INTERVIEW A qui « appartiennent » les lits de réanimation dédiés à la chirurgie cardiaque ? a chirurgie cardiaque est une spécialité pour laquelle un décret spécifique est attendu pour préciser les conditions de fonctionnement des services, en chirurgie et en réanimation. Selon le projet de décret, le problème de la spécificité de la réanimation dédiée à la chirurgie cardiaque et la responsabilité des lits correspondants est posé. Nous avons demandé leurs points de vue respectifs sur ce sujet au Pr Jean-Noël Fabiani, chef du service de chirurgien cardiaque et vasculaire à l’hôpital Européen Georges Pompidou (Paris) et au Pr Claude Meistelman, chef du service d’anesthésie-réanimation de l’hôpital Brabois (Vandœvre les Nancy). L INTERVIEW DE J-N FABIANI PHAR : A quel service ou à quel pôle devraient appartenir les unités de lits de réanimation dédiés à la chirurgie cardiaque ? Pr Fabiani : Le décret semble vouloir différencier les lits de réanimation et des lits dits de surveillance continue que l’on devrait plutôt appeler lits de soins intensifs de chirurgie cardiaque. Autrement dit, il faut distinguer les lits de soins intensifs pour des malades qui vont récupérer sans complications en 2 ou 3 jours et des lits de réanimation pour des patients qui ont une défaillance multiviscérale ou ceux qui ont besoin d’une assistance circulatoire ou encore les transplantés pulmonaires. Je pense que tous les chirurgiens cardiaques de France seront d’accord pour dire que les lits de soins intensifs doivent appartenir au service de chirurgie cardiaque, éventuellement sous la forme d’une unité fonctionnelle, éventuellement partagée avec les anesthésistes-réanimateurs. Quant aux lits de réanimation, ils doivent être sous la responsabilité d’un réanimateur médical ou d’un anesthésisteréanimateur chirurgical. Ce décret permet de résoudre un problème majeur de responsabilité médicale. En effet, le patient est confié au chirurgien. Si les lits de post-chirurgie étaient confiés à d’autres que le chirurgien, ce dernier échapperait à sa responsabilité.Ainsi, pour prendre un exemple classique : un patient saigne, est-ce biologique ou chirurgical, faut-il réintervenir ou non ? Le débat peut exister, mais il est nécessaire que ce soit celui à qui l’on a confié le patient qui tranche en dernier ressort car c’est lui qui est investi de la responsabilité médicale du patient. En revanche, en cas de défaillance multiviscérale, on confie le patient au réanimateur. On prévient alors la famille en lui expliquant que le patient nécessite, du fait de son état, une réanimation spécialisée. Cela permet d’éviter de se renvoyer mutuellement les responsabilités d’une éventuelle complication. PHAR : Avec les nouvelles techniques de fast track anesthésie, les patients bénéficiant d’une chirurgie cardiaque pourraient séjourner en post-opératoire immédiat au sein d’une unité de réveil puis être transférés au sein de l’unité de surveillance continue. Que pensez-vous de cette alternative ? Pr Fabiani : Personnellement, je ne vois pas bien l’intérêt de placer le patient dans un premier temps dans une salle de réveil, puis dans une unité de surveillance continue. Autant le placer directement dans l’unité de soins intensifs. Les patients que l’on opère aujourd’hui sont relativement âgés (70 ans en moyenne dans mon service) et sont particulièrement susceptibles de faire des complications. Même avec le fast-track, ils nécessitent une surveillance d’au moins 24-48 heures. PHAR : Pour un service de chirurgie cardiaque, à quel niveau se situe le seuil minimal annuel d’activités pour justifier le maintien de l’activité de chirurgie cardiaque (nombre de patients par an, nombre de CEC et de cœur battant) ? Pr Fabiani : Il semble qu’un service de chirurgie cardiaque digne de ce nom devrait opérer 600 23 INTERVIEW patients par an, même si ce chiffre n’est pas atteint par certaines équipes tout à fait compétentes. Il ne s’agit pas non plus d’être drastique et de vouloir l’imposer immédiatement. Il faut laisser le temps aux équipes de s’organiser et de trouver par exemple, les moyens d’associer plusieurs sites dans une même ville. Sans doute existe-t-il aujourd’hui un peu trop de centres de chirurgie cardiaque. De même, 150 CEC par chirurgien et par an semble également un seuil minimal d’activités. nouveau-nés et les nourrissons soient traités dans des lieux spécifiques par des réanimateurs spécialisés ayant une compétence pédiatrique. En revanche la chirurgie cardiaque de grands enfants ne nécessite pas une réanimation différente de celle des adultes. Dans mon service, cette catégorie de patients représente environ 150 malades par an. Je pense qu’il faudra modifier un peu le décret afin qu’il précise que la réanimation