La vache, la haie et la chauve-souris : les acteurs d’un agroécosystème à bonne valeur écologique Document rédigé par : Vincent Manneville (Institut de l’Elevage), Aline Chanséaume (Institut de l’Elevage), Bernard Amiaud (Université de Lorraine) Avec l’appui du comité scientifique INDIBIO : Nadia Michel (Université de Lorraine), Laurence Guichard INRA Versailles, Antonin Pépin France Nature Environnement, Jean François Julien et Christian Kerbiriou du Muséum National d’Histoire Naturelle, Jean-Baptiste Dollé Institut de l'Elevage Source : C. Rolland, 2013 ; C. Henigfeld, 2014 ; Travaux CASDAR « INDIBIO » Recherche finalisée et innovation des instituts techniques agricoles 2011-2013 Identification et validation d’INDIcateurs pertinents relatifs aux pratiques agronomiques et aux infrastructures permettant d’évaluer la BIOdiversité dans les systèmes d’exploitation d’élevage et de polyculture-élevage de polyculture-élevage. Avec l’appui financier du Centre National Interprofessionnel de l'Economie Laitière (CNIEL) et l’interprofession Bétail et viande (INTERBEV) et du Ministère de l’Agriculture (DGER CasDar) Conception graphique : Annette Castres (Institut de l’Élevage) Mise en page : Valérie Terrisse (Institut de l’Élevage) Crédits photos : Institut de l’Élevage, Google Earth Edité par : Institut de l’élevage - 149 rue de Bercy 75595 Paris Cedex 12 - www.idele.fr Table des matières Préambule : La chauve-souris est une sentinelle de la valeur écologique de l’espace agricole ............. 2 1. INDIBIO, un projet de recherche innovant pour comprendre les facteurs qui régissent la richesse spécifique des chiroptères dans les zones à production d’herbivores. ............................................ 3 2. La chauve-souris, un mammifère remarquable, méconnu et sous protection réglementaire ....... 5 2.1 Le seul mammifère doté d’une capacité de vol avec des stratégies d’adaptations remarquables ....... 5 2.2 Convention et directives à l’échelle internationale pour protéger les chiroptères ............................... 6 2.3 En France, la loi sur la protection de la nature ...................................................................................... 6 3. La diversité des chiroptères : un bio-indicateur d’expression de l’état de santé écologique d’un milieu ................................................................................................................................................ 6 3.1 Un bio-indicateur pertinent, symbole de la biodiversité ordinaire. ....................................................... 6 3.2 Les chiroptères au service de l’homme pour une réciprocité pas toujours évidente ............................ 7 3.3 Cette biodiversité invisible aide de façon active l’agriculteur dans son acte de production. ................ 7 4. Une relation privilégiée avec l’espace agricole que l’élevage continue d’entretenir....................... 9 4.1 Les effets de pratiques agricoles sur la vitalité des communautés de chiroptères ............................... 9 4.2 Les effets de la structuration paysagère sur la diversité des chiroptères ............................................ 10 5. Les enseignements du programme INDIBIO sur la diversité des espèces de chauves-souris ........ 12 5.1 Les effets des systèmes de production sur la diversité des chiroptères selon les régions (zone climatique) ........................................................................................................................................... 12 5.2 Les modes d’exploitation de la prairie influence peu la diversité des espèces ................................... 13 5.3 Le rôle des infrastructures agro-écologiques....................................................................................... 16 Conclusion ............................................................................................................................................. 19 Annexes ......................................................................................................................................... 21 Références bibliographiques ......................................................................................................... 22 1 EFFETS DES PRATIQUES AGRICOLES ET DES INFRASTRUCTURES AGRO-ECOLOGIQUES SUR LA DIVERSITE DES CHIROPTERES Préambule : La chauve-souris est une sentinelle de la valeur écologique de l’espace agricole Les chauves-souris sont des mammifères peu connus, fragiles et pour certaines en voie de disparition. Bien que protégées dans les pays européens par des lois nationales ou européennes, les chauves-souris européennes sont en danger dans une grande partie de leur aire de distribution. De nombreuses causes de déclin ont été identifiées dont disparition et dégradation de leurs habitats de chasse, les pratiques agricoles qui utilisent des pesticides, et la destruction et perturbation de leurs gîtes de reproduction ou d’hibernation. Ainsi l’’intensité agricole et la dégradation du maillage écologique seraient fortement impliquées dans le déclin des populations de chauves-souris d’Europe. Or, il ne faut pas oublier le rôle essentiel de ces mammifères insectivores dans la régulation des ravageurs des cultures et leur potentiel en tant que bio-indicateurs de la qualité du milieu agricole. La diversité des espèces chauves-souris ont la capacité à s’adapter à des contextes de milieux variés. Par conséquent, les chiroptères se révèlent être des indicateurs pertinents de biodiversité en milieu agricole, de par leur diversité taxonomique et fonctionnelle, pour leur sensibilité à une vaste gamme de facteurs de stress environnementaux, pour leur grande mobilité sur plusieurs kilomètres. Ces caractéristiques font des chiroptères de bons témoins de la qualité de l’habitat et de la stabilité de l’écosystème par leur distribution et leur diversité (Jones, 2009). Sur les 1 232 espèces de chauves-souris, répertoriées dans le monde, environ 2/3 sont des insectivores strictes ou facultatives. Leur position en bout de chaine alimentaire en fait d’excellents indicateurs de la présence d’insectes ou de petits invertébrés. De nombreuses études ont déjà permis de mettre en évidence l’importance des éléments agroécologiques dans le paysage, notamment les haies (Verboom and Huitema 1997, Bellamy et al. 2013, Frey-Ehrenbold et al. 2013). Cependant, il reste à définir quelle est la part respective de l’influence des pratiques agricoles ou de la structuration des éléments agro-écologiques dans le paysage sur la diversité et l’abondance des chiroptères. On peut alors s’interroger sur les variables associées aux pratiques agricoles et aux infrastructures agro-écologiques (IAE) qui influencent le plus la diversité des chiroptères en prairies permanentes. Cette analyse s’intéresse aux effets des pratiques agricoles couplées au rôle joué par des éléments semi-naturels que sont les infrastructures agro-écologiques sur la diversité des chiroptères sur notre territoire. 