Dossier Sang Thrombose Vaisseaux 2006 ; 18, n° 2 : 71-6 Pourquoi un « cœur d’athlète » ? François Carré Unité de biologie et médecine du sport, hôpital Pontchaillou, 2 rue Le Guillou, 35033 Rennes cedex 09 <[email protected]> Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 05/06/2017. Mots clés : cœur d’athlète, consommation d’oxygène L’ entraînement physique améliore les adaptations cardiovasculaires à l’exercice. Des effets bénéfiques objectifs sont observés dès qu’une activité physique régulière est réalisée à raison de 3 séances hebdomadaires de 30 à 45 minutes avec une intensité d’effort comprise entre 60 et 80 % de la consommation maximale d’oxygène. Pour cette intensité de pratique, on observe en règle générale une diminution de l’activité sympathique basale et une augmentation de la sensibilité des récepteurs adrénergiques cardiaques et vasculaires. Ainsi au niveau cardiaque, le remplissage diastolique et la vidange systolique sont améliorés ce qui se traduit par une bradycardie et un volume d’éjection systolique augmenté au repos. Le syndrome du cœur d’athlète qui regroupe des signes cliniques, électrocardiographiques et morphologiques peut s’observer chez des sportifs de haut niveau d’entraînement (6-10 heures par semaine) surtout spécialisés dans les disciplines aérobies (« endurance »). Ces adaptations, quantitatives et fonctionnelles, aux contraintes de l’entraînement ne sont pas pathologiques. Au contraire, nous allons voir qu’elles jouent un rôle majeur dans les performances physiques extraordinaires de ces sportifs. La consommation maximale d’oxygène Correspondance et tirés à part : F. Carré Pour vivre, l’homme doit utiliser de l’oxygène. La pratique d’un exercice musculaire induit une élévation de la consommation d’oxygène (VO2) dans laquelle les adaptations cardiovasculaires jouent un rôle majeur comme le montre l’équation de Fick [VO2 = DC x D (a-v) O2 avec DC = débit cardiaque et D (a-v) O2 = différence artérioveineuse en oxygène]. Le système cardiovasculaire assure ainsi l’apport d’O2 aux muscles actifs en augmentant le débit sanguin et en facilitant son transport par vasodilatation et redistribution [1]. La VO2 d’un sujet augmente linéairement avec l’intensité de l’exercice jusqu’à un certain niveau de puissance, appelée puissance maximale aérobie, au-delà de laquelle elle plafonne (figure 1). C’est la VO2 max. qui correspond par définition aux valeurs maximales individuelles du DC et de la D (a-v) O2. La VO2 max. s’exprime en litres par minute et après rapport au poids en ml/min/kg ce qui permet de comparer les sujets entre eux. À niveau d’entraînement égal, la VO2 max. diminue avec l’âge (0,5-1 ml/min/kg par année) et est toujours plus faible chez les femmes (tableau 1). Après un entraînement suffisamment intense, en particulier de type aérobie, la VO2 max. augmente en moyenne de 20-30 %, mais il existe des variations STV, vol. 18, n° 2, février 2006 71 Entraînement physique et facteurs centraux de la VO2 max VO2 (l/min) Sédentaire 5 Le débit cardiaque Entraîné 3,5 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 05/06/2017. 2 0,35 PMA PMA Watts repos 100 150 200 250 300 350 6 8 10 12 VMA 14 16 VMA Km/h Figure 1. Schéma de l’évolution de la consommation d’oxygène (VO2) en fonction de l’intensité d’exercice (Watts ou Km/h) chez deux adultes de 20 ans, l’un sédentaire et l’autre entraîné. La consommation maximale d’oxygène correspond au plateau de VO2. L’intensité d’exercice correspondante est la puissance maximale aérobie (PMA, sur ergocycle) ou vitesse maximale aérobie (VMA, sur tapis roulant). individuelles liées pour une grande part au capital génétique [1]. Cette amélioration est liée à des adaptations cardiovasculaires et musculaires. Cette VO2 max. est un des facteurs principaux de la performance pour les exercices de durée prolongée (supérieure à 4-5 minutes). Ainsi la