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Une expérience pédagogique de plus de douze ans à l'université.
Depuis  plus  de  douze  ans, à  l'université,  j'ai accepté  d'ouvrir  cet  espace de
dialogue pédagogique à travers l'enseignement de la vision du monde d'un sage
d'origine indienne, en vérité transculturel et transreligieux, Krishnamurti. Ces
années d'enseignement m'ont fait comprendre  le besoin de parole des jeunes
gens sur le sens de la vie et de l'éducation. Mais désir d'une parole "autre" qui
doit savoir respecter toutes les diversités, toutes les appartenances, mais sans
pourtant être tiède et dénué de fermeté critique.
C'est à ,partir de cette expérience éducative que je réfléchirai sur les rapports du
spirituel et de l'éducation dans la société moderne. Pour ma part, il s'agit bien
d'une  ouverture  nécessaire  qui  permet  une  relation  dialogique  entre  une
dimension de connaissance de soi et une dimension liée aux savoirs externes
pluriels et critiques.. L'éducation redevient alors ce qu'elle n'aurait jamais dû
perdre de vue : la formation de l' "homme de bien" comme disent les anciens
Chinois.
Je distingue dans le spirituel, le sacré radical et le sacré institué. Le premier
demeure ce qui anime tout élan vital, toue acte créateur. Le second est ce qui
fige le plus souvent et inscrit le premier dans les moules institutionnels, avec
leurs intérêts symboliques, économiques et politiques.
L'éducation est un art de rigueur qui permet à chacun de découvrir ce spirituel
radical, bouleversant, essentiellement critique de tout ordre établi, en soi-même
et dans la relation avec les autres et le monde.
C'est d'abord un arrachement à l'éducation acquise, religieuse ou athée, à ses
violences  symboliques,  à  ses  jeux  et  ses  enjeux  subtils,  qui  nous  animent
jusqu'au  fond  de  nous-mêmes.  C'est  l'assomption  d'un  espace  libre  donc
angoissant lorsque cet arrachement nous place face à nous-mêmes. C'est enfin la
découverte de cet élan vital qui nous relie à une totalité en acte, un processus
énergétique sans commencement ni fin où toutes les formes sont reconnues dans
leur structuration, déstructuration et restructuration incessantes.
L'éducation radicale atteint ce point du spirituel intramondain où le sujet lui-
même  se  délite.  A  la  persona  succède  le  sujet  sans  nom,  le  "personne"
proprement dite. Qu'est-ce qu'une personne ? un individu chez qui il n'y a plus
"personne" à nommer parce qu'il a reconnu, dans le travail intérieur exigeant,
son insertion totale dans un espace-temps cosmique qui le dépasse et dont il sait
qu'il en est le porteur essentiel et tout à fait éphémère.
La personne du spirituel radical, qui est un spirituel dégagé de tout système
religieux, ne parle plus du sacré parce qu'il n'a plus besoin de nommer le sacré.