2 EFFETS DES PRATIQUES AGRICOLES ET DES INFRASTRUCTURES AGRO-ECOLOGIQUES SUR LA DIVERSITE DES CHIROPTERES 1. INDIBIO, un projet de recherche innovant pour comprendre les facteurs qui régissent la richesse spécifique des chiroptères dans les zones à production d’herbivores. L’étude a été réalisée sur trois régions contrastées par leurs conditions pédoclimatiques, leur position géographique, des systèmes d’élevage et des paysages : la Lorraine/Champagne-Ardenne (climat semicontinental), la Basse-Normandie (climat océanique) et l’Auvergne (climat montagnard). Figure 1: Les chauveschauves-souris pour les espèces mobiles du programme INDIBIO Figure 2 : Territoires de l’étude Dans chacune des régions, les exploitations ont été choisies selon deux axes : l’intensité des pratiques agricoles appliquées sur la prairie permanente et l’importance des infrastructures agro-écologiques (IAE) sur leur territoire. Sur les 35 exploitations pilotes associées au programme INDIBIO : 11 exploitations sont localisées dans la Manche, 12 exploitations en Lorraine/Champagne-Ardenne et 12 en Auvergne. Le choix des fermes a été réalisé par les ingénieurs des réseaux d’élevage des Chambres d’Agriculture de la Manche, du Puy-de-Dôme, de la Haute-Marne et des Vosges. Les systèmes d’exploitation retenus ont été choisis pour obtenir des conduites différenciées de la surface en herbe. En effet, la gestion de l'herbe en bovins lait est différente de celle des allaitants. Tableau 1 : Récapitulatif des systèmes d’exploitation d’élevage suivis dans le programme INDIBIO selon la zone climatique. Bovins lait Bovins Herbe lait Maïs Auvergne 3 3 Normandie 2 3 Champagne Ardennes 3 3 Vosges Bovins allaitants Naisseur 3 3 3 Bovins allaitants Engraisseur 3 3 3 Total 12 11 12 3 EFFETS DES PRATIQUES AGRICOLES ET DES INFRASTRUCTURES AGRO-ECOLOGIQUES SUR LA DIVERSITE DES CHIROPTERES Les parcelles ont été échantillonnées selon des modalités d’exploitation de la prairie permanente combinées avec des zones à forte ou faible densité d’IAE avec au total 5 parcelles retenues dans le programme INDIBIO dont 3 parcelles utilisées pour les relevés de chiroptères (Figure 3) : deux parcelles avec densité infrastructure agro-écologique (IAE) élevée : une parcelle à faible intensité d’utilisation dite extensive : P1 et une parcelle à forte intensité d’utilisation dite intensive : P2 o une parcelle avec densité infrastructure agro-écologique limitée (IAE) et à forte intensité d’utilisation dite intensive : PP4 o Figure 3 : Mode d’échantillonnage des parcelles de prairie permanente Paysage (IAE) + - - P1 P2 P3 P4 Pratiques agricoles + Le programme INDIBIO a ciblé deux périodes favorables pour faire l’inventaire des espèces de chauvessouris pour la mise au point des comptages. Ces inventaires ont ainsi été opérés en juin-juillet (période de mise-bas et d’élevage des jeunes pour les chauves-souris) et en août-septembre (période de sevrage et d’apprentissage des jeunes à la capture et de début des accouplements). Ils sont notés respectivement « Passage 1 » et « Passage 2 » sur la figure 4 présentant leur cycle annuel.. Figure 4 : Pourcentage d’espèces enregistrées sur les trois types de parcelles du programme IndiBio par rapport au total des espèces potentiellement présentes pour les deux périodes périodes de comptage. 45 40 35 30 25 20 15 10 5 0 Indices de fréquentation (%) Passage 1 Passage 2 4 EFFETS DES PRATIQUES AGRICOLES ET DES INFRASTRUCTURES AGRO-ECOLOGIQUES SUR LA DIVERSITE DES CHIROPTERES 2. La chauve-souris, un mammifère remarquable, méconnu et sous protection réglementaire 2.1 Le seul mammifère doté d’une capacité de vol avec des stratégies d’adaptations remarquables Les chiroptères sont les seuls mammifères dotés de la capacité de vol, grâce à leur main modifiée recouverte d’une fine membrane de peau souple, le patagium, englobant des doigts hypertrophiés et un pouce libre. En Europe, la plupart des chauves-souris répertoriées sont insectivores et appartiennent uniquement aux Microchiroptères. La forme des ailes conditionne le type de vol et la fréquentation du milieu (ouvert ou encombré) : ailes larges et courtes pour les prospections habiles et lentes des espèces glaneuses, ou ailes étroites et longues pour les chasseuses de plein ciel. La forme des oreilles conditionne la détection des sons et l’aérodynamisme. Leur vue est parfaitement adaptée à la vie nocturne. Les chauves-souris sont ainsi les seules parmi les mammifères à avoir développé et perfectionné le vol actif (CPEPESC Lorraine, 2009). Les chauves-souris des zones tempérées ont développé au cours de l’évolution trois stratégies adaptatives originales dans le règne animal : • • • La vie nocturne ou crépusculaire leur permet de s’affranchir de la compétition des oiseaux insectivores diurnes, comme les hirondelles. Pour se déplacer dans l’obscurité, les chauves-souris ont recours à un système perfectionné d’écholocation assurant l’orientation le long des routes de vol et sur les terrains de chasse, l’évitement des obstacles et la chasse des proies. De plus, du fait de leur régime alimentaire presque exclusivement insectivore, les chauves-souris européennes doivent faire face à la raréfaction des insectes en hiver. L’hibernation constitue de ce fait une solution parfaitement adaptée, leur permettant de passer la mauvaise saison avec un rythme de vie ralenti. L’entrée en léthargie a lieu en octobre-novembre selon les espèces mais des observations montrent que l’essentiel des individus est entré en phase inactive lorsque les arbres sont dépourvus de feuilles. L’animal immobile et froid maintient généralement son corps un degré au-dessous de la température ambiante et ne descend guère en dessous de 6°C. Lors de l’hibernation, on estime qu’une chauve-souris perd en moyenne 0,2% de son poids par jour (Arthur et Lemaire, 2009). Le réveil a lieu en mars-avril, lorsque la température redevient plus favorable. Le vol permet aux chiroptères d’utiliser un biotope par strates tridimensionnelles. Les chiroptères sont classés en guildes selon, leur régime alimentaire, la hauteur de strate qu’elles utilisent, insectivores de sous-bois ou insectivores de plein ciel (Arthur et Lemaire, 2009). Elles utilisent ainsi un nombre impressionnant de gîtes naturels : grottes, tunnels, carrières, mines, falaises, arbres, mais aussi artificiels : combles et caves de bâtiments, ponts. L’accouplement a lieu en automne mais, fait rare dans le règne animal, la fécondation est différée. La gestation d’une durée moyenne de deux mois, débute au printemps. Cette dernière peut être rallongée en fonction des ressources alimentaires et des conditions climatiques. Les femelles donnent alors naissance à un petit (rarement deux) au printemps. L’allaitement est très long et ne prend fin que lorsque les petits ont atteint la taille de leur mère (Arthur et Lemaire, 2009). Cette reproduction, lente et faible, est compensée par une longévité élevée, de 15 à 30 ans pour certaines espèces (SFEPM, Brisorgueil, 2008). Cette reproduction lente avec une faible prolificité limite sa capacité à recoloniser des zones où elles ont pratiquement disparu. 