VO2 max. d’un sujet, donc sa puissance maximale aérobie, est d’autant plus élevée que ses aptitudes aérobies sont importantes (figure 1). La VO2 max. dépend de facteurs centraux, composantes du débit cardiaque, et périphériques, vasculaires et musculaires [1]. Tableau 1. Exemples de quelques valeurs de consommation maximale d'oxygène en fonction du sexe, du niveau d'entraînement et de la discipline sportive. CAP = course à pied Discipline Sédentaire Marathon Cyclisme (route) Football Rugby CAP sprint Haltérophilie 72 Homme (ml/min/kg) Femme (ml/min/kg) 40 75 80 60 55-60 50 45-50 35 65 65 ----45 --- Le DC (l/min) est égal au produit de la fréquence cardiaque (FC, bpm) par le volume d’éjection systolique (VES, ml). Il augmente avec l’intensité de l’effort et plafonne lorsqu’il est maximal (figure 2). À un 1 litre/min de VO2 correspondent environ 5 litres/min de DC [2]. Le débit cardiaque maximal est nettement augmenté par l’entraînement intense [1]. Ainsi, sa valeur qui est comprise entre 20 et 25 l/min chez un sédentaire peut atteindre 35 à 40 l/min chez un sujet très entraîné (figure 2). Cette amélioration majeure s’explique par les adaptations morphologiques et fonctionnelles du système cardiovasculaire et de ses systèmes de régulation (figure 3). Les adaptations myocardiques morphologiques de l’athlète sont bien explorées par l’échocardiographie transthoracique. Elles sont caractérisées par une hypertrophie-dilatation modérée des cavités cardiaques associées à des fonctions de remplissage et de vidange ventriculaires de repos normales ou supranormales. La masse ventriculaire gauche calculée de l’athlète est corrélée positivement et significativement à la consommation maximale d’oxygène (figure 4). Les modifications morphologiques myocardiques ne suffisent pas à expliquer les différences de niveau de VO2 max. observées en fonction de la discipline (tableau 1, figure 4) et des adaptations fonctionnelles myocardiques et périphériques jouent aussi un rôle important. Les adaptations fonctionnelles myocardiques du sportif peuvent être décrites en particulier par l’échocardiographie d’effort. Par contre, leurs mécanismes intimes sont, on le conçoit aisément, plus difficiles à explorer chez l’Homme et reposent surtout sur des données expérimentales avec les limites classiques en particulier d’extrapolation que cela suppose. La fréquence cardiaque L’entraînement en particulier de type aérobie diminue la fréquence cardiaque (FC) de repos sans modifier significativement la FC maximale [1] ; il augmente donc la FC de réserve (FC maximale - FC repos). La bradycardie de repos du sportif est décrite de longue date, pourtant sa physiopathologie reste discutée. Elle est probablement multifactorielle, secondaire aux adaptations du système nerveux autonome, hyposympathicotonie et hyperparasympathicotonie, et aux modifications électrophysiologiques intrinsèques du nœud sinusal. La pente d’accroissement de la FC en fonction de l’intensité de l’exercice est de plus diminuée (figure 5). Ainsi, lors d’un exercice sous-maximal, le myo- STV, vol. 18, n° 2, février 2006 DC L/min 40 Sédentaire Entraîné 30 10 0 25 50 75 100 % VO2 max. Figure 2. Evolution du débit cardiaque (DC) en fonction de l’intensité de l’exercice (% VO2 max.) et du niveau d’entraînement. 450 Débit cardiaque r = 0,71 p < 0,001 400 350 Fréquence cardiaque SNA Volume d’éjection systolique FC Volume télédiastolique intrinsèque Volume télésystolique MVG (g) Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 05/06/2017. 