Histoires de sincérité

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Histoires de sincérité
© L’Harmattan, 2010
5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com
[email protected]
[email protected]
ISBN : 978-2-296-13781-3
EAN : 9782296137813
Sous la direction de
Elsa Godart
Histoires de sincérité
Ouverture philosophique
Collection dirigée par Aline Caillet, Dominique Chateau,
Jean-Marc Lachaud et Bruno Péquignot
Une collection d'ouvrages qui se propose d'accueillir des
travaux originaux sans exclusive d'écoles ou de thématiques.
Il s'agit de favoriser la confrontation de recherches et des
réflexions qu'elles soient le fait de philosophes "professionnels" ou
non. On n'y confondra donc pas la philosophie avec une discipline
académique ; elle est réputée être le fait de tous ceux qu'habite la
passion de penser, qu'ils soient professeurs de philosophie,
spécialistes des sciences humaines, sociales ou naturelles, ou…
polisseurs de verres de lunettes astronomiques.
Dernières parutions
Hervé LE BAUT, Présence de Maurice Merleau-Ponty, 2010.
Auguste NSONSISSA, Transdisciplinarité et transversalité
épistémo-logiques chez Edgar Morin, 2010.
Stéphane KALLA, L’acte de la Perception, Pour une
métaphysique de l’espace, 2010.
Jules Bourque, L’humour et la philosophie. De Socrate à JeanBaptiste Botul, 2010.
Philippe RIVIALE, Heidegger, l’être en son impropriété, 2010.
Sylvain PORTIER, Fichte, philosophe du « Non-Moi », 2010.
Camilla BEVILACQUA, L’espace intermédiaire ou le rêve
cinématographique, 2010.
Djibril SAMB, Le Vocabulaire des philosophes africains, 2010.
Xavier ZUBIRI, Traité de la réalité, 2010.
Marly BULCÃO, Promenade Brésilienne dans la poétique de
Gaston Bachelard, 2010.
Martin MOSCHELL, Divertissement et consolation Essai sur la
société des spectateurs, 2010.
Sylvain TOUSSEUL, Les principes de la pensée. La philosophie
immanentale, 2010.
Raphaëlle BEAUDIN-FONTAINHA, L'éthique de Kropotkine,
2010.
Du même auteur
Existe-t-il une Europe philosophique ? sous. la dir. De N. Weill,
PUG, 2005.
Je veux donc je peux, Plon, 2007.
Au secours j’ai peur d’aimer (en collaboration avec M.-C. Grall),
Plon, 2007.
La sincérité, ce que l’on est, ce que l’on dit, Larousse, 2008.
Liquider mai 68 ? sous la dir. De M. Grimpret et de C. Delsol,
Presses de la Renaissance, 2008.
La relation à l’autre, sous la dir. de J. Nowicki, édition du Sandre,
2008.
L’Être-sincère, CNRS éditions, 2010.
Livres de poches
Je veux donc je peux, Pocket, 2009.
Au secours j’ai peur d’aimer (en collaboration avec M.-C.
Grall),Pocket, 2009.
A paraître
Philosophe au féminin, pensée et vie d’Edith Stein, Edition de
l’œuvre, 2011.
Ce qui dépend de moi, ce qui ne dépend pas de moi, Albin Michel,
2011.
À ma très chère Violaine G. dont l’amitié
témoigne sans cesse de l’élan de sincérité.
À la mémoire de mon très cher ami et maître,
Daniel Charles
Avertissement
L’intérêt de cet ouvrage collectif est de montrer qu’une grande
diversité de questionnements philosophiques (politique, esthétique,
morale, métaphysique…) peut être posée sous l’angle de la
sincérité. On dénoncera alors le manque d’intérêt que le corpus
philosophique a accordé à cette notion à travers une Petite histoire
de sincérité.
Il n’est pas question d’ériger une anthologie des textes ou
penseurs sur le sujet ; mais plutôt de mettre en évidence l’histoire
de la notion, de son émergence, de sa réalisation et de son
évolution.
Chaque auteur contemporain (enseignants, chercheurs au
CNRS, jeunes docteurs, etc.) commente librement un auteur
classique et met ainsi en lumière l’enjeu, le sens et l’importance de
la sincérité.
