Disparition
DISPARITION : Madame la Professeure Claude Lévy-Leboyer
Claude Lévy-Leboyer nous a quittés au terme d’une terrible maladie. Il n’est pas exagéré de dire
qu’elle laisse dans nos mémoires un magnifique itinéraire de femme et de scientifique, pionnière
et modèle de leadership. Elle a été dans notre pays et bien au-delà, une figure centrale de la
psychologie appliquée et plus particulièrement de la psychologie du travail dont on la disait «
Papesse » : elle a été une « Grande Dame ».On lui doit d’avoir su rassembler, fédérer au plan
international les forces parfois éclatées de la psychologie du travail. De plus, au fil du temps, elle
a très judicieusement élargi ce champ à la psychologie de l’environnement et à l’ergonomie. Ses
publications aux rééditions et traductions multiples, sont en bonne place dans la bibliothèque des
DRH. L’évaluation des compétences professionnelles, des composantes de l’intelligence, la
motivation au travail, le leadership, la formation des adultes ont constitué les piliers de son
enseignement et de ses recherches.
Enseignante enthousiaste, elle a toujours manifesté un grand engagement auprès de ses étudiants- auxquels elle a ouvert de
vrais débouchés professionnels, par sa volonté d’associer étroitement universitaires et praticiens de grandes entreprises dans
une formation diplômante.
Ses recherches ont allié la tradition nord-américaine et la psychométrie où la France s’était très tôt distinguée. Soucieuse de
l’application des avancées scientifiques, elle a développé elle-même des instruments d’évaluation utilisables dans le monde
du travail, jusqu’à ce que la progression de la maladie la contraigne, il y a peu, à renoncer. Des entreprises prestigieuses ont
fait appel à son expertise ; elle en était fière, ce qui ne l’empêchait pas de porter un regard critique sur l’apport effectif de la
psychologie appliquée : son article de 1988 Success and Failure in Applying Psychology témoigne de sa grande perspicacité.
Claude Lévy-Leboyer, a été aussi une administratrice pugnace qui a laissé sa marque sur les institutions universitaires et sur
les carrières. Admirée, redoutée, incontournable, elle ne lâchait rien quand elle était sûre d’avoir raison ; mais elle était
toujours affable, attentive envers chacun, très empathique. Elle était aussi une amie véritable.
Claude a débuté en une période où il n’était pas facile de faire carrière lorsqu’on était femme et mère de famille et, de
surcroît, épouse d’un historien de renommée internationale, le Professeur Maurice Lévy-Leboyer, disparu l’an dernier. Des
vexations subies alors et certaines plus récentes avaient laissé en elle une empreinte demeurée vive.
Entrée au CNRS en 1951, elle rejoint l’Institut de psychologie, composante de ce qui deviendra l’Université René
Descartes-Paris 5, où elle est nommée Professeure de psychologie du travail, dès 1970. Heureux recrutement pour
l’Etablissement où elle va déployer ses grandes qualités !
Ses actions au sein de l’Université sont majeures. On lui doit le Diplôme d’Etudes Supérieures Spécialisées de psychologie
du travail, mis en place dès sa nomination, rare formation universitaire dans le domaine et encore très prisé, qu’elle dirigea
plus d’un quart de siècle. Les candidats y affluaient de la France entière, assurés d’une insertion professionnelle
satisfaisante.
Directrice de l’Institut de psychologie de 1974 à 1980, Claude Lévy-Leboyer est élue Vive- Présidente du groupe des sciences
humaines et sociales de l’université, en 1981 ; elle siègera jusqu’en 1989, assurant la transition institutionnelle entre les
Facultés et l’entité actuelle, pluridisciplinaire. Elle a - dans un environnement pas toujours bienveillant- contribué à y faire
reconnaître la place des sciences humaines et sociales.
On lui doit le diplôme de 1er cycle sciences humaines et sociales dont la rénovation a constitué un bouleversement complet
par rapport au passé, avec l’introduction de la pluridisciplinarité et de l’orientation progressive, du tutorat et des mises à
niveau à l’arrivée des bacheliers dans l’enseignement supérieur, principes auxquels il faut ajouter le module de
préprofessionnalisation aux carrières de l’enseignement, véritablement visionnaire par rapport aux évolutions futures des
IUFM. Claude Lévy-Leboyer a compris immédiatement le potentiel que représentait la directive ministérielle invitant déjà à
réduire l’échec massif en premier cycle universitaire, avec quelques principes en vue d’élaborer la réforme de l’existant. Elle a
su fédérer autour d’elle une équipe qu’elle a conduite à un réel succès.
