Le rôle de l`institution bancaire dans l`Egypte contemporaine. Pour

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Université Lyon 2
Institut d'Etudes Politiques de Lyon
François Chamosset
Séminaire : économies nationales du Monde Arabe
Sous la direction de Lahouari Addi
mémoire soutenu le 29 juin 2009
Le rôle de l’institution bancaire dans
l’Egypte contemporaine. Pour une
illustration de la dialectique entre
marché et Etat dans une économie en
développement
Jury : Daniel Dufourt
Table des matières
Remerciements . .
Introduction Générale . .
Délimitation du sujet . .
Délimitation du terrain . .
Pourquoi l’Egypte ? . .
Pourquoi le secteur bancaire ? . .
Problématique . .
Plan . .
Partie 1 : La notion de système bancaire dans l’économie Egyptienne contemporaine . .
I. Du libéralisme Wafdiste à l’ajustement structurel, rôle de la Banque dans l’Egypte du
XXe siècle. . .
1. Le rôle de la banque dans l’institution de l’Etat Egyptien : du libéralisme au
capitalisme d’Etat. . .
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1. Banque et Etat à la fin des années 1990 . .
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30
2. Bilan de la réforme du système financier initiée en 2003 : quelle libéralisation du
marché bancaire ? . .
40
2. Réformes et désillusions de Sadate à Moubarak (1977-2000) . .
II. La réforme du secteur bancaire : un débat perpétuel . .
Partie 2 : L’apparition de structures financières extérieures au secteur bancaire : les
exemples de la finance Islamique et de la micro finance. . .
I. Evolution du paradigme de finance Islamique en Egypte . .
1. Genèse de la finance Islamique dans le secteur public : la caisse d’épargne Mit
Ghamr et la Banque Sociale Nasser . .
2. Apparition d’un système financier privé, puis informel dans les années 1980 : de
la libéralisation à la répression . .
3. La finance Islamique au XXIe siècle : discours et réalité . .
II. La micro finance en Egypte : libéralisation endogène ou exogène de l’accès aux produits
financiers ? . .
1. Mise en place de la micro finance sous pression internationale : les raisons d’un
succès relatif . .
2. La micro finance entre maintien des entraves bureaucratiques et émergence d’un
marché autonome. . .
Conclusion Générale . .
Bibliographie . .
Ouvrages . .
Articles de presses, de revue et contributions . .
Littérature Grise : travaux universitaires et publications officielles . .
Sites Internet et ressources en ligne . .
Annexes . .
Liste des sigles utilisés . .
Résumé . .
Mots clés . .
Abstract . .
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83
Keywords . .
83
Loi n° 88/2003 relative à la Banque Centrale, au Secteur Bancaire et à la politique
monétaire (assortie des amendements issus de la loi n°141/2004 et n°93/2004) . .
83
Loi n°10/2009 de régulation des marchés financiers non bancaire (traduction non
officielle) . .
83
Remerciements
Remerciements
Je tiens à remercier particulièrement M. Lahouari Addi, mon professeur dans le cadre du séminaire
« économie nationale du Monde Arabe », pour sa disponibilité et ses conseils.
Un grand merci aussi à Kathia Zakaria, pour m’avoir fourni les quelques précisions
étymologiques nécessaires à la définition du sujet, à Carole Servière, de l’ONG Planet Finance,
pour m’avoir orienté sur le secteur de la micro finance en Egypte, et à Laetitia Habchi, de l’Agence
Française de Développement au Caire, pour ses précisions sur la réforme en cours du secteur
bancaire Egyptien.
Je tiens également à remercier le service numérique de l’Université Lyon 2, et Corentin, pour
son soutien lors de la phase d’impression et de mise en forme de la page de garde.
Chamosset François - 2009
5
Le rôle de l’institution bancaire dans l’Egypte contemporaine. Pour une illustration de la
dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement
Introduction Générale
Délimitation du sujet
Dans son ouvrage de référence intitulé La grande transformation. Aux origines politiques et
économiques de notre temps, Karl Polanyi présente l’économie de marché de la manière
suivante :
Cette conception nouvelle de l’économie est née sous la plume des économistes
britanniques classiques de la deuxième moitié du XVIIIe siècle, puis s’est ensuite répandue
sur l’ensemble de l’Europe Occidentale avant de s’imposer au reste du monde par le
biais des entreprises de colonisation. Ainsi, les organisations internationales pour le
développement économique, à l’instar du Fond Monétaire International et de la Banque
Mondiale enjoignent les pays à travailler en direction de l’établissement d’une économie de
marché sur leur territoire, c’est à dire à laisser au maximum le système de prix dominer les
relations entre agents économiques.
Par ailleurs, l’avènement de l’économie de marché comme standard mondial de
régulation économique s’est accompagné de la formation du concept d’Etat Nation à partir
du traité de Westphalie de 1648. Regroupant un peuple à l’intérieur d’un territoire donné et
sous la direction d’un gouvernement central, l’Etat Westphalien se caractérise par l’exercice
de la compétence de souveraineté dont il est l’unique détenteur sur son territoire. L’Etat
s’est non seulement imposé en tant que sujet premier du droit international, mais aussi
comme unité de base de la mesure des rapports de force économique entre les nations
dans le système international contemporain. Il s’agira dans ce travail de distinguer la notion
de nation, regroupant l’ensemble des activités de production de richesses sur un territoire
donné, de celle d’Etat, au sens économique du terme, qui désigne alors la puissance
politique en charge de l’organisation et de la régulation de l’activité économique sur ce
territoire.
La confrontation de ces deux concepts clés de notre travail nous donne donc l’occasion
de cerner deux aspects centraux de notre sujet :
Tout d’abord, les notions d’économie de marché, et d’Etat nation sont socialement
et historiquement construites dans le contexte de l’Europe occidentale du XVIIIe siècle.
L’exportation de ces concepts à la quasi totalité des cultures politiques et économiques de
la planète a dû faire l’objet de processus d’appropriation locaux spécifiques à chaque région
du monde.
Ensuite, la mise en œuvre conjointe des concepts d’Etat, et d’économie de marché a
été inévitablement conflictuelle. Puisque l’économie de marché ne saurait idéalement se
laisser guider par d’autres paramètres que l’évolution des prix, tandis que l’Etat, en tant
que détenteur ultime de la puissance souveraine, ne saurait se laisser dicter sa conduite
par une autre entité sociale que lui-même. A fortiori, lorsque le gouvernement d’un Etat
donné est autoritaire, il lui sera difficile de laisser s’exprimer les forces du marché si cellesci contredisent son intérêt premier.
6
Chamosset François - 2009
Introduction Générale
Nous formulerons l’hypothèse que le secteur bancaire, de par son rôle d’arbitre entre
besoins et capacités de financements, constitue le lieu d’affrontement par excellence entre
les intérêts du marché et ceux de l’Etat. Dans tout système économique moderne, la banque
est le lieu ou sont accumulées les richesses produites par le système économiques. La
logique du marché veut que l’épargne constituée par les agents économiques soient placés
auprès de l’entrepreneurs le plus offrant en terme de rémunération. L’Etat ne pouvant par
nature pas proposer d’investissements rentables du point de vue économique, il va se
trouver dans l’obligation de fixer des règles visant à fausser la loi du marché pour pouvoir
détourner une partie de l’épargne nationale à son avantage.
Dans les Etats occidentaux, la solution qui a été retenue pour la résolution de ce type
de conflictualité est l’adoption d’un système politique libéral dans lequel l’Etat a pris un rôle
d’arbitre des conflictualités sociales inhérentes à l’économie de marché et dont les modalités
d’intervention sont régulées par un processus démocratique plus ou moins pacifié.
Notre travail s’articulera donc autour des deux problèmes suivants :
- Tout d’abord,
comment s’est déroulé le processus d’appropriation conjointe des
concepts d’économie de marché par les sociétés ne faisant pas partie au départ de l’aire
culturelle occidentale ?
- Ensuite,
comment s’exprime le rapport de force entre construction de l’Etat
nation et mécanismes de marché au sein d’un système politique autoritaire, et est-ce que
cette dialectique entre Etat et économie peut déboucher à terme sur un processus de
démocratisation ?
Délimitation du terrain
Pourquoi l’Egypte ?
Nous avons jugé l’étude de l’Egypte contemporaine comme un cas particulièrement adapté
aux deux thématiques évoquées précédemment. Et ce pour au moins trois raisons :
Tout d’abord, l’Egypte est un Etat très jeune, qui n’a connu véritablement son
indépendance qu’avec le soulèvement des officiers libres de juillet 1952 qui a porté Gamal
Abd El Nasser au pouvoir. Il s’agit cependant d’une vieille économie de marché qui a
été parfaitement intégrée au processus de la première mondialisation (1850-1914 environ)
et s’est dotée très tôt d’un système économique libéral sous la domination du colon
britannique. Cependant, on peut dire que l’économie égyptienne est restée très en retrait
au cours de ce que l’on a appelé la seconde mondialisation (1980 à nos jours environ),
puisqu’elle reste encore dans le groupe des économies en voie de développement selon
1
le Programme National des Nations Unies pour le Développement . Un exemple bien
précis nous permet d’illustrer l’évolution du rôle de l’économie Egyptienne dans l’économie
e
mondiale entre la première et la seconde mondialisation : en 1945 le Caire était la 6
1
Classement des nations en fonction de leur Indicateur de Développement Humain disponible sur www.undp.org/en/statistics/
, page consultée le 13 juin 2009
Chamosset François - 2009
7
Le rôle de l’institution bancaire dans l’Egypte contemporaine. Pour une illustration de la
dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement
place financière mondiale, en 2009, elle n’est plus que la troisième en Afrique, loin derrière
2
l’Afrique du Sud et le Maroc .
Ensuite, le processus d’affirmation de l’Etat Nation Egyptien en cours a mené à
l’enracinement d’un régime autoritaire dont le dirigeant, M. Mohammed Hosni Moubarak
est en poste depuis 1981. Aucun scrutin pluraliste d’envergure nationale n’a pu avoir lieu
avant l’élection présidentielle de 2005 ou Hosni Moubarak a recueilli officiellement dès le
premier tour quelque 88% des suffrages. L’ensemble du secteur économique national étant
encore largement dominé par le secteur public, on peut faire le double constat a priori
paradoxal d’une privatisation de l’espace public, que s’approprient une petite bourgeoisie
d’Etat qui soutient le régime actuel, d’une part ; et d’une publicisation de l’espace privé,
par le maintient de la domination du secteur public sur l’économie nationale, a priori d’État.
L’Égypte constitue de ce fait un exemple très concret de ce que l’on nomme généralement
3
à propos des grandes dictatures du Sud, un « néo patrimonialisme » .
Enfin, on décèle, lorsque l’on considère l’histoire de l’Egypte contemporaine depuis
1952, une sorte de récurrence de la rhétorique de la libéralisation du secteur économique.
On constate une première occurrence de ce type de discours sous le régime d’Anouar Al
Sadate lors de la politique dite « de la porte ouverte » (Infitah) après 1974. Plus tard, en
1991, on retrouve ce même type de discours à propos des réformes dites « d’ajustement
structurels » mises en place en échange d’un programme de rééchelonnement de la dette,
négocié avec le Fond Monétaire International. Or il se trouve que nous vivons actuellement
une période – qui a débuté au moment de la campagne électorale pour les dernières
présidentielles – où le discours de libéralisation économique est de nouveau avancé par le
premier ministre actuel Ahmad Nazif. C’est la Banque Mondiale qui est cette fois la marraine
internationale du projet et qui fournit conjointement capitaux et assistance technique pour
mener à bien ce nouveau programme. Il apparaît donc a priori que le moment est bien choisi
pour établir, quatre ans après son lancement, un premier bilan des chantiers de réformes
économiques mis en œuvre par le gouvernement Nazif.
Pourquoi le secteur bancaire ?
Dès lors se pose évidemment la question du choix du secteur bancaire pour traiter la relation
entre marché et Etat dans l’Egypte contemporaine. À nouveau, trois raisons majeures
peuvent être évoquées.
Tout d’abord, nous constaterons au cours de ce travail que le secteur bancaire a
toujours été une priorité des différentes réformes du secteur économique entreprises
depuis 1952. Nous verrons également que l’analyse de ce secteur constitue un indicateur
généralement assez fiable du degré de réactivité de l’ensemble du secteur économique aux
mécanismes de marché.
Ensuite, il apparaît que le système bancaire Egyptien est fortement imbriqué dans
le circuit financier de l’Etat et que la libéralisation des marchés du crédit et de l’épargne
risquerait éventuellement de porter atteinte à un certain nombre d’intérêts vitaux du régime.
Ce qui place le pouvoir politique dans une situation particulièrement délicate sur la question
de la privatisation du secteur bancaire, dossier pourtant central dans le programme de
2
3
Commission Economique pour l’Afrique, Etat de l’intégration régionale en Afrique, Addis Adeba, 2004, p. 140
Concept défini par Eisenstadt, Shmuel N., in Traditional Patrimonialism and Modern Neopatrimonialism. Beverly Hills: Sage
Publications, 1973, et cité in Addi, Lahouari in Etat et pouvoir, approche méthodologique et sociologique, Office des Publications
Universitaires, Alger, 1990, p. 120
8
Chamosset François - 2009
Introduction Générale
réformes en cours depuis 2004. Selon Jean Yves Moisseron et Françoise Clément, la
stratégie du gouvernement Nazif consiste à appliquer à la lettre les recommandations de la
banque mondiale en matière de politique économique afin de faire oublier à la communauté
internationale le coup d’arrêt porté à la dynamique de libéralisation, cette fois politique, du
4
régime depuis 2005 . Cependant, une véritable libéralisation du secteur bancaire ne serait
pas pour autant sans effets sur la pérennité du régime, et il convient de s’interroger sur
l’honnêteté de la politique d’ouverture économique entreprise.
Enfin, il existe en parallèle des activités bancaires réalisées sous le contrôle de l’Etat
un marché informel très actif de l’épargne et du crédit qui témoigne du caractère inadapté
de l’offre de service bancaire à l’ampleur de la demande présente au sein de la société.
L’Etat tente régulièrement de satisfaire cette demande par des moyens « formels », tout en
cherchant à prendre le contrôle des parts de marchés générées par le développement de
ces activités. C’est selon nous dans cette optique qu’est né le concept de finance islamique
en Egypte, et c’est certainement pour les mêmes raisons que l’Etat tolère depuis la fin des
années 1980 que des Organisations Non Gouvernementales pratiquent des activités de
micro crédit. Ce dernier aspect du secteur bancaire Egyptien est probablement celui dans
lequel la conflictualité entre logique de marché et affirmation de l’autorité de l’Etat s’exprime
le plus concrètement.
Problématique
Les principaux enjeux du présent travail ayant été exposés, nous pouvons les synthétiser
à l’intérieur de la problématique suivante :
Comment se manifeste l’autorité de l’Etat Egyptien dans son comportement vis-à-vis du
secteur bancaire, pris dans son sens le plus général (c’est à dire toute structure économique
octroyant des crédits et recueillant l’épargne du grand public) ?
La réponse à la présente problématique s’articule autour de deux questions plus
précises qui feront chacune l’objet d’une partie de ce travail :
- Assiste-t-on aujourd’hui en Egypte à un véritable processus de libéralisation du
système bancaire, impliquant notamment la réactivation de mécanismes de marchés dans
le comportement des acteurs privés ?
- Le développement de pratiques bancaires « marginales » en collaboration avec l’Etat
peut-il amener à une remise en cause de l’autorité de l’Etat sur l’ensemble de l’économie
nationale ?
Sans pour autant en faire l’objet premier de ce travail, il ne faudra jamais perdre de
vue l’hypothèse selon laquelle une libéralisation du système économique Egyptien dans
son ensemble amène forcément à la mise en place d’un pluralisme politique. Cette position
sera rediscutée en conclusion.
4
Moisseron, Jean-Yves et Clément, Françoise, « Changements visible ou invisibles : la question de l’émergence de l’économie
Egyptienne ? » in Ben Nefissa, Sarah, L’Egypte sous pression ? Des mobilisations au verrouillage politique, in Politique Africaine, n
°108, décembre 2007, Karthala, pp. 106-125
Chamosset François - 2009
9
Le rôle de l’institution bancaire dans l’Egypte contemporaine. Pour une illustration de la
dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement
Plan
Comme on l’a vu le présent mémoire comportera deux grandes parties abordant
successivement les thèmes du rôle du système bancaire « formel » dans l’appareil d’Etat,
et le processus d’intégration de pratiques bancaires marginales et informelles à l’intérieur
de la légalité.
Lors de la première partie de ce travail, nous tenterons tout d’abord une approche
historique du rôle du secteur bancaire dans le processus de construction de l’Etat
Nation Egyptien. Nous insisterons notamment sur le système financier dans l’Egypte pré
Nassérienne, sur les changements apportés par le régime des officiers libres, les enjeux de
la politique d’ouverture sous Sadate pour le secteur bancaire ainsi que sur son évolution
depuis le début de l’ère Moubarak. Ensuite, nous analyserons les enjeux de la réforme
actuelle en deux temps : en premier lieu en s’appuyant sur l’étude réalisée par Abou Elias
5
Haidar en 2000
sur les relations entre les banques et l’Etat avant la réforme de 2004 ; en
second lieu en constatant par nous même la réalité des évolutions observables depuis le
début de cette réforme. Nous arriverons à la conclusion que le secteur bancaire dit formel
n’est absolument pas le reflet du marché national du crédit et de l’épargne, en ce sens qu’il
ne reflète en rien la réalité de l’offre et de la demande de financement émanent du système
économique dans son ensemble.
La seconde partie visera quant à elle à montrer que le décalage entre le secteur
bancaire formel et la réalité des marchés de financement entraîne inévitablement la
formation d’un marché du crédit et de l’épargne informel sur lesquels l’Etat perd tout contrôle.
Nous circonscrirons nos recherchent en ce domaine à deux épisodes de l’histoire bancaire
du pays au cours desquels la formation de pratiques bancaires marginales a donné lieu à
des tentatives d’intégrations au secteur bancaire dit « formel ». Ces deux exemples sont
ceux de la finance islamique et du micro crédit. Il s’agira dans le premier cas de revenir
sur les événements qui ont menés à une remise en cause ouverte de l’autorité de l’Etat
sur le système financier et à la vague de répression qui s’est ensuite abattue sur cette
activité. Puis nous tenterons de mettre en lumière les réticences exprimées par l’Etat quant
au développement d’un secteur autonome de la micro finance en Egypte.
