Dossier
Pourquoi un « cœur d’athlète » ?
François Carré
Unité de biologie et médecine du sport, hôpital Pontchaillou, 2 rue Le Guillou, 35033 Rennes cedex 09
Mots clés :cœur d’athlète, consommation d’oxygène
L’entraînement physique améliore les adaptations cardiovascu-
laires à l’exercice. Des effets bénéfiques objectifs sont observés
dès qu’une activité physique régulière est réalisée à raison de 3
séances hebdomadaires de 30 à 45 minutes avec une intensité
d’effort comprise entre 60 et 80 % de la consommation maximale d’oxygène.
Pour cette intensité de pratique, on observe en règle générale une diminution de
l’activité sympathique basale et une augmentation de la sensibilité des récep-
teurs adrénergiques cardiaques et vasculaires. Ainsi au niveau cardiaque, le
remplissage diastolique et la vidange systolique sont améliorés ce qui se traduit
par une bradycardie et un volume d’éjection systolique augmenté au repos.
Le syndrome du cœur d’athlète qui regroupe des signes cliniques, électrocardio-
graphiques et morphologiques peut s’observer chez des sportifs de haut niveau
d’entraînement (6-10 heures par semaine) surtout spécialisés dans les discipli-
nes aérobies (« endurance »). Ces adaptations, quantitatives et fonctionnelles,
aux contraintes de l’entraînement ne sont pas pathologiques. Au contraire, nous
allons voir qu’elles jouent un rôle majeur dans les performances physiques
extraordinaires de ces sportifs.
La consommation maximale d’oxygène
Pour vivre, l’homme doit utiliser de l’oxygène. La pratique d’un exercice
musculaire induit une élévation de la consommation d’oxygène (VO
2
) dans
laquelle les adaptations cardiovasculaires jouent un rôle majeur comme le
montre l’équation de Fick [VO
2
= DC x D (a-v) O
2
avec DC = débit cardiaque
et D (a-v) O
2
= différence artérioveineuse en oxygène]. Le système cardiovas-
culaire assure ainsi l’apport d’O
2
aux muscles actifs en augmentant le débit
sanguin et en facilitant son transport par vasodilatation et redistribution [1].
La VO
2
d’un sujet augmente linéairement avec l’intensité de l’exercice jusqu’à
un certain niveau de puissance, appelée puissance maximale aérobie, au-delà de
laquelle elle plafonne (figure 1). C’est la VO
2
max. qui correspond par défini-
tion aux valeurs maximales individuelles du DC et de la D (a-v) O
2
.LaVO
2
max. s’exprime en litres par minute et après rapport au poids en ml/min/kg ce
qui permet de comparer les sujets entre eux. À niveau d’entraînement égal, la
VO
2
max. diminue avec l’âge (0,5-1 ml/min/kg par année) et est toujours plus
faible chez les femmes (tableau 1).
Après un entraînement suffisamment intense, en particulier de type aérobie, la
VO
2
max. augmente en moyenne de 20-30 %, mais il existe des variations
Correspondance et tirés à part :
F. Carré
Sang Thrombose Vaisseaux 2006 ;
18, n° 2 : 71-6
STV, vol. 18, n° 2, février 2006 71
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individuelles liées pour une grande part au capital généti-
que [1]. Cette amélioration est liée à des adaptations cardio-
vasculaires et musculaires.
Cette VO
2
max. est un des facteurs principaux de la perfor-
mance pour les exercices de durée prolongée (supérieure à
4-5 minutes). Ainsi la VO
2
max. d’un sujet, donc sa puis-
sance maximale aérobie, est d’autant plus élevée que ses
aptitudes aérobies sont importantes (figure 1).
La VO
2
max. dépend de facteurs centraux, composantes du
débit cardiaque, et périphériques, vasculaires et musculaires [1].
Entraînement physique
et facteurs centraux de la VO
2
max
Le débit cardiaque
Le DC (l/min) est égal au produit de la fréquence cardiaque
(FC, bpm) par le volume d’éjection systolique (VES, ml). Il
augmente avec l’intensité de l’effort et plafonne lorsqu’il
est maximal (figure 2). À un 1 litre/min de VO
2
correspon-
dent environ 5 litres/min de DC [2].
Le débit cardiaque maximal est nettement augmenté par
l’entraînement intense [1].Ainsi, sa valeur qui est comprise
entre 20 et 25 l/min chez un sédentaire peut atteindre 35 à
40 l/min chez un sujet très entraîné (figure 2). Cette amélio-
ration majeure s’explique par les adaptations morphologi-
ques et fonctionnelles du système cardiovasculaire et de ses
systèmes de régulation (figure 3).
Les adaptations myocardiques morphologiques de l’athlète
sont bien explorées par l’échocardiographie transthoracique.
