nom devrait opérer 600
a chirurgie cardiaque est une spécialité pour laquelle
un décret spécifique est attendu pour préciser les condi-
tions de fonctionnement des services, en chirurgie et en
réanimation. Selon le projet de décret, le problème de la spé-
cificité de la réanimation dédiée à la chirurgie cardiaque et la
responsabilité des lits correspondants est posé.
Nous avons demandé leurs points de vue respectifs sur ce sujet
au Pr Jean-Noël Fabiani, chef du service de chirurgien cardiaque
et vasculaire à l’hôpital Européen Georges Pompidou (Paris) et
au Pr Claude Meistelman, chef du service d’anesthésie-réani-
mation de l’hôpital Brabois (Vandœvre les Nancy).
L
A qui « appartiennent » les lits de
réanimation dédiés à la chirurgie
cardiaque ?
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patients par an, même si ce chiffre n’est pas atteint
par certaines équipes tout à fait compétentes. Il ne
s’agit pas non plus d’être drastique et de vouloir
l’imposer immédiatement. Il faut laisser le temps
aux équipes de s’organiser et de trouver par
exemple, les moyens d’associer plusieurs sites dans
une même ville. Sans doute existe-t-il aujourd’hui
un peu trop de centres de chirurgie cardiaque. De
même, 150 CEC par chirurgien et par an semble
également un seuil minimal d’activités.
PHAR : En connaissant ce seuil minimal d’activités
par chirurgien, il est donc possible d’établir une
activité prévisionnelle annuelle d’ouverture de salles
d’opération. L’avènement de la T2A impose une
gestion plus stricte des ressources humaines et des
moyens logistiques. Intégrez-vous désormais ces
nouvelles donnes de fonctionnement ?
Pr Fabiani : La T2A va modifier en profondeur
notre manière de concevoir notre activité, en la
rendant plus économe. Il faut dire que jusqu’à
présent, le système était plutôt inflationniste,
puisque la prime était à celui qui réalisait le plus
d’actes, sans que des critères d’efficacité puissent
être pris en compte. La T2A va nous obliger, pour
un groupe homogène de patients, à faire un certain
nombre d’actes précisément définis pour une durée
d’hospitalisation déterminée. Aussi, les chefs de
service seront contraints de raisonner en termes
économiques et de contrôler en permanence,
particulièrement la durée moyenne de séjour. On
sait bien qu’aujourd’hui un patient peut rester
hospitalisé dans un service de chirurgie cardiaque
plusieurs jours voire une semaine au-delà de la
durée nécessaire, parce que l’on attend le rendez-
vous dans un centre de convalescence. Il s’agit là
d’une perte considérable en termes de T2A puisque
l’on aurait pu entre-temps faire entrer un patient.
PHAR : Dans le cadre de la T2A, votre service de chi-
rurgie cardiaque a-t-il contractualisé avec l’admi-
nistration pour un volume donné d’activités de chi-
rurgie cardiaque ?
Pr Fabiani : J’ai contractualisé depuis mon projet de
service avec un but en termes de nombre de
patients opérés par an. Mais il s’agit d’un service de
chirurgie cardiovasculaire.Aussi parmi ces patients,
on va du cœur artificiel à la varice ! On a donc
essayé de déterminer, en pourcentage d’activités, le
nombre de transplantations, de valves, de coronai-
res…Et tous les ans,on regarde si l’on rentre dans
le cadre de ce que nous avions planifié. Et, grosso
modo, on respecte les buts que l’on s’était fixés.
PHAR : Les articles D 712-167, 168 et 171
définissent bien le lieu de la réanimation post-
opératoire du nouveau-né ou de l’enfant. Qu’en est-
il de votre pratique actuelle ?
