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Phèdre : Le monstre marin (vers 1031 à 1049)
Les spectateurs du film Alien le savent, le monstre n'est jamais aussi effrayant que durant ces longues minutes
d'attente où l'on ne connaît pas encore ses traits. C'est pourquoi Sénèque, en dramaturge consommé, choisit
d'évoquer d'abord le fantastique enfantement de la créature venue des eaux : Inhorruit concussus undarum globus,
solvitque sese : « La masse des eaux se hérissa, secouée et se brisa. » L'emploi du verbe inhorreo est intéressant
dans la mesure où il évoque de manière concrète le gonflement des eaux et, plus abstraitement, l'horreur qui saisit
les témoins de la scène. Le messager confirme ce sentiment un peu plus loin - ce sera la seule évocation directe de
la terreur générale - Os quassat tremor : « Un tremblement nous secoue les os. » C'est déjà la colère de Poséidon
qui s'empare des corps : n'est-il pas le dieu qui ébranle (quasso) ?
Fils des eaux, le monstre est poussé par elles. et litori invexit malum majus timore : « [la masse des eaux] apporta au
rivage un fléau plus grand qu'on eût craint. » Tout reste encore très abstrait et empreint d'une horreur vague qui se
concentre sur les substantifs malum et timore, dans un passage reparuable par le jeu des nasales et les allitérations
en « i ».
Par ses dimensions
Le monstre épique n'est pas n'importe quel monstre : il doit impressionner par ses dimensions. Qu'on se souvienne
du Cyclope peint par Virgile dans L'Enéide, monstrum horrendum, informe, ingens, cui lumen ademptum : « c'est un
monstre effrayant, difforme, gigantesque, aveugle ». Le messager témoigne de l'horrible fascination de l'être qui se
dresse devant lui, prélude à une description plus poussée : Quis habitus ille corporis vast+ fuit ! « Ah ! Ce qu'était
l'aspect de son vaste corps ! » L' adjectif vasti, qui magnifie le monstre, joue un rôle important dans ce
grandissement épique, de même que sublimis plus loin, de même que altam devant jubam au vers 1037. Au vers
1045, l'expression longum latus, éclatée aux deux extrémités du vers, dépeint une nouvelle fois un être hors norme.
par sa puissance
Mais il ne suffit pas d'être grand pour effrayer. Il faut aussi témoigner d'une irrésistible force. La musculature du
taureau est mise en valeur dans le passage Opima cervix arduos tollit toros : « Sa nuque opulente forme une haute
saillie de muscles ». Le jeu de mots entre taurus, le taureau et torus, le muscle, crée une équivalence entre l'un et
l'autre : le taureau, c'est du muscle pur... Pour des Romains habitués aux spectacles du cirque, la colère du monstre
a quelque chose de familier : nrsque hiulc+s haustibus patulæ fremunt. « et ses larges naseaux frémissent de
profondes inspirations ». On remarquera comment le groupe hiulc+s haustibus est mis en valeur par le jeu des
voyelles et pas sa position entre les mots naresque et patulae, qui se rapportent l'un à l'autre.
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Conclusion
Fidèle au recommandations d'Horace [3], et inspiré par l'exemple d'Euripide, Sénèque a fait le choix de raconter
plutôt que de représenter : « Ne mets pas sur la scène ce qui doit se passer dans la coulisse, et soustrais aux
regards certains faits, que viendra raconter un témoin oculaire. Ce n'est pas devant le public que Médée doit
massacrer ses enfants, l'exécrable Atrée faire cuire les membres de ses fils, Procné se changer en oiseau, Cadmus
en dragon. Je n'ajoute aucune foi à de tels spectacles et je ne les admets pas. [4] » C'est donc le double talent du
dramaturge et du comédien qui doivent compenser cette difficulté. Ici, Sénèque a su ménager avec habileté ses
effets, en dévoilant progressivement les traits d'un monstre qui doit doit tout à sa repoussante hybridité. C'est
d'ailleurs ce qui fait l'originalité de cette évocation, qui se concentre sur la fascination qui pétrifie les compagnons
d'Hippolyte terrorisés.
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