5
Abou Haidar Elias, Libéralisme et capitalisme d’Etat en Egypte. L’impossible privatisation des banques publiques, L’harmattan,
Paris 2000. (pp. 24-29)
10
Chamosset François - 2009
Partie 1 : La notion de système bancaire dans l’économie Egyptienne contemporaine
Partie 1 : La notion de système
bancaire dans l’économie Egyptienne
contemporaine
L’objectif de cette présente partie n’est pas directement de parvenir à un bilan financier
détaillé des rapports de force au sein du système bancaire Egyptien, mais d’interroger le
concept de banque en lui-même et la signification qui lui est donné dans un contexte culturel
particulier. Dans l’imaginaire occidental, la banque semble aussi vieille que le concept même
de marché. Alors qu’au moyen âge, un système financier embryonnaire ne servait qu’à
assurer la sécurité des voyageurs par le moyen de la lettre de change, son importance a cru
avec le développement du capitalisme en Grande Bretagne à la fin du XVIIIe siècle et s’est
imposée par la suite comme une institution indispensable à toute société moderne. Ainsi,
6
Karl Polanyi avance que ce sont les grands banquiers d’affaires Européens, qui ont été les
principaux acteurs de la relative pacification des relations entre grandes puissances en 1815
et 1914 (ce que l’auteur nomme « la paix de cent ans »). La banque en tant qu’institution de
réception de dépôts et d’octroi de crédits s’est répandue en même temps que le capitalisme
à l’ensemble des économies de la planète. Il est difficile de repérer l’arrivée du mot « bank »
dans le dialecte Egyptien courant. Peut être est-ce un terme tiré de l’Italien « banca »,
qui serait apparu dans la lingua franca des marchands des ports Arabes du XIIIe ou XIVe
siècle ? Ou alors ce serait un terme importée plus récemment par les colonisateurs Français
7
ou Britanniques au cours du XIXe siècle ? . Toujours est-il que le terme « bank » s’est
progressivement imposé, autant dans les langues vernaculaires que véhiculaires d’Egypte
et du reste du monde Arabe, en lieu et place du terme consacré de l’Arabe classique
« moussaraf », qui a dû certainement être abandonné car ne recouvrant pas l’ensemble
8
des caractéristiques évoquées par le concept de banque . Pourtant, les sociétés médiévale
dans le monde Arabe se sont organisées, non pas autour des activités agricoles comme en
occident, mais autour des échanges commerciaux entre centres urbains. Ce qui a donné
lieu au développement de nombreuses techniques financières modernes. Ainsi, doit-on
à la langue arabe les origines étymologiques des termes de « chèque » (al-Chiik) et de
« crédit » (al-Qard).
Comme toute organisation sociale se revendiquant de l’Etat Westphalien, l’Egypte
contemporaine est le produit d’une dialectique historique entre les forces du marchés et
celles de l’Etat. Nous tenterons donc d’analyser l’état du rapport de force entre ces deux
entités à partir de l’exemple central du système bancaire. Nous préférerons ici parler
davantage de système bancaire plutôt que de marché bancaire, dans la mesure ou il s’agira
de comprendre de quelle manière les institutions bancaires sont enchâssés dans le circuit
financier de l’Etat.
6
7
Op. Cit. Chapitre 1, « La paix de cent ans », pp. 21-41
Merci à Kathia Zakaria pour ces éclairages étymologiques, qui constituent des sujets de mémoires à eux seuls et ne peuvent
malheureusement pas être développés ici.
8
À noter que le terme Moussaraf est toujours usité en arabe moderne, mais désigne un bureau de change
Chamosset François - 2009
11
Le rôle de l’institution bancaire dans l’Egypte contemporaine. Pour une illustration de la
dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement
Il est donc important dans un premier temps de nous interroger sur le rôle qui a été
confié à ces institutions dans ces moments de conflictualité entre Marché et Etat, ainsi que
sur l’action du secteur bancaire dans la formation de l’Egypte contemporaine.
Par la suite nous analyserons le secteur bancaire en deux temps distincts : tout d’abord
par une analyse du secteur bancaire à la fin des années 1990, puis par une réflexion sur
les dynamiques de réformes initiées depuis le début des années 2000.
I. Du libéralisme Wafdiste à l’ajustement structurel,
rôle de la Banque dans l’Egypte du XXe siècle.
Au XIXe siècle en Egypte, la banque est une institution essentiellement importée : les
grandes banques d’investissement qui financent l’industrialisation naissante du pays sont
toutes d’origine étrangère. Il s’agit soit de succursales des grandes banques d’Affaire
Européennes, soit d’institutions locales, mais créées et détenues par ceux que l’on appelle
à l’époque les mutamassirun (les investisseurs), hommes d’affaires émigrés de l’ensemble
du pourtour méditerranéen (Grecs, Italiens, Arméniens, Juifs) qui cherchent à faire fortune
en Egypte
En revenant conjointement sur l’économie politique du pays et sur la place qu’y
prendra le secteur bancaire, nous tenterons d’établir ici un parallèle entre la formation d’un
Etat Nation indépendant et la construction progressive d’un système financier moderne.
Nous expliquerons donc dans un premier temps comment le processus d’acquisition de
l’indépendance s’est traduit par la transformation d’un secteur bancaire pluraliste et libéral,
en un système hautement centralisé et concentré exclusivement dans les mains de l’Etat.
Par la suite, il s’agira de mettre en lumière le rôle des institutions financières dans la
politique économique du pays nouvellement indépendant, et notamment dans la résolution
du problème de la dette extérieure.
1. Le rôle de la banque dans l’institution de l’Etat Egyptien : du
libéralisme au capitalisme d’Etat.
A. Banque et naissance de l’Etat Nation.
9
Dans un article de 1985, Robert Bianchi parlait « d’évolution discontinue » (« discontinuous
evolution »), pour qualifier la conjoncture économique Egyptienne entre 1922 et 1952.
On assiste sous la période Monarchique à l’avènement d’une nouvelle classe d’hommes
d’affaires qui profitent du détournement momentané des intérêts Britanniques de l’Egypte
pour investir leur propre marché national et prendre un ascendant croissant sur le pouvoir
10
politique. Robert Vitalis décrit une économie nationale embryonnaire et dominée par un
oligopole composé de trois grand consortiums Egyptiano-Egyptiens : le groupe Abbud, le
9
Bianchi Robert, « Businessmen's Associations in Egypt and Turkey », The annals of the American Academy of Political and Social
Science 482, no. 1 (Novembre 1, 1985): 147-159.
10
Vitalis Robert « When Capitalists Collide: Business Conflict and the End of Empire in Egypt » in The Journal of Economic History
56, no. 02, 1996, University of California Press, Berkeley pp. 517-519
12
Chamosset François - 2009
Partie 1 : La notion de système bancaire dans l’économie Egyptienne contemporaine
11
groupe Yahya et la Banque Misr. Joël Beinin préfère quant à lui parler de « Capitalisme
Colonial » pour décrire cet ordre économique, qui selon, lui, n’a rien de spécifique à l’Egypte,
mais qui est au contraire commun à bon nombre de sociétés colonisées à la même époque.
C’est en tout cas dans cette période qu’il faut rechercher les fondements de l’économie
politique Egyptienne moderne.
Sur les 26 banques implantées dans le pays avant 1952, on étudiera le parcours de
deux d’entre elles particulièrement liées au destin national : la Banque Misr et la National
Bank of Egypt. La première semble introduire les prémices d’une politique économique
auprès des élites gouvernantes, tandis que la seconde constitue concrètement un embryon
d’institution monétaire.
Une banque Egyptienne en Egypte : la banque Misr et l’avènement d’une
bourgeoisie nationaliste.
Le projet de « banque Egyptienne pour les Egyptiens » a été soutenu par Mohammed
12
Talaat Harb dès le début du siècle dans diverses publications (en 1907 et 1911 ). Mais il
faut attendre la révolution de 1919 pour que naisse une institution conforme à ce projet :
la Banque Misr. C’est, semble-t-il, le début d’une forme de patriotisme financier, qui vient
parachever l’avènement d’une conscience nationale à l’intérieur de la classe bourgeoise
Egyptienne.
Le groupe Misr constitue un fer de lance du développement industriel de l’Egypte et
participe à la protection des intérêts des nouveaux capitaines d’industrie et propriétaires
terriens en concurrence des « mutamassirun ». Durant les années 1920 et 1930, Le groupe
industriel Misr sera un acteur central de l’ouverture de la société Egyptienne au Capitaliste,
acquérant jusqu’à 37 filiales dans divers secteurs de l’économie nationale.
13
Cependant, la banque Misr fait faillite en 1939. M. Clement-Henry évoque deux
raisons à cet échec. Premièrement, la création d’un groupe industriel puissant et autonome
supposait comme conditions préalable ce qui était en fait l’objectif de la banque Misr :
14
« the model presupposed the condition it purported to create »
. En d’autres termes, il
apparaît que l’industrie Egyptienne n’est à cette époque pas assez développée pour qu’une
grande banque nationale puisse s’y imposer et devenir rentable. D’autre part, d’un point de
15
vue exogène, les rivalités impérialistes qui s’affrontent au Caire avant la seconde guerre
mondiale ont conduit à une crise de confiance des investisseurs étrangers vis-à-vis de
l’Egypte, débouchant sur une crise de liquidité touchant la Banque Misr. Obligé de dépenser
une énergie et des efforts financiers considérables pour conserver la confiance du pouvoir
politique, et notamment des Anglais, Talaat Harb ne peut pas se consacrer pleinement à un
financement massif de l’industrie. Enfin, les nombreux scandales qui éclatent à la fin des
années 1930 autour de la gestion des comptes de la banque Misr conduisent à l’éviction
11
Beinin Joel, « Egypt society and economy 1923-1952 », in M. W. Daly et Carl F. Petry (dir.), The Cambridge history of Egypt. Vol.
II, Cambridge university Press, 1998. (p. 318)
12
Harb, Talaat ‘Ilaj misr al-iqtisadi wa mashru’ bank al misryyin aw bank al-umma, Le Caire, 1911
13
Clement-Henry, M. The Mediterranean Debt Crescent : money and power in Algeria, Egypt, Morocco, Tunisia, and Turkey,
Florida international University Press, 1996
14
15
Ibid. p.217
Notamment entre Berlin et Londres
Chamosset François - 2009
13
Le rôle de l’institution bancaire dans l’Egypte contemporaine. Pour une illustration de la
dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement
de Talaat Harb du directoire de la société, condition imposée par les Anglais, en préalable
à toute intervention de la National Bank of Egypt (NBE) pour sauver le groupe Misr.
Il faut cependant remettre l’épisode de la faillite de la banque Misr dans son contexte :ce
genre d’incident semble très fréquent en Egypte durant la première moitié du XXe siècle.
16
Henry Clement cite entre autre celle de la Bank of Egypt (pourtant administrée par des
fonds britanniques) en 1911.
Mais l’apport de Harb à l’économie politique Egyptienne fut sans doute d’avoir
découvert le pouvoir d’influence des activités de crédit sur la sphère politique. Par la mise
en place d’un programme de substitution aux importations par l’industrialisation, il acquiert
l’image d’un précurseur, et devient le premier planificateur de l’Histoire du Pays lorsqu’en
1929, il impose à son groupe industriel un plan de développement économique décennal.
17
John Waterbury n’hésite pas à faire de l’épisode de la banque Misr un avant goût du
modèle économique Nassérien. :
18
À propos de l’épisode de la Banque Misr, Clement Henry
soulève un paradigme
intéressant qui pourra faire l’objet de discussions ultérieures. Il affirme que la « Bank do
indeed reflect the social and political order of which they are part, in rather competitive way.
A competitive bank system reflect a pluralistic capitalist order »
En d’autres termes, Clement avance ici que le projet de Harb de bâtir un groupe
industriel national et hégémonique n’étaient pas adaptés au climat de libéralisme
économique qui dominait les relations entre les trois grands groupes industriels cité plus
haut. La restructuration de 1939 avait donc pour objet, en éliminant Talaat Harb (qui mourra
en 1941), de réadapter cette institution au modèle économique oligopolistique dans laquelle
elle se trouvait (en la dépeçant au passage de son incarnation nationaliste). Et Clement
19
d’ajouter, pour boucler la boucle que : « To achieve a monopoly of political power, Nasser
would therefore have to disaggregate the very institution that had once embodied nationalist
aspirations for monopoly capitalism »
Le rôle de la Banque Nationale d’Egypte dans la définition de la politique
monétaire sous la monarchie.
Qu’on ne s’y trompe pas, l’apparition du terme « national » dans le nom de cette institution
n’en fait pas pour autant une structure nationaliste militante, semblable à la Banque Misr. La
« National Bank of Egypt » (NBE) est à l’origine un produit des Moutamassirum. Elle a été
fondée en 1898 le commerçant juif Sir Ernest Cassel dans le sillage de l’essor de l’industrie
du coton, à la fin du XIXe siècle.
Pourtant c’est dans une toute autre posture que l’observateur la retrouvera à la veille du
coup d’Etat des officiers libres. Dès le lendemain de la Grande Guerre, les Anglais autorisent
la NBE à émettre ses propres devises adossées au cours de la Livre Sterling, lui accordant
ainsi une place prépondérante dans un secteur bancaire encore embryonnaire. Au gré des
accointances entre membres du parti Wafd au pouvoir, l’ambassade du Royaume Uni, et
les propriétaires de la NBE, cette institution va servir de matrice pour la mise en place des
16
17
18
19
14
Clement-Henry Op. Cit., p.220
Waterbury, John, The Egypt of Nasser and Sadate : the Political Economy of two regime, Princeton UP, 1983
Op. cit. p. 220
Ibid. p. 220
Chamosset François - 2009
Partie 1 : La notion de système bancaire dans l’économie Egyptienne contemporaine
20
prérogatives monétaires de l’Etat Egyptien en devenir. Elias Abou Haidar relève ainsi que
la NBE au début des années 1950 était en charge entre autres choses de l’émission de
la monnaie, du prêt en dernier ressort, de la fixation des principaux taux directeurs, et de
l’application des réglementations bancaires.
Toutes ses prérogatives furent accumulées les unes après les autres par le conseil
d’administration de la banque qui avait fini par réunir l’ensemble des compétences
définissant en général, dans les Etats occidentaux l’institution appelée Banque Centrale.
Pour autant, la NBE continuait dans le même temps à assumer ses fonctions originelles de
banque commerciale et évoluait sur les marchés bancaires en concurrence directe avec les
autres banques commerciales.
Concrètement, la direction de la NBE était assumée de la manière suivante. Les
compétences relevant de la politique monétaire de la nation était sous la responsabilité
d’un conseil suprême de la NBE, présidé par le ministre de l’économie en personne et
comptant 7 membres dont 5 nommés par le gouvernement. Les modalités de mise en
application des décisions de politique monétaires relevaient quant à elles de l’activité du
Conseil d’Administration, composé de 13 membres élus par les actionnaires, qui avait par
ailleurs en charge l’administration de l’aspect privé de la banque.
Le statut hybride de la NBE semble découler de la situation de négociation permanente
qui caractérise à cette époque les relations entre les gouvernants autochtones et les Anglais.
Il s’agit en quelque sorte pour la puissance coloniale de faire croire qu’une passation de
pouvoir est en cours.
Cette première sous partie nous a permis de faire le point sur les relations entre
banque et Etat dans l’Egypte pré Nassérienne, on a pu constater que le secteur économique
était alors caractérisé par un ensemble de marchés aux fonctionnements très libéraux,
dominés par de grand groupes capitalistes pour la plupart étranger. C’est dans ce contexte
qu’apparaissent les premières banques Egyptienne. La banque Misr se veut l’instrument
financier du nationalisme et va tenter une première planification de l’économie, tandis que
la NBE est l’arme de la politique monétaire du régime tout en maintenant ses activités
commerciales. L’œuvre principale de la politique économique du Régime de Gamal Abd
El Nasser sera de renverser totalement cette logique en concentrant l’ensemble de la vie
économique dans un modèle de capitalisme d’Etat.
B. Le « socialisme » Nassérien appliqué au secteur bancaire
Bien qu’auto proclamée d’inspiration socialiste, la politique économique de Gamal Abd
El Nasser ne constitue pas une franche rupture avec ce qui avait commencé à la fin de
« l’ancien régime », durant les années 1940. En effet, nous avons vu que l’industrialisation
du pays et l’affirmation économique du nationalisme Egyptien (notamment par la politique
de substitution de l’importation par l’industrialisation évoquée plus haut) était apparu au
lendemain de la révolte de 1919. Il faut ajouter que la planification économique n’est pas
une invention Nassérienne puisque le premier plan quinquennal du pays démarre en 1947.
Alain Roussillon présente le coup d’Etat de 1952 davantage comme une réaction
pragmatique et inévitable aux déboires du libéralisme financier et politique pratiqué sous
« l’ancien régime » que comme une révolution idéologiquement constituée :
Le secteur bancaire s’adapte avec plus ou moins de difficultés à cette reprise en main
du politique sur l’économique. Le marché, jusqu’alors très concurrentiel et hétérogène, se
20
Abou Haidar, Op. Cit., pp. 24-29
Chamosset François - 2009
15
Le rôle de l’institution bancaire dans l’Egypte contemporaine. Pour une illustration de la
dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement
centralise peu à peu au moyen du processus de nationalisation. Cette centralisation va
permettre à l’Egypte de se doter des instruments modernes de contrôle de la politique
monétaire.
L’affirmation d’un interventionnisme économique par la nationalisation.
La vague de nationalisation, qui débute en 1956, ne touche le secteur bancaire qu’avec le
décret des 22, 23 et 24 Janvier 1957. Ces textes proclament l’Egyptianisation de l’ensemble
des banques commerciales, compagnies d’assurance et agences de représentations des
21
banques étrangères . Le processus d’Egyptianisation a principalement été marqué par
la confiscation des trois principales banques Britanniques (la Barclay’s, la Ionian Bank
et la Ottoman Bank), et des deux françaises (le comptoir national d’escompte et le
Crédit Lyonnais). La Barclays devient Banque d’Alexandrie et la Ionian et la Ottoman
sont absorbées dans le groupe Al Goumhourya, créé pour l’occasion. Les deux banques
22
françaises sont fusionnées pour former la Banque du Caire . Enfin, les quelque deux cents
compagnies d’assurance présentes sur le marché sont fusionnées à l’intérieur de trois
23
firmes nationales . La confiscation est ici une étape vers le placement de ces nouvelles
sociétés Egyptiennes sous le contrôle d’une Holding d’Organisation de l’Economie, créée
elle aussi en Juin 1957. Il faut noter que cette nationalisation n’est pas pratiqué de
manière purement arbitraire : en 1959, Nasser accepte de verser aux anciens investisseurs
Britanniques un dédommagement de 25 millions de Livres Egyptiennes (£E). Le reste du
24
secteur bancaire et assurantiel est enfin nationalisé par la Loi 117/1961 .