Elles sont caractérisées par une hypertrophie-dilatation mo-
dérée des cavités cardiaques associées à des fonctions de
remplissage et de vidange ventriculaires de repos normales
ou supranormales. La masse ventriculaire gauche calculée de
l’athlète est corrélée positivement et significativement à la
consommation maximale d’oxygène (figure 4
). Les modifi-
cations morphologiques myocardiques ne suffisent pas à
expliquer les différences de niveau de VO
2
max. observées
en fonction de la discipline (tableau 1,figure 4)etdes
adaptations fonctionnelles myocardiques et périphériques
jouent aussi un rôle important.
Les adaptations fonctionnelles myocardiques du sportif
peuvent être décrites en particulier par l’échocardiographie
d’effort. Par contre, leurs mécanismes intimes sont, on le
conçoit aisément, plus difficiles à explorer chez l’Homme
et reposent surtout sur des données expérimentales avec les
limites classiques en particulier d’extrapolation que cela
suppose.
La fréquence cardiaque
L’entraînement en particulier de type aérobie diminue la
fréquence cardiaque (FC) de repos sans modifier significa-
tivement la FC maximale [1] ; il augmente donc la FC de
réserve (FC maximale - FC repos). La bradycardie de repos
du sportif est décrite de longue date, pourtant sa physiopa-
thologie reste discutée. Elle est probablement multifacto-
rielle, secondaire aux adaptations du système nerveux auto-
nome, hyposympathicotonie et hyperparasympathicotonie,
et aux modifications électrophysiologiques intrinsèques du
nœud sinusal. La pente d’accroissement de la FC en fonc-
tion de l’intensité de l’exercice est de plus diminuée
(figure 5). Ainsi, lors d’un exercice sous-maximal, le myo-
12 16
VO2
(l/min)
2
5
0,35
3,5
350
VMA
repos
100 150 250 300200
Watts
Km/h
141086
PMA PMA
VMA
Sédentaire
Entraîné
Figure 1.Schéma de l’évolution de la consommation d’oxygène
(VO
2
) en fonction de l’intensité d’exercice (Watts ou Km/h) chez
deux adultes de 20 ans, l’un sédentaire et l’autre entraîné. La
consommation maximale d’oxygène correspond au plateau de
VO
2
. L’intensité d’exercice correspondante est la puissance maxi-
male aérobie (PMA, sur ergocycle) ou vitesse maximale aérobie
(VMA, sur tapis roulant).
Tableau 1.Exemples de quelques valeurs
de consommation maximale d'oxygène
en fonction du sexe, du niveau d'entraînement
et de la discipline sportive. CAP = course à pied
Discipline Homme Femme
(ml/min/kg) (ml/min/kg)
Sédentaire 40 35
Marathon 75 65
Cyclisme (route) 80 65
Football 60 ---
Rugby 55-60 ---
CAP sprint 50 45
Haltérophilie 45-50 ---
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carde du sportif utilise préférentiellement son volume
d’éjection systolique et épargne sa fréquence cardiaque
pour les intensités d’effort les plus élevées [2].
Le volume d’éjection systolique
Le volume d’éjection systolique (VES) dépend de nom-
breux facteurs intrinsèques et extrinsèques au myocarde
(figure 3), l’entraînement peut plus ou moins moduler ces
différents facteurs [1, 2].
L’augmentation du volume télédiastolique (VTD, ml) à
l’exercice est due au retour veineux accru. La « pompe
musculaire », qui grâce à la compression des veines par les
masses musculaires actives favorise l’écoulement sanguin,
a un rôle important majoré par les effets des « pompes »
abdominale et ventilatoire. Par rapport au sédentaire, chez
le sportif, plusieurs éléments expliquent une majoration du
VTD (figure 6). D’une part, lors de l’entraînement en endu-
rance, des adaptations endocriniennes qui augmentent le
volume plasmatique de 20 % se mettent en place pour
30
20
0
10
25 50 75 100
40
DC
L/min
% VO2 max.
Sédentaire
Entraîné
Figure 2.Evolution du débit cardiaque (DC) en fonction de l’intensité de l’exercice (% VO
2
max.) et du niveau d’entraînement.
Débit cardiaque
Fréquence cardiaque Volume d’éjection systolique
Volume télédiastolique
Compliance Précharge Contractilité Postcharge
Volume télésystolique
SNA FC
intrinsèque
Figure 3.Les déterminants du débit cardiaque. SNA = système
nerveux autonome ; FC = fréquence cardiaque.