5 EFFETS DES PRATIQUES AGRICOLES ET DES INFRASTRUCTURES AGRO-ECOLOGIQUES SUR LA DIVERSITE DES CHIROPTERES 2.2 Convention et directives à l’échelle internationale pour protéger les chiroptères A l’échelle internationale, les chauves-souris sont protégées par la convention de Washington (CITES) qui réglemente le commerce international des espèces menacées d’extinction, la convention de Bonn qui vise la préservation des espèces migratrices, et 30 espèces de chiroptères sont sur la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN). A l’échelle européenne, les lois de protection en faveur des chauves-souris sont nombreuses avec la convention de Berne, la directive Habitats-Faune-Flore, le Réseau émeraude (extension de la Convention de Berne aux pays hors de l’Union européenne), l’accord EUROBATS qui engage les signataires à agir pour la conservation des populations de chauves-souris d’Europe, le programme LIFENature qui soutient la mise en œuvre de la politique européenne. 2.3 En France, la loi sur la protection de la nature En France, les chauves-souris sont inscrites sur la liste des mammifères protégés sur le territoire depuis l’arrêté du 17 avril 1981, mis à jour par l’arrêté du 23 avril 2007. Malgré les nombreuses mesures de protection et de réglementation, elles sont cependant limitées dans leur mise en application sur le terrain et nécessiteraient une réflexion globale sur l’amélioration des terres agricoles, la gestion des forêts, de l’eau, des autres espèces dont les insectes ainsi qu’un aménagement du territoire réellement compatible avec l’environnement (Arthur et Lemaire, 2009). 3. La diversité des chiroptères : un bio-indicateur d’expression de l’état de santé écologique d’un milieu Par définition, un indicateur de biodiversité est une espèce, ou un cortège d'espèces, qui par sa présence, son abondance ou son absence, traduit la qualité écologique d'un écosystème. La chauvesouris n’a pratiquement pas de prédateur dans la nature, c’est pourquoi, les chiroptères donnent un bon reflet de l’érosion ou du maintien de la qualité du milieu induit par les pratiques agricoles mais aussi de la gestion des éléments paysagers. 3.1 Un bio-indicateur pertinent, symbole de la biodiversité ordinaire. Les chauves-souris se révèlent être un témoin pertinent de la biodiversité en milieu agricole, de par leur diversité taxonomique et fonctionnelle et en tant que révélateurs de la qualité de l’habitat par leur distribution et leur diversité (Jones, 2009). Leur rôle de bio-indicateurs de la qualité du paysage est aussi justifié par le fait que les chauves-souris sont des animaux très mobiles capables de couvrir plusieurs kilomètres en une seule nuit. De plus, elles sont sensibles à une large gamme de facteurs de stress environnementaux, auxquels elles répondent selon un schéma connu (Figure 5). 6 EFFETS DES PRATIQUES AGRICOLES ET DES INFRASTRUCTURES AGRO-ECOLOGIQUES SUR LA DIVERSITE DES CHIROPTERES Pourquoi les chauves chauves--souris ? Réponses aux stress environnementaux Figure 5 : Changements globaux influençant les Chiroptères (Source : Jones G., Jacobs D.S., Kunz T.H., Willig M.R., Racey P.A., 2009. Carpe noctem: the importance of bats as bioindicators. Endangered Species Research. 8, 9393-115. Changement climatique Modifications de l’habitat Sensibilité à la température pendant l’hibernation Forte mortalité en cas d’extrême sécheresse, froid et précipitations Forte mortalité à la chaleur extrême Sensible aux cyclones Perte de gîtes par changement du niveau de la mer Sensible aux technologies des énergies renouvelables (éoliennes) Sensibilité à l’urbanisation (pollution lumineuse, trafic routier, perte de gîtes) Sensibilité aux changements de la qualité de l’eau Affectées par l’agriculture intensive Populations et communautés influencées par la déforestation Perte de gîtes par changement du niveau de la mer Sensibilité à la pollution par les métaux lourds Taxonomie relativement stable Echantillonnage à différents niveaux Répartition géographique vaste Réponses graduelles à la dégradation de l’habitat corrélé aux réponses des autres taxons (insectes) Diversité trophique riche Taux de reproduction bas (population qui peut s’effondrer rapidement) Services écosystémiques (pollinisation, dispersion des fruits, contrôle des arthropodes) Réservoirs d’une large gamme de maladies infectieuses émergentes, dont l’épidémiologie reflète le stress environnemental 3.2 Les chiroptères au service de l’homme pour une réciprocité pas toujours évidente Les chauves-souris fournissent un service écosystémique important en régulant les populations d’insectes ravageurs. La prédation des insectes par les Chiroptères est en effet d’une grande utilité car elle permet de prendre le relais nocturne des oiseaux insectivores. Il a déjà été montré qu’une chauvesouris était capable de capturer par nuit de chasse, un poids d’insectes équivalent à 1/3 du sien, soit suivant l’espèce, de 2 à 10 g de son poids (CPEPESC Lorraine, 2009). Par exemple, le Murin de Daubenton se nourrit principalement de Chironomes et contribue par ailleurs à limiter la pullulation de certains moustiques. On estime en effet à 60 000, le nombre de moustiques et autres moucherons capturés par cette espèce entre mai et octobre (Arthur et Lemaire, 2009). 3.3 Cette biodiversité invisible aide de façon active l’agriculteur dans son acte de production. Véritables auxiliaires de l’agriculture et de la sylviculture, les chauves-souris limitent l’usage de pesticides, la consommation d’insecticides et les surcoûts payés en bout de chaîne (Kunz et al., 2011). Elles ont d’ailleurs un apport économique important. En Amérique du Nord, par exemple, des chercheurs ont estimé que la disparition des chauves-souris pourrait conduire à des pertes agricoles de plus de 3,7 milliards de dollars /an (Boyles et al., 2011). 7 EFFETS DES PRATIQUES AGRICOLES ET DES INFRASTRUCTURES AGRO-ECOLOGIQUES SUR LA DIVERSITE DES CHIROPTERES Les chauves-souris ont de surcroit une importance économique pour l’agriculteur, du fait qu’elles consomment de grandes quantités d’insectes par nuit. Pendant la saison active, elles limitent la présence de mouches et autres insectes dans les bâtiments d’élevage (figures 6 et 7). L’activité estivale des chauves-souris dans les bâtiments montre une activité de trois à cinq fois plus importante par rapport à une prairie permanente éloignée des bâtiments d’élevage. Figure 6 : Nombre de cris sociaux et d'attaques enregistrés sur une nuit en prairie prairie (Ferme (Ferme expérimentale de Jalogny 2014) Figure 7 : Nombre de cris sociaux et d'attaques enregistrés sur une nuit en bâtiment d’élevage (Ferme expérimentale de Jalogny 2014) De plus, il a été montré que dans un environnement agricole la présence de chauves-souris altère le comportement et la dynamique de population des pyrales : Le taux d’infestation du maïs est ainsi réduit de 50% dans un champ soumis à des émissions ultrasonores à des fréquences, amplitudes et périodes de cris de chauves-souris (Kunz et al, 2011). 