Ici encore, Alain Roussillon nous enjoint à ne pas considérer la nationalisation comme
un objectif idéologique en soi, mais comme une réaction opportuniste à une situation de
désengagement des investisseurs étrangers, s’inscrivant dans une dynamique d’Etatisation
de l’économie qui allait bien au-delà du Nassérisme lui-même :
« Even the first nationalization of 1956-57, which struck French and British
interests in return for the tripartite aggression, then those directed against
Jewish, Armenian, or Syrian and Lebanese interests, did not in themselves
constitue a break with respect to the logic of Egyptianizing the state and the
economy, already begun in the 1920s with the foundation of Bank Misr : what
was especially revolutionnary about a decision to make the board of director and
the capital of all commercial bank and insurance companies operating in Egypt
25
Egyptian ? »
Cependant, la réaffirmation de l’autorité de l’Etat sur l’économie ne se réalisera qu’avec la
26
loi 250/1960 qui prévoit la création de la Banque Centrale d’Egypte (BCE). La guerre de
1956 met en avant les limites de la double fonction de la NBE dans un modèle économique
dirigiste. Alors que Nasser demande au conseil suprême d’ouvrir de nouveaux crédits à
la puissance publique, le conseil d’administration refuse leur déblocage : c’est ainsi que la
21
22
23
24
Waterbury, Op. Cit., p. 68
Abou-Haidar, Op. Cit., p. 24
Waterbury, Op. Cit., p. 68
Ibid. p. 69
25
Roussillon, Art. Cit. 1998, p.339
26
ème
Les textes législatifs Egyptiens sont numérotés selon l’année et l’ordre de leur adoption. Par exemple, la loi 250/1960 est la 250
loi votée par le Parlement Egyptien pour l’année civile 1960.
16
Chamosset François - 2009
Partie 1 : La notion de système bancaire dans l’économie Egyptienne contemporaine
NBE est nationalisée en février 1957, en même temps que la Banque Misr et les 37 filiales
27
du Groupe Misr .
Place de l’institution bancaire dans le modèle économique Nassérien
Mise à part quelques exceptions très localisées (comme la Caisse d’Épargne Rurale de Mit
Ghamr que l’on étudiera plus tard en détail), l’ensemble du secteur financier Egyptien est
détenu par l’Etat après Juillet 1961. Ce qui place de fait toute l’économie nationale dans une
relation de clientèle vis-à-vis de la puissance publique, puisque tout besoin de financement
est désormais forcément satisfait par une banque publique.
Le libéralisme financier de « l’ancien Régime » est donc remplacé par un capitalisme
d’Etat avec pour objectif une meilleure complémentarité entre les différentes institutions.
Par le décret n° 1899 du 16 décembre 1961, le ministre de l’Industrie Ahmad Sidqi divise
la Holding d’Organisation Economique en 39 « Organisations Générales » spécialisée
dans divers secteurs de l’économie. Dans ce nouveau système, les 4 grandes banques
commerciales qui dominent alors obtiennent chacune une spécialisation sectorielle : à
la NBE le développement du commerce extérieur, à la Banque Misr le financement des
activités agricoles, à la Banque d’Alexandrie celui de l’industrie et à la Banque du Caire celui
du secteur des services. John Waterbury résume les grands débats qui préoccupaient les
décideurs économiques de l’époque :
« What Sidqi created was a series of sectoral pyramids with near-monopoly
control on their productive sphere. Rationnal planning on the one hand combined
with close auditing on the other were to insure production at a reasonable cost.
Neither the market nor intersectoral competition was meaningful forces in the
process. For years the debate centered on the proper mix of company authority,
the concomitant definition of the proper role of General Organization, and the
28
relevance of the minister, if any, to sectoral performance. »
Le projet de nationalisation totale du secteur bancaire a été assumé a posteriori dans la
Charte Nationale, édictée par Nasser en Mai 1962, qui, en matière de politique économique,
29
préconise un maintien des banques dans la sphère publique . En 1963, les bénéfices
engendrés par le secteur public étaient à l’origine de 45% de l’épargne nationale et 90%
30
de la formation brute de capital .
Les limites du socialisme Arabe du point de vue financier
C’est dans ses relations avec l’extérieur que le modèle financier Nassérien va trouver ses
limites. Sur la période 1956-1964, l’économie nationale semble au beau fixe : le taux de
croissance est aux alentours de 5,9% par an et la part du secteur industriel dans le PIB passe
31
de 13 à 24% . Pour autant, le pays se déclare une première fois en défaut de paiement en
27
28
29
30
Waterbury, Op. Cit., p. 72
Waterbury, Op. Cit., p. 72
Ikram Khalid, The Egyptian Economy, 1952-2000, Performance, policies and issues, Routledge, 2006 (p.7)
Radwan Samir, Capital Formation in Egyptian Industry & Agriculture, 1882-1967 St Anthony’s Middle East monograph, Ithaca
Press, Londres, 1974 (p.707) (cité in Waterbury 1983 op. cit. p. 85).
31
Hansen Brent et Nashashibi Karim, Foreign Trade Regimes and Economic Development: Egypt , Columbia university press, New
York, 1975 (p.15)
Chamosset François - 2009
17
Le rôle de l’institution bancaire dans l’Egypte contemporaine. Pour une illustration de la
dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement
32
1962. John Waterbury indique trois causes directes à cette première crise : la chute brutale
du cours du coton (responsable de la chute brutale des exportations totales de 121 millions
de £E en 1961 à 75 millions de £E en 1962), le paiement des compensations aux anciens
actionnaires du Canal de Suez, et les coûts de l’expédition militaire menée au Yemen en
Septembre 1962.
Cette première crise financière conduit à l’établissement d’un premier accord avec le
Fond Monétaire International dès mai 1962 afin d’obtenir de nouveaux crédits. Mais le
problème de la position internationale de l’Egypte n’est pas réglé pour autant sur le plan
financier. En 1965, le pays est de nouveau à court de liquidités, et est obligé de signer un
nouvel accord avec le FMI.
Graphique 1: principaux soldes extérieurs de l’Egypte dans les années 1950-1960
Les différentes dévaluations qui suivent le défaut de paiement de 1962 n’ont aucun effet
sur la balance commerciale du fait de la domination de l’économie par le secteur public,
qui empêche les investissements en devise d’affluer. Dans ce contexte, la dépendance
à l’égard des superpuissances s’accroît. En 1964, le Premier Ministre Ali Sabri obtient
simultanément un rééchelonnement de la dette de l’Egypte envers l’Union Soviétique et une
33
aide alimentaire 500 millions de dollars de la part des Etats-Unis .
Pour John Waterbury, cette situation n’est pas seulement le fruit d’une conjoncture
internationale défavorable, mais aussi la preuve de difficultés structurelles dans l’élaboration
de l’économie politique du nouveau régime :
« After 1967, Egypt non longer had an economic plan or political organization
with clear objectives – Egypt’s socialist experiment in terms of economy had
not lasted more than five years, and that of the socialist vanguard, no more than
34
two »
32
Waterbury, Op. Cit., p. 95
33
34
18
Ibid.p. 95
Ibid. p. 332
Chamosset François - 2009
Partie 1 : La notion de système bancaire dans l’économie Egyptienne contemporaine
35
Alain Roussillon présente quant à lui deux hypothèses concurrentes pour expliquer ce
constat d’échec. Une première explication de type interne consiste à faire porter le poids de
l’échec de la révolution sur le caractère trop « idéologique » et insuffisamment « réaliste » de
la politique économique de Nasser, en invoquant notamment la contradiction entre le projet
de substitution aux importations par l’industrialisation, très gourmand en investissements
publics, et celui de l’instauration d’un Etat providence visant à augmenter les niveaux de
vie de la classe moyenne et ouvrière. C’est l’absence de choix entre ces deux stratégies
qui aurait accru la dépendance du régime envers les sources externes de financement. La
seconde explication – défendue par les Nassériens eux-mêmes, à l’instar de Mohammed
36
Hasasayn Haykal – repose sur l’idée que cette dégradation des soldes extérieurs résulte
de l’hostilité affichée dont ont fait preuve « les impérialistes, sionistes et réactionnaires
Arabes » à l’égard de l’Egypte.
Quelque soit l’explication retenue, toujours est-il que la conscience de l’échec de la
mise en place du socialisme Arabe sur le plan économique semble largement répandue.
Et ce, même du temps de Nasser. L’allocution prononcée devant l’ensemble des dirigeants
des entreprises publiques le 18 mars 1967 fait véritablement figure de désaveu. John
37
Waterbury le résume en 3 points :
« 1) Management is a science and its rules do not change under capitalism or
socialism. The only difference between the two economic systems stems from
the ownership of the means of production and the control of profits 2) Wages
must be linked to productivity. Socialism does not mean equal wages but equal
opportunity to work 3) the Arab socialist Union is to involve itself in public sector
operationsonly to the extent that it can contribute to implementation of plans
and smooth relations between worker and management. In no way is the ASU to
interfere in the production process itself »
2. Réformes et désillusions de Sadate à Moubarak (1977-2000)
Ainsi, si l’on peut effectivement constater que, sous Nasser, l’Egypte a su se défaire
de l’influence politique des puissances impérialiste, il faut reconnaître que le modèle de
capitalisme d’Etat n’a pas permis à l’économie de prendre son indépendance vis-à-vis du
système financier international. Au contraire, en voulant mettre le secteur public au centre du
système économique, c’est l’Etat lui-même qui se retrouve principal débiteur des créanciers
internationaux.
Il va sans dire que ce sentiment généralisé d’échec sur le plan économique va
grandement aider les successeurs de Gamal Abdel Nasser à mettre en place les réformes
qu’ils souhaitent. D’autant que, si l’on en croit Clement M. Henry, il ne sera pas difficile
de remettre le « dentifrice » économique, dans le « tube » de l’économie de marché :
« Yet, if Egypt pluralistic legacy was thus almost refracted into its opposite by the victorious
nationalists, the new monolith still contain manager whose previous experience would not
be lost. »
35
36
38
Roussillon, Art. Cit. 1998, p. 353
Hasasayn Haykal, Mohammed, Le Sphinx et le commissaire, Paris, 1978 cité in Waterbury, Op. Cit.
37
38
Waterbury, Op. Cit., p. 99
Henry, Op. Cit., p. 221
Chamosset François - 2009
19
Le rôle de l’institution bancaire dans l’Egypte contemporaine. Pour une illustration de la
dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement
Dans un premier temps, les années de la présidence d’Anouar Al Sadate sont marquées
par la volonté de rompre avec le capitalisme d’Etat, tout en ménageant les intérêts d’une
bureaucratie devenue pléthorique et incontournable pour le maintien du régime. Pour autant,
la dette extérieure restera encore un problème majeur sous la présidence de Mohammed
Hosni Moubarak à partir de 1981.
Une fois de plus, nous tenterons d’examiner l’histoire économique du pays du point de
vue du secteur bancaire et financier, en analysant les implications de ce secteur d’activité
dans la dynamique économique nationale.
A. L’infitah ou le mythe de la libération des forces du marché
Connu pour représenter l’aile conservatrice du mouvement des officiers libres de 1952,
Anouar Al Sadate est parvenu à la présidence avec le soutien d’une bourgeoisie d’Etat, à
la fois héritière du capitalisme d’Etat Nassérien et des consortiums industriels libéraux de
l’ancien régime.
« Sadate found his initial support in the “state bourgeoisie“. With a foot in high
state office and assets in private society, this group was not only the most
strategic social force, but also the one most prepared to accept his leadership ;
39
its support was crucial to Sadat’s consolidation of power »
ème
40
En 1974, au lendemain de la 3
guerre Israëlo Arabe , Sadate est au sommet de sa
popularité auprès de la population Egyptienne. La combinaison de cette nouvelle situation
géopolitique et de ce regain de popularité va laisser au président les mains libres pour
réformer l’héritage Nassérien de fond en comble. C’est l’heure de l’Infitah (ouverture
économique) et de la libération des forces du Marché, décrite de la manière suivante par le
Premier Ministre de l’époque Mahmoud Salem : « Notre objectif principal est de permettre
l’investissement privé. Chaque condition est une contrainte et chaque contrainte est une
41
porte close, contraire à la politique d’ouverture »
Pour le secteur financier, cela va se traduire par une relative libéralisation, mais aussi
par l’apparition de deux grandes dépendances qui caractérisent encore l’économie politique
Egyptienne : celle envers les quatre rentes (Tourisme, pétrole, transfert des revenus de
l’émigration et le canal de Suez), ainsi que celle envers l’aide Américaine. Enfin, l’étude
précise de la structure du secteur bancaire va nous pousser à relativiser l’impact de cette
politique d’ouverture sur les logiques économiques dominantes.
Le secteur bancaire et la Loi 43/1974 : la libération des forces du marché
Bien que l’infitah ne débute officiellement qu’avec le manifeste d’octobre 1973 –définissant
les lignes générales de la politique économique du régime – le secteur bancaire nationalisé
39
Hinnebusch Raymond, « The formation of the contemporary Egyptian State », in Oweiss, Ibrahim, The Political
Economy of contemporary Egypt, Center for contemporary Arab studies, Georgetown University, Washington DC, 1991. (p.
2192)
40
Le 6 Octobre 1973, l’armée Egyptienne enfonce la ligne de fortification Bar Lev établie par Israël après la guerre de 1967. Au bout
de quinze jours de déroute, l’armée de Tsahal, assistée de la technologie satellitaire Américaine, parvient enfin à contourner le front
Egyptien et à établir une tête de pont sur le canal de Suez. Le général Ariel Sharon semble filer vers le Caire lorsque Moscou envoie
un ultimatum à Washington, menaçant d’avoir recours à l’arme nucléaire en cas de chute du régime Egyptien. Aujourd’hui encore, la
guerre d’Octobre 1973 est célébrée en Egypte comme une grande victoire.
41
20
Abou Haidar, op. cit. , p. 29
Chamosset François - 2009
Partie 1 : La notion de système bancaire dans l’économie Egyptienne contemporaine
avait déjà fait l’objet d’une première réforme en 1971. En effet, le décret présidentiel
42
n°2422 annonce l’abandon de l’organisation du secteur bancaire selon une logique
de spécialisation sectorielle pour l’adoption d’une spécialisation de type fonctionnelle.
Concrètement, cela signifie que, alors que chacune des banques des banques d’Etat
n’était autorisée à intervenir qu’à l’intérieur d’un secteur donné, le nouveau décret va
attribuer à ces institutions une fonction bancaire précise auxquelles elles devront se tenir.
Ainsi, par exemple, la banque Misr, qui opérait jusqu’alors dans les secteurs du textile
et de l’assurance, se voit confiée la tâche de financer le commerce domestique dans
son intégralité. Mis à part ce changement de conception – que l’on pourra qualifier de
détail au regard des grandes transformations entreprises par la suite – il est raisonnable
d’affirmer que le secteur bancaire est resté fondamentalement inchangé depuis la vague
de nationalisation de 1961.
La politique d’ouverture économique débute donc réellement avec la Loi 43 pour
l’investissement arabe et étranger, votée au mois de juin 1974, qui vise à inciter l’entrée
des investisseurs étrangers sur le marché national. Les banques créées sous le régime de
la loi 43 sont autorisées à pratiquer des dépôts seulement en devise, sauf si une structure
43
publique entre à plus de 51% dans son capital. Elias Abou Haidar signale que ce nouveau
régime a permis le retour en Egypte des grandes enseignes bancaires internationales
(Barclays, Chase Manhattan Bank, American Express…), sans pour autant initier une
quelconque dénationalisation des institutions financières déjà existantes. L’objectif était
alors de concurrencer Beyrouth et de faire du Caire la place financière incontournable du
monde Arabe. C’est alléchée par le gigantesque et quasiment inexploré marché intérieur
que représentait l’Egypte de l’époque que les grandes banques d’affaire internationales se
sont pressées aux portes de l’Autorité Générale d’Investissement pour les Zones de Libre
Echange (GAFIZ) en charge d’accepter ou non les candidature à la loi 43.
44
Au final, John Waterbury recense au 30 septembre 1979 pas moins de 139 projets
bancaires créés sous le régime de la loi 43, mobilisant 580 milliards de £E d’investissements
(dont 344 en provenance d’investisseurs étrangers), et à l’origine de la création de
seulement de 2800 emplois environ. Il faut noter que c’est le secteur bancaire qui attire
le plus de projet de création de sociétés de lois 43, aussi bien en terme de nombres de
projets, que d’investissement réalisé. Ainsi, à la même date, la centaines de projets visant
le secteur du tourisme n’ont fait l’objet que de 397 milliards de £E d’investissement et
les 42 projets regroupé sous l’appellation Logement, Santé et Transports n’avaient attirés
que 159 milliards de £E. On constate ainsi que la banque est au cœur du projet politique
et économique constitué par l’Infitah, il s’agit en quelque sorte de créer une dynamique
bancaire suffisamment concurrentielle pour permettre aux investisseurs étrangers de
pénétrer le marché Egyptien.
Pour autant, le secteur bancaire public n’est pas mis à l’écart de l’Infitah. Au contraire,
ce sont principalement ces institutions qui vont servir de partenaires locaux aux projets de
création d’entreprises sous Loi 43. Celles que l’on appellera par la suite les « banques de
l’Infitah » sont parrainés par des banques ou sociétés d’assurance publiques. Par ailleurs les
banques publiques sont également impliquées dans le développement de nombreux projets
de loi 43 dans des secteurs très diversifiés de l’économie. D’une manière plus générale, il
apparaît qu’en 1982, sur les 44 banques créées sous le statut de la Loi 43, 25 avaient pour
42
Abou Haidar, Op. Cit. , p. 28
43
44
Ibid. p.31
Waterbury, Op. Cit., p. 147
Chamosset François - 2009
21
Le rôle de l’institution bancaire dans l’Egypte contemporaine. Pour une illustration de la
dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement
actionnaires majoritaires des institutions publiques Egyptiennes détenant au moins 51% de
45
leur capital. Ainsi, Mourad M. Wahba prend l’exemple de la National Bank of Egypt, qui ,
en Juin 1982, avait investi a elle seule près de 53,02 millions de £E dans 35 projets sous
Loi 43. 11 de ces projets, représentant environ 46% de l’investissement global de la NBE,
ont pour objet la création de structures bancaires et d’investissement. Les autres projets se
répartissent entre différents secteurs tels que les services (7 projets), l’industrie (6 projets),
ou le tourisme (4 projets).