Détachée en 1993 en tant que coordinatrice au sein du Département sciences sociales du Ministère de l’Enseignement de la
Recherche et de l’Enseignement Supérieur, Claude Levy-Leboyer s’est attachée à fédérer au sein d’un réseau les équipes de
recherche française. Là encore, elle s’est assurée le concours de collaborateurs et d’experts étrangers, ce qui a donné de la
visibilité aux recherches en psychologie du travail et de soutenir des doctorants.
Cette intense activité n’a pas empêché Claude Lévy-Leboyer d’être une chercheuse d’envergure internationale et une
organisatricede la recherche remarquable. Vice-présidente, puis Présidente- de 1982 à 1990- de l’Association Internationale
de Psychologie Appliquée qui regroupe près de 5000 membres, elle fonde, par ailleurs dès 1981 avec Bernard Wilpert et
Charles de Wolff, l’ENOP (European Network of Organizational Psychologists). Dans un champ d’études dominé par
l’approche anglo-saxonne, ils ont ensemble défendu l’originalité des travaux européens et joué aussi un rôle majeur dans
l’implantation du domaine dans les pays de l’est.
Intéressée par la psychologie de l’environnement, dès le milieu des années 1980, elle en a assuré la reconnaissance, à tel
point qu’elle a siégé dans de nombreuses institutions : Présidente de Comité national au CNRS, Présidente de Comités
directeurs du Plan construction et du Plan urbain, Présidente le Club bruit EDF-CNRS, Experte auprès d’entités telles que
PEUGEOT, EDF, Consultante auprès de l’OMS, de l’OCDE, entre autres. Ses conférences invitées, un peu partout dans le
monde, ne se comptent pas.
Claude Lévy-Leboyer a beaucoup écrit, Claude Lévy-Leboyer a beaucoup écrit, seule ou en collaboration, dont une partie
après son départ à la retraite « Je vais enfin pouvoir travailler » avait-elle déclaré à ce moment, comme l’avait fait, avant elle,
son mari, spécialiste de l’histoire économique des grandes entreprises ! Tous deux infatigables, on les imagine discutant
d’hypothèses originales transcendant les champs disciplinaires. On compte 14 livres, 17 chapitres dans des livres collectifs,
72 articles dans des revues internationales de premier plan. Il faut aussi retenir des instruments de mesure : 3 questionnaires
+1 qu’elle a dû se résoudre à laisser inachevé. Ce bilan représente un monument de savoirs attendus par le monde de
l’entreprise. Signalons, à cet égard, le Traité de psychologie du travail, publié en 1987, car y figurent déjà toutes les
interrogations actuelles que suscitent l’évolution du travail.
Claude Lévy Leboyer a reçu de nombreuses distinctions : Officier des Palmes académiques, Chevalier de l’Ordre national du
mérite, Chevalier de la Légion d’honneur, elle est aussi Docteur Honoris Causa de l’Université du Surrey.
Incontestablement, Claude Lévy-Leboyer a fait bouger les lignes, partout où elle est passée. Elle a su anticiper le futur de la
discipline. Elle s’est engagée et son chemin a été couronné de lauriers. Elle a pris des risques- et des coups- afin d’inventer,
de promouvoir - au contraire de bien d’autres qui restent à l’abri, s’en tiennent à répéter dans des domaines traditionnels.
Nous sommes nombreux à lui devoir beaucoup, au plan personnel, à avoir à dire que nous ne serions pas là où nous sommes
sans elle qui nous faisait confiance, nous tendait la main, neutralisait les freins. Maintenant qu’elle est partie dans son chemin
de Lumière, souvenons-nous de sa contribution inestimable au développement et au rayonnement de l’Institut de Psychologie
et de l’Université Paris Descartes, chers à son cœur.
Janine Beaudichon et Vincent Rogard
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