8 EFFETS DES PRATIQUES AGRICOLES ET DES INFRASTRUCTURES AGRO-ECOLOGIQUES SUR LA DIVERSITE DES CHIROPTERES 4. Une relation privilégiée avec l’espace agricole que l’élevage continue d’entretenir Le milieu agricole représente pour les chauves-souris européennes, majoritairement insectivores, un terrain de chasse idéal pour capturer leurs proies favorites. Ainsi, au Royaume-Uni, Wickramasinghe et al. (2004) ont constaté que toutes les chauves-souris se nourrissaient dans des territoires dominés par des paysages agricoles. La gestion de ces espaces, les pratiques agricoles mises en œuvre et la considération des infrastructures agro-écologiques vont influer sur le devenir des communautés de chauves-souris. La production de lait ou de viande d’herbivores n’utilise que très peu de produits phytosanitaires de grandes cultures ; la place de la prairie permanente est une garantie car elle est le siège de nombreuses IAE mais aussi parce que les bouses, lorsque le bétail n’est pas vermifugé, hébergent un important cortège d’insectes coprophages constituant une part importante du régime alimentaire de certaines espèces tels que la Sérotine commune (Brasseur 1996, Kervyn et Linois 2008), le grand Rhinolophe (Grémillet 2002 ), le grand murin (Zahn et al. 2006, Jones 1990) . 4.1 Les effets de pratiques agricoles sur la vitalité des communautés de chiroptères Il est aujourd’hui reconnu que l’intensification agricole (Tableau 2) entraîne une disparition notable des communautés d’insectes comme les lépidoptères, qui constituent une part importante du régime alimentaire des chauves-souris (Wickramasinghe et al., 2004). Il paraît donc légitime de se poser la question de l’impact de ces pratiques intensives sur les populations de chauves-souris, directement dépendantes des ressources en insectes. En effet, plusieurs études ont déjà mis l’accent sur l’influence du type de ferme (biologique ou traditionnel) sur l’activité des chauves-souris. Les travaux de Fuller et al. (2005) ont montré que l’abondance et la diversité des chauves-souris étaient significativement plus importantes dans les fermes biologiques. Tableau 2 : Synthèse des causes du déclin en lien avec les activités humaines Causes du déclin Activités humaines Raréfaction des gîtes et/ou des proies Gîtes Terrains de chasse Estivage : - restauration des greniers, granges et clôture des accès (combles, clochers - traitement des charpentes - abattage d’arbres creux, morts ou sénescents Hivernage : Comblements volontaires (sécurité, décharge) ou naturels Pratiques agricoles : - transformations de prairies en terres cultivées - emploi de pesticides - usage de produits antiparasitaires - évolution des pratiques sylvicoles - disparition ou dégradation des lisières forestières - disparition de zones humides Routes de vol Fragmentation : - densification du réseau routier - augmentation du trafic - parcs éoliens Les chauves-souris insectivores vivant dans les zones tempérées sont particulièrement sensibles aux substances chimiques. Leurs caractéristiques biologiques (prédateurs en bout de chaine alimentaire, demandes énergétiques élevées) augmenteraient en effet leur probabilité d’exposition aux substances chimiques (Carravieri et Scheifler, 2012). 9 EFFETS DES PRATIQUES AGRICOLES ET DES INFRASTRUCTURES AGRO-ECOLOGIQUES SUR LA DIVERSITE DES CHIROPTERES Elles sont particulièrement vulnérables aux pesticides organo-chlorés lors de la mobilisation des résidus accumulés pendant l’hibernation. Des niveaux très élevés de ces pesticides ont ainsi été trouvés chez de nombreuses espèces (Bunyan et Stanley, 1983). Les pesticides organo-chlorés et les PCBs (polluants organiques) sont encore détectés dans les tissus des chauves-souris, malgré leur retrait du marché depuis plusieurs années (Bayat, 2014). L'utilisation du DDT jusque dans les années soixante est suspectée comme une cause majeure du déclin des populations de chauves-souris. Il est également lié aux effets de la raréfaction des insectes, en particulier les lépidoptères, cibles des pesticides, et l’éloignement du terrain de chasse qui réduirait la croissance et la survie des jeunes (Burel et al, 2008). L’analyse des résidus de pesticides dans la nourriture des chauves-souris a montré que le fenoxycarb est impliqué dans la réduction de la période de gestation et de lactation. Les espèces de chauves-souris glaneuses de feuilles seraient d’autant plus impactées que les arthropodes présents sur ces feuilles présentent une quantité de résidus de pesticides initiale très élevée (Stahlschmidt et Brühl, 2012). Les traitements antiparasitaires, notamment par les avermectines, seraient également impliqués dans le déclin des populations de chauves-souris en milieu agricole. Ces composés sont excrétés dans les déjections des animaux d’élevage et peuvent y persister longtemps et contaminer les insectes coprophages dont se nourrissent exclusivement certaines chauves-souris (Burel et al., 2008). C’est le cas des scarabés du genre Aphodius et de la scatophage du fumier Scathophaga stercoraria qui constituent une part importante du régime alimentaire de nombreuses espèces de chauves-souris (McCracken, 1993). L’usage de produits anti-parasitaires peut également affecter les larves de diptères Anisopodidae qui se développent dans les matières organiques en décomposition et sont consommées par les chauves-souris (Ansay, 2006). 