pédiatrique ne concerne que les nouveau-nés et les nourrissons. PHAR : En connaissant ce seuil minimal d’activités par chirurgien, il est donc possible d’établir une activité prévisionnelle annuelle d’ouverture de salles d’opération. L’avènement de la T2A impose une gestion plus stricte des ressources humaines et des moyens logistiques. Intégrez-vous désormais ces nouvelles donnes de fonctionnement ? PHAR : Avec les seuils d’activité minimale tant sur le plan chirurgical que médical, il est donc possible de dimensionner les équipes médicales et paramédicales pour un service et les blocs opératoires. Avez-vous effectué une telle démarche ? Pr Fabiani : La T2A va modifier en profondeur notre manière de concevoir notre activité, en la rendant plus économe. Il faut dire que jusqu’à présent, le système était plutôt inflationniste, puisque la prime était à celui qui réalisait le plus d’actes, sans que des critères d’efficacité puissent être pris en compte. La T2A va nous obliger, pour un groupe homogène de patients, à faire un certain nombre d’actes précisément définis pour une durée d’hospitalisation déterminée. Aussi, les chefs de service seront contraints de raisonner en termes économiques et de contrôler en permanence, particulièrement la durée moyenne de séjour. On sait bien qu’aujourd’hui un patient peut rester hospitalisé dans un service de chirurgie cardiaque plusieurs jours voire une semaine au-delà de la durée nécessaire, parce que l’on attend le rendezvous dans un centre de convalescence. Il s’agit là d’une perte considérable en termes de T2A puisque l’on aurait pu entre-temps faire entrer un patient. PHAR : Dans le cadre de la T2A, votre service de chirurgie cardiaque a-t-il contractualisé avec l’administration pour un volume donné d’activités de chirurgie cardiaque ? Pr Fabiani : J’ai contractualisé depuis mon projet de service avec un but en termes de nombre de patients opérés par an. Mais il s’agit d’un service de chirurgie cardiovasculaire.Aussi parmi ces patients, on va du cœur artificiel à la varice ! On a donc essayé de déterminer, en pourcentage d’activités, le nombre de transplantations, de valves, de coronaires…Et tous les ans, on regarde si l’on rentre dans le cadre de ce que nous avions planifié. Et, grosso modo, on respecte les buts que l’on s’était fixés. 24 PHAR : Les ar ticles D 712-167, 168 et 171 définissent bien le lieu de la réanimation postopératoire du nouveau-né ou de l’enfant. Qu’en estil de votre pratique actuelle ? Pr Fabiani : Personne ne discute le fait que les Pr Fabiani : Il faut de toute manière 2 chirurgiens au minimum, car on ne peut pas être de garde tous les jours. Ensuite, il faut distinguer les centres universitaires et les autres. En effet, les centres universitaires ont comme principale mission de former les chirurgiens de demain. Aussi, pour chaque intervention, il y a d’une part un chirurgien senior, un assistant chef de clinique et un interne et d’autre part un anesthésiste et une infirmière anesthésiste. Par ailleurs, on a besoin d’une infirmière instrumentiste et d’une infirmière panseuse dans chaque salle d’opération, mais également d’un perfusionniste (médecin ou technicien), voire d’un électro-encéphalographiste. Mais l’on manque de personnel paramédical ce qui limite l’activité.Ainsi, par manque d’infirmières anesthésistes, tous les matins, depuis 4 ans, l’un des blocs opératoires de mon service est fermé*. PHAR : Selon vous où se situent les principaux problèmes dans les relations entre anesthésistesréanimateurs et chirurgiens cardiaques ? Pr Fabiani : Je pense que certains anesthésistesréanimateurs, pour des raisons dogmatiques, voudraient que tout ce qui por te le nom de réanimation ou de soins post-opératoires, soient sous la direction de services d’anesthésie. Si l’on travaille en bonne entente, les motifs de conflit disparaissent et l’on trouve toujours de solutions consensuelles aux problèmes médicaux ou d’organisation. Mais les décrets ont pour objectif de prévoir les situations conflictuelles. Ainsi, les chirurgiens doivent pouvoir gérer les flux des patients et pouvoir intervenir sur la gestion des lits post-opératoires. Il n’est en effet pas possible que l’activité de la chirurgie soit sous la dépendance des flux commandés par d’autres praticiens qui n’ont pas la même vision de l’activité du service de chirurgie. * Note de la rédaction : le volume de l’offre de soins proposé par cet établissement a toujours été conforme aux besoins sanitaires de la population INTERVIEW INTERVIEW DE C MEISTELMAN PHAR : A quel service ou à quel pôle devraient appartenir les unités de lits de réanimation dédiés à la chirurgie cardiaque ? Pr Meistelman : Ma réponse est simple et se situe sur deux plans. Tout d’abord, je