On assiste donc dans les années 1970 à l’instauration paradoxale de structures
bancaires ayant pour objectif affiché la croissance de leurs profits, tout en étant parrainées
par des entreprises financières publiques.
L’activité bancaire durant la période de l’Infitah
Il est légitime de se demander pourquoi les banques publiques Egyptiennes ne se sontelles pas senties menacées par cette première fissure dans le monopole d’Etat dont elles
jouissaient avant la loi 43. En effet, à la fin de 1975, le régime de spécialisation fonctionnel
de 1971 est complètement abandonné, les banques publiques se retrouvent en situation
de concurrence directe entre elles. Parallèlement, l’année suivante, la Loi 97/1976 autorise
les banques en joint-ventures à proposer à leurs clients Egyptiens des comptes en devise
46
librement transférable vers l’étranger .
47
Selon deux rapports de la Banque Centrale de 1977 et 1978 , les activités des
joint-ventures du secteur bancaire n’ont que peu d’impact sur l’investissement local, mais
participent en réalité à la captation de l’épargne Egyptienne en devise (constituée en grande
partie du salaire des émigrés Egyptiens dans le golfe Arabo-Persique) placées via ces
joint-ventures dans des investissements Offshore. Au final, sans faire véritablement de
concurrence aux banques du secteur public (qui détient encore en 1979 81% des dépôts et
octroyait 83% des crédits) sur le marché national, le principal effet négatif de l’arrivée des
banques étrangères en Egypte a été de réorienter l’épargne en devise des Egyptiens vers
d’autres placements étrangers beaucoup plus rentables.
48
Elias Abou Haidar dresse ainsi à propos de la « libéralisation » du secteur bancaire
sous l’Infitah le constat d’un double échec : d’une part, l’entrée des banques étrangères
dans le système n’a pas permis une réelle mise en concurrence des institutions publiques
et privées. D’autre part, la possibilité faite aux banques étrangères d’ouvrir un compte en
devise à entraîné une fuite d’une part non négligeable de l’épargne Egyptienne constituée
en devise vers l’étranger.
Nous avons donc vu que la politique de porte ouverte et de « libération des forces du
marché » menée sous le régime de Sadate ne constituait pas une remise en cause formelle
du poids du secteur public dans l’économie. Pour autant, on peut constater une certaine
prise de distance de l’Etat vis-à-vis de la logique interventionniste vers 1979 lorsque le
49
Parlement impose au secteur public de se financer auprès du secteur bancaire traditionnel .
La même année est créée la National Investment Bank (NIB) qui a pour but, non seulement
45
46
Waterbury, Op. Cit. p. 149
47
48
49
22
Wahba, Mourad Magdy, The role of the State in the Egyptian Economy, Ithaca Press, Reading, 1994, p.165
Ibid. p. 149
Op. Cit. p. 32
Waterbury, Op. Cit. p. 120
Chamosset François - 2009
Partie 1 : La notion de système bancaire dans l’économie Egyptienne contemporaine
l’octroi de crédits aux entreprises d’Etat, mais aussi la planification économique, tâche
qui relevait jusqu’alors du ministère de l’économie. La tendance au sortir de l’Infitah est
donc d’une part à l’unification du secteur public sous la coupe d’une seule institution de
nature bancaire, et d’autre part à la limitation de l’intervention gouvernementale directe dans
l’organisation de l’économie. On assiste à la formation de ce que l’on pourrait appeler un
capitalisme d’Etat intermédié.
Les enjeux du financement de la dette extérieure
D’un point de vue général, l’économie Egyptienne au cours des années 1970 est marquée
50
par l’émergence des quatre grandes activités qui constituent, encore aujourd’hui les
sources principales de devises affluant dans le pays (Graphique 2). On peut constater
que la caractéristique principale de ces activités est qu’elles répondent à des logiques que
l’on pourrait qualifier de rentières : c’est à dire qu’elles ne donnent pas lieu véritablement
à la création de richesses sur le territoire national ni au développement d’un avantage
comparatif, mais plutôt à l’exploitation de ressources préexistantes, développées en général
par des puissances étrangères.
Graphique 2 : principales sources de devises
perçues dans les années 1970 (hors aides étrangères)
Par ailleurs, il faut noter deux autres ressources financières importantes qui se
développent fortement au même moment. La première est l’aide internationale, et
51
notamment l’aide américaine . En 1973, le Congrès des Etats-Unis vote la mise en place
d’une antenne de l’USAID (l’agence Américaine d’aide au développement) au Caire en
charge de venir en aide au décile le plus pauvre de la population. L’année suivante le
50
Qui sont les exportations pétrolières, le tourisme, le Canal de Suez (rouvert en 1975) et les transferts de revenus étrangers.
51
Ibid. p. 399
Chamosset François - 2009
23
Le rôle de l’institution bancaire dans l’Egypte contemporaine. Pour une illustration de la
dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement
programme d’aide alimentaire PL480 (pour Public Law 480) est remis sur pied en place
après avoir été abandonné en 1966. À partir de 1976, la coopération économique entre
l’USAID va au-delà de l’humanitaire puisque cette année-là, l’agence américaine participe à
hauteur de 95 millions de dollars dans le capital de la compagnie des ciments de Suez, créée
sous le régime de la Loi 43/1974. Enfin, un programme d’aide et de coopération militaire a
été enfin officiellement signé au lendemain des accords de camp David en 1978.
Graphique 3 : Evolution de l’aide américaine à l’Egypte
La dernière des sources de financement du déficit public qui mérite notre attention
est la hausse de l’emprunt contracté auprès du secteur bancaire national. En effet, le
graphique 4 montre à quel point le secteur public domine la demande de financement dans
les années 70, pour autant, on signalera que les créances détenues auprès du secteur privé
augmentent plus rapidement dans la fin de la décennie que celle détenues par le secteur
public.
24
Chamosset François - 2009
Partie 1 : La notion de système bancaire dans l’économie Egyptienne contemporaine
Graphique 4 : la demande de financement en provenance du marché intérieur
Au regard de la structure du financement de la dette extérieure Egyptienne, on peut
extraire les véritable enjeux de la mise en place de l’Infitah dans le secteur bancaire. En
effet, il apparaît que sur l’ensemble des sources de financement évoquées, la seule qui
puisse échapper au contrôle direct de l’Etat est le transfert des revenus de l’émigration.
En permettant aux banques étrangères de proposer des comptes en devise à leurs clients,
tout en imposant une participation publique de 51% à celles qui voulaient intervenir en Livre
Egyptienne (£E), le gouvernement à tenté de drainer vers le secteur public les salaires en
devises, ou tout du moins de les empêcher d’être investies dans le secteur privé sans un
contrôle préalable de l’Etat. Les économies des émigrés passaient donc soit par un jointventure détenu par à 51% par une banque publique, soit étaient réinvesties en dollar.
L’épisode des banques de l’Infitah pose ainsi les enjeux contemporains du contrôle par
l’Etat Egyptien du secteur bancaire national : il s’agit de créer une source de financement
interne à partir de l’épargne nationale, pour atténuer la dépendance de l’Etat envers
l’étranger, tout en échappant à un recours à l’instrument fiscal. Dès lors, si l’Etat perd le
contrôle du secteur bancaire public, il se retrouve soit sous la pression de créanciers privés
ou étrangers – ce qui impliquera de faire des concessions à des gouvernements étrangers
ou à une bourgeoisie économique qui concurrencerait alors dangereusement la bourgeoisie
d’Etat – soit dans l’obligation d’augmenter les impôts ce qui imposera forcément au régime
des concessions en direction d’une libéralisation politique.
Enfin, il faut citer Clement Henry qui décrit avec cynisme les conséquences de la
libéralisation du secteur bancaire sur le système économique Egyptien :
« The sharks at the cutting edge, so to speak, of Sadat’s attack against Nasser’s
old order were Egypt’s joint venture and Investment banks, the principal
beneficiaries of Infitah. They escaped the net of Central Bank regulations
and infested Egypt’s sovereign of murky waters of economic policy making.
Collectively, they sabotaged government policy in areas of vital national interest,
52
such as foreign exchange and domestic credit allocation »
52
Clement-Henry, Op. Cit. p. 222
Chamosset François - 2009
25
Le rôle de l’institution bancaire dans l’Egypte contemporaine. Pour une illustration de la
dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement
Cette position nous montre que les gains espérés de l’infitah par la présidence
sont davantage à mesurer en termes de légitimité politique qu’en termes d’efficience
économique. On constate ainsi que l’espace de décision en matière de politique
économique est envahi par un système d’échange de rente économique contre rente
politique : le président Sadate, dont le charisme ne peut égaler celui de son illustre
prédécesseur, se doit de s’entourer d’une nouvelle bourgeoisie d’Etat qui lui soit inféodée.
Loin de « libérer les forces du marché », l’Infitah n’est en réalité qu’un nouvel outil de
réorganisation du système de clientèle autour de l’Etat central.
B. L’Egypte entre ajustement structurel et mondialisation
Après 30 ans de réformes contradictoires, les premiers mandats du président Moubarak
se caractérisent par une relative stabilité sur le plan de la politique intérieure. Au lieu de
vouloir imposer à son tour un nouveau modèle au secteur économique, Hosni Moubarak
va davantage chercher à concilier l’héritage de Nasser et de Sadate en poursuivant de
manière extensive la dynamique de libéralisation des marchés, tout en préservant le secteur
public : « The major domestic legacy inherited by Mubarak was the hybrid resulting from the
openning of Nasser’s state dominated economy to the international capitalist market. »
53
Deux événements cependant vont troubler cette période de calme à la fin des années
1980, tout d’abord le retour de la pression de la dette extérieure en à partir de 1988, puis
le début du démantèlement du secteur public entre 1987 et 1991. Nous conclurons cette
première partie historique par une synthèse sur la situation du secteur bancaire à la fin des
années 1980.
La pression de la dette à la fin des années 1980
54
Sur la décennie 1973-1984, l’Egypte a connu une croissance annuelle moyenne de 8,5% ,
associé à un taux d’investissement aux alentours de 25% du PIB. Dans ces conditions, les
crédits internationaux étaient encore facile à obtenir. En 1986, la chute brutale des cours du
pétrole a entraîné une baisse non négligeable des revenus du pays, faisant encore plonger
le déficit courant. Si bien qu’au début de l’année 1988, la dette totale de l’Egypte vis-à-vis
du reste du monde s’élevait alors à 115% du PIB pour un déficit courant de 1 milliard de
55
dollars.
56
Amin Galal évoque alors deux explications opposées sur les raisons qui ont conduit
cette situation de déséquilibre. Il y a une première école de pensée qui rend la politique
économique menée jusqu’alors entièrement responsable du déficit courant des années
1980. Pour ces tenant du libéralisme économique, la dette Egyptienne est principalement
due à une politique de change qui surévalue la monnaie, à des systèmes de subventions
généralisés et surdéveloppés et à une politique de l’emploi désastreuse. Cette situation
ne peut être remédiée que par une ouverture accrue de l’économie Egyptienne à la
concurrence internationale, et à la construction d’avantages comparatifs dans sa politique
industrielle.
53
54
Hinnebusch Op. Cit., 1991. p. 204
Rapport annuel de la banque Mondiale 1986, cité par Galal Amin, « Adjustmentt and development : the case of Egypt », in El
Naggar, Saïd, Adjustment policies and development strategies in the Arab World, FMI, Washington, 1987, pp. 92-117
55
Niblock, Timothy, « The Egyptian experience in regional perspective : international factors and economic liberalisation in the arab
world », in Blin Louis (dir.), L’économie Egyptienne, libéralisation et insertion dans le marché mondial, L’Harmattan, Paris, 1993
56
26
Galal A. Amin, op. Cit. 1987 p. 95
Chamosset François - 2009
Partie 1 : La notion de système bancaire dans l’économie Egyptienne contemporaine
La seconde école de pensée présente une vision radicalement opposée du problème.
Cette conception plus protectionniste affirme que c’est justement l’intégration du pays
à l’économie monde qui détruit son activité interne et ne lui permet pas d’accéder à
une réelle indépendance vis-à-vis des pays du Nord. Il faudrait donc poursuivre une
politique de substitution aux importations par l’industrialisation en augmentant le niveau
d’investissement public.
Il faut replacer ce débat dans un contexte de guerre froide et souligner les
caractéristiques évidemment hautement idéologiques et caricaturales des positions
décrites. Si l’on essaie d’approcher le problème de la dette extérieure de manière
pragmatique, on constate que lorsque le taux de croissance de l’Egypte et les prix du pétrole
étaient élevés, les crédits étaient facile à obtenir et à faible coût. Tandis que lorsque le
cours du pétrole s’effondre brutalement en 1986, les investisseurs se sont détournés d’une
économie qui n’avait su en réalité que développer des dépendances rentières à l’égard de
la dette extérieure.
Brièvement à court de liquidité, l’Egypte se retrouve de nouveau sous la coupe de
ses créanciers, regroupés dans le club de Paris. Le pays fait désormais l’objet comme
de nombreuses économies du Sud d’une politique d’ajustement structurel menée sous
la pression du Fond Monétaire International (FMI). Après un premier moratoire, en 1987,
le Club de Paris n’acceptera un rééchelonnement de la dette Egyptienne qu’après 1991,
lorsque l’Egypte se sera ralliée à la coalition internationale contre l’Irak lors de la deuxième
guerre du golfe.
L’essoufflement d’un modèle bancaire centralisé
57
À partir d’un article de Salwa El Antary , nous pouvons retirer trois grandes caractéristiques
du secteur bancaire Egyptien à la fin des années 1980
On constate tout d’abord une domination du secteur par les structures publiques.
58
Clement Henry relève ainsi que les 4 grandes banques commerciales concentrent en
1989, 64,5% des dépôts et 56,9% des crédits. De plus Salwa Al Antary souligne l’Etat
Egyptien a participé à la création de 42 banques de loi 43 à hauteur de 39% du capital
total. Par ailleurs il apparaît que, malgré l’apparition de nombreuses banques étrangères
sur le marché, une large part (76%) des capitaux financiers qui sont investis en Egypte
sont détenus par des Egyptiens. Enfin, il apparaît que les banques privées et publiques
on tendance à intervenir sur les même secteurs de l’activités bancaire, avec pour objectif
commun d’assurer les profits les plus rapides et les plus conséquents possibles :
« Le capital public et privé se retrouve dans une même politique qui consiste
à réaliser les profits les plus importants et les plus rapides possible
indépendamment de la prise en considération des conséquences de leurs
options pour l’économie nationale dans son ensemble. Ainsi,, alors que
l’économie Egyptienne souffre d’un gonflement ininterrompu de l’endettement
extérieur et d’un déficit chronique de la balance des opérations courantes,
l’ensemble des banques opérant en Egypte, il est vrai à des degrés divers,
59
placent leurs avoirs en devise auprès de banques étrangères »
57
El Antary, Salwa, « Les transformations du système bancaire Egyptien », in Tiers Monde, volume 31, n°121, 1990 pp. 165-183
58
59
Clement Henry, Op. Cit, 1996
El Antary, Salwa, Op. Cit., 1990, p. 179
Chamosset François - 2009
27
Le rôle de l’institution bancaire dans l’Egypte contemporaine. Pour une illustration de la
dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement
La deuxième caractéristique du système financier de la fin des années 1980 est l’essor
d’activités bancaires dites islamiques, et, dans leur sillage, d’un marché financier informel.
Mais nous reviendrons plus en détail sur ce phénomène dans la seconde partie de notre
travail.
Enfin, Salwa Al Antary met l’accent sur l’inaction de la banque centrale dans l’exercice
de ses prérogatives : la Banque Centrale d’Egypte (BCE) semble, en 1991, incapable de
mener une politique monétaire, elle est remise en cause par des institutions financières
parallèles et ene parvient pas à s’imposer à l’ensemble du secteur comme l’autorité de
référence en matière de régulation bancaire.
1991, année de la « seconde Infitah »
En 1991, l’Egypte parvient enfin à conclure un accord avec le Fond Monétaire International
(FMI) et la Banque Mondiale au sujet du rééchelonnement de sa dette. On le sait, ce
genre d’accord est très fréquent à cette période de l’Histoire dans les économies en
développement et ne constitue en rien un geste de pure humanité de la part des pays
développé ou du FMI. Comme beaucoup d’autre économies en développement, l’Egypte est
alors contrainte de mettre en place une politique d’ajustement structurel visant à assurer le
service de sa dette par tous les moyens. D’un point de vue financier, cette réforme comporte
60
trois volets principaux, relevé par Salwa Al Antary dans un article de 1995 .
Il s’agit tout d’abord de mettre en place une politique déflationniste sur le plan
monétaire. Cet aspect est à l’époque favorisée par un afflux massif de réserves officielles
étrangères engrangée suite au soutien de l’Egypte à l’intervention américaine en Irak, à
l’aide internationale collectée au lendemain du séisme au Caire d’Octobre 1992, et au
rééchelonnement effectif de la dette en 1991. L’objectif premier est alors de maintenir la
Livre Egyptienne au plus bas et de relever les taux directeurs de la BCE afin de placer le
pays en situation d’acheteur de devises et de reconstituer les réserves de change officielles.
60
Al Antary Salwa, « Le système bancaire Egyptien et la politique d’ajustement structurel », in Egypte Monde Arabe, n°21, Le Caire
1995, pp. 156-16 Salwa al-Antary, « Le système bancaire égyptien et la politique d'ajustement structurel », Égypte/Monde arabe,
Première série, 21 | 1995, [En ligne], mis en ligne le 08 juillet 2008. URL : http://ema.revues.org/index397.html. Consulté le 16 juin 2009.
28
Chamosset François - 2009
Partie 1 : La notion de système bancaire dans l’économie Egyptienne contemporaine
Graphique 5 : évolution des actifs de la BCE en devise et service de la dette
Le second volet de la réforme, contenu dans la loi 203/1991, se situe dans la
réorientation de l’octroi du crédit du secteur public vers le secteur privé de l’économie. En
effet, cette nouvelle réglementation supprime l’obligation de l’Etat de garantir les dettes des
entreprises publiques et de les renflouer de manière systématique dès que le besoin s’en fait
sentir. On relève ainsi que de 68% en 1980, la part du crédit total octroyé au secteur public
61
est tombée à un plancher se situant aux alentours de 24% en 1993 . Cette réorientation
n’est pas sans conséquence sur la pérennité du secteur public à long terme :
« C'est ainsi que la loi 203, la nouvelle politique monétaire et la gestion du
système bancaire ont contribué à aggraver la crise financière du secteur étatique,
62
ne laissant d'autre issue que la privatisation. »
61
62
Ibid.