4.2 Les effets de la structuration paysagère sur la diversité des chiroptères Les « infrastructures agro-écologiques » (IAE), aussi appelées « particularités topographiques » dans le cadre des bonnes conditions agricoles et environnementales (BCAE), correspondent à des habitats semi-naturels qui ne reçoivent ni fertilisants chimiques, ni pesticides et qui sont gérés de manière extensive (Dubois, 2012). Ces haies, bosquets, lisières, bandes enherbées, prairies naturelles, mares, vergers de haute tige et tous les milieux peu ou pas anthropisés (surfaces cultivées en jachères, murets de pierre, chemin…) jouent un rôle important dans le maintien des chauves-souris. Maintien de l’hétérogénéité du paysage : Les gains de productivité stimulés par la PAC ont modifié depuis près d’un demi-siècle les paysages par une simplification. Les zones de production de grandes cultures témoignent de cette homogénéisation des paysages causée par les remembrements, l’arrachage de haies et le drainage de zones humides (tableau 3). Or, les infrastructures agro-écologiques sont connues pour héberger de nombreuses espèces auxiliaires impliquées dans la lutte contre les ravageurs des cultures (Debras, 2007) et pour leur utilisation potentielle en tant que gîtes arboricoles (haies, vergers de haute tige). Les haies seraient également des sources de nourriture indispensables aux chauves-souris avec une disponibilité en insectes stable contrairement aux autres habitats (Verboom et Huitema, 1997). La présence et l’abondance en espèces d’invertébrés est expliquée par les couvertures herbacées pérennes et d’une d’autre part par la complexité paysagère générée par les haies (Davies et Pullin, 2007). A l’échelle du paysage, deux niveaux de modification du mode de gestion agricole peuvent être considérés : le changement de type de production (prairie, culture) et le changement de technique de 10 EFFETS DES PRATIQUES AGRICOLES ET DES INFRASTRUCTURES AGRO-ECOLOGIQUES SUR LA DIVERSITE DES CHIROPTERES production (fauche, pâturage, ensilage) (Burel et Baudry, 1995). L’abandon de pratiques sylvopastorales sur un verger peut ainsi conduire à un déclin de leur richesse spécifique par réduction de la mosaïque d’habitats (Obrist et al., 2011). L’abondance des insectes, dont dépendent les chauves-souris, est liée au mode de culture : une prairie, un champ de luzerne et une céréale à paille sont plus favorables à l’entomofaune qu’un champ de maïs (Biadi, 1998). Les prairies de fauche seraient des interfaces suffisamment attractives pour les espèces forestières, de lisière ou riveraines, de manière à compenser les réflexes de protection contre les prédateurs en milieux ouverts (Barataud, 2012 (1)). En pâturage, les plantes sont plus vulnérables à l’herbivorie par les insectes, dont l’abondance est susceptible d’accroitre les chauves-souris (Burel et al., 2008). Les zones humides sont extrêmement productives en insectes et utilisées couramment comme terrain de chasse par les chauves-souris. (Sirami, 2013). Tableau 3 : Synthèse des causes du déclin liées aux perturbations de milieu Causes du déclin Gîtes Estivage : Pollution lumineuse Hivernage : Spéléologie, tourisme dans les milieux souterrains Perturbations des milieux Terrains de chasse Dégradation du maillage écologique : - remembrements - pratiques agricoles intensives - suppression des peuplements linéaires - remplacement des pâturages extensifs par monocultures - canalisation des cours d’eau - urbanisation et industrialisation Routes de vol Dégradation du maillage écologique : - remembrements - pratiques agricoles intensives - suppression des peuplements linéaires - remplacement des pâturages extensifs par monocultures - canalisation des cours d’eau - urbanisation et industrialisation Repère pour l’orientation spatiale et le déplacement : Les éléments verticaux du paysage, notamment les haies, augmentent les sources d’insectes et constituent des routes de vol et des terrains de chasse importants pour les chauves-souris (Wolcott et Vulinec, 2012). Les chauves-souris volent parallèlement à ces structures lors de la chasse pour distinguer les échos transmis par les proies des échos du paysage (Kalko et Schnitzler, 1993). Leur présence pour l’orientation spatiale est d’autant plus importante que les chauves-souris trouvent l’entrée de leur gîte à 99-100% lorsqu’un repère est placé à proximité (Jensen et al., 2005). Cette capacité à s’orienter dépend de la gamme de fréquences de la chauvesouris (Verboom et Huitema, 1997). Coexistence des espèces et protection : L’existence d’IAE au sein des paysages agricoles favorise la partition des niches des espèces de chiroptères et ainsi augmente la probabilité de cohabitation de plusieurs espèces et par conséquent la diversité des chiroptères (Lisόn et Calvo, 2013). Au sein des chiroptères, la partition de niches est permise par les différences de morphologie des ailes, de structure du cri d’écholocation et de leurs capacités sensorielles (Kalko et Schnitzler, 1993). Les haies sont également des éléments essentiels aux chauves-souris pour la protection contre les vents forts et contre les prédateurs. Ainsi, une étude a montré que lorsque la vitesse du vent est élevée et l’angle d’incidence de plus de 45°, la proportion des Pipistrelles qui se déplacent du côté d’une double rangée d’arbres sous le vent augmente (Verboom et Spoelstra, 1999). 11 EFFETS DES PRATIQUES AGRICOLES ET DES INFRASTRUCTURES AGRO-ECOLOGIQUES SUR LA DIVERSITE DES CHIROPTERES 5. Les enseignements du programme INDIBIO sur la diversité des espèces de chauves-souris Les richesses spécifiques de Chiroptères présentes dans les trois régions d’étude montrent des différences dont les facteurs sont essentiellement liés aux latitudes différentes et à des zones climatiques contrastées. 5.1 Les effets des systèmes de production sur la diversité des chiroptères selon les régions (zone climatique) En Normandie, les systèmes d’élevage de type « Bovins herbagers » et « Naisseurs herbagers » ont un effet positif sur la diversité des chiroptères. En revanche, l’introduction du maïs dans des zones très herbagères, comme en Auvergne ou en Lorraine/Champagne-Ardenne augmente le nombre d’espèces en fonction du système d’exploitation. En effet, la production de maïs peut se traduire par une diminution de l’intensité d’exploitation de l’herbe. L’analyse des valeurs de richesse spécifique moyenne entre les quatre cas-types définissant le système de production de chaque exploitation montre que les systèmes de type « herbager » (Bovins laitiers herbagers, Naisseurs herbagers) semblent favoriser la présence d’un plus grand nombre d’espèces de chiroptères (Figure 8). Figure 8 : Nombre d’espèces présentes selon la région et le système d’exploitation (INDIBIO2013) 10 9 NOMBRE D'ESPECES 8 7 6 5 4 3 2 1 0 AUVERGNE B. lait-herbager B. lait-maïs BASSE NORMANDIE LORRAINE CHAMPAGNE ARDENNES Naisseur-engraisseur-maïs Naisseur-herbager Les inventaires réalisés sur les trois régions confirment que selon les territoires étudiés, la richesse spécifique est plus élevée en Auvergne et Lorraine/Champagne-Ardenne qu’en Basse-Normandie pour les trois modes de gestion de la prairie permanente (Figure 9). 