20 300 spécialité : tumbling H spécialité : canoë spécialité : cyclisme 250 200 150 Compliance Précharge Contractilité Postcharge 100 2 500 3 000 3 500 4 000 4 500 5 000 5 500 6 000 6 500 Figure 3. Les déterminants du débit cardiaque. SNA = système nerveux autonome ; FC = fréquence cardiaque. carde du sportif utilise préférentiellement son volume d’éjection systolique et épargne sa fréquence cardiaque pour les intensités d’effort les plus élevées [2]. VO2 max absolue (mL × min−1) Figure 4. Relation entre la masse ventriculaire gauche (MVG) mesurée par échocardiographie transthoracique de repos et la consommation maximale d’oxygène (VO2 max.) de sportifs de différentes disciplines, anaérobie pure (tumbling), mixte à prédominance anaérobie (canoë) et mixte à prédominance aérobie (cyclisme). D’après des résultats personnels non publiés. Le volume d’éjection systolique Le volume d’éjection systolique (VES) dépend de nombreux facteurs intrinsèques et extrinsèques au myocarde (figure 3), l’entraînement peut plus ou moins moduler ces différents facteurs [1, 2]. L’augmentation du volume télédiastolique (VTD, ml) à l’exercice est due au retour veineux accru. La « pompe musculaire », qui grâce à la compression des veines par les masses musculaires actives favorise l’écoulement sanguin, a un rôle important majoré par les effets des « pompes » abdominale et ventilatoire. Par rapport au sédentaire, chez le sportif, plusieurs éléments expliquent une majoration du VTD (figure 6). D’une part, lors de l’entraînement en endurance, des adaptations endocriniennes qui augmentent le volume plasmatique de 20 % se mettent en place pour STV, vol. 18, n° 2, février 2006 73 FC bpm 200 Sédentaire Entraîné 150 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 05/06/2017. 100 50 10 12 14 16 18 20 Km/h Figure 5. Évolution de la fréquence cardiaque (FC) lors d’un exercice progressivement croissant sur tapis roulant en fonction du niveau d’entraînement (adultes de 20 ans). Noter que la FC maximale n’est pas différente alors que la FC de repos est plus basse chez le sportif et que sa pente d’accroissement est plus faible. VTD ml 220 Sédentaire Entraîné 170 110 60 Repos 80 110 140 170 FC bpm Figure 6. Évolution schématique du volume télédiastolique (VTD) mesuré par échographie transthoracique lors d’un exercice dynamique d’intensité croissante réalisé en position couchée. Comparaison entre un individu sédentaire et un individu entraîné, à fréquence cardiaque (FC) identique. D’après Schairer et al., 1992. 74 STV, vol. 18, n° 2, février 2006 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 05/06/2017. maintenir une thermorégulation adaptée à l’effort [3]. D’autre part, les adaptations morphologiques avec une dilatation modérée des cavités cardiaques (+ 10 % à + 20 %) aident au meilleur remplissage diastolique. Enfin, des adaptations fonctionnelles jouent aussi un rôle. L’hypertrophiedilatation caractéristique du cœur d’athlète, à l’inverse des hypertrophies secondaires à des causes pathologiques, est équilibrée histologiquement. Elle est ainsi exempte de fibrose, cause majeure de restriction diastolique. De plus, la fonction lusitrope est améliorée grâce à un recaptage calcique plus efficace et aux effets bénéfiques des adaptations de la balance autonomique déjà citées. Pour des niveaux de FC très élevés, le VTD ne peut plus augmenter à cause du temps de remplissage raccourci et de la contrainte péricardique (figure 6). Le volume télédiastolique diminue avec l’intensité de l’exercice. En effet, l’exercice musculaire augmente l’inotropisme du myocarde sain (figure 7). Cette amélioration de la vidange ventriculaire par rapport à celle du sédentaire est multifactorielle. Des stimuli intrinsèques, comme la loi de Frank-Starling en réponse au VTD augmenté et la relation FC/inotropisme, et extrinsèques comme l’influence du sympathique et des catécholamines sont en cause. Chez l’animal, une transitoire calcique plus efficace, une sensibilité au calcium et aux catécholamines ainsi qu’une résistance à l’acidose accrue des myofibrilles ont été décrites et peuvent expliquer cet effet bénéfique. Ainsi, le VES du sportif est supérieur à celui du sédentaire. Son évolution à l’effort peut varier, elle