Ibid.
Chamosset François - 2009
29
Le rôle de l’institution bancaire dans l’Egypte contemporaine. Pour une illustration de la
dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement
La politique de réorientation du crédit va donc entraîner une première vague de
privatisations dans lesquelles les banques publiques joueront un rôle central d’évaluation de
la valeur des entreprises privatisées, et de garantie de la souscription aux actions émises.
Cette réforme prévoyait déjà la mise en conformité de la réglementation bancaire avec les
normes internationales de gestion du risque et la cession progressive des parts des banques
publiques dans le capital des banques mixtes, et ce, en prévision d’une privatisation du
secteur bancaire sur le long terme.
Cette mise en perspective historique nous permet de souligner les principales
interrogations qui pèsent sur le rôle de la banque dans le système économique Egyptien.
Le secteur financier légal, après s’être imposé comme une Institution d’Etat sous le régime
de Nasser, a subi une libéralisation de façade sous Anouar Al Sadate, tout en continuant
à être largement dominé par l’Etat. Ce contrôle absolu s’est ensuite fissuré avec l’arrivée
de structures financières non bancaires, comme les Sociétés Islamiques de Placement
de Fonds ou les trafiquants de devises, sur lesquelles l’Etat a de plus en plus de mal à
assumer son autorité. C’est dans ce contexte qu’est apparu le débat sur la réforme du
secteur bancaire. Il s’agissait non seulement de satisfaire aux demandes répétées du FMI
en faveur d’une libéralisation tous azimuts de l’économie, mais aussi de trouver un moyen
pour permettre l’émergence d’un secteur privé dynamique qui resterait sous le contrôle de
la bourgeoisie d’Etat.
II. La réforme du secteur bancaire : un débat perpétuel
On l’a vu, les politiques d’ajustement structurels menées au début des années 1990 pointent
la question de la privatisation du secteur bancaire sur le long terme. Il nous faut tout d’abord
rappeler à toute fin utile que la privatisation ne signifie pas pour autant l’instauration d’un
marché concurrentiel, ni même un désengagement de l’Etat du secteur concerné. Mais
plutôt le simple passage d’une entreprise d’un statut juridique de droit public à un autre
de droit privé. Aussi, on peut dire que les vagues de privatisations menées depuis 1990
relèvent à la base d’une contradiction dans l’attitude du gouvernement vis-à-vis du FMI.
Les créanciers de l’Egypte, animés par les fondements idéologiques du consensus de
Washington, voyaient dans la privatisation un moyen de libérer les énergies du marché
et de créer un pluralisme économique, qui poserait sur le long terme les bases d’un
pluralisme politique. Or, comme on l’a vu dans l’étude des dynamiques de l’Infitah, la création
d’institutions de droit privé n’a jamais été pour l’Etat qu’un moyen de s’assurer le soutien
d’une bourgeoisie d’Etat par ce système d’échange de rente économiques contre rente
politique.
Pour comprendre exactement la nature de cette contradiction, il faut dans un premier
temps mettre en lumière le poids exact de l’Etat sur le secteur bancaire avant la réforme
de 2004, puis tenter d’établir un premier bilan de cette réforme en se demandant si elle a
abouti à un réel désengagement de l’Etat du marché bancaire.
1. Banque et Etat à la fin des années 1990
Nous nous appuierons principalement dans cette première partie sur l’ouvrage de Elias
Abou-Haidar intitulé Libéralisme et capitalisme d’Etat en Egypte, qui constitue l’étude la plus
complète et la plus récente à notre disposition sur le secteur bancaire. Ce livre a été publié
30
Chamosset François - 2009
Partie 1 : La notion de système bancaire dans l’économie Egyptienne contemporaine
en 2000 et conclu à un bilan négatif des réformes inspirées par l’ajustement structurel de
1991. En effet, il apparaît que malgré les efforts réalisés en apparence, le secteur public
domine encore largement le marché bancaire Egyptien. Nous serons amenés dans un
premier temps à relativiser la dynamique de désengagement du secteur public, avant de
discuter des enjeux d’une réforme de fond du système bancaire.
Le premier constat à formuler lorsque l’on parle du secteur bancaire Egyptien de la
fin des années 1990, c’est celui de son caractère extrêmement figé. En effet, il apparaît
qu’entre 1984 et 2004, aucun agrément n’a été accordée par l’Etat pour l’implantation d’une
nouvelle banque. Au contraire, la réforme de 1991 est l’occasion d’organiser une certaine
63
concentration des institutions, ce qui semble, à première vue, éloigné de l’idée que l’on se
fait de la libéralisation et du pluralisme économique.
Graphique 6 : étendue du marché bancaire Egyptien
En théorie, une seule explication pourrait prévaloir face au constat du caractère figé
de ce marché : la saturation. Cependant, on a vu que la fin des années 1980 avait été
marquée par l’apparition de structures financières informelles, concurrençant les institutions
financières classiques. Dès lors seule une volonté politique de geler le marché bancaire
autour des institutions existantes peut être à l’origine d’une telle constance de la structure
du marché bancaire.
Nous tenterons dans cette première partie de déterminer d’une part le poids réel de
l’Etat sur le secteur bancaire, puis de poser la question des véritables enjeux politiques
d’une privatisation.
A. Les limites d’une dichotomie secteur public/secteur privé
63
À noter que cette opération concentration concerne exclusivement le secteur privé puisqu’elle consiste en la fusion de 13
institutions de loi 43/1974 dans la Banque Nationale de Développement en 1992.
Chamosset François - 2009
31
Le rôle de l’institution bancaire dans l’Egypte contemporaine. Pour une illustration de la
dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement
La BCE propose la typologie suivante du marché bancaire Egyptien à la veille de la
64
réforme de 2004 . On recense tout d’abord trois grands secteurs d’activité financière
sous la tutelle de la BCE : les activités commerciales, adressées au grand public, les
banques d’investissements, dont l’objectif principal est de drainer des Investissement Direct
à l’Etranger en direction de l’Egypte, et des Banques spécialisées.
Le secteur commercial est largement dominé par les quatre grandes banques d’Etat :
la Banque du Caire, la Banque Misr, la Banque d’Alexandrie et la National Bank of Egypt
65
(NBE). En 1997, ces quatre banques concentraient encore 62,2% des dépôts . Le secteur
commercial privé étant composé en 2003 de 24 banques de loi 43/1974. La domination du
secteur privé est une fois de plus écrasante lorsque l’on considère les réseaux commerciaux
des deux catégories d’institution. Ainsi en 2003, les comptes de la BCE nous montrent
que les quatre grandes banques publiques comptaient quelques 917 agences au travers
du pays, alors que les 24 banques commerciales privées réunie n’en avaient que 383.
Cette question de l’accès des particuliers aux agences locales est cruciales dans la mesure
de l’ouverture du marché à la concurrence : comment en effet considérer le marché
comme libéralisé si la rue Egyptienne est encore dominée par quatre grandes enseignes
commerciales publiques.
Le secteur des banques d’investissement est quant à lui réparti entre 11 Joint-ventures
et banques privés, et les agences de représentation de 22 banques offshore. Nous
reviendront en détail sur le rôle précis de ces institutions, mais retenons pour l’instant
que leurs principale fonction consiste à collecter l’épargne en devise et à drainer les
investissements étrangers vers les différents secteurs de l’économie réelle.
Les banques spécialisées enfin sont au nombre de quatre et oeuvrent dans trois
domaines d’activité précis : l’industrie (Egyptian Industrial Developement Bank), l’agriculture
(Principal Bank for Agricultural development) et l’immobilier (Arab Land Bank et Crédit
foncier Egyptien).
Cette typologie des institutions bancaires en fonction de leur statut juridique n’est
cependant pas satisfaisante. Tout d’abord elle répond à une définition trop restreinte des
66
institutions bancaires, qui met de côté un « géant méconnu » : La National Investment
Bank (NIB) dont la prise en compte transfigure totalement la structure du marché décrite
précédemment. De plus la prise en compte des relations de clientèles et des flux financiers
à l’intérieur du secteur bancaire nous amène à dépasser la simple dichotomie secteur
public – Secteur privé, pour présenter la typologie bancaire selon un système de cercles
concentriques organisés autour de l’Etat.
Le rôle de la NIB
Comme on l’a vu, la création de la NIB a été créée par la loi 119/1980 à un moment
ou le système semblait atteindre une relative maturité, avec pour objectif bien précis de
financer exclusivement le gouvernement central et le secteur public de l’économie. La
première particularité de cette institution est juridique : elle échappe à une grande partie
des réglementations imposée par la BCE au secteur bancaire traditionnel. Son conseil
d’administration est libre de fixer le montant des crédits globaux octroyés sans obligation
de réserves en fonds propres.
64
Kamar, Bassem, Politique de change et globalisation. Le cas de l’Egypte, L’Harmattan, Paris, 2003, p. 193
65
66
32
Ibid. p. 194
L’expression est de Elias Abou Haidar
Chamosset François - 2009
Partie 1 : La notion de système bancaire dans l’économie Egyptienne contemporaine
Par ailleurs, l’examen de son statut nous permet de relever deux fonctions essentielles
de la NIB : il s’agit d’une part d’une autorité de planification, puisqu’elle est en charge du
financement des projets de développement économique, du suivi de l’application du plan
de développement, et de la définition exact des programmes annuels de financement. Mais
la NIB doit aussi gérer la collecte des fonds nécessaires à ces activités d’une part par
la centralisation des fonds étrangers et de l’aide au développement, et d’autre part par
l’émission d’obligations en Livre ou en devise.
Du point de vue de son passif, on ne saurait donc considérer cette institution comme
une banque à proprement parler, puisque ses ressources sont employées uniquement au
financement des structures publiques.
Graphique 7 : actifs de la NIB
Pour autant, la NIB ne doit pas être mis à part du système financier national, dans la
mesure ou elle se trouve en concurrence directe avec les autres institutions « traditionnelle »
pour le contrôle de ses ressources.
Chamosset François - 2009
33
Le rôle de l’institution bancaire dans l’Egypte contemporaine. Pour une illustration de la
dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement
Graphique 8 : structure des ressources de la NIB en 2003
En effet, on constate ainsi que la NIB propose des produits d’épargne à destination
aussi bien des ménages Egyptiens (via les Fonds Publics d’Epargne (FPE) des salariés
qui constituaient plus de 69% des ressources totales de la NIB), que des investisseurs
institutionnels (soit par les certificats d’investissement, soit par l’émission d’obligations en
dollars.
67
Elias Abou Haidar relève deux problèmes principaux posés par cette répartition des
ressources. Premièrement, le financement à près de 69% par des Fonds Publics d’Epargne
ne paraît ni pérenne ni souhaitable : il n’est pas pérenne dans la mesure ou le FMI fait
pression pour libéraliser le marché de l’épargne salariale et mettre fin au monopole public
sur ces fonds, il n’est pas souhaitable car ces fonds émanant de l’épargne des ménages
devraient plutôt servir, quitte à se diriger vers la sphère publique, davantage au financement
des politique sociales qu’économiques.
Ensuite, il faut savoir que les principaux acheteurs des certificats d’investissements
sont les banques publiques, et notamment la National Bank of Egypt. Le poids croissant
que devrait prendre l’émission de ces produits d’épargne sur le marché bancaire risque de
rendre le gouvernement de plus en plus dépendant de son système bancaire. De ce point
de vue, le rapport de clientèle entre Etat et banque publique est inversé : à tel point qu’on
ne saurait dire au final qui dépend de qui.
Pour résumer, Elias Abou Haidar montre que la prise en compte de la NIB dans l’étude
globale du secteur bancaire renforce de beaucoup le poids de l’Etat dans le rapport de force
entre secteur bancaire public et privé. Nous avons pu établir une première typologie du
système dans son ensemble en prenant comme critères le statut juridique des institutions
et leur bilan comptable.
67
34
Op. Cit. p. 77
Chamosset François - 2009
Partie 1 : La notion de système bancaire dans l’économie Egyptienne contemporaine
Schéma 1 : typologie du secteur bancaire Egyptien par statut juridique
Une autre mesure de la domination du public : la théorie des six cercles
concentriques
Cependant, une analyse du secteur bancaire en terme de flux montre les limites de la simple
dichotomie public/privé. En effet, l’analyse du « reliquat hors secteur public » nous indique
qu’en réalité la part des fonds privés dans les banques du secteur dit privé sont infimes
et quasiment tous issus de fonds étrangers. Pour illustrer cette thèse, Elias Abou Haidar
68
prend l’exemple de l’intervention bancaire sur les marchés financiers Egyptiens . En 2000,
le marché des investisseurs institutionnels en Egypte est dominé par trois grands acteurs
qui représentent 86% de l’activité sur les marchés financiers : il y a le Fond Hermes EFG,
alimenté par la banque D’Alexandrie et des investisseurs offshore, La Banque Misr qui
possède à 100% trois fonds d’investissement et 35% du fond d’Investissement Concord, et
la NBE qui possède également 3 autres fonds à 100% et 50% du Fond d’Investissement
Concord.
Ces éléments nous amènent à l’idée que l’Etat est un acteur omniprésent du système
bancaire. Dès lors, Elias Abou-Haidar propose de repenser son organisation, non plus en
terme de dichotomie public/privé, mais en terme de degré d’indépendance des institutions
vis-à-vis de l’Etat.
« [Ainsi], nous […] parviendrons non plus à une représentation linéaire et nette
du système, mais à une architecture en étoile ou la tête de la « pieuvre » est pour
l’instant constituée par le premier cercle : la NBE et la banque Misr. Ce n’est qu’à
ce prix que nous pourrons dépasser la naïveté des représentations officielles
69
binaires du fonctionnement du système bancaire Egyptien »
C’est ainsi qu’on préférera présenter le secteur bancaire Egyptien de la fin des années
1990 comme un système composé de six cercles concentriques sur lequel on classera les
institutions en fonction de leur degré d’indépendance vis-à-vis de l’Etat.
Les trois premiers cercles sont constitués d’institutions ayant la double caractéristique
d’être totalement publique tout en étant des actifs sur les marchés financiers. Le premier
cercle est composé de la NBE et de la banque Misr, deux banques commerciales publiques
qui possèdent leur propre fond d’investissements. Le deuxième cercle est constitué par les
banques d’Alexandrie et du Caire, elles aussi commerciales et publiques, mais n’intervenant
qu’indirectement sur les marché financiers. Le troisième cercle est enfin composé des trois
68
69
Ibid. p. 105
Ibid. p. 114
Chamosset François - 2009
35
Le rôle de l’institution bancaire dans l’Egypte contemporaine. Pour une illustration de la
dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement
grandes compagnies d’assurances publiques (Misr Assurance, Assurances Al Charq, et
Egypt Re-Insurance).
Le quatrième cercle est composé de banques publiques qui n’ont pas accès aux
marchés des capitaux. Le cinquième cercle comprend 12 institutions privées sous influence
du public (il faut savoir que la minorité de blocage pour le gouvernement sur un joint-venture
est situé à 25% du capital social : tant qu’une société joint-venture n’est pas détenue à plus
de 76% par des capitaux privé, elle est considérée comme étant sous l’influence de l’Etat).
Enfin, le sixième et dernier cercle est constitué des institutions qui se rapprochent le plus
de ce que nous pourrions appeler le secteur privé.
Pour résumer le point de vue de Elias Abou Haidar sur le système bancaire
Egyptien d’avant la réforme de 2004, on peut retenir trois facteurs qui permettent de
distinguer les institutions financières dans le paradigme des six cercles concentriques : le
degré d’indépendance de l’institution vis à vis du politique, son niveau de réactivité aux
mécanismes du marché et son niveau d’intégration au circuit financier de l’Etat.
B. Les enjeux de la réforme à venir
Cette nouvelle lecture de la réalité du système bancaire Egyptien nous permet de mieux
percevoir les enjeux de la privatisation annoncée et d’une possible libéralisation des
marchés des produits d’épargne et de crédit. Pour qu’une privatisation bancaire soit effective
en Egypte, il faudrait donc que deux conditions soient réunies : cela signifierait tout d’abord
un désengagement des intérêts de l’Etat de l’ensemble du secteur – notamment autour de
la question du financement de sa dette – et ce ne serait que dans un deuxième temps qu’il
faudrait réfléchir à une possible réhabilitation des mécanismes de marché.
Nous tenterons dans cette seconde sous partie de mettre en lumière les mécanismes
qui sous-tendent le circuit financier de l’Etat, avant de poser la question du degré de
concurrence qui caractérise les rapports interbancaires en Egypte.
Sortir l’Etat de son rôle de client du système bancaire
En 1998, le déficit de l’Etat Egyptien est de 21% de son budget total, soit 2,8 milliards
70
de dollars (1% du PIB de 1998). 7 ans à peine après le début de la période
d’ajustement structurel, l’objectif pour le gouvernement reste encore de limiter au maximum
le financement externe du déficit public. Il s’agit donc de privilégier un financement interne
de la dette publique, et ce, de deux manière : en émettant d’une part des obligations à
destination du secteur bancaire, et en s’appuyant d’autre part sur les épargnes des ménages
(via le transfert des dépôts en banque, l’émission de certificats d’investissement, ou la
captation d’une partie des flux d’épargne nouvelle)
70
36
Ibid. p. 131
Chamosset François - 2009
Partie 1 : La notion de système bancaire dans l’économie Egyptienne contemporaine
Graphique 9 : Financement de la dette publique Egyptienne
Les dynamiques de financement de la dette publique sont donc les suivantes : depuis le
début des années 1990, l’Etat s’est totalement détourné de l’épargne collectée par le secteur
bancaire commercial pour se tourner vers une institution spécialisée dans le financement
de la dette publique (la NIB). En réalité, on s’aperçoit que la NIB constitue un intermédiaire
privilégié pour financer l’Etat et le secteur public par l’épargne bancaire.