12 EFFETS DES PRATIQUES AGRICOLES ET DES INFRASTRUCTURES AGRO-ECOLOGIQUES SUR LA DIVERSITE DES CHIROPTERES Figure Figure 9 : Nombre d’espèces présentes selon la parcelle et la région (INDIBIO2013) 25 Nombre d'espèces 20 15 10 5 0 (P1) Mode d'exploitation - (P2) Mode d'exploitation + (P4) Mode d'exploitation + Densité IAE + Densité IAE + Densité IAE Auvergne Basse Normandie Lorraine-Champagne-Ardennes 5.2 Les modes d’exploitation de la prairie influence peu la diversité des espèces Les parcelles participant au programme IndiBio ont été choisies sur différents modes de gestion, de fertilisation et d’amendements. Les premiers résultats obtenus montrent que la fertilisation azotée, en particulier la fertilisation minérale (en kg/ha/an), la quantité de chaux apportée (kg/ha/an) ainsi que le nombre de fauches et la date de la première fauche influencent le nombre de la présence d’espèces différentes de chiroptères en prairies. La date de la première fauche et le nombre de fauches influent sur la présence de chauves-souris. En effet, le plus favorable pour les chauves-souris se situe entre la pratique de deux fauches par an car le nombre d’espèces est maximal alors qu’il diminue au-delà (Figure 10). Figure 10 : Richesse spécifique des chauveschauves-souris selon le nombre de fauches/an et la date de la première utilisation de la prairie permanente (INDIBIO2013) Nombre d'espèces Nombre d'espèces de chauves-souris 9 8 7 6 5 4 3 8 7,7 7 6 6,9 6,5 6,4 5,5 5 4 3 2 Fevrier Mars 0 1 2 Nombre de fauches/an Avril Mai Juin 3 Mois de première utilisation Par ailleurs la date de première utilisation (pâturage) de mars et avril semble également être plus propice aux chauves-souris. 13 EFFETS DES PRATIQUES AGRICOLES ET DES INFRASTRUCTURES AGRO-ECOLOGIQUES SUR LA DIVERSITE DES CHIROPTERES Selon le système de production (vaches laitières ou allaitantes), l’intensité d’utilisation de l’herbe (définie par le Grass Use index) varie. C’est un des facteurs de variation de la diversité des chiroptères, car les pressions de pâturage exercées modifient le stock de proies en prairies (Figure 11). Figure 11 : Evolution de la diversité des espèces selon l’intensité d’utilisation de l’herbe (INDIBIO2013) 8,7 6,5 Nombre d'espèces 6,3 5,5 100 100-200 200-300 5 300-400 400-500 Grassland use index (intensité de défoliation) Au pâturage, les plantes sont plus vulnérables à l’herbivorie par les insectes, dont l’abondance est susceptible d’accroitre les espèces prédatrices telles que les chauves-souris (Burel et al., 2008). Enfin, les résultats des inventaires montrent ainsi que certaines espèces rares, telles que la Pipistrelle pygmée ou le Petit Rhinolophe viennent à fréquenter la parcelle de type P4 plus intensive, et ces espèces sont mieux réparties entre elles. L’activité des chauves-souris qui se nourrissent principalement de Lépidoptères est en particulier corrélée à l’abondance de cet ordre (Wickramasinghe, 2004). L’activité est définie comme le nombre de contacts moyen par heure pour une nuit d’enregistrements. Un contact correspond à l’occurrence acoustique d’une espèce par tranche de cinq secondes multipliée par le nombre d’individus (de cette même espèce) audibles en simultané (figure 12). Figure 12 : Indice d’activité selon le régime alimentaire alimentaire en lien avec l’intensité du mode d’exploitation de l’herbe et la densité IAE (INDIBIO2013) Spécialiste Ubiquiste INDICE D'ACTIVITÉ PONDÉRÉ 50 45 39,8 40 35 29,5 27,2 30 25 20 16,2 15 10 4,8 5,9 5 0 (P1) Mode d'exploitation - Densité (P2) Mode d'exploitation + Densité (P4) Mode d'exploitation + Densité IAE + IAE + IAE - 14 EFFETS DES PRATIQUES AGRICOLES ET DES INFRASTRUCTURES AGRO-ECOLOGIQUES SUR LA DIVERSITE DES CHIROPTERES L’activité de différentes guildes de chauves-souris, c'est-à-dire des groupes qui exploitent un même habitat et qui ont le même régime alimentaire et un mode de chasse identique, a été calculé pour les trois types de parcelles. L’activité de ces trois guildes est plus élevée sur la parcelle P1 à faible intensité d’utilisation et entourée d’IAE. Les résultats (Figure 14) montrent que les espèces de lisière, au régime ubiquiste c'est-à-dire à nourriture variée (Figure 12) et qui chassent les insectes en poursuite au vol (Figure 13) sont majoritairement présentes sur les trois parcelles. Figure 13 : Indice d’activité selon le mode de chasse en lien avec l’intensité du mode d’exploitation de l’herbe (INDIBIO2013) Poursuite Glaneur 35 INDICE D'ACTIVITÉ PONDÉRÉ 29,3 28,0 30 25 18,2 20 15 10 5,5 5 1,8 2,5 0 (P1) Mode d'exploitation Densité IAE + (P2) Mode d'exploitation + Densité IAE + (P4) Mode d'exploitation + Densité IAE - Les enregistrements sonores indiquent la présence d’espèces de cours d’eau comme le Murin de Daubenton et pour les milieux ouverts entourés d’arbres isolés, la présence d’espèces comme la Noctule commune sur la parcelle P4 à forte intensité d’exploitation. Il semble que l’activité est fortement conditionnée par la diversité des IAE et les ressources que ces dernières rendent disponibles. Figure 14 : Indice d’activité selon la nature des IAE présents présents en lien avec l’intensité du mode d’exploitation de l’herbe (INDIBIO2013) Nombre de contact moyen par heure Forêt Lisière Cours d'eau, Plans d'eau Aérien, milieux ouverts 50 40 30 20 10 0 (P1) Mode d'exploitation - Densité IAE + (P2) Mode d'exploitation + Densité IAE + (P4) Mode d'exploitation + Densité IAE - 15 EFFETS DES PRATIQUES AGRICOLES ET DES INFRASTRUCTURES AGRO-ECOLOGIQUES SUR LA DIVERSITE DES CHIROPTERES 5.3 Le rôle des infrastructures agro-écologiques Sur les trois régions concernées par le programme IndiBio, les densités des IAE dans un rayon de 300 mètres autour des parcelles montrent des disparités sur l’organisation du paysage (Figure 15). Figure 15 : Densité des différentes catégories d’IAE en % de la surface calculée dans un rayon de 300 m autour des parcelles étudiées (INDIBIO2013) 40 35 en % du territoire 30 25 20 15 10 5 0 Auvergne Basse-Normandie Lorraine / Champagne-Ardenne Densité des alignements d'arbres 0,1 0,2 0,0 Densité des arbres isolés 0,7 0,7 0,5 Densité des vergers 0,0 0,9 0,5 Densité des mares 0,2 0,1 0,8 Densité des forêts 29,8 5,0 13,2 Densité des bosquets 1,9 1,2 1,5 Densité des haies 3,3 6,9 1,7 La plupart des infrastructures agro-écologiques hébergent des espèces auxiliaires de lutte contre les ravageurs, qui peuvent également être des sources de nourriture pour les chauves-souris. Elles peuvent être des zones tampon et participer ainsi au maintien de la qualité de l’eau. Ces éléments agro-écologiques ont également de nombreux rôles en tant que filtre biologique et physique, comme par exemple la limitation du ruissellement et la lutte contre l’érosion des sols (Schulz, 2008). Leur présence en milieu agricole peut constituer un enjeu essentiel pour la biodiversité, comme les vergers de haute tige qui peuvent constituer des habitats propices pour les chauves-souris utilisant les cavités des arbres. Les réseaux de haies, de zones humides et la fragmentation du paysage ont des conséquences majeures sur la diversité des chauves-souris, en particulier pour les espèces spécialistes, les milieux devenant de moins en moins attractifs pour leur activité de chasse et de transit. Ainsi, la complexité du paysage est déterminante pour la richesse spécifique. La complexité de la forme des parcelles ont des effets sur la diversité des espèces et l’abondance. Plus la forme est complexe, plus la richesse spécifique de la flore et de la faune augmente. C’est sur la base du rapport périmètre de la bordure sur la surface exploitée (PARC FORM = P / (2 * (√(π * A) : Comber et al., 2003; De Clercq et al., 2006; Cousins and Aggemyr, 2008) que l’indicateur exprime la complexité de la forme des parcelles. 