INTERVIEW Les IBODE : un statut, une fonction à revaloriser près les derniers décrets parus, les infirmières de bloc opératoire ont de bonnes raisons de se sentir dévalorisées. En effet, les textes mettent sur le même plan, au niveau des aides opératoires, les infirmières diplomées d’état salariées et des aides opératoires bénévoles sans formation, dès lors qu’elles réussissent une épreuve de vérification des connaissances. Nous avons demandé à Charline Depooter, présidente de l’UNAIBODE (Union Nationale des Associations d’Infirmiers(ères) de Bloc Opératoire Diplomés(ées) d’Etat) de nous donner un aperçu des problèmes que rencontre la profession. A PHAR : Au cours de ces années, votre profession a organisé un mouvement pour revendiquer des améliorations de votre fonction IBODE. Quelles en étaient les raisons ? 6 Charline Depooter : Il faut dire quelques mots d’historique. En 1993, un décret (1) réserve les activités au sein du bloc opératoire en tant que panseur, aide ou instrumentiste aux Infirmiers DE. Puis, en 1999, la loi CMU (2) met en place une procédure de reconnaissance des aides-opératoires et aides-instrumentistes non IDE, dont l’article 38 précise les conditions : « personnels exerçant cette activité professionnelle depuis une durée égale à 6 ans avant le 28 juillet 1999 et ayant satisfait, avant le 31 décembre 2002, à des épreuves de vérifications des connaissances ». La loi avait pour objectif de maintenir l’emploi de personnes dont la seule qualification était celle d’aide-opératoire, exerçant cette activité depuis de nombreuses années. Il s’agissait en quelque sorte d’apurer définitivement une situation correspondant à un vide juridique. D’ailleurs, cette loi a permis, après l’examen, à 2 500 personnes d’obtenir un statut officiel. Mais le nouveau Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale apporte des modifications. C’est ainsi que la possibilité d’acquérir la qualification d’aide-opératoire est prolongée et concerne désormais « les personnels exerçant cette activité professionnelle à titre bénévole ou salariée et ayant satisfait, avant le 31 décembre 2005, à des vérifications des connaissances ». Là, le scandale du procédé apparaît au grand jour. A l’évidence, certains chirurgiens veulent préserver à tout prix et le plus longtemps possible « le statut » de leur épouse aide-opératoire bénévole, situation classique dans un grand nombre de cliniques. On dénombrait environ 3 000 aides bénévoles, selon leurs propres estimations. Cela signifie que la très grande majorité d’entre elles ont déjà vu leur statut entériné. Au-delà, on est clairement dans l’abus. On a écrit à tous les députés, mais de là à être entendues… U NE MEILLEURE FORMATION , SANS REVALORISATION PHAR : Où en êtes-vous actuellement, tant sur le plan statutaire que salarial ? Charline Depooter : Sur le plan statutaire, on a obtenu depuis le 11 février 2002 (3), sur le plan du classement indiciaire, que toutes les IBODE passent en classe supérieure, alors que seulement 30 % d’entre elles pouvaient l’ atteindre. Mais le salaire a été très peu revalorisé. PHAR : Par ailleurs, la durée de la formation d’IBODE a été rallongée. Charline Depooter : Certes, la réforme des études a modifié leur durée qui est passée de 10 à 18 mois. Il s’agit là d’une bonne mesure. La formation se voit plus complète. Mais cela a eu pour conséquence que celles qui sont sorties de la 1ère promotion de cette nouvelle formule se sont retrouvées avec pratiquement le même salaire que les IDE, parce que la revalorisation faite précédemment, était trop modeste. Cela n’a pas manqué de poser quelques problèmes. PHAR : Actuellement, quelles sont les motivations qui poussent une IDE à suivre la formation d’IBODE ? Charline Depooter : En fait, le processus est généralement le suivant : les IDE qui travaillent au bloc opératoire et qui sont intéressés demandent spontanément à approfondir leur métier et deviennent naturellement des IBODE en faisant la formation. En fait, il est très rare, en dehors des services de chirurgie, que des IDE qui n’ont pas l’expérience du bloc, aient envie se former pour devenir IBODE. Il reste que l’on a du mal à remplir les écoles et plusieurs agréments ont été supprimés par manque d’effectifs. En effet, du fait du manque de personnel, peu d’IDE obtiennent l’autorisation de se former pour devenir INTERVIEW toire ? IBODE. Ce n’est