L’avantage de cette stratégie de financement interne et intermédié de la dette publique
est qu’elle permet de se conformer à toutes les exigences du FMI : elle donne l’illusion
d’un désengagement progressif de l’Etat du secteur bancaire et elle permet de réduire la
dépendance de l’Etat vis-à-vis des financements extérieurs et tout en autorisant maintien du
niveau des dépenses publiques. L’enjeu de la privatisation du secteur bancaire est donc de
parvenir à concevoir l’Etat non plus en tant que concurrent déloyal des autres investisseurs
du secteur privé, mais bien en tant qu’arbitre dans une situation de marché libéralisé.
Quelle place pour le secteur privé ?
Après avoir analysé les rapports qu’entretient l’Etat Egyptien avec le système bancaire,
nous allons maintenant tenter d’analyser le degré de réactivités des institutions bancaires
aux mécanismes de marché.
A partir de ce bilan (Tableau 1), Elias Abou Haidar déduit deux distorsions de
concurrence majeures. Tout d’abord la domination du passif des banques par la collecte de
dépôts à court terme, de même que celle de l’actifs par les crédits de court terme fait de
l’accès aux ménage un déterminant de la compétitivité des institutions. Ce qui limite de fait
les banques du secteur privé, désavantagées comme on l’a vu par l’étroitesse de leur réseau
d’agence. De plus, la faible hétérogénéité des sources de financement limite les possibilité
de stratégies offensives sur le marché et maintient les banques dans une situation attentiste
vis-à-vis de leur clientèle.
Chamosset François - 2009
37
Le rôle de l’institution bancaire dans l’Egypte contemporaine. Pour une illustration de la
dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement
Tableau 1 : Bilan global du secteur bancaire en 2000 (en %)
Actif
Prêt et avances
moins d'un an
Plus d'un an
Créances interbancaires
Banque en Egypte
Créances étrangère en
£E
Créances en devise
Avoirs BCE
Bons du trésor
Actif financiers et titres
Titres garantis par l'Etat
Autre titre à taux fixes
Actions
50,4
10,2
9,1
10,8
10
37,6
12,8
4,1
0
6,1
4,7
0,6
3,2
Fonds d'investissement
Autres actifs
9,4
1,5
Total
100
100
71
Passif
Dépôts
Compte courant
depot à terme moins d'un an
DAT plus d'un an
Autres DAT
Dépots en devise
Autres dépots
Dette interbancaire
Dette interbancaire Egypte
Dette interbancaire en £E
Dette interbancaire en devise
dettes envers la BCE
Emprunt à Long terme et
émission d'obligations
Capital propre
Réserves
Provisions
Autres passifs
66,1
6
3,6
1,9
2,9
2,1
7,1
10,1
100
5,4
21,2
4,2
8,2
15,2
11,9
2,9
0,2
2,9
100
72
À partir de l’analyse de ce bilan, Elias Abou Haidar détermine trois grands types
de risques systémiques qui pèsent sur le système financier Egyptien : les risques
73
74
75
d’insolvabilité , d’illiquidité et de transformation .
Le risque d’insolvabilité est mesuré par l’étude du ratio de solvabilité, c’est à dire
du rapport entre les fonds propres détenus physiquement par les banques et leurs
engagements auprès de leurs créditeurs. Le risque pris est pondéré en fonction des
créditeurs auprès desquels la banque s’est engagée : les dépôts des particuliers doivent
être garantis à 100% par les fonds propres, les prêts accordés par les autres banques à
50% et les prêt de la banque centrale à 20%. Les accords de Bâle II estiment qu’un système
financier encours de graves risques d’insolvabilité si le ratio tombe en dessous de 8,2%.
Or il se trouve que le ratio de solvabilité du secteur bancaire Egyptien à la fin de 1998 se
trouve à 8,8% si l’on exclu la valeur des garanties provisionnées sur les crédits accordés
71
72
73
Ibid. p. 145
Ibid. p. 179 et suivantes.
L’insolvabilité se produit lorsqu’un agent se déclare incapable de rembourser ses dettes à ses créanciers : on parle
d’insolvabilité systémique lorsque le défaut de paiement d’un agent place son créancier lui-même en situation d’insolvabilité, entraînant
une faillite en chaîne des agents.
74
Le risque d’illiquidité se produit lorsque les agents perdent totalement confiance les uns envers les autres : les titres de
créances ne s’échangent plus entre les acteurs, chacun s’attendant à la faillite imminente de l’autre.
75
La transformation consiste à emprunter à court terme pour prêter à long terme : le risque de transformation intervient lorsque
l’emprunteur à long terme rate une échéance, plaçant son créancier emprunteur de court terme, immédiatement en, situation de défaut
de paiement.
38
Chamosset François - 2009
Partie 1 : La notion de système bancaire dans l’économie Egyptienne contemporaine
(car on sait désormais à quel point la valeur de ces garanties ne protègent pas les créancier
de l’insolvabilité de leur client : se référer à la crise des subprime).
Le risque d’illiquidité encouru est ici mesuré par deux indicateurs : le coefficient de
liquidité à moins d’un mois (calculé par le ratio Liquidités disponibles / liquidités exigibles
en moins d’un mois) et le coefficient de liquidité de plus de 3 mois (liquidités disponibles /
liquidités exigibles en moins de trois mois). Alors que le coefficient de liquidité est de 1,6 en
ce qui concerne la liquidité à moins d’un mois, il tombe à 0,87 pour la liquidité à moins de
3 mois. C’est donc l’ampleur des dépôts à terme contractés par les banques qui seraient la
principale source du risque d’illiquidité du système bancaire Egyptien.
Enfin, le risque de transformation consiste à utiliser des dépôts liquides ou de court
terme pour financer des prêts de long terme. Il se mesure simplement par la comparaison
globale de la somme de passifs à plus d’un an avec la somme des actifs pour la même durée
de l’ensemble du secteur bancaire. On constate qu’en 1998, le solde de transformation est
en déficit de plus de 66 milliards de £E, soit 20% du bilan comptable de l’ensemble du
secteur. Cependant, Abou Haidar signale que cette situation ne reste tenable que dans la
mesure ou les créanciers de long terme des banques sont en grande majorité des institutions
publiques (créances de la BCE, et dépôts de long terme d’entreprises publiques). Il décrit
enfin ce fort risque de transformation comme un « moindre mal » compte tenu du risque
de solvabilité encouru.
En résumé, le système bancaire de la fin des années 1990 est donc marqué par deux
caractéristiques : il y a d’une part une attitude attentiste de la part institutions bancaires
qui ne semblent pas chercher particulièrement à élaborer des stratégies agressives pour
accroître leurs parts de marché, et il y a d’autre part la présence de risques systémiques
majeurs contre lesquels la garantie de l’Etat Egyptien constitue le seul rempart valable.
Cependant, cette précarité systémique peut aussi être considérée comme une manière
pour l’Etat de maintenir le secteur bancaire sous une dépendance de facto, davantage que
de jure, afin de garantir l’attitude apathique des institutions bancaires aussi bien publiques
que privées. En maintenant les banques dans l’attentisme, l’investissement privé en Egypte
reste difficile d’accès et trop cher, et le secteur public reste le seul utilisateur des excédents
de financement disponibles sur le marché. Une compétition accrue à l’intérieur d’un marché
bancaire actif risquerait en effet de rendre les produits d’épargnes plus alléchants pour les
ménages qui placent par défaut leur argent dans des Fonds Publics d’Epargne.
L’analyse approfondie qu’Elias Abou Haidar a réalisé du secteur bancaire de la fin des
années 1990 a abouti à deux conclusions majeures.
1- Non seulement l’Etat Egyptien ne joue pas pleinement son rôle d’arbitre du marché
bancaire, mais il se trouve lui même en concurrence avec les institutions bancaires. Le
gouvernement et les autorités économiques se servent, par l’intermédiaire de la NIB, de
l’épargne des ménages pour financer la dette publique.
2- Les banques Egyptiennes sont condamnées par l’Etat à adopter une position
attentiste sur le marché si elles ne veulent pas voir leurs activités menacées par de graves
risques systémiques. Or, l’Etat n’a aucun intérêt à voir apparaître un véritable marché
bancaire car les banques proposeraient alors des produits financiers suffisamment alléchant
pour attirer l’épargne placée dans les FPE, qui servent à financer la dette publique interne.
Ces deux conclusions nous permettent de définir plus clairement ce que constituerait
la mise en place d’une réelle économie de marché au niveau bancaire : il faudrait d’une
part que l’Etat se désengage du jeu bancaire et trouve d’autres sources de financement de
la dette publique que l’épargne nationale ; il faudrait ensuite adopter une réglementation
Chamosset François - 2009
39
Le rôle de l’institution bancaire dans l’Egypte contemporaine. Pour une illustration de la
dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement
pour réguler le marché bancaire de manière autonome et éviter l’apparition de risques
systémiques. C’est prenant ces deux critères comme des hypothèses de départ que nous
allons étudier la réforme en cours du secteur bancaire, afin de déterminer si cette réforme
constitue ou non une véritable libéralisation.
2. Bilan de la réforme du système financier initiée en 2003 : quelle
libéralisation du marché bancaire ?
Il ne s’agira pas dans cette dernière partie de porter un quelconque jugement de valeur sur
la nécessité ou non de réformer le système bancaire Egyptien, mais de mettre en évidence,
6 ans après son lancement, la portée réelle de la réforme en cours et de souligner ses
éventuelles contradictions internes.
La réforme intitulée « Financial Sector Reform Programm », bien que validé par le
président en septembre 2004 a réellement débuté avec la Loi n°88/2003 qui visait à
renforcer les prérogatives de la BCE. En 2004, le ministère des finances a ensuite entamé
un audit complet du secteur bancaire public, et notamment des quatre grandes banques
commerciales afin de repérer le poids réel constitué par les créances douteuses dans les
actifs bancaires. Enfin, l’événement le plus « spectaculaire » de ce programme a été la
privatisation de la banque d’Alexandrie, rachetée par la banque Italienne Intesa San Paolo.
Il faut noter avant toute chose que le gouvernement Egyptien n’a pas mis cette réforme
en place de manière totalement autonome. Même si la présidence lance officiellement le
processus politique dès 2004, le gros de l’application des dispositions de la loi de 2003
76
n’intervient qu’à partir de 2006, grâce à l’octroi par la Banque Mondiale
d’un prêt de
500 millions de dollars US. La présence de cette aide internationale majeure nous permet
d’avancer que, de la même manière que le programme d’ajustement structurel du début des
années 1990 était en phase avec les principaux éléments idéologiques du consensus de
Washington, la réforme du secteur financier de 2004 est directement liée à la doctrine de la
« bonne gouvernance », prônée par la banque mondiale depuis le début des années 2000.
« To this effect, World Bank operations seeked to:(i) strengthen the domestic
banking system inter-alia by divesting fully state-owned banks shares in joint
venture banks, privatizing one of the large state-owned commercial banks,
defining a framework to implement institutional, operational and financial
restructuring of the remaining public banks, and consolidating and merging small
banks in an over banked market; (ii) develop the contractual savings system
and restructure the insurance industry so it can play an effective role in the
management and transfer of risk and mobilization of long-term savings; and
(iii) strengthen the regulatory and supervisory framework for banks and nonbank financial institutions to ensure compliance with international standards and
77
effective enforcement. »
Nous tenterons de comparer la dynamique de réforme engagée avec les critères de
libéralisation du marché que nous avons retenus de l’analyse de Elias Abou Haidar. Il s’agira
76
Nasr Sahar [en ligne], Implementation, completion and result report on a loan in the amount of US$ 500 millions to the Arab
Republic of Egypt for a financial sector development policy loan , Rapport du service financier de la banque mondiale pour la région
MENA,Washington, 21 février 2007 [page consultée le 14 Juin 2009] www.worldbank.org
77
40
Ibid., p. 2
Chamosset François - 2009
Partie 1 : La notion de système bancaire dans l’économie Egyptienne contemporaine
dans un premier temps de se demander si l’on assiste réellement à un désengagement de
l’Etat en tant que client sur le marché bancaire avant de mesurer l’efficacité des nouveaux
outils de régulations sur la dynamisation du marché.
A. Vers un désengagement de l’Etat du secteur bancaire ?
Il s’agit ici de se poser la question de l’évolution du rôle de l’Etat dans la réforme en cours :
peut-on parler d’un désengagement de la puissance publique en tant qu’acteur du jeu
bancaire ? Nous verrons que si, en apparence, l’Etat s’est effectivement désengagé de son
rôle dans une grande partie des institutions bancaires, il apparaît que le phénomène de
captation de l’épargne des ménages par le financement de la dette publique est toujours
bien présent.
Le désengagement institutionnel relatif : les conséquences de la vague de
privatisation sur la structure du marché
Il faut noter en guise de remarque préliminaire que le processus de réforme institutionnelle
s’est produit en deux temps distincts : il y a eu tout d’abord une première période de
transformation de statut, qui s’est traduite par une refonte des institutions existantes, puis un
second temps de « dégraissage » qui a abouti à diminuer d’un tiers le nombre d’institutions
agissant sur le marché.
Graphique 10: Structure du système bancaire
Egyptien avant et après la réforme de 2003
Si l’on considère seulement l’évolution du nombre d’institutions bancaires présentes
sur le marché depuis 2000, on remarque que la première conséquence directe de la loi
78
88/2003 a été la transformation des 12 banques d’affaires et banques spécialisés en
3 banques publiques commerciales, et en 11 joint-ventures. Concrètement, cela signifie
tout simplement l’abandon de la spécialisation fonctionnelle de la Banque principale de
78
Article 32 de la loi 88/2003 (en annexe)
Chamosset François - 2009
41
Le rôle de l’institution bancaire dans l’Egypte contemporaine. Pour une illustration de la
dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement
développement agricole, de la Banque Egyptienne de développement industriel, et de la
Arab Egyptian Real Estate Bank (banque créée lors de la fusion de la Arab Land Bank
et de la Egyptian Real Estate Bank en 1999). Ces 3 banques spécialisés deviennent
alors des banques publiques et commerciales polyvalentes : c’est ici le dernier vestige de
l’organisation bancaire Nassérienne qui tombe. En Mai 2007, la Banque Misr a enfin racheté
79
100% des actions de la banque du Caire.
Dans un deuxième temps, on constate que le rétrécissement effectif du marché
bancaire – passant d’un total de 61 à 41 institutions – est principalement à mettre sur le
compte de la diminution du nombre de société Offshore en activité sur le marché. Dès
2004, sept des 20 sociétés offshore en activité sur le marché ont tout simplement arrêté
leurs activités sur le territoire Egyptien. Durant les 3 années suivantes, les treize sociétés
restantes ont procédé à des opérations de fusion acquisition de manière à ne former qu’un
contingent de 7 sociétés. A noter enfin la privatisation de la banque d’Alexandrie, devenue
joint-ventures de la banque Intesa San Paolo en 2006, réduisant à 6 le nombre total de
banques publiques en activité.
Enfin, il faut signaler que cette réforme de la structure du marché telle que présentée
dans le graphique 10 masque un retrait des parts détenues par l’Etat dans 13 des 17 joint80
ventures Egyptiens enregistrés en 2007 .
Graphique 11 : Structure du marché bancaire
Egyptien avant et après la réforme de 2003
Cependant, on peut constater que la mise en place de la réforme du secteur financier
n’a pas entraîné pour autant de véritable changement dans la structure des réseaux
commerciaux des banques. En effet, il apparaît que la majorité des agences recensées sous
l’appelation « banques d’investissement et banques spécialisées » a été transféré après
sa suppression au secteur public, maintenant la faiblesse du réseau d’agences des jointventures et banques privées. En 2007, le secteur public détenait encore plus des deux tiers
du réseau d’agences locales, et ce malgré la privatisation de la banque d’Alexandrie. On
sait que cette persistance de la domination du public sur ce réseau est une entorse majeure
79
80
42
BCE, Economic Review, vol. 48 n°2, 2007-2008.
Nasr, Art. Cit.. p. 10
Chamosset François - 2009
Partie 1 : La notion de système bancaire dans l’économie Egyptienne contemporaine
à la mise en place de mécanismes de marché tant que les dépôts liquides et crédits de court
terme constitueront la ressource principale du secteur bancaire. Cependant, il faut constater
que la densité bancaire est en nette augmentation depuis 2004. La BCE comptait en juin
2004 une agence pour 24 900 habitants, contre une agence pour 22 800 habitants en juin
81
2008, et une agence pour 22 400 habitants en Mars 2009 .
À noter enfin, que la réduction du nombre de banques Offshore sur le marché n’a en
réalité que peu d’impact la structure de l’accès aux services bancaires puisque le nombre
d’agences concernées est très limité.
On peut conclure de cette analyse que si effectivement la part de marché du secteur
82
bancaire public est passé de 58% à 53% entre 2005 et 2007 , le processus de libéralisation
– en tant que mise en œuvre des mécanismes de marché – repose véritablement sur la
capacité des banques privées à élaborer un solide réseau d’agences locales et à diversifier
leurs ressources, de manière à agrandir la taille du marché et à améliorer les conditions
d’accès aux services bancaires.
Evolution du financement de la dette publique
Il est important de noter en premier lieu que la dette publique Egyptienne est avant tout
contractée à l’intérieur de son propre pays. (A titre de comparaison la dette publique
83
française en décembre 2008 est détenue à plus de 65% par des non résidents ). On a vu
à l’occasion de la mise en place de l’ajustement structurel que pour continuer à financer sa
dette publique par le système financier international, le gouvernement doit se tourner vers
des institutions internationales de plus en plus exigeantes sur la gestion budgétaire. Ainsi,
la Banque Mondiale impose à l’Etat de libéraliser son économie en échange de l’octroi de
prêts internationaux. Or on a aussi vu à quel point la libéralisation du secteur bancaire en
particulier risquait de peser sur le financement de la dette publique interne, puisque c’est
le caractère atone du marché bancaire qui permet de placer les produits des fonds publics
d’épargne parmi les placements les plus avantageux du marché. Le mode de financement
de la dette publique choisie par l’Etat Egyptien le place finalement devant un dilemme que
l’on pourrait résumer de la manière suivante : soit il refuse ouvertement de libéraliser son
économie, et il voit les aides extérieures qui lui sont accordées s’amoindrir progressivement,
soit il accepte d’ouvrir le secteur bancaire à la concurrence, et il décide alors de renoncer
à une partie de ses sources de financements internes.