Pr Fabiani : Personne ne discute le fait que les
nouveau-nés et les nourrissons soient traités dans
des lieux spécifiques par des réanimateurs
spécialisés ayant une compétence pédiatrique. En
revanche la chirurgie cardiaque de grands enfants
ne nécessite pas une réanimation différente de celle
des adultes. Dans mon service, cette catégorie de
patients représente environ 150 malades par an. Je
pense qu’il faudra modifier un peu le décret afin
qu’il précise que la réanimation pédiatrique ne
concerne que les nouveau-nés et les nourrissons.
PHAR : Avec les seuils d’activité minimale tant sur
le plan chirurgical que médical, il est donc possible
de dimensionner les équipes médicales et
paramédicales pour un service et les blocs
opératoires. Avez-vous effectué une telle démarche ?
Pr Fabiani : Il faut de toute manière 2 chirurgiens
au minimum,car on ne peut pas être de garde tous
les jours. Ensuite, il faut distinguer les centres
universitaires et les autres. En effet, les centres
universitaires ont comme principale mission de
former les chirurgiens de demain.Aussi, pour
chaque intervention,il y a d’une part un chirurgien
senior, un assistant chef de clinique et un interne
et d’autre part un anesthésiste et une infirmière
anesthésiste.
Par ailleurs, on a besoin d’une infirmière
instrumentiste et d’une infirmière panseuse dans
chaque salle d’opération, mais également d’un
perfusionniste (médecin ou technicien), voire d’un
électro-encéphalographiste. Mais l’on manque de
personnel paramédical ce qui limite l’activité.Ainsi,
par manque d’infirmières anesthésistes, tous les
matins, depuis 4 ans, l’un des blocs opératoires de
mon service est fermé*.
PHAR : Selon vous où se situent les principaux
problèmes dans les relations entre anesthésistes-
réanimateurs et chirurgiens cardiaques ?
Pr Fabiani : Je pense que certains anesthésistes-
réanimateurs, pour des raisons dogmatiques,
voudraient que tout ce qui porte le nom de
réanimation ou de soins post-opératoires, soient
sous la direction de services d’anesthésie. Si l’on
travaille en bonne entente, les motifs de conflit
disparaissent et l’on trouve toujours de solutions
consensuelles aux problèmes médicaux ou
d’organisation. Mais les décrets ont pour objectif
de prévoir les situations conflictuelles.Ainsi, les
chirurgiens doivent pouvoir gérer les flux des
patients et pouvoir intervenir sur la gestion des lits
post-opératoires. Il n’est en effet pas possible que
l’activité de la chirurgie soit sous la dépendance des
flux commandés par d’autres praticiens qui n’ont
pas la même vision de l’activité du service de
chirurgie.
* Note de la rédaction : le volume de l’offre de soins proposé par cet
établissement a toujours été conforme aux besoins sanitaires de la population
INTERVIEW
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INTERVIEW DE CMEISTELMAN
PHAR : A quel service ou à quel pôle devraient
appartenir les unités de lits de réanimation dédiés
à la chirurgie cardiaque ?
Pr Meistelman : Ma réponse est simple et se situe
sur deux plans.Tout d’abord, je dirais que tout
secteur de soins, quel qu’il soit, appartient aux
personnes qui y travaillent, qui en ont la
compétence et surtout qui assurent la continuité
des soins. Aussi, dès lors qu’il s’agit d’un secteur
de réanimation, ce sont les anesthésistes-
réanimateurs qui en ont naturellement la
responsabilité.
Il faut préciser cependant que dans certains
services de chirurgie cardiaque, des chirurgiens
assurent encore des gardes.Cela pourra-t-il encore
durer longtemps suite à l’évolution technologique
de la réanimation ?
Sur un autre plan, je dirais que cette notion
d’appartenance des lits est totalement « ringarde ».
Car, à partir du moment où l’on parle de pôles,
donc de mutualisation, les lits n’appartiennent ni à
des chirurgiens ni à des anesthésistes, ils
appartiennent à un établissement.
Je préfère que les lits de surveillance continue
soient situés au contact de l’unité de réanimation
dédiée à la chirurgie cardiaque plutôt qu’au sein
du service de chirurgie cardiaque pour améliorer
la prise en charge des patients en cas de problème.
