R. MASSÉ
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Santé publique
2012, volume 24, n° 1, pp.49-61
participation publique, de réciprocité (ex. :programmes de compensation
pour les victimes d’effets secondaires des vaccins) et d’imputabilité des
décideurs.
Àquelques variantes près, ce sont ces mêmes principes que l’on propose
comme guides pour l’action dans l’ensemble des publications de l’éthique
savante, tout champ de prévention confondus. L’expertise éthique mise alors
sur la reformulation et la redéfinition de ces outils conceptuels. La pertinence
d’une réflexion philosophique approfondie sur les valeurs fondamentales
que ces principes doivent refléter s’impose. Toutefois, l’expertise éthique
appliquée ne parle que très peu des mécanismes et des règles devant
gouverner l’inévitable travail de pondération et d’arbitrage de ces principes.
Le modèle théorique principiste, (y compris dans sa forme la plus achevée
développée depuis plus de vingt ans par Beauchamp et Childress [18]), a
proposé des pistes de réflexion permettant de «spécifier »ces principes et
d’en pondérer l’importance relative. Il s’agit alors d’en ajuster la formulation
pour tenir compte des conditions concrètes de chacune des interventions
concernées. Mais un travail théorique considérable reste àfaire pour donner
des assises solides àl’arbitrage des oppositions entre libertés individuelles
et bien commun, entre autonomie et responsabilité sociale, entre intérêts
individuels et justice sociale, ou encore pour concilier les diverses formes de
libéralisme moral et les variantes tout aussi nombreuses du communau-
tarisme moral. L’une des pistes de solution réside possiblement dans la
recherche d’un ancrage de ces principes, non plus dans les seules théories
éthiques, mais dans les valeurs fondamentales qu’une société donnée
souhaite voir respecter par les interventions de prévention. C’est de l’ouver-
ture àune expertise éthique profane qu’il s’agit, point sur lequel je reviendrai
plus loin.
Intégrer les professionnels de terrain dans l’identification
et l’analyse des enjeux éthiques
L’expertise éthique savante est généralement convoquée par les décideurs
via des comités d’éthique invités àproduire des «avis »sur l’acceptabilité
éthique de tel ou tel programme d’intervention. Ces comités, nationaux ou
internationaux, constituent les hauts lieux de l’expertise éthique savante. Ils
ont le mérite généralement de mettre en commun les points de vue d’experts
éthiciens, mais aussi d’une diversité d’experts des sciences sociales, de la
médecine, de la théologie et du droit. Cette pluridisciplinarité renforce, sans
aucun doute, la valeur de l’expertise. Toutefois, insidieusement, le recours
àdetels comités éthiques évacue du débat les professionnels qui, au
quotidien, conçoivent et implantent les programmes de prévention et de
promotion de la santé. Ceux qui ultimement, sur le terrain, dans institutions
de santé publique, les comités régionaux ou les associations, sont mandatés
pour définir les contenus et la forme des programmes d’intervention se
trouvent réduits àdesimples «experts techniques »exécutants. Pourtant,
plusieurs des enjeux éthiques soulevés par ces programmes résident non
seulement dans les finalités visées mais dans la priorisation des problèmes
de santé ciblés, la définition des populations cibles et l’identification des
comportements proscrits ou prescrits. L’identification des enjeux éthiques