plus, tous les chevaux ont une organisation commune qui les distingue de tous les chiens, etc. De
même, une table (à dessin, à écrire, à manger, à langer… et même de logarithmes, qui n'est pas en
bois !) se distingue d'une chaise. Un chat est un chat. Il y a donc une Idée du Cheval ou de la Table,
c'est-à-dire un certain plan nécessaire à une catégorie d'objets et répondant à une définition, par
exemple, pour la table : une surface sur laquelle sont rassemblés des éléments en vue d'un certain
travail. Même si toutes les tables en bois venaient à disparaître, la nécessité de leur plan subsisterait,
c'est ce que Platon veut dire quand il affirme que les Idées ont plus de réalité que les phénomènes.
Quant à cette unité, cette cohérence qui caractérise chaque être et dont Plotin parlera abondamment,
elle ne peut venir que d'une source mystérieuse que Platon appelle, faute de mieux, le Bien, source
d'ordre cosmique. De plus, JE ne peux nier la notion d'être, puisque moi-même j'en suis un. Enfin, il
faut remarquer ici ce qui caractérise la philosophie grecque toute entière : l'allégorie de la caverne
propose un théocentrisme, un réalisme dans lequel l'homme est le plus éloigné possible de la source
de l'être. Par opposition, la philosophie moderne est un anthropocentrisme, un humanisme, un
subjectivisme qui affirme les « droits de l'homme » et débute toute méditation par un « cogito ».
Enfin, Platon méprise ces sous-êtres trompeurs que sont les « phénomènes », séparés, privés de la
réalité suprême du Bien, perceptible par le philosophe. Plotin au contraire magnifie le phénomène en
sa beauté, puisque l'Un ou Dieu est tout entier en chacun (panthéisme), et que le Bien, à proprement
parler, n'existe pas en soi, mais seulement dans les phénomènes.
Cette thèse de Plotin, selon laquelle l'Etre est tout entier partout en même temps, …
Historiquement, la thèse de Plotin sur l'indivisibilité et l'ubiquité de l'Etre, source des Idées,
ou Formes, répond donc à l'objection que Platon lui-même se pose dans son dialogue Parménide,
objection devant laquelle celui-ci semble reculer et qui aurait incité Aristote à renoncer à la théorie
des Formes : comment une même Forme peut-elle être toute entière à la fois dans chaque être qu'elle
informe ? comment la « participation » est-elle possible ? Voyons maintenant l'énoncé de la thèse de
Plotin selon laquelle « ce qui est un et identique peut être en même temps partout », et comment
cette affirmation qui paraissait incompatible avec la physique du début du XXe siècle est maintenant
en accord avec la physique la plus récente. Il ne s'agit pas, en effet, ici, d'étudier Plotin à la manière
universitaire, comme une pièce de musée, mais de voir s'il est plus qu'une fiction poétique et s'il peut
éclairer notre vie d'aujourd'hui. Voici ce qu'il écrit dans le 22e traité, chapitre 3 : «Il ne faut pas
s'étonner que l'Etre soit présent en tout ce qui est dans un lieu, sans être lui-même dans un
lieu ; c'est le contraire qui serait étonnant, et même impossible : s'il avait un lieu propre,
comment serait-il présent aux objets qui seraient en un autre lieu, ou, du moins, intégralement
présent, comme nous le disons maintenant ? C'est parce qu'il n'a point de lieu, la raison nous le
dit, qu'il peut être présent tout entier dans les choses où il est, et qu'il est présent tout entier en
toutes aussi bien qu'en chacune. Sinon, chacune de ses parties serait en un endroit différent, il
serait un corps.» Or, «chaque corps est ce qu'il est grâce à sa forme ou Idée ; or, cette forme
n'a point une étendue déterminée, ni même une étendue quelconque.» L'Etre n'est pas non plus
l'ensemble des parties, prises comme un Tout, car « si l'ensemble des parties était l'Etre, aucune
partie, à elle toute seule, ne serait l'Etre.»
… est illustrée par l'exemple de la lumière qui, abstraction faite du corps lumineux, est
indivisible, n'a pas d'origine et est partout en même temps.
Plotin développe cette thèse par un exemple. Déjà Platon posait, dans la première partie du
Parménide, l'alternative suivante : la forme est-elle présente toute entière à la fois en des choses
multiples et discontinues à la manière d'un voile qui recouvre plusieurs individus, ou bien à la
manière du jour qui, un et identique, est en beaucoup de choses présent sans être pour cela séparé de
lui-même ? Plotin élabore cette image d'une manière ingénieuse et compliquée, en VI, 4, ch. 7 et 8 : «
Prenons comme centre une petite masse lumineuse ; plaçons autour d'elle un corps sphérique
et transparent, de telle manière que la lumière se propage du centre à toute la sphère, sans que