81
82
83
BCE [en ligne], Monthly statiscal bulletin, Mai 2009, [page consultée le 14 juin 2009] www.cbe.org
Nasr Sahar (dir.), op. cit. p. 36
Agence Française du Trésor [en ligne], Qui détient la dette française ? , [page consultée le 8 Juin 2009] www.aft.gouv.fr
Chamosset François - 2009
43
Le rôle de l’institution bancaire dans l’Egypte contemporaine. Pour une illustration de la
dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement
Graphique 12 : poids de la dette publique interne et externe
Si l’on analyse à présent le détail de la dette publique interne depuis 2003, on s’aperçoit
que sa chute en valeur relative autant qu’absolue depuis 2006 est principalement dû à la
résorption partielle du passif de la NIB. Concrètement, cela signifie que l’Etat n’a pas tenté de
résoudre le problème de la dette par un rééquilibrage budgétaire, mais plus probablement,
par l’abandon d’un certain nombre de programmes de financement du secteur public par
la NIB (il se trouve qu’il est très difficile de trouver des chiffres sur l’emploi exact des fonds
de la NIB.
Graphique 13 : structure de la dette publique interne
Pour autant, la question de la dépendance de l’Etat vis-à-vis des FPE n’est pas résolue.
En réalité, le graphique 15 nous montre que la résorption du passif de la NIB est en partie dû
44
Chamosset François - 2009
Partie 1 : La notion de système bancaire dans l’économie Egyptienne contemporaine
à l’émission d’obligations spécifiques par le trésor Egyptien en direction de ces FPE. Il est
important de noter qu’à partir de septembre 2006, la NIB n’octroie plus le moindre prêt au
gouvernement Egyptien et que les seules créances encore détenues sont des obligations
classiques émises en direction de tout type d’investisseur. C’est à partir de ce moment-là
que commence l’émission d’obligations budgétaires en direction des FPE. Ce graphique
nous montre qu’en réalité la diminution du passif de la NIB en 2006 a été absorbée par une
désintermédiation de la NIB dans le financement de la dette publique.
Graphique 14 : participation comparée de la NIB et
des FPE au financement de la dette budgétaire interne
On peut enfin déduire de cette analyse que non seulement l’effacement du rôle de la
NIB dans le financement de la dette ne s’est pas traduite par la fin de la dépendance de
l’Etat vis-à-vis de l’épargne nationale, mais que cette dépendance s’est même accrue. On
observe d’une part que le niveau auquel les FPE finance la dette publique est légèrement
supérieur à celui auquel la NIB était engagé avant 2006, et d’autre part que les FPE sont
une source de financement unique qui remplace les multiples sources de financement dont
disposait la NIB jusqu’alors (certificat d’investissement, obligations émises en US$, Epargne
de la Poste…)
B. La mise en place de nouveaux outils de régulation du secteur bancaire
On constate ainsi que si le désengagement de l’Etat du secteur bancaire est effectif, il
conserve tout de même un intérêt majeur à ce que le marché reste le plus atone possible
afin de lui permettre de continuer à se financer avec l’épargne des ménages. En ce qui
concerne le développement d’un marché bancaire autonome, la Banque Mondiale a articulé
les objectifs visés par son aide à la réforme autour de deux phases distinctes.
« That reform program foresaw two phases. The first focused on developing
more effective monetary and financial instruments to control liquidity, and
liberalizing interest rates and credit. The second phase focused on increasing
competitiveness in the financial market by enhancing private participation in
84
commercial banking, securities, and insurance. »
Il s’agit dans cette partie de nous interroger sur les conséquences de la réforme sur la
dynamisation du marché bancaire. Pour ce faire, nous tenterons dans un premier temps
84
El Daher Samir [en ligne], Programm Information Document : Appraisal Stage. Egypt Finance sector reform, Banque
Mondiale, 12 Janvier 2006 [page consultée le 12 Juin 2009] www.worldbank.org , p. 1
Chamosset François - 2009
45
Le rôle de l’institution bancaire dans l’Egypte contemporaine. Pour une illustration de la
dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement
de mesurer la portée des mesures de régulation prises par le gouvernement Egyptien afin
de limiter au maximum l’apparition de risques systémiques, avant de tenter de déceler une
éventuelle diversification des activités du secteur bancaire dans son ensemble.
La mise en place de nouvelles règles prudentielles par la BCE
La mise en place d’éléments de contrôle des activités bancaires et la réhabilitation de la
BCE en tant qu’instance d’arbitrage au sein du secteur semble être la véritable priorité à la
fois de la Loi 88/2003 et du programme d’aide à la réforme de la banque mondiale. On peut
ainsi distinguer trois volets dans l’instauration de nouvelles règles prudentielles : il y a tout
d’abord la mise en place de programmes d’audit des grandes banques commerciales afin
de les apurer des créances douteuses qui polluaient leurs actifs, ensuite la mise en place de
nouvelles règles de gestion des risques (avec notamment la mise en conformité aux règles
des accords de Bales II), en fin la mise en place de la société I-Score de gestion d’un fichier
client interbancaire (équivalent du fichier FICP en France).
En premier lieu, la réforme a été accompagnée de programme d’audit des institutions
publiques dans une optique d’assainissement de leurs actifs et de mise en conformité de
leurs activités aux standards internationaux. Ces audits se sont ensuivis de programmes de
restructuration, mis en place par la banque mondiale, en vue d’une ouverture possible du
capital de ces sociétés. Il s’agit ici de régulations ponctuelles visant officiellement à éliminer
la masse des prêts non performants qui avaient été jusqu’alors accordés au secteur public
85
de l’économie par les banques d’Etat. La revue économique de la BCE affirmait ainsi qu’en
2008, 80% de la dette du secteur public avait été renégociée, et 35% avait été remboursée,
en priorité à la banque d’Alexandrie nouvellement privatisée.
Par ailleurs, la loi 88/2003 a pour objectif premier une réaffirmation de l’autorité et des
86
missions de la BCE .
Cette réaffirmation des missions s’accompagne de la mise en place de nouvelles règles
prudentielles, en phase avec les normes bancaires internationales.
L’apport de cette loi qui se réfère sans l’évoquer aux standards de Bales II, est donc
d’injecter au sein du marché bancaire de nouvelles règles de fonctionnement et de gestion
des risques. Ce premier jet de mesures a été complété par la suite par d’autres programmes
de régulation spécifiques mis en place en coopération avec la Banque Centrale Européenne
87
afin d’améliorer les techniques de supervision du secteur . Enfin, la loi 88/2003 a créé
88
l’Institut Egyptien de Technique bancaire avec pour mission de former les personnels des
banques pour la mise en œuvre des nouvelles régulations. Cet institut a été financé en
grande partie par le prêt de la banque mondiale et par une participation de l’USAID.
En dernier lieu, on peut observer un mouvement d’autonomisation des banques vis-àvis de la BCE dans la gestion des risques clients. En effet, en 2005 est né en Egypte le
premier crédit bureau, devenu par la suite la société I-score dont l’activité principale consiste
à gérer un fichier de risques clients (équivalent semble-t-il du fichier FICP en France),
afin de permettre une meilleure gestion des risques de solvabilité. Le capital social de
cette société est détenu par 25 institutions bancaires Egyptiennes ainsi que le Fond Social
85
86
87
88
46
BCE [en ligne], Economic review, volume 48, n°2 2007-2008, p. 3 [page consultée le 6 juin 2009] www.cbe.org.eg
Loi 88/2003, « Section I : la Banque Centrale d’Egypte »
BCE [en ligne], Economic review, vol. 48 n°2, 2007-2008, p. 4 [page consultée le 6 juin 2009] www.cbe.org.eg
Loi 88/2003, article 45 et 46
Chamosset François - 2009
Partie 1 : La notion de système bancaire dans l’économie Egyptienne contemporaine
de Développement, son directeur exécutif est Mohammed Refaat Al Houshy, directeur de
la Commercial International Bank (un joint-venture duquel l’Etat s’est retiré en 2006), et
le président du conseil d’administration est Mr. Mohamed Ahmed Abd El Salam Kafafi,
directeur de la Banque du Caire. La mise Toutes ces informations sur le projet I-score
89
proviennent du site Internet de la société , aucune étude approfondie de la structure du
capital ni de l’activité effective de cette société n’a été menée à notre connaissance.
Quelle diversification des activités ?
Si l’on peut effectivement constater une hausse globale de l’activité bancaire par la mesure
de la hausse de son bilan comptable (7 à 8% de hausse par ans depuis 2004), l’étude
successive des emplois et des ressources qui constituent ce bilan nous révèle cependant
une relative stabilité dans la structures des activités qui dominent le marché.
Graphique 15 : Structure de l’actif du secteur bancaire
L’analyse des actifs en premier lieu nous indique que malgré un récent regain d’activités
interbancaires, les emplois des finances du secteur bancaire restent encore largement
dominés par les activités de prêts à la clientèle et d’investissement dans des titres publics
(on se souvient qu’en 2000, les prêts comptaient encore pour 50,4% de l’ensemble des
90
actifs contre environ un tiers en 2008). Globalement, les banques investissent très peu sur
les marchés financiers, et préfèrent se reporter sur des actifs publiques peu rémunérateurs
mais très sécurisants.
89
90
[page consultée le 5 juin 2009] www.i-score.com.eg
cf. p. 34
Chamosset François - 2009
47
Le rôle de l’institution bancaire dans l’Egypte contemporaine. Pour une illustration de la
dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement
Graphique 16 : Structure du passif du secteur bancaire
Le passif est quant à lui dominé par une dépendance croissante envers les dépôts des
ménages (de 66,3% du passif en 2000, les dépôts sont passés à 69% en 2008). On notera
au passage que les banques Egyptiennnes sont prêteuses nettes vis-à-vis des banques
étrangères, ce qui semble indiquer un phénomène, certes marginal, de fuite de l’épargne
Egyptienne vers des placements en devise.
Deux conclusions sont à tirer de l’analyse du bilan comptable depuis 2004 :
a. La première, c’est que la domination constante du bilan par les activités de détail
(prêts et dépôts) favorise toujours les banques possédant le plus fort réseau d’agences
locales. Or nous avons vu que ce sont les institutions du secteur public qui possèdent encore
les plus vastes réseau et ont donc le meilleur accès à la clientèle.
b. La seconde conclusion, c’est que les banques possèdent une très forte capacité de
financement sur le marché intérieur que l’octroi de prêt ne suffit pas à combler. L’emploi de la
masse de dépôts collecté dans des investissements à l’étrangers ou auprès de titres publics
sont le signe d’un marché bancaire qui reste toujours dans une position très attentiste et
peu dynamique sur le marché national.
Au final, L’analyse du bilan comptable du secteur nous montre que malgré la
redistribution des cartes entre secteur public et privé qu’a constitué la réforme engagée
en 2003, il semblerait que l’on assiste pas encore à une résurgence des mécanismes
de marché. Les banques Egyptiennes, privées comme publiques semblent encore peut
réactives aux mouvements de l’offre et de la demande de financements et davantage
portées sur la conservation de la part de marché que l’Etat leurs a accordé. Il est peut être
encore un peu tôt pour évaluer l’effet de la privatisation de la banque d’Alexandrie, ou du
retrait de l’Etat des principales joint-ventures sur une redynamisation des mécanismes de
marchés. Actuellement, on peut constater que même si les statuts des institutions changent,
l’attitude vis-à-vis du marché reste tout aussi indifférente. On ne peut donc pas encore parler
de véritable libéralisation du marché au sens ou l’entend Elias Abou Haidar.
48
Chamosset François - 2009
Partie 1 : La notion de système bancaire dans l’économie Egyptienne contemporaine
En conclusion de cette première partie, nous retiendrons que la banque a toujours été
une institution centrale dans la constitution de l’Etat Egyptien et dans la construction de
son processus de légitimation. C’est pourquoi la pression accrue de la Banque Mondiale et
des autres institutions internationales pour sa libéralisation risque de mettre en difficulté le
modèle de financement des politiques publiques Egyptienne. Les artifices multiples mis en
place depuis l’époque de l’ajustement structurel semblent s’épuiser petit à petit, et réduire
la possibilité de l’Etat d’échapper à la volonté des institutions internationales. Cette mise
en difficulté risque même de mettre sérieusement en cause l’avenir du régime dans la
mesure ou, privé de l’accès à l’épargne publique, le gouvernement se verra confronté à un
choix entre une hausse de la pression fiscale ou une réduction des dépenses publiques,
notamment dans le domaine de la politique sociale. À court ou moyen terme, ces deux
options risquent d’être fatales pour l’oligarchie aux commandes de l’Etat. La hausse de
la pression fiscale risquerait de réveiller les ambitions d’une classe moyenne pour un
partage plus large de l’exercice du pouvoir politique, tandis qu’une diminution du niveau
de subventions aux produits de base entraînerait à coup sûr de graves troubles sociaux.
On observe ainsi que les mesures de désengagement de l’Etat relatif aux subventions de
nombreux produits de base (huile, céréales, fèves, essence…) se sont multipliées depuis le
début des années 2000. Alors faut-il voir dans les émeutes de la faim de 2008, et les grèves
générales avortées des 6 avril 2008 et 2009, une conséquence indirecte de cette pression
exercée par les Institutions Internationales ? Il semble que les raisons du malaise Egyptien
soient bien plus complexe, mais la problématique du financement de la dette publique risque
de d’avoir un impact croissant sur la situation sociale du pays dans les prochaines années.
Cependant, le caractère atone du marché bancaire classique soulève également un
problème de taille concernant le fonctionnement de l’économie au jour le jour : puisque
l’offre de produit bancaires formelle ne semble pas s’accorder avec la demande existant
sur le marché, l’émergence d’un système financier informel semble inévitable. Se pose dès
lors la question de la stratégie mise en place par l’Etat pour conserver le contrôle de ce
marché secondaire sans pour autant l’étouffer puisqu’il répond tout de même à l’expression
d’un besoin a priori vital pour la société dans son ensemble. C’est précisément l’objet de
cette seconde partie. Au travers des exemple de l’islam politique et du micro crédit, nous
tenterons d’analyser la réaction de la puissance publique face à ce qu’il convient d’appeler
une « vengeance du marché ».
Chamosset François - 2009
49
Le rôle de l’institution bancaire dans l’Egypte contemporaine. Pour une illustration de la
dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement
Partie 2 : L’apparition de structures
financières extérieures au secteur
bancaire : les exemples de la finance
Islamique et de la micro finance.
Le panorama non exhaustif du secteur bancaire qui vient d’être réalisé ne répond pas
totalement à la question du rôle de la banque dans la société Egyptienne. Paradoxalement,
la relative stabilité du système qui a toujours dominé depuis les nationalisations de 1961
n’est pas le reflet de la réalité des marchés de produits de crédit ou d’épargne. On peut
même dire que, depuis la première heure du capitalisme d’Etat Nassérien, le monopole
bancaire sur ces deux activités a toujours été contesté par des institutions plus ou moins
marginales selon les époques et les circonstances.
Deux principales critiques sont alors régulièrement adressées au système bancaire
centralisé qui domine plus ou moins depuis 1961. Il y a tout d’abord une critique
libérale, défendue surtout par les institutions internationales : le modèle Egyptien d’un
système bancaire centralisé et sous la coupe de l’Etat est un modèle non performant
économiquement et portant atteinte à la liberté d’entreprendre dans la mesure ou il maintient
le crédit hors de portée de l’entrepreneur privé. La seconde critique est d’inspiration
Islamiste : le concept même de banque est une notion impérialiste importée par les
puissances coloniales et comportant des aspects contraires à l’Islam (notamment la pratique
de l’usure), il faut donc se réapproprier cette idée pour la rendre conforme aux obligations
morales et religieuses propres à notre culture.
Au cœur de ces tentatives se trouve la volonté récurrente de démocratiser l’accès
aux produits financiers et de faire concurrence aux banques classiques tout en élargissant
leur marché traditionnel. Les intérêts de l’Etat et des banques étant, comme on l’a vu,
relativement imbriqués, ces tentatives de démocratisation du système financier ont eu
souvent une portée politique à plus ou moins long terme. On peut analyser ces expériences
comme une forme de réaction de la part de la société civile au caractère excessivement
bureaucratique et exclusif du système financier mis en place par l’Etat. Il s’agirait en quelque
sorte d’une vengeance du marché face à la frustration de l’initiative privée découlant du
capitalisme d’Etat. On retrouve ici un débat récurrent dans le monde arabe entre modernité
importée et modernité appropriée. Faut-il accepter et imiter tel quel un projet de société
occidental, sous prétexte qu’il a fait preuve de sa supériorité technique, économique et
politique incontestable sur la culture Arabo-musulmane ? Ou alors faut-il chercher à se
l’approprier et à capter l’essence universalisante de ce modèle, et à le concilier à une
culture locale ? On voit que cette question purement financière à la base se heurte
à des aboutissants culturels qu’il faut prendre en compte pour comprendre réellement
l’enjeu qui sous-tend le lien entre libéralisation économique et politique. Pour qu’un modèle
économique puisse être performant, il faut aussi qu’il soit acceptable moralement, au moins
dans une certaine mesure, par les agents économiques. Ce n’est qu’en prenant en compte le
facteur culturel qu’une libéralisation économique, qui jusqu’alors reste imposée de manière
50
Chamosset François - 2009
Partie 2 : L’apparition de structures financières extérieures au secteur bancaire : les exemples de
la finance Islamique et de la micro finance.
exogène à l’Etat, pourra engendrer une dynamisation du secteur économique, et donc une
renaissance de la société civile.
Cette partie portera concrètement sur deux paradigmes à l’origine de plusieurs
expériences bancaires « marginale » : la finance Islamique et la micro finance. Nous verrons
que, bien que d’inspiration idéologique sensiblement différentes, ces deux approches
répondent au même besoin d’élargir l’accès à la fois à l’épargne et aux crédits à une plus
large partie de la société en tentant de remettre en cause le poids du capitalisme d’Etat sur
le secteur bancaire.
I. Evolution du paradigme de finance Islamique en
Egypte
Depuis la création du mouvement des Frères musulmans en 1928, l’Islam politique en
Egypte a toujours été dans une position de contestation non seulement du pouvoir en place,
mais aussi de la dynamique de construction d’un Etat emprunté au modèle Westphalien.
91
En effet, la construction d’un Etat Westphalien implique selon Michel Galloux , deux
dynamiques sociales a priori incompatible avec l’Islam politique : la construction d’une
conscience nationale, et la sécularisation du pouvoir politique. Objectivement, il apparaît en
effet que les mouvements Islamiques sont devenus à partir des années 1970 les principales
forces de contestations des régimes politiques instaurés par les mouvements de libération
nationale au lendemain de la décolonisation. Comme l’explique Bertrand Badie, la dérive de
ces mouvements nationalistes en dictatures militaires (comme ce fut le cas notamment en
Egypte, en Algérie, ou en Tunisie) a accru la légitimité des islamistes en tant que challenger
du pouvoir en place.