16 EFFETS DES PRATIQUES AGRICOLES ET DES INFRASTRUCTURES AGRO-ECOLOGIQUES SUR LA DIVERSITE DES CHIROPTERES Lorsque l’on combine l’indice de forme de la parcelle avec le nombre d’espèces qui fréquentent cette prairie, on constate que le nombre d’espèces augmente avec complexité de forme de la parcelle (Figure 16). Sur le plan biologique, la complexité de forme apporte de l’abondance, de la diversité en termes de ressources alimentaires et d’habitat et qui ont pour conséquence d’être attractives pour des nombreuses espèces de chauves-souris. Ces différentes espèces se partagent les ressources variées générées par cette complexité de forme. Figure 16 : Distribution des espèces selon l’indice de forme de la parcelle (INDIBIO2013) 9 Richesse spécifique 8 7 6 5 4 1 1,3 1,6 1,9 2,2 2,5 Indice de forme de la parcelle technique L’activité des chauves-souris est plus élevée au niveau de zones boisées en milieu agricole que dans les habitats environnants (Fuentes-Montemayor et al., 2013). L’abondance en espèces d’invertébrés et leur présence est corrélée positivement au recouvrement de la végétation et à la complexité de la structure des haies (Davies et Pullin, 2007). Les haies hautes apportent ainsi une grande disponibilité en proies et les haies sans arbres sont utilisées uniquement quand d’autres habitats de qualité supérieure ne sont pas accessibles (Boughey et al., 2011). La densité des haies est par ailleurs plus importante au niveau des fermes biologiques qu’en fermes conventionnelles, ce qui se traduit par une activité et une diversité plus conséquente des chauvessouris (Fuller et al., 2005). Cependant, la réponse d’agrégation des chauves-souris autour d’une végétation dense peut être une conséquence d’abondances faibles et imprévisibles d’insectes dans les habitats ouverts (Müller et al., 2012). Les relevés d’inventaire réalisés dans le programme INDIBIO établissent un lien entre la richesse en espèces de chauves-souris et la densité d’arbres isolés (Figure 17) et de mares (Figure 18) dans une zone de 300 mètres autour des parcelles agricoles. 17 EFFETS DES PRATIQUES AGRICOLES ET DES INFRASTRUCTURES AGRO-ECOLOGIQUES SUR LA DIVERSITE DES CHIROPTERES Figure 17 : Relation entre les densités d’arbres isolés et la diversité des espèces de chauveschauves-souris (INDIBIO2013) Richesse spécifique 8,0 7,7 6,7 6,6 inf. 0,4 de 0,4 à 0,8 de 0,8 à 1,20 sup 1,20 Classe de densité d'arbres isolés dans les 300 m autour des parcelles en % Les éléments verticaux du paysage, notamment les haies, augmentent les sources d’insectes et constituent des routes de vol et des terrains de chasse importants pour les chauves-souris (Wolcott et Vulinec, 2012). L’activité de chasse des chauves-souris serait également plus importante en bordure de champs et de forêts qu’en habitats ouverts. La forte activité des chauves-souris à l’interface entre milieu cultivé et forêt serait liée à l’abondance des Lépidoptères dans les habitats de bordure, de champs riches en espèces que l’on appelle en anglais « Improved Field Margins ». Les zones humides naturelles mais aussi celles créées de manière artificielle par l’irrigation en milieu agricole sont des habitats préférentiels pour l’activité de chasse des chauves-souris (Sirami, 2013). La densité des mares influence favorablement le nombre d’espèces (Figure 18). Figure 18 : Relation entre de mares et la diversité des espèces de chauves chauves--souris (INDIBIO2013) Richesse spécifique 10 8 6 4 2 0 2 4 6 8 10 12 14 16 Densité des mares dans les 300 m autour des parcelles en % Les éléments linéaires du paysage sont également d’importants repères pour l’orientation spatiale des chauves-souris, qui trouvent par exemple l’entrée d’une cavité à 99-100% lorsqu’au moins un repère est placé à proximité (Jensen et al., 2005). La capacité à utiliser les éléments du paysage comme guide dépend essentiellement de la gamme maximum du sonar de la chauve-souris (Verboom et Huitema, 1997). 18 EFFETS DES PRATIQUES AGRICOLES ET DES INFRASTRUCTURES AGRO-ECOLOGIQUES SUR LA DIVERSITE DES CHIROPTERES Au sein d’un même paysage, la coexistence de certaines espèces de chauves-souris dans un habitat donné est permise par la partition de niches entre ces espèces (Lison et Calvo, 2013). Les bosquets au sein d’un paysage agricole seraient des habitats favorables pour la chasse, avec un accroissement de l’activité lorsque la densité de la végétation augmente. Il est estimé dans une étude que l’activité des chauves-souris serait maximale pour un bosquet constitué de 20 à 30 arbres (Lumsden et Bennett, 2005). Au-delà de 10% de forêts, la diversité des espèces de chiroptères survolant les parcelles étudiées est limitée pour les raisons essentiellement liées aux guildes des chauves-souris (Figure 19). Des espèces bien spécifiques vivent dans ces espaces à forte densité forestière. Figure 19 : Relation entre la densité IAE et la diversité des espèces de chauveschauves-souris (INDIBIO 2013) Richesse spécifique 7 6 5 4 3 0 2 4 6 8 10 12 14 16 18 20 Densité des IAE hors forêts dans les 1500 m autour des parcelles en % Conclusion Les premières tendances dégagées nous indiquent que l’effet des IAE sur l’activité des Chiroptères semble être prépondérant sur celui des pratiques agricoles. Pocock et Jennings (2008), en étudiant l’effet de plusieurs aspects de l’intensification agricole des systèmes prairiaux sur les taupes et les chauves-souris sont arrivés à la même constatation : ces deux mammifères insectivores n’étaient relativement pas sensibles à l’augmentation des intrants agricoles (hors insecticides) comme le passage du foin à l’ensilage mais étaient en revanche très impactés par la perte de corridors écologiques tels que les haies. L’effet des pratiques agricoles semble compensé par un réseau d’IAE. Des composantes paysagères (IAE) vitales à la diversité des espèces de chauves-souris A l’échelle du paysage, ce sont les variables liées à la complexité de la forme de la parcelle, les variables définissant la densité des mares, des haies, des forêts et des arbres isolés dans un rayon de 300 m qui influencent fortement la diversité des chiroptères. Ce constat confirme que la création de zones humides artificielles comme les mares de rétention dans un paysage agricole exploité intensivement profite aux chauves-souris, comme cela a été montré au sein de vignobles (Stahlschmidt et al., 2012). La présence de haies ou d’alignements d’arbres est très bénéfique aux chauves-souris (Boughey et al., 2011 ; Fuentes-Montemayor et al., 2013). 