peut être parallèle à celle du sédentaire ou augmenter tout au long de l’exercice sans obtention d’une phase de plateau (figure 8). Entraînement physique et facteurs périphériques de la VO2 max L’entraînement semble peu modifier les caractéristiques de la balance circulatoire (répartition du volume sanguin) à l’exercice en fonction des organes et seul le débit rénal paraît moins diminué à l’effort après entraînement. Après entraînement physique, la D (a-v) O2 maximale (ml 02/100 ml sang) est améliorée d’environ 20 % grâce à une baisse de la concentration veineuse en O2 alors que le taux d’hémoglobine et la concentration artérielle en O2 ne sont pas augmentés [1]. La baisse de la concentration veineuse en O2 est due aux augmentations de la capacité oxydative mitochondriale et de l’interface mitochondrie/ capillaire musculaire. Une hypervascularisation musculaire quantitative et fonctionnelle est observée avec l’entraînement L’angiogenèse est augmentée et la capacité de vasodilatation en particulier endothéliale est accrue. Ainsi la post-charge est relativement diminuée, ce qui facilite d’autant l’éjection systolique (figure 3). L’apport en O2 au muscle est aussi facilité par VTS ml 65 Sédentaire Entraîné 50 35 20 Repos 80 110 140 170 FC bpm Figure 7. Évolution schématique du volume télésystolique (VTS) mesuré par échographie transthoracique lors d’un exercice musculaire d’intensité croissante réalisé en position couchée. Comparaison entre un sujet sédentaire et un sujet entraîné, à fréquence cardiaque (FC) identique. Noter que la pente de décroissance du VTS est plus nette chez le sportif. D’après Schairer et al., 1992. STV, vol. 18, n° 2, février 2006 75 VES ml 200 Sédentaire Entraîné Entraîné 160 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 05/06/2017. 120 80 40 25 50 75 100 % VO2 max. Figure 8. Différentes évolutions du volume d’éjection systolique (VES) à l’exercice dynamique progressivement croissant (% de consommation maximale d’oxygène, VO2 max.), réalisé en position assise. Deux types d’évolution sont décrits chez les athlètes (revue de la littérature d’après Schairer 1992, Gledhill 1994, Zhou et des résultats personnels non publiés). une capacité de filtration capillaire améliorée. Il existe d’ailleurs une relation positive linéaire entre la VO2 max et la conductance vasculaire maximale. L’effondrement des résistances périphériques explique la baisse majeure de la pression artérielle diastolique observée à l’effort chez les sportifs. D’où une augmentation de la différentielle chez ces sujets alors que les pentes d’élévation tensionnelle varient peu avec l’entraînement. Références 1. Saltin B. Hemodynamic adaptations to exercise. Am J Cardiol 1985 ; 55 : 42D-47D. 2. Higginbotham MB, Morris KG, Williams PA, Mc Hale PA, Coleman RE, Cobb FR. Regulation of stroke volume during submaximal and maximal upright exercise in normal man. Circ Res 1986 ; 58 : 281-91. Conclusion L’activité physique régulière induit des adaptations myocardiques et vasculaires. Ces adaptations sont essentiellement fonctionnelles en cas de pratique modérée. En cas d’entraînement intense, elles peuvent être aussi morphologiques. Dans tous les cas, elles sont bénéfiques et dans le 76 cadre du « cœur d’athlète », elles participent pour une grande part au niveau élevé de performance réalisé par ces sujets [4, 5]. ■ 3. Hofmann P, Pokan R, Von Duvillard SP, Seibert FJ, Zweiker R, Schmid P. Heart rate performance curve during cycle ergometer exercise in healthy young male subjects. Med Sci Sports Exerc 1997 ; 29 : 762-8. 4. Convertino VA. Blood volume : its adaptation to endurance training. Med Sci Sports Exerc 1991 ; 23 : 1338-48. 5. Lash J-M. Training-induced alterations in contractile function and excitation-contraction coupling in vascular smooth muscle. Med Sci Sports Exerc 1998 ; 30 : 60-6. STV, vol. 18, n° 2, février 2006