Introduction - Editions Larcier

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Introduction
La sincérité,
une exigence juridique en diffusion
Olivier Le Bot
Professeur à l’Université de Nice (CEDORE)
« Qu’est-ce que la sincérité ? Il est peu d’idées plus confuses », écrivait en
1944 Yvon Belaval 1. Ce constat, émis par un philosophe, peut sans aucun
doute être transposé aujourd’hui au domaine juridique, tant la sincérité y
paraît difficilement saisissable. Notion prolifique, notion en pleine expansion en droit positif, la sincérité demeure en effet nimbée d’un certain flou.
Pour esquisser un cadre général et ouvrir quelques pistes, cette introduction s’ouvrira, assez classiquement, par une définition.
I. Définition
Dans le langage courant, qu’entend-on par sincérité ?
Étymologiquement, l’expression « sincérité » nous vient du latin (d’époque
impériale) sinceritas, qui signifie « pureté » ou « intégrité », au propre et au
figuré. Il est un dérivé de sincerus (qui a donné le mot « sincère »), qui signifie « pur », « intact », « non fardé » ou encore « non corrompu » 2.
On retient de cette origine latine l’idée de pureté, d’intégrité.
Aujourd’hui, trois sens généraux reviennent dans les dictionnaires 3.
Dans un premier sens, la sincérité désigne la qualité de quelqu’un. On
parlera, en ce sens, de la sincérité d’une personne. La personne sincère est
celle qui ne cache pas ses pensées 4.
1Y. Belaval,
2
3
4
Le souci de sincérité, coll. La jeune philosophie, Paris, Gallimard, 1944, p. 7.
Comme l’explique Vincent Dussart dans sa contribution, les femmes se maquillaient à cette
époque avec de la cire (cerus). Celles qui répugnaient à le faire, pour rester pures, étaient
dites sans cire (sin-cerus).
Voy. notamment Le Larousse ou encore le Trésor de la langue française.
Ce premier sens sera synonyme de franchise, de loyauté.
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Présentation et cadre général
Dans un deuxième sens, la sincérité désigne le caractère de ce qui est
sincère, de ce qui est exprimé de façon sincère. On sort alors de la personne,
ce qu’elle est, pour s’intéresser à ce qu’elle exprime : ce qu’elle exprime par
des actes (une déclaration, une promesse) ou ce qu’elle exprime par un
comportement (un engagement politique, une amitié). On évoquera ainsi la
sincérité d’une déclaration, la sincérité d’une promesse ou encore la sincérité d’un engagement lorsque l’acte ou le comportement de la personne est
l’expression fidèle de ses sentiments réels 5.
Enfin, dans un troisième et dernier sens, la sincérité renvoie à l’authenticité, le caractère authentique de quelque chose. Quelque chose que les
personnes réalisent ou accomplissent individuellement (un document, par
exemple) ou collectivement (une élection). On parlera, par exemple, de la
sincérité d’un document ou de la sincérité d’une élection si son authenticité
n’a pas été altérée.
II. Deux objets
On le voit, à travers ces trois sens, la sincérité peut porter sur deux
objets. Elle a trait, soit à ce que la personne est (sens 1), soit à ce qu’elle
fait (sens 2 et 3).
La première dimension (la sincérité des personnes) ne se retrouve pas
dans le droit. Le législateur n’a pas imposé d’obligation de sincérité à la
charge des sujets de droit. Et fort heureusement, car une telle obligation,
à proprement parler intenable 6, serait en tout état de cause inopportune.
Nous sommes confrontés tous les jours au choix d’être sincères ou insincères. Assez souvent, nous faisons le choix de ne pas faire preuve de sincérité, pour ménager l’autre ou parce que l’on redoute sa réaction. Qu’adviendrait-il si nous étions obligés d’être sincères ? Nous nous priverions d’une
soupape, d’une échappatoire qui nous permet, de façon fort commode,
d’éviter un conflit. Pour ces raisons, l’homme envisagé abstraitement,
l’homo juridicus, n’est pas soumis à une obligation de sincérité.
L’homme situé, c’est-à-dire envisagé dans un contexte ou un rôle particulier (professionnel, familial ou autre) n’est pas davantage assujetti à
une telle obligation. Certes, on parle parfois de la sincérité du témoin ou
encore de la sincérité du contribuable. Mais il s’agit alors de raccourcis ou
de simplifications car, même dans ces cas de figure, l’accent en réalité n’est
pas mis sur la personne elle-même mais sur ce qu’elle fait : sur son témoi5
Pour une utilisation de cette nature du terme sincérité, voy. la phrase suivante, extraite des
Mémoires de guerre du Général de Gaulle (Paris, Éd. Plon, 1956) : « Sans mettre en doute la
sincérité des motifs qui inspiraient cet avis, je jugeai bon de ne pas le suivre » (p. 295).
6Imaginer les conséquences explosives qu’aurait une obligation d’être sincère dans les relations interindividuelles (au travail, dans les familles…).
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