dirais que tout secteur de soins, quel qu’il soit, appartient aux personnes qui y travaillent, qui en ont la compétence et surtout qui assurent la continuité des soins. Aussi, dès lors qu’il s’agit d’un secteur de réanimation, ce sont les anesthésistesréanimateurs qui en ont naturellement la responsabilité. Il faut préciser cependant que dans certains services de chirurgie cardiaque, des chirurgiens assurent encore des gardes. Cela pourra-t-il encore durer longtemps suite à l’évolution technologique de la réanimation ? Sur un autre plan, je dirais que cette notion d’appartenance des lits est totalement « ringarde ». Car, à partir du moment où l’on parle de pôles, donc de mutualisation, les lits n’appartiennent ni à des chirurgiens ni à des anesthésistes, ils appartiennent à un établissement. Je préfère que les lits de surveillance continue soient situés au contact de l’unité de réanimation dédiée à la chirurgie cardiaque plutôt qu’au sein du service de chirurgie cardiaque pour améliorer la prise en charge des patients en cas de problème. A titre d’exemple, le centre anti-cancéreux de Nancy que je dirige comporte une unité de soins continus de 12 lits. Plus personne ne sait à qui appartient cette unité. Car, même si l’on confie la gestion du matériel et la formation du personnel à des anesthésistes-réanimateurs, le bilan d’activité s’inscrit dans celui de l’établissement sans qu’il apparaisse sous la bannière anesthésie ou réanimation. En d’autres termes, la gestion des entrées et des sorties, l’amélioration du turn-over des patients est autant l’affaire des anesthésiste-réanimateurs que des chirurgiens. En un mot, les réanimations qui fonctionnent correctement sont celles où il existe une gestion commune anesthésistes-réanimateurs-chirurgiens et quand aucune des deux équipes ne s’approprie le fonctionnement de l’unité. PHAR : Mais qui doit avoir la responsabilité de cette unité de lits de réanimation dédiés à la chirurgie cardiaque ? Pr Meistelman : Le chirurgien et l’anesthésiste sont également responsables. Si c’est l’anesthésisteréanimateur qui est défaillant, c’est lui qui est responsable. Sinon, c’est le chirurgien. En d’autres termes, la responsabilité est fonction de la compétence de chacun et de chaque situation. Les conflits apparaissent souvent lorsque la totalité des soins et la continuité des soins est assurée pas des anesthésistes-réanimateurs et qu’on ne leur reconnaît aucune responsabilité. Est-il logique de voir certains chirurgiens décider des programmes d’investissement de réanimation sans en discuter avec les anesthésistes-réanimateurs qui y travaillent ? En effet, il faudrait privilégier l’uniformisation des équipements lourds d’un service d’anesthésie-réanimation. PHAR : Avec les nouvelles techniques de fast-track anesthésie les patients bénéficiant d’une chirurgie cardiaque pourraient séjourner en post-opératoire immédiat au sein d’une unité de réveil puis être transférés au sein de l’unité de surveillance continue. Que pensez-vous de cette alternative ? Pr Meistelman : Pour ce qui est des unités de réveil, le problème est résolu par le décret du 5 décembre 1994 : ils sont sous la responsabilité exclusive du réanimateur. Pour ce qui est de l’unité de surveillance continue, on revient au problème précédent. Si ce sont des anesthésistesréanimateurs qui la gèrent, ils en assurent la responsabilité. Si pour des raisons d’organisation, ce sont des chirurgiens et des cardiologues, ce seront eux qui l’assureront. PHAR : L’article R 712-122 sous-entend que les patients relevant de la chirurgie cardiaque et qui présentent une défaillance multi-viscérale ne régressant pas avec le rétablissement de la situation cardiovasculaire devraient être transférés dans une unité de réanimation médicale ou chirurgicale. Cette initiative vous semble-t-elle fondée ? Pr Meistelman : Si des chirurgiens veulent assumer la responsabilité d’unités de soins continus pour des patients qui ont une défaillance monoviscérale, cela ne pose pas de problème. Mais si l’état du patient s’aggrave avec une défaillance multi-viscérale, il paraît logique qu’ils soient pris en charge par une unité de réanimation gérée par des réanimateurs. PHAR : Selon vous où se situent les principaux problèmes dans les relations entre anesthésistesréanimateurs et chirurgiens cardiaques ? Pr Meistelman : Je pense que, dans l’ensemble, les anesthésistes ne posent pas de problème. Depuis 20 ans qu’ils exercent dans les services de chirurgie cardiaque , ils n’ont montré aucune velléité d’appropriation des lits. Certains chirurgiens cardiaques ont peut-être peur de perdre la propriété des lits, ne serait-ce que cela gouverne en partie le nombre de lits privés… Propos recueillis par Gérard Gertner 25