450
400
350
300
250
200
150
100
2 500 3 000 3 500 4 000 4 500 5 000 5 500 6 000 6 500
MVG (g)
VO2 max absolue (mL × min1)
spécialité : tumbling H
spécialité : canoë
spécialité : cyclisme
r = 0,71
p < 0,001
Figure 4.Relation entre la masse ventriculaire gauche (MVG)
mesurée par échocardiographie transthoracique de repos et la
consommation maximale d’oxygène (VO
2
max.) de sportifs de
différentes disciplines, anaérobie pure (tumbling), mixte à prédo-
minance anaérobie (canoë) et mixte à prédominance aérobie
(cyclisme). D’après des résultats personnels non publiés.
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FC
bpm
200
150
100
50
161210 14 Km/h2018
Sédentaire
Entraîné
Figure 5.Évolution de la fréquence cardiaque (FC) lors d’un exercice progressivement croissant sur tapis roulant en fonction du niveau
d’entraînement (adultes de 20 ans). Noter que la FC maximale n’est pas différente alors que la FC de repos est plus basse chez le sportif
et que sa pente d’accroissement est plus faible.
60
110
170
220
Repos 80 110 140 170
FC
bpm
VTD
ml
Sédentaire
Entraîné
Figure 6.Évolution schématique du volume télédiastolique (VTD) mesuré par échographie transthoracique lors d’un exercice dynamique
d’intensité croissante réalisé en position couchée. Comparaison entre un individu sédentaire et un individu entraîné, à fréquence
cardiaque (FC) identique. D’après Schairer et al., 1992.
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maintenir une thermorégulation adaptée à l’effort [3].
D’autre part, les adaptations morphologiques avec une dila-
tation modérée des cavités cardiaques (+ 10 % à + 20 %)
aident au meilleur remplissage diastolique. Enfin, des adap-
tations fonctionnelles jouent aussi un rôle. L’hypertrophie-
dilatation caractéristique du cœur d’athlète, à l’inverse des
hypertrophies secondaires à des causes pathologiques, est
équilibrée histologiquement. Elle est ainsi exempte de fi-
brose, cause majeure de restriction diastolique. De plus, la
fonction lusitrope est améliorée grâce à un recaptage calci-
que plus efficace et aux effets bénéfiques des adaptations de
la balance autonomique déjà citées. Pour des niveaux de FC
très élevés, le VTD ne peut plus augmenter à cause du
temps de remplissage raccourci et de la contrainte péricar-
dique (figure 6).
Le volume télédiastolique diminue avec l’intensité de
l’exercice. En effet, l’exercice musculaire augmente l’ino-
tropisme du myocarde sain (figure 7). Cette amélioration
de la vidange ventriculaire par rapport à celle du sédentaire
est multifactorielle. Des stimuli intrinsèques, comme la loi
de Frank-Starling en réponse au VTD augmenté et la rela-
tion FC/inotropisme, et extrinsèques comme l’influence du
sympathique et des catécholamines sont en cause. Chez
l’animal, une transitoire calcique plus efficace, une sensibi-
lité au calcium et aux catécholamines ainsi qu’une résis-
tance à l’acidose accrue des myofibrilles ont été décrites et
peuvent expliquer cet effet bénéfique. Ainsi, le VES du
sportif est supérieur à celui du sédentaire. Son évolution à
l’effort peut varier, elle peut être parallèle à celle du séden-
taire ou augmenter tout au long de l’exercice sans obtention
d’une phase de plateau (figure 8).
Entraînement physique
et facteurs périphériques de la VO
2
max
L’entraînement semble peu modifier les caractéristiques de
la balance circulatoire (répartition du volume sanguin) à
l’exercice en fonction des organes et seul le débit rénal
paraît moins diminué à l’effort après entraînement.
Après entraînement physique, la D (a-v) O
2
maximale
(ml 0
2
/100 ml sang) est améliorée d’environ 20 % grâce à
une baisse de la concentration veineuse en O
2
alors que le
taux d’hémoglobine et la concentration artérielle en O
2
ne
sont pas augmentés [1]. La baisse de la concentration
veineuse en O
2
est due aux augmentations de la capacité
oxydative mitochondriale et de l’interface mitochondrie/
capillaire musculaire.
Une hypervascularisation musculaire quantitative et fonc-
tionnelle est observée avec l’entraînement L’angiogenèse
est augmentée et la capacité de vasodilatation en particulier
endothéliale est accrue. Ainsi la post-charge est relative-
ment diminuée, ce qui facilite d’autant l’éjection systolique
(figure 3). L’apport en O
2
au muscle est aussi facilité par
20
35
50
65
Repos 80 110 140 170
FC
bpm
VTS
ml
Sédentaire
Entraîné
Figure 7.Évolution schématique du volume télésystolique (VTS) mesuré par échographie transthoracique lors d’un exercice musculaire
d’intensité croissante réalisé en position couchée. Comparaison entre un sujet sédentaire et un sujet entraîné, à fréquence cardiaque (FC)
identique. Noter que la pente de décroissance du VTS est plus nette chez le sportif. D’après Schairer et al., 1992.
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