Introduction
Au début du XXe siècle on constate un regain d’intérêt pour la
question de la sincérité chez de nombreux intellectuels. On ne peut
que songer à Jean-Paul Sartre, l’un des plus importants penseurs
sur le sujet. Dans L’Être et le Néant1, il y consacre tout un chapitre
et en analyse certaines caractéristiques. Mais à la même époque, on
retrouve aussi Jacques Rivière dans De la sincérité envers soimême, André Gide et son Journal ou L’Immoraliste, Yvon Bélaval,
et Le Souci de sincérité2 jusqu’à Vladimir Jankélévitch qui va y
consacrer toute une année d’enseignement à la Sorbonne en 1966,
cours repris et publiés dans Les vertus et l’amour3 et dans
Philosophie morale4. Dès lors, on peut s’étonner de ce regain
d’intérêt pour la sincérité à cette époque. Qu’est-ce qui a pu
motiver ses auteurs à réfléchir sur cette notion ? Pourquoi semblet-elle soudainement devenir prépondérante ?
Pour répondre à cela, il nous faut revenir sur la définition de la
sincérité. Le terme fait son apparition à peu près vers le XIIIe
siècle. Deux origines latines sont privilégiées : d’une part la piste
classique5 qui est formée de sine cera, littéralement « sans cire », et
qui se dit à propos du miel sans cire, c’est-à-dire d’un nectar
« pur », « clair », « transparent » sans saleté ni autre matière
étrangère à lui-même. Ce qui, peu après est devenu synonyme de
transparence, d’authenticité.
1
Sartre, L’Être et le Néant, Gallimard, Paris, 1943. Chapitre II, « la mauvaise
foi », pp. 96-102.
2
Yvon Belaval, Le Souci de sincérité, Gallimard, Paris, 1944.
3
Vladimir Jankélévitch, Les Vertus et l’amour, Flammarion, Paris, 1986.
Consulter le chapitre III « La sincérité », p. 181 sqq.
4
Vladimir Jankélévitch, Philosophie morale, Flammarion, Paris, 1998. Consulter
le chapitre « Du mensonge », chap. 2, p. 280 sqq.
5
Celle qui est retenue par le Littré ainsi que par le dictionnaire général et
grammatical des dictionnaires français, Paris, Didier, 1852, en retenant la
définition de N. Landais : « du latin sincerus, formé de sine cera, sans cire qu’on
a dit d’abord du miel pur et ensuite par extension de tout ce qui est franc, sans art,
etc. ».
La seconde piste est celle plus originale qui fait référence aux
racines de « simplex » et de « cresco » comme a pu le souligner
Yves Avril6. « Simplex » établit ce qui « n’est pas mélangé » ou
encore « ce qui est naturel, non artificiel » et « cresco » renvoie à
l’idée de « naître, pousser » ou encore « s’élever ». Cela nous
conduit à la notion de surgissement, d’émanation ou encore de
jaillissement. Nous sommes alors très proche de l’idée de
« naissance ou encore de résurgence », donnant à ce terme une
dimension plus spirituelle, plus poétique, plus métaphysique et en
tout cas bien moins pragmatique. D’où l’intérêt de réunir ces deux
voies étymologiques afin d’en creuser le sens.
Dès lors, on ne peut plus se contenter d’une approche commune
de la sincérité qui l’assimilerait trop vite à la franchise, à la
véracité ou à la vérité. La sincérité se présente d’emblée comme un
miroir où il est question d’un jeu de transparence. Très vite, des
synonymes tels que authenticité, pureté, transparence semblent
être bien plus adéquats. Alors à nouveau on s’interroge : d’où vient
que la question de la sincérité ait resurgi au XXe siècle ? Il faut
alors comprendre qu’à la notion de sincérité est associée celle de
subjectivité. En effet, la première démarche pour être sincère est de
le vouloir. Si l’on ne fait pas le choix de la sincérité, alors on est
naturel, spontané ou encore peut-être naïf, mais en aucun cas
sincère. La sincérité nécessite donc un choix électif avec soimême. Or, cette ouverture nous plonge dans la question du sujet,
puisque seul le sujet conscient de lui-même et à l’écoute de son
intériorité est capable de faire un choix – et, de fait, de choisir ou
non d’être sincère.
