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We Are Four Lions
Author : Sébastien Chapuys
Date : 7 décembre 2010
Peut-on rire de tout ? Oui, mais pas avec n’importe qui, répondait l’humoriste Pierre
Desproges dans une formule restée célèbre. La question ne sera donc pas « peut-on rire du
terrorisme » (la réponse serait « oui, on peut » [1] – et même : « oui, on doit »), mais : « peuton rire du terrorisme avec Chris Morris, le réalisateur de We Are Four Lions » ? Et là, la
réponse est non, vraiment, on ne peut pas. Et pas seulement parce que son film n’est
jamais drôle.
Omar et ses amis sont britanniques, mais ils se considèrent avant tout comme des musulmans. Ils
exècrent l’Occident et se rêvent en martyrs de leur foi. Ils tentent de rejoindre les moudjahidines
en Afghanistan, mais leur abyssale bêtise les rend totalement inaptes à la lutte armée. Ils décident
alors d’organiser un attentat-suicide pendant le grand marathon de Londres.
Au Royaume-Uni, l’acteur et humoriste Chris Morris a été rendu célèbre par ses faux journaux
télévisés (The Day Today, Brass Eye) qui poussaient parfois la satire jusqu’aux limites du mauvais
goût. Il se lance aujourd’hui dans le cinéma, à la suite de ses collègues et compatriotes Sacha
Baron Cohen (Borat, Brüno) et Armando Iannucci (In the Loop) [2]. We Are Four Lions est pourtant
bien loin d’être aussi divertissant et incisif que les œuvres brillantes qui l’ont précédé.
Déjà, le film de Chris Morris n’est jamais drôle – pour une comédie, c’est gênant. Malgré ses
quatre coscénaristes, le film manque terriblement d’idées : l’humiliation permanente de ses
« héros » pitoyables et débiles constitue le seul ressort comique. On chercherait en vain le
nonsense, l’esprit mordant et la politesse du désespoir caractéristiques de l’humour anglais ; We
Are Four Lions évoque plutôt certaines séries Z des années 1970, dont il semble l’improbable
descendant. Son titre anglais aurait tout aussi bien pu être traduit en français par La 7ème
Compagnie chez les djihadistes ou Les sous-doués fabriquent une bombe artisanale. L’absence
totale de mise en scène (image agressivement laide, zooms et décadrages intempestifs) n’aide
pas à rattraper ce désastre.
Mais ce qui rend cette pantalonnade vraiment sinistre, c’est son affligeante inconséquence. Il
pourrait sembler salutaire de ridiculiser des extrémistes, mais – comme pour la fameuse affaire des
caricatures de Mahomet, à laquelle on ne peut s’empêcher de penser – le (très relatif) courage du
geste est désamorcé par l’épaisseur du trait, et par la grossièreté d’intentions qui flirtent avec
l’islamophobie. À part dresser le portrait d’une poignée de musulmans aliénés jusqu’à l’absurde,
Morris ne fait rien du thème complexe et sensible qu’il a choisi de tourner en dérision. Partant du
postulat (discutable) que « dans le terrorisme, la bêtise dépasse l’idéologie » [3], il transforme sa
bande d’apprentis djihadistes en crétins plus grotesques que dangereux, les privant au passage
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de toute vraisemblance psychologique ou sociale – Omar, le plus malin des « Lions », vit ainsi dans
un bel et lumineux appartement pourvu de tout le confort moderne, et traite en égale son épouse
mutine et insouciante dont l’absence de hijab permet d’admirer un sourire de publicité pour
dentifrice.
Bien sûr, on ne s’attendait pas à ce que We Are Four Lions renouvelle l’exploit du subtil Paradise
Now en replaçant l’acte terroriste dans son contexte politique et idéologique : les deux films ne
travaillent évidemment pas dans la même catégorie. Mais à force de ne jamais interroger le réel,
de ne pas évoquer (même pour s’en moquer) l’idéologie du « choc des civilisations », l’hystérie
sécuritaire ou l’horreur des attentats, et de concentrer toutes ses attaques sur une cible
particulièrement facile, ce film qui voudrait tant railler la « bêtise » finit par se réduire à un attentat
ricanant contre l’intelligence.
Notes
1. [1] We Are Four Lions n’est pas le premier film qui explique « comment il a appris à ne
plus s’en faire et à aimer la bombe » (artisanale) : avant lui, la pochade américaine Harold
et Kumar s’évadent de Guantanamo et quelques scènes du sympathique American Dreamz
s’attachaient déjà à rire du terrorisme.
2. [2] Morris et Iannucci ont d’ailleurs travaillé ensemble sur The Day Today, et deux des
coscénaristes de We Are Four Lions ont participé à l’écriture de Brüno et d’In the Loop.
3. [3] Extrait du dossier de presse du film.
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