
ECONOTE | N°29 – SEPTEMBRE 2015
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Le 8 avril dernier, la Suisse est devenue le premier pays
au monde à émettre de la dette à 10 ans à un taux
négatif. Le 17 avril, le Bund à 10 ans est tombé à
seulement 0,05 % et, à un moment donné, les
emprunts allemands de maturité allant jusqu’à huit ans
affichaient tous des rendements nominaux négatifs.
L’an passé, l’Espagne, la Suisse, l’Allemagne,
l’Autriche, la Finlande et la France ont placé de la dette
à court et moyen terme à un rendement négatif, ce qui
signifie que les investisseurs ont accepté de payer des
intérêts pour avoir le privilège de prêter à des États
considérés comme sûrs. Il s’agit là d’une situation tout
à fait extraordinaire : même pendant la dépression des
années 1930, les taux nominaux n’étaient pas passés
sous la barre des 0 %. Fait marquant, les rendements
obligataires des principaux pays européens ne sont
pas les seuls à toucher des points bas inédits : les
rendements d’autres grandes zones monétaires à
hauts revenus (États-Unis, Japon et Royaume-Uni) sont
également à des niveaux historiquement bas même si,
exception faite du Japon, ils ne sont pas tombés aussi
bas qu’au cœur de l’Europe.
Les inquiétudes se sont multipliées sur une possible
déconnexion des prix des obligations souveraines de
leurs fondamentaux économiques, notamment dans les
pays du cœur de la zone euro. Ces derniers mois sont
venus témoigner de la nervosité des investisseurs. Mi-
avril, le rendement du Bund allemand a flambé,
déclenchant de fortes turbulences sur les marchés
obligataires à travers le monde. Le niveau de volatilité a
été impressionnant : après avoir reculé à -0,115 % le
28 avril, le rendement du Bund à 5 ans est brièvement
remonté à +0,23 % à la mi-juin, traduisant des ventes
massives de titres. La correction obligataire
européenne a traversé l’Atlantique, la forte poussée
des rendements allemands ayant réduit l’attrait relatif
des bons du Trésor américain. Pourtant, les
rendements nominaux longs des pays les mieux notés,
qui se sont repliés depuis, continuent de flirter avec
leurs plus bas historiques. Aussi la question qui hante
les investisseurs est-elle de savoir ce qui se produira
demain. La réponse dépend de ce que l’on considère
comme la principale cause de la faiblesse des
rendements.
Pour certains observateurs, cette cause doit être
recherchée dans les mesures non conventionnelles des
banques centrales. Il est souvent avancé que les
politiques de taux zéro et les vastes programmes
d’achat d’obligations souveraines des banques
centrales ont créé une immense bulle obligataire vouée
à éclater lorsque ces mesures non conventionnelles
prendront fin, avec à la clé des pertes massives pour
les investisseurs. D’autres estiment que la faiblesse
actuelle des taux est, avant tout, le symptôme d’un
excès d’épargne à l’échelle mondiale. Pour eux, la
longue baisse des taux d’intérêt sur les deux dernières
décennies reflète principalement le recul du taux
d’intérêt d’équilibre (ou « taux naturel »), qui fait
coïncider épargne et investissement en situation de
plein emploi. Si cette hypothèse est correcte, cela
signifie que la faiblesse des taux d’intérêt (donc le prix
élevé des obligations) dans les grandes économies
avancées est pleinement justifiée par les fondamentaux
économiques sous-jacents, ce qui revient à dire qu’il
n’y a pas de bulle sur le marché des obligations de
qualité.
La présente étude reviendra tout d’abord sur les
principaux événements qui ont affecté les taux d’intérêt
nominaux longs au cours des dernières décennies.
Puis, sur cette base, elle arguera que, même si
plusieurs facteurs (à commencer par la résistance des
investisseurs à la baisse incessante des taux et leur
passage en territoire négatif) peuvent ponctuellement
provoquer la hausse des rendements obligataires
souverains, les fondamentaux économiques des
principaux pays avancés sont trop fragiles pour que les
rendements des titres sûrs renouent avec leurs niveaux
historiques dans un avenir proche. Les banques
centrales n’y sont pas considérées comme la principale
cause de la baisse des taux d’intérêt, mais sont plutôt
vues comme accommodant les tendances
économiques sous-jacentes responsables de la baisse
du taux d’intérêt d’équilibre, voire de son passage en