Aussi, on comprend un peu mieux pourquoi cette interrogation
fut actualisée au XXe siècle, époque qui accorde à l’homme et à sa
subjectivité une place d’honneur. Pourtant la sincérité, comme
nous l’avons évoqué avec le rappel étymologique, n’est pas une
idée récente.
6
Yves Avril, Dictionnaire latin de poche, Librairie Générale Française, Paris,
2000. Ajoutons que ce sujet donna lieu à un débat entre Paul Ricoeur, Yves Avril
et nous-même lors d’un colloque à Saint-Pétersbourg en avril 2003. À ce propos,
un article fut publié par Yves Avril en septembre 2003 dans la revue Le Porche
n°12.
12
Par ces petites Histoires de sincérité, nous allons exposer
différentes formes de la notion par le biais de rappels historiques.
En effet, la sincérité, s’il s’agit d’un rapport de soi à soi, est
présente dans l’ensemble de l’histoire de la pensée et on en
retrouve la trace chez d’illustres auteurs.
Pour ce faire quatre périodes historiques ont marqué son
surgissement :
- L’Antiquité : Les Grecs s’intéressent essentiellement à
l’aléthéia (la vérité)7. La question du sujet n’est pas encore une
préoccupation. Et le sincère est synonyme de l’homme vrai comme
chez Aristote. Dans L’Éthique à Nicomaque, il use du terme
d’« avékastos »8, qualité qu’il situe entre la vantardise et la
réticence9. Ou encore le terme platonicien de « philaléthès » au
livre VI de La République10 qui représente cet homme apte à
recevoir une éducation philosophique. Nous sommes dans une
perspective éthique, bien plus que dans un véritable souci de
sincérité.
Mais l’on peut noter que les Stoïciens tentent une percée dans le
monde de l’intériorité. Nous pensons entre autres à Marc-Aurèle
qui, dans Pensées pour moi-même, y évoque l’âme comme un
« principe directeur », « un Dieu intérieur » ou encore « un génie »,
« un guide »11. Mais sa perspective s’inscrit davantage dans une
recherche éthique relative « au monde ordonné », dans lequel
s’inscrit toute chose et non dans une perspective psychologique qui
renverrait l’âme à elle-même.
- Le deuxième moment est celui du Moyen-Âge : Cette période
connaît l’avènement de l’intériorité. C’est l’époque de la chrétienté
7
Précisément, à cette époque, il ne peut y avoir de distinction entre morale et
éthique dans la mesure où la conscience réflexive n’a pas encore de réalité.
8
Avekastos est traduit par J. Burnet par « l’homme sincère, celui qui appelle
chaque chose par son nom ». Il est intéressant de constater ce à quoi est assimilé
la sincérité, comme « ce qui est appelle chaque chose par son nom », impliquant
que la sincérité ne serait pas autre chose qu’un rapport d’adéquation entre la chose
et l’appellation de cette dernière. Notons, para ailleurs que cette approche sera
aussi celle de la scolastique et des dialecticiens.
9
Aristote, L’Éthique à Nicomaque, Trad. Tricot, Vrin, Paris, 1992, IV, 7
10
Platon, La République, Œuvres complètes, vol. I, « La Pléiade », Gallimard,
Paris, 1950, (485a – 487a).
11
Marc-Aurèle, Pensées pour moi-même, Trad. Mario Meunier, Flammarion,
Paris, 1964, p. 27.
13
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de la nature, autrement dit du réel ; mais une métaphysique qui
transcende le réel et lui donne une profondeur totale, à l’image du
Créateur. Un peu plus loin, Le Senne poursuit : « De cet infini, il
fait une personne, triple comme doit l’être une conscience, Dieu.
Voilà donc la personnalité érigée en principe souverain du réel.
De cette personnalité absolue, non seulement dérive, à la manière
d’une émission crée par lui, le moi, à l’image de Dieu ; mais celuici peut en se faisant de plus en plus semblable au Christ,
incarnation humaine de Dieu, atteindre au salut éternel »15.
Pourrait-on concevoir à ce moment-là, l’émergence d’une véritable
« métaphysique de la sincérité ».