19 EFFETS DES PRATIQUES AGRICOLES ET DES INFRASTRUCTURES AGRO-ECOLOGIQUES SUR LA DIVERSITE DES CHIROPTERES Nos analyses ont montré que les densités respectives des forêts et des haies situées dans un rayon de 300 m autour des parcelles, étaient les seules variables expliquant de manière significative la variabilité de l’indice d’activité moyen calculé. La densité des IAE apparait donc être un paramètre important pour l’activité de chasse des chauves-souris. Des informations sur l’indice d’activité révèlent une hétérogénéité dans la réponse des différentes espèces de chauves-souris aux pratiques agricoles et aux IAE. La présence d’IAE, particulièrement par leur densité, est favorable aux chauves-souris, en attirant les insectes dont ces dernières se nourrissent et en fournissant un milieu de protection contre le vent. Il est donc essentiel de préserver ces structures du paysage. Les espaces agricoles composés d’un maillage de haies, des zones humides et d’alignement d’arbres suffisant, où les surfaces prairiales restent la base de l’alimentation des herbivores, sont la garantie d’un agroécosystème à forte valeur écologique. Cette affirmation ne condamne pas pour autant les systèmes fourragers à base de maïs car la combinaison de l’herbe et du maïs assure à la fois la sécurité fourragère que recherche l’éleveur mais aussi et surtout la prairie associée aux IAE qu’elle héberge limite le recours aux pesticides grâce aux chauves-souris et au cortège d’espèces qu’elles sous-tendent. La variété des modes de gestion de l’herbe stimule la diversité des espèces Les variables de pratiques agricoles qui ont l’effet le plus significatif sur la diversité sont la fertilisation, la fréquence de fauche, la pression de pâturage. L’intensité d’utilisation de l’herbe (Grassland Used Index) montre un effet défavorable sur le nombre d’espèces. Le pâturage est favorable grâce à la mise à disposition de matière organique fraiche nécessaire au développement des insectes, proies des chauves-souris, ce qui pourrait expliquer cette relation positive. Les Rhinolophes sont en l’occurrence particulièrement attirés par les prairies pâturées (Arthur et Lemaire, 2009). Un milieu ouvert et soumis à une forte pression d’herbivorie (parcelle P4) est favorable à la présence d’espèces rares et à une répartition plus homogène des espèces (équitabilité importante) en lien avec la forte ubiquité des insectes herbivores. Les systèmes herbagers ont néanmoins un effet plus favorable sur la richesse spécifique des chauvessouris que les systèmes combinant de l'herbe avec du maïs. Ces premiers résultats donneront suite à des analyses plus poussées notamment sur les activités de chasse des chauves-souris, pour mettre en évidence le service de régulation des populations d'insectes (et autres ravageurs) que rendent les chauves-souris en limitant les pertes économiques de l'exploitation agricole. 20 EFFETS DES PRATIQUES AGRICOLES ET DES INFRASTRUCTURES AGRO-ECOLOGIQUES SUR LA DIVERSITE DES CHIROPTERES Annexes Tableau 4 : Manche Nom commun Barbastelle d'Europe Sérotine commune Murin d'Alcathoe Murin de Bechstein Murin de Daubenton Murin à oreilles échancrées Grand Murin Murin à moustaches Noctule commune Pipistrelle de Kuhl Pipistrelle de Nathusius Pipistrelle commune Pipistrelle pygmée Oreillards Grand Rhinolophe Petit Rhinolophe Tableau 5 : Auvergne (mise en garde cet inventaire) Barbastelle d'Europe Sérotine commune Sérotine de Nilsson Vespère de Savi Minioptère de Schreibers Murin d'Alcathoe Murin de Bechstein Murin de Daubenton Murin à oreilles échancrées Grand Murin Petit Murin Murin à moustaches Murin de Natterer Grande Noctule Noctule de Leisler Noctule commune Pipistrelle de Kuhl Pipistrelle de Nathusius Pipistrelle commune Oreillards Petit Rhinolophe Pipistrelle pygmée Tableau 6 : Lorraine Champagne-Ardenne Nom commun Barbastelle d'Europe Sérotine de Nilsson Sérotine commune Murin d'Alcathoe Murin de Bechstein Murin de Daubenton Murin à oreilles échancrées Grand Murin Murin à moustaches Murin de Natterer Noctule commune Noctule de Leisler Pipistrelle de Kuhl Pipistrelle de Nathusius Pipistrelle commune Pipistrelle pygmée Oreillards Grand Rhinolophe Petit Rhinolophe 21 EFFETS DES PRATIQUES AGRICOLES ET DES INFRASTRUCTURES AGRO-ECOLOGIQUES SUR LA DIVERSITE DES CHIROPTERES Références bibliographiques Ansay Ir. 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Par conséquent, les chiroptères se révèlent être des indicateurs pertinents de biodiversité en milieu agricole, de par leur diversité taxonomique et fonctionnelle, leur sensibilité à une vaste gamme de facteurs de stress environnementaux, ainsi que pour leur grande mobilité sur plusieurs kilomètres. Ces caractéristiques font des chiroptères de bons témoins de la qualité de l’habitat et de la stabilité de l’écosystème par leur distribution et leur diversité (Jones, 2009). Les premières tendances dégagées nous indiquent que l’effet des Infrastructures Agro-Ecologiques (IAE) sur l’activité des chiroptères semble être prépondérant sur celui des pratiques agricoles. L’intensité d’exploitation de l’herbe est moins impactant que la perte de haies, de mares et de linéaires d’arbres. Les pratiques agricoles ont un effet plus significatif sur la diversité comme la fertilisation, la fréquence de fauche, la pression de pâturage. L’intensité d’utilisation de l’herbe (Grassland Used Index) montre un effet plutôt défavorable sur le nombre d’espèces. En revanche, le pâturage est favorable grâce à la mise à disposition de matière organique fraîche nécessaire au développement des insectes proies des chauves-souris, ce qui pourrait expliquer cette relation positive. La densité d’IAE est favorable aux chauves-souris car elle augmente la diversité et l’abondance des insectes dont ces dernières se nourrissent et fournit un milieu de protection contre le vent. Il est donc essentiel de préserver ces structures du paysage. Les espaces agricoles composés d’un maillage de haies, des zones humides et d’alignement d’arbres suffisant où les surfaces prairiales restent la base de l’alimentation des herbivores sont la garantie d’un agroécosystème à forte valeur écologique. Cette affirmation ne condamne pas pour autant les systèmes fourragers à base de maïs car la combinaison de l’herbe et du maïs assure à la fois la sécurité fourragère recherchée par l’éleveur. Enfin, la régulation de la pyrale pour les parcelles de maïs par les chauves-souris pourrait limiter l’usage d’insecticides si l’on sait tirer parti des synergies existantes entre la prairie permanente, la haie et la chauve-souris. Institut de l'Élevage 149 rue de Bercy 75595 Paris cedex 12 Tél. 01 40 04 52 50 Fax 01 40 04 53 00 www.idele.fr Novembre 2014 Réf. 0014304033 ISBN 978-2-36343-582-8 Document rédigé par : Vincent Manneville (Institut de l’Élevage), Aline Chanséaume (Institut de l’Élevage), Bernard Amiaud (Université de Lorraine) Crédits photos : Institut de l’élevage