A titre d’exemple,le centre anti-cancéreux de
Nancy que je dirige comporte une unité de soins
continus de 12 lits. Plus personne ne sait à qui
appartient cette unité. Car, même si l’on confie la
gestion du matériel et la formation du personnel
à des anesthésistes-réanimateurs, le bilan d’activité
s’inscrit dans celui de l’établissement sans qu’il
apparaisse sous la bannière anesthésie ou
réanimation.
En d’autres termes, la gestion des entrées et des
sorties, l’amélioration du turn-over des patients
est autant l’affaire des anesthésiste-réanimateurs
que des chirurgiens.
En un mot, les réanimations qui fonctionnent
correctement sont celles où il existe une gestion
commune anesthésistes-réanimateurs-chirurgiens
et quand aucune des deux équipes ne s’approprie
le fonctionnement de l’unité.
PHAR : Mais qui doit avoir la responsabilité de cette
unité de lits de réanimation dédiés à la chirurgie
cardiaque ?
Pr Meistelman : Le chirurgien et l’anesthésiste
sont également responsables.Si c’est l’anesthésiste-
réanimateur qui est défaillant, c’est lui qui est
responsable. Sinon, c’est le chirurgien. En d’autres
termes, la responsabilité est fonction de la
compétence de chacun et de chaque situation.
Les conflits apparaissent souvent lorsque la totalité
des soins et la continuité des soins est assurée pas
des anesthésistes-réanimateurs et qu’on ne leur
reconnaît aucune responsabilité. Est-il logique de
voir certains chirurgiens décider des programmes
d’investissement de réanimation sans en discuter
avec les anesthésistes-réanimateurs qui y
travaillent ? En effet, il faudrait privilégier
l’uniformisation des équipements lourds d’un
service d’anesthésie-réanimation.
PHAR : Avec les nouvelles techniques de fast-track
anesthésie les patients bénéficiant d’une chirurgie
cardiaque pourraient séjourner en post-opératoire
immédiat au sein d’une unité de réveil puis être
transférés au sein de l’unité de surveillance
continue. Que pensez-vous de cette alternative ?
Pr Meistelman : Pour ce qui est des unités de
réveil, le problème est résolu par le décret du 5
décembre 1994 : ils sont sous la responsabilité
exclusive du réanimateur.Pour ce qui est de l’unité
de surveillance continue, on revient au problème
précédent. Si ce sont des anesthésistes-
réanimateurs qui la gèrent, ils en assurent la
responsabilité. Si pour des raisons d’organisation,
ce sont des chirurgiens et des cardiologues, ce
seront eux qui l’assureront.
PHAR : L’article R 712-122 sous-entend que les
patients relevant de la chirurgie cardiaque et qui
présentent une défaillance multi-viscérale ne
régressant pas avec le rétablissement de la situation
cardiovasculaire devraient être transférés dans une
unité de réanimation médicale ou chirurgicale.
Cette initiative vous semble-t-elle fondée ?
Pr Meistelman : Si des chirurgiens veulent assumer
la responsabilité d’unités de soins continus pour
des patients qui ont une défaillance mono-
viscérale, cela ne pose pas de problème. Mais si
l’état du patient s’aggrave avec une défaillance
multi-viscérale, il paraît logique qu’ils soient pris
en charge par une unité de réanimation gérée par
des réanimateurs.
PHAR : Selon vous où se situent les principaux
problèmes dans les relations entre anesthésistes-
réanimateurs et chirurgiens cardiaques ?
Pr Meistelman : Je pense que, dans l’ensemble, les
anesthésistes ne posent pas de problème. Depuis
20 ans qu’ils exercent dans les services de chirurgie
cardiaque, ils n’ont montré aucune velléité
d’appropriation des lits. Certains chirurgiens
cardiaques ont peut-être peur de perdre la
propriété des lits, ne serait-ce que cela gouverne
en partie le nombre de lits privés…
Propos recueillis par GérardGertner
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