- Le troisième moment est celui de l’époque classique où le
subjectivisme fait clairement son apparition avec entre autres
Descartes. Une nouvelle pensée de la sincérité apparaît. Et alors
que Montaigne cherche à se peindre, Pascal lui répond que le « moi
est haïssable ».
- À ces trois moments de l’histoire de la pensée du moi va
succéder la modernité et la contemporanéité qui remanieront,
distingueront et construiront les différents aspects du moi et ce,
jusqu’à la phénoménologie, et par voie de conséquence, une
véritable philosophie de la sincérité va s’imposer.
Ainsi, analyser la question de la sincérité et la placer au centre
de toute démarche philosophique, nous conduira à penser de fait, la
question du sujet et son évolution. Nous avons convoqué pour cela
des textes classiques qui ont été confrontés à des auteurs
contemporains afin de montrer en quoi la sincérité est bien une
notion philosophique à part entière et qu’elle est d’une grande
importance, aujourd’hui plus que jamais.
L’ouvrage se termine par quelques littérateurs, dont la plume et
l’expérience qu’ils font de la nature humaine, sont un précieux
témoignage de l’avènement et de l’évolution de la sincérité.
Elsa Godart
que le contenu des écrits aristotéliciens réunis sous le titre de Métaphysique soit
vraiment une métaphysique ».
15
id., ibid.
15
I. SINCÉRITÉ ANTIQUE
1. Platon
Extrait du livre VI de la République de Platon (485a-487a)
Au sujet du naturel des philosophes, l’accord ait été fait entre nous
sur ce point, que toujours ils sont amoureux d’un savoir […] qu’ils
sont amoureux de cette réalité tout entière, et que nulle portion de
celle-ci, ni une petite, ni une plus grande, ni une plus précieuse, ni
une moins précieuse, ne soit par eux volontairement laissée de côté
[…].
Sur ce, donc, voici un caractère qui suit le précédent : examine s’il
est nécessaire que le possèdent, en plus dans leur naturel des
hommes qui devront être de la qualité de ceux dont nous parlions.
Quel est ce caractère ? C’est la véracité, c’est la volonté de se
refuser absolument à accueillir de bon gré le faux, à le haïr au
contraire, tandis qu’on chérit la vérité…
La sincérité de l’âme chez Platon
Jean-François Mattéi,
université de Nice Sophia Antipolis
Le terme français de sincérité, du latin sinceritas issu de
sincerus, « pur, sans mélange, intègre », évoque la franchise et
l’authenticité d’un témoignage comme la loyauté de la personne
qui parle de bonne foi et ne cherche pas à s’abuser ou à tromper
son interlocuteur. Il se situe à la convergence de deux termes grec,
d’une part haploûs, qui désigne aussi bien la simplicité ontologique
que la pureté morale ; d’autre part apseudès, qui implique l’idée de
sincérité et de véracité. Les deux termes se trouvent dans les
dialogues platoniciens pour illustrer à la fois la simplicité des
Formes et la pureté des âmes qui leur sont apparentées et qui
essaient de se rendre semblables à elles. Comment rester fidèle à la
vérité et à l’essence des Idées sans se montrer soi-même, dans les
discours que l’on tient ou les actes que l’on effectue, simple et
sincère ? L’ensemble de l’œuvre de Platon met ainsi aux prises la
vérité des Idées et la véracité des pensées qui refusent de
succomber à l’erreur comme de sacrifier à l’illusion.
Dans l’Hippias mineur, le sophiste dépeint à un moment
Achille comme « le plus simple et le plus sincère des hommes »,
aploustatos kaï aléthestatos (364e), à la différence d’Ulysse qui
serait double et trompeur. La comparaison ne manque pas de sel,
venant d’Hippias qui est un maître en matière de duplicité comme
tous les sophistes, et Socrate parviendra à démasquer Hippias. Le
même terme prend une dimension religieuse dans le Cratyle, grâce
à son jeu d’étymologie, lorsque Apollon, le dieu musicien et
purificateur, est nommé Apolouôn, parce que son art divinatoire, sa
vérité et sa « sincérité », haploûn, justifient le nom qu’on lui donne
en Thessalie (405 c ; cf. 406 a).
Le texte le plus précis sur la pureté morale grecque, dont la
notion de sincérité moderne est issue mais sans son arrière-fond
20
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