donc pas la motivation qui manque, mais les possibilités techniques. PHAR : Dans certaines régions, les établissements publics de santé ont du mal à recruter du personnel IBODE ( APHP par exemple). Quelles seraient les mesures à prendre pour entraîner une meilleure attractivité de ces postes ? Charline Depooter : Il faudrait déjà que le métier d’infirmière soit attractif. Et ce n’est pas évident. En autorisant des aides-opératoires à faire des soins infirmiers par exemple, on ne contribue pas à valoriser la profession. Quant aux IBODE, il faudrait qu’après une formation de 18 mois, la différence de salaire soit significative si l’on veut rendre cette profession attractive. Mais il faut aussi que nous fassions davantage connaître notre métier et que l’on aille, par exemple, dans les instituts de formation en soins infirmiers présenter notre métier. PHAR : Les hôpitaux se lancent, pour certains, dans une réflexion sur l’organisation du fonctionnement des blocs opératoires. Il existe des zones de pertes de charges et des dysfonctionnements. De votre côté, en tant qu’IBODE, quelles sont les critiques organisationnelles que vous portez ? Quelles sont les mesures que vous proposez pour pallier ces dysfonctionnements ? Charline Depooter : Je pense, que l’organisation d’une journée opératoire fait intervenir de nombreux acteurs : chirurgiens, anesthésistes, cadres infirmiers. Chacun fait valoir ses besoins ou ses impératifs. Quand il existe une bonne entente, c’est parfait. Mais, on assiste souvent à une bataille de pouvoir stérile et néfaste. Il me paraîtrait utile que soit désigné un responsable qui tranche et qui soit le référent dans l’organisation, le Cadre par exemple. IBODE, FUTURS ASSISTANTS DE CHIRURGIE ? PHAR : Devant la pénurie de chirurgiens, votre profession milite-t-elle pour un transfert de tâches. Les IBODE ne pourraient-elles pas remplacer les chirurgiens pour certaines séquences du temps opéra- Charline Depooter : Déjà, notre formation comporte des éléments qui permettraient de réduire le temps opératoire des chirurgiens : l’installation du patient, la préparation de la paroi, la pose des champs… Ce sont des gestes qui sont censés être effectués en présence du chirurgien. Mais si l’on avait une prescription ou des protocoles définis, nous pourrions les effectuer indépendamment de lui. Le chirurgien pourrait arriver pour la première incision. Ensuite, après l’intervention, nous pourrions fermer la peau. De même, sur prescription, il devrait nous être possible de faire des plâtres et même d’effectuer certaines sutures aux urgences. Dans un autre domaine, je pense que l’on pourrait faire gagner du temps aux chirurgiens dans les consultations pré-opératoires en donnant toutes les explications aux patients sur ce qu’il doit faire et savoir avant d’entrer au bloc opératoire (information, hygiène...). PHAR : Dans certains pays, les IBODE sont formées à une fonction particulière comme la suture de vaisseaux, ce qui permettrait d’accélérer le temps opératoire. Qu’en pensez-vous ? Charline Depooter : Je pense qu’avec une formation supplémentaire, nous pourrions effectuer d’autres gestes tels que l’ablation de matériel ou la suture de vaisseaux. Mais ce n’est pas à l’ordre du jour. A ce propos, nous avons organisé un groupe de travail dirigé par le Pr Kreitman, qui a rédigé un rapport proposant la création d’un nouveau métier, celui d’assistant de chirurgie tel qu’il existe aux Etats-Unis ou au Canada. Cela serait une manière de pallier au bloc le manque d’internes. Ce rapport a été présenté au ministre de la santé dont on attend la réponse. Certains chirurgiens y sont très favorables. PHAR : Pour la formation initiale tant IDE qu’IBODE, faut-il, comme dans certains pays anglo-saxons, que cette formation se fasse au sein d’une université de santé ? Un projet d’un tronc commun de 2 années en vue d’un DEUG de santé pour accéder à une formation universitaire en soins infirmiers vous semble-t-il pertinent ? Charline Depooter : Non seulement une telle formation serait utile, mais de plus un diplôme universitaire contribuerait certainement à la reconnaissance de notre profession. Propos recueillis par le Dr Gérard Gertner (1) Décret d’actes infirmiers n°93-345 du 16 mars 1993 (2) Loi n°99-641 du 27 juillet 1999 portant création d’une couverture maladie universelle (3) Décret n°2001-1378 du 31 décembre 2001 7