« l’espace religieux, loin de demeurer partout un lieu de légitimation du prince,
devient de plus en plus un site de contre légitimité qui réduit d’autant plus la
marge de manœuvre des gouvernants en ôtant de leur compétence tout un
92
ensemble d’attributs toujours plus nombreux et déterminants. »
De la même manière que l’Islam politique conteste un modèle politique sur la base de son
caractère importé et sécularisant, on pourrait déduire que la finance Islamique est avant tout
un moyen de remettre en cause un système d’économie de marché lui aussi importé. Mais
alors une question se pose : si l’on souhaite Islamiser l’économie, pourquoi commencé par le
secteur financier, c’est à dire là ou le risque de commettre le péché d’Usure (« al Riba ») est
le plus grand ? Pourquoi y a-t-il des banques et des sociétés d’investissement Islamiques,
alors qu’il n’y a pas d’industrie, ou d’agriculture Islamique ? Samer Soliman avance une
explication en terme d’avantage comparatif constitué par la pratique de la finance Islamique :
« In fact, the reason that Islamic actors are attracted to the financial sector is to
do with its suspicious nature. Because of the Islamic prohibition on Riba, new
actors can penetrate the financial sector and carve out a niche in the market by
simply convincing a section of the population that the interest given and taken by
banks is to be considered as riba and that only Islamic banks are respecting the
prohibition of riba in Islam. They cannot apply the same strategy in the industrial
91
92
Galloux, Michel, Finance islamique et pouvoir politique. Le cas de l’Egypte contemporaine, Presses universitaires de France, 1997
Badie, Bertrand, Culture et politique, Economica, Paris, 1993
Chamosset François - 2009
51
Le rôle de l’institution bancaire dans l’Egypte contemporaine. Pour une illustration de la
dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement
sector, in which they could have to compete on purely economic ground by
convincing their customers that they were providing the best product at the
lower price. In the financial sector, however, they can compete without economic
efficiency. Islamic banks have simply to convince that the their competitors –
that is, the conventionnal banks – are illicit an so anyone who deals with them is
destined to go directly to hell »
En d’autres termes, la pratique de la finance Islamique ne serait pas tant une manière de
contester le libéralisme économique occidental que de se placer sur un segment porteur
du marché bancaire. Cependant, cette stratégie d’ordre économique n’est pas sans effet
politique pour autant. On a vu à quel point le secteur bancaire depuis 1961 était dominé
par l’Etat. Il est donc difficile de critiquer impunément la légitimité d’un système financier
centralisé sans porter atteinte à un moment ou à un autre à la légitimité de l’Etat luimême. Car au-delà d’une simple stratégie marketing, la finance Islamique constitue aussi
un prétexte pour légitimer le contournement par ces institutions des règles et autorités de
régulation du marché, censés être le support d’un système économique impie.
Nous tenterons une approche historique du phénomène de Finance Islamique en
Egypte en mettant en avant une évolution discontinue du rôle de l’Etat vis-à-vis des banques
se revendiquant de l’Islam Politique, d’abord initiateur des premiers projets de finance
Islamique, puis farouche opposant à son essor dans les années 1980, enfin partenaire d’une
finance Islamique en marge de la finance classique.
1. Genèse de la finance Islamique dans le secteur public : la caisse
d’épargne Mit Ghamr et la Banque Sociale Nasser
L’Egypte est considérée par beaucoup de spécialiste de la finance Islamique comme un
berceau de ce « capitalisme vert ». Les deux premières expériences se revendiquant de la
finance Islamique dans le pays son mises en place dans un contexte d’économie dirigiste
avec l’assentiment de l’Etat. La première relève de l’initiative personnelle de l’économiste
93
Ahmad Al Najjar, tandis que la seconde est un programme piloté par le ministère des Waqf
A. Une approche opportuniste de la finance islamique : la caisse d’épargne
de Mit Ghamr (1963-1967)
La mise en place de la Caisse d’Epargne de Mit Ghamr est directement liée à l’expérience
de son fondateur, Ahmad Al Najjar. Cet économiste spécialiste en économie sociale a été
formé en Allemagne et revient en Egypte au début des années 1960 pour tenter de fonder
une activité de service bancaire qui soit accessible au plus grand nombre, inspiré du modèle
Allemand d’épargne populaire. L’idée de créer une caisse d’épargne repose sur le constat
d’une double défaillance du système bancaire classique dans les zones rurales. En effet,
la version Nassérienne du capitalisme d’Etat telle que décrite dans la première partie de
ce travail avait tendance, selon Al Najjar, a susciter la méfiance des populations rurales qui
hésitaient à placer leurs économies dans des institutions jugées trop bureaucratiques. De
plus, il fallait, pour attirer l’épargne de ménages généralement très influencés par le poids
des traditions religieuses, donner une dimension morale à toute activités bancaire qui leur
était destiné. Au-delà de la simple question de la rentabilité, les missions principales de la
caisse étaient avant tout la mise en place dans les campagnes Egyptiennes de nouvelles
93
52
Ministère en charge des biens de l’administration des dons de charité publique et religieuse.
Chamosset François - 2009
Partie 2 : L’apparition de structures financières extérieures au secteur bancaire : les exemples de
la finance Islamique et de la micro finance.
habitudes d’épargnes, l’incitation à la propriété individuelle (même à crédit), et la création
d’emplois qualifiés en zone rurale.
C’est avec ces objectifs que fut fondée en 1963 la première Caisse d’Epargne Rurale
94
dans la localité de Mit Ghamr . Cette structure était uniquement alimentée par des activités
de la localité de Mit Ghamr et possédait une direction complètement autonome du reste du
95
système bancaire. Cependant, Samer Soliman avance que la mise en place de ce vaste
projet a pu obtenir l’aval de l’Etat grâce à l’appui du directeur des services secrets, ami de
la famille Al Najjar. C’est bien entendu le volet moral des activités de la Caisse d’épargne
rurale qui a été à l’origine du concept de finance Islamique. Cette islamisation se retrouve
96
dans l’analyse des produits proposés par la Caisse :
Du côté des dépôts, deux types de comptes sont proposés par la banque à ses
épargnants : il y a tout d’abord le compte d’épargne ouvert, dans lequel l’épargne est
totalement liquide et le dépôt minimum de 5 piastres (0,05 £E). Ensuite, un seul type de
compte rémunérateur est proposé, sur lequel le dépôt minimum est de 1 £E et les intérêts
sont calculés non seulement en fonction du montant déposé, mais aussi des profits réalisés
par la banque.
Les techniques de financement utilisées sont quant à elles plus complexes. Il
y a d’un côté des prêts ordinaires, accordés sur critères sociaux sans intérêts et
remboursables sur deux ans pour un montant maximal de 200 £E. Il y a aussi les prêts dit
« d’association » (« mousharaka » en arabe) qui constitue formellement un contrat dans
lequel la banque et un entrepreneur s’engagent à partager dans des proportions définies
à l’avance (allant de 15% à 50% pour la Caisse) les pertes et les profits réalisés par
l’entreprise. Le montant maximal de l’emprunt est de 2000 £E et la durée de remboursement
peut aller jusqu’à 2 ans.
Enfin, la Caisse prend également en charge la récolte et la redistribution de la zakat
par la création et la gestion d’un fond social pour l’aumône, fixé à 2,5% de son capital.
97
98
Michel Galloux souligne le succès rencontré par cette institution dans ses premières
années. Fin 1963, la Caisse comptait 17 560 clients pour 40 944 £E d’épargne collectée.
L’année suivante le nombre de client était en progression de 73% et la masse des
capitaux gérés de 367%. Il faut dire que la Caisse d’Epargne Rurale bénéficie d’un régime
juridique particulièrement favorable : elle n’est pas astreinte aux réglementations de la BCE,
concernant les réserves obligatoires et n’exige aucune garanties à ses débiteurs. Malgré ces
avantages, la Caisse fait preuve d’une gestion trop prudente et va connaître rapidement un
problème de surliquidité. En 1967, les prêts accordés ne représentent que 20% des dépôts.
Ce déséquilibre comptable est dû à un manque de complémentarité entre les différents
produits de dépôts et d’épargne proposés : en effet, les prêts d’association représentent la
même années136% des comptes rémunérés.
94
95
Deuxième ville du gouvernorat de Sharqiah située sur la branche de Damiette dans le Delta du Nil.
Soliman, Samer, « The rise and decline of Islamic Banking model in Egypt, », in Clement-Henry, M, et Wilson, Rodney (dir.)
The politics of Islamic Finance, Edinburg University Press, 2004, pp. 265-285
96
97
Galloux, Op. Cit., p. 24
Troisième pilier de l’Islam, la Zakat est la part du revenu que chaque musulman se doit de reverser chaque année en aumône
directement aux plus pauvres ou aux oeuvres de charité.
98
Op. Cit., p. 25
Chamosset François - 2009
53
Le rôle de l’institution bancaire dans l’Egypte contemporaine. Pour une illustration de la
dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement
En 1967, la BCE va mettre fin à l’autonomie de la Caisse d’Epargne Rurale de Mit
Ghamr sous le prétexte de ces déséquilibres, l’entreprise finira par être liquidée en 1973.
Les raisons de cette prise de contrôle semblent davantage politiques que comptables. Cette
volonté d’inciter l’initiative privée, d’activer des mécanismes de marché, et de dynamiser
le système financier ne devait pas convenir au contexte de centralisation de l’économie.
Cependant, cette initiative comporte des éléments que l’on pourrait qualifier de pré-Infitah,
et qui aurait pu fonctionner dans la politique de la porte ouverte. On peut dire pour résumer
que la Caisse d’Epargne de Mit Ghamr était peut-être en avance sur son temps. Cependant,
Samer Soliman nous incite à ne pas faire d’anachronisme en qualifiant cette institution
d’Islamique : si les produits proposés par la banque sont effectivement en phase avec la
morale musulmane concernant la Riba, à aucun moment ne figure dans les discours des
dirigeants de la banques une quelconque inspiration d’ordre Islamique. Cela s’explique
aisément par le contexte de sa création : non seulement une autorisation du régime –
à l’époque engagé dans une violente vague de répression des frères Musulmans – est
nécessaire, mais l’expérience est aussi cofinancée par l’agence de développement de la
République Fédérale d’Allemagne.
« What makes a bank Islamic is therefore no avoidance of interest alone but this
avoidance in an Islamic framework and discourse that prohibits Riba. This did
not happen in the case of Mit Ghamr. Al Najjar’s account is teleological : it was
only after Islamic banking became legally possible in the late 1970s that Al Najjar
99
baptized his bank as the first Islamic bank in history. »
B. Le développement de la finance Islamique sous le contrôle de l’Etat :
l’expérience de la Banque Sociale Nasser (BSN)
La banque sociale Nasser a été créé sous Anouar Al Sadate par la loi 66/1971 avec pour
objectif « d’élargir la base des solidarités sociales entre citoyens ». Il s’agit donc d’une
entreprise sociale directement pilotée par le gouvernement. Là aussi, le caractère Islamique
de la société n’est pas ouvertement revendiqué car la banque cherche aussi à s’adresser
aux minorités. Les produits financiers proposés sont pourtant quasiment les même que ceux
de la Caisse de Mit Ghamr, mais avec des objectifs de rentabilités mieux assumés. En
effet, pour pouvoir attirer plus d’épargnants, tous les dépôts sont rémunérés, tandis que la
politique de crédit privilégie les prêts de court terme à forte rentabilité, en direction de projet
de plus grande ampleur.
100
« Ainsi selon Ibrahim Lutfi , si la banque avait le choix entre financer une
entreprise de Taxis, qui employerait ensuite des chauffeurs, et financer
directement ces derniers pour leur permettre de devenir propriétaire de leur taxi,
101
c’était cette dernière solution qui devait être choisie »
99
Soliman, Art. Cit. p. 268
100
L’un des présidents de la Banque Sociale Nasser
101
Galloux, Op. Cit. p. 31
54
Chamosset François - 2009
Partie 2 : L’apparition de structures financières extérieures au secteur bancaire : les exemples de
la finance Islamique et de la micro finance.
Graphique 17 : structure de l’actif de la Banque Sociale Nasser
L’autre spécificité de la Banque Sociale Nasser par rapport à l’expérience de Mit Ghamr
est la gestion de la Zakat. Jusqu’alors redistribuée localement, la Zakat est désormais
prélevée directement par l’Etat pour le financement de sa politique sociale à l’échelle locale.
Elle est donc totalement déductible des impôts alors que les autres formes de dons ne le
sont qu’à hauteur de 3 à 7%, et passe par l’intermédiaire de comités de la Zakat (lijana al
Zakat) en charge de sa redistribution. La banque social a donc engagé des cheikh pour
constituer ces comités parrainés par le ministère des Waqf. Cependant, un malentendu
est survenu entre le ministère et ces comités dans l’utilisation qui devait être faite de la
Zakat. Le ministère comprenait le sens de la Zakat dans son sens purement social, tandis
que de nombreux comités ont envisagé une utilisation de la Zakat pour le financement du
102
culte . Ainsi, l’aumône prélevée par la Banque Sociale Nasser a autant servi à financer
des pharmacies, des hôpitaux ou des écoles que des mosquées ou des cours de Coran.
La création de la Banque Sociale Nasser s’explique par le contexte de recomposition
des rapports de forces politiques après la mort de Gamal Abd El Nasser. Frustré de 15 ans
de répression politique, les Frères Musulmans cherchent à intégrer le nouveau régime. Ce
projet de banque social, même si il ne revendique pas non plus une véritable appartenance
Islamique peut être perçue comme une sorte de garantie accordée par Sadate aux frère
musulmans pour tenter de satisfaire à moindre frais leurs revendications de moralisation de
la société. C’est aussi un moyen de donner aux cheikhs et autres prédicateurs, jusqu’alors
très critiques à l’égard du régime un espace de libre expression reconnu institutionnellement
et bénéficiant de salaires confortables. Par la suite, cette institution sera aussi utilisée
par le pouvoir comme le pendant social de la politique d’ouverture économique. Elle est
alors présenté comme un outil de lutte contre les discriminations sociales induites par le
processus d’ouverture au marché.
102
Ben Néfissa-Paris, Sarah, « Zakât officielle et zakât non officielle aujourd'hui en Égypte », Égypte/Monde arabe, Première
série, 7 | 1991, [En ligne], mis en ligne le 08 juillet 2008. URL : http://ema.revues.org/index1163.html. Consulté le 11 juin 2009.
Chamosset François - 2009
55
Le rôle de l’institution bancaire dans l’Egypte contemporaine. Pour une illustration de la
dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement
Nous avons donc vu que la finance Islamique naît dans le secteur public avec pour
objectif de développer les aspects sociaux des activités bancaires. Il s’agit avant tout - tout
du moins dans les discours - d’élargir l’accès au crédit ou à l’épargne et d’organiser un
système de redistribution sur des bases morales inspirées par l’islam, d’abord par la mise
en place de prêts sociaux, puis par la constitution d’un véritable réseau de prélèvements
sociaux parallèles par la Zakat. Ce n’est qu’avec l’arrivée sur le marché de nouveaux acteurs
privés que naît véritablement un secteur de finance islamique compétitif.
2. Apparition d’un système financier privé, puis informel dans les
années 1980 : de la libéralisation à la répression
L’apparition de nouveaux acteurs se revendiquant de la finance islamique en Egypte à la
fin des années 1970 est favorisé par une double concession de l’Etat à la société civile.
Il y a tout d’abord la mise en place de l’Infitah, avec la loi 43/1974, qui autorise l’initiative
économique privée et l’existence d’un secteur économique en marge du capitalisme d’Etat
hérité de Nasser. Il y a ensuite la réforme constitutionnelle de 1977 qui reconnaît la charia
comme l’une des bases du droit Egyptien, ce qui redonne une forme de légitimité à l’Islam
politique.
Les années 1980 en Egypte sont un moment de confrontation entre légitimité religieuse
et légitimité politique. Nous verrons dans un premier temps que les acteurs de la finance
islamiques privées vont vite être débordés par d’autres acteurs complètement en marge de
la légalité. Nous analyserons enfin les modalités de la répression menée par l’Etat contre
ces activités illégales.
A. La naissance d’un secteur Financier Islamique privé sous Anouar Al
Sadate.
En 1977 s’installe en Egypte la première banque Islamique Privée sous le nom de Banque
Islamique Faysal d’Egypte (BIFE). Son créateur, Muhammad Faysal, possède un réseau
alliant les principaux soutient à la politique d’ouverture économique et de nombreux
103
Oulémas issus de Al Azhar . Cette alliance de l’ouverture économique et du conservatisme
religieux va permettre une forte implication de l’Etat et des autorités religieuses dans le
capital de la société. Par ailleurs, la BIFE va obtenir un statut juridique particulier inventé
104
pour l’occasion dans la loi 48/1977 qui lui accorde de nombreux avantages en sus du
statut d’entreprise de loi 43.
« Parmi ces privilèges figuraient : la non soumission à la réglementation sur
le contrôle de change ; non soumission à la réglementation des sociétés par
action ; non soumission aux lois sur le contrôle de crédit, à l’exception des
opérations en devise locale ; exemption de tout impôt sur les bénéfices et les
revenus ainsi que la taxe foncière pendant quinze ans ; protection absolue contre
la nationalisation, la confiscation des actifs, la saisie des dépôts ou des parts
des personnes physiques ou morales participant au capital de la banque ; non
soumission des employés à la législation du travail, à celle de l’emploi, des
salaires, des indemnités et des assurances sociales ; exonération d’impôt et
de taxes douanières pour le matériel importé ; non soumission aux procédures
103
104
56
Plus vieille université du Monde Arabe, fondée en 975 après J.C., une référence en matière de théologie.
Galloux, Op. Cit., p. 56
Chamosset François - 2009
Partie 2 : L’apparition de structures financières extérieures au secteur bancaire : les exemples de
la finance Islamique et de la micro finance.
imposées par les codes civil et commercial en cas de conflit entre la banque et
toute autre institution ou tout actionnaire ou investisseur, conflit que le conseil
d’administration de la banque était seul à pouvoir trancher. C’est ce qui fit dire
105
à Badr Aql , non sans exagération, que les privilèges en question faisaient
106
purement et simplement de la BIFE un Etat dans l’Etat. »
A noter, que la BIFE appartient à 49% à des fonds saoudiens, ce qui constitue à l’époque
une garantie suffisante de sérieux et de piété. Parmi les soutiens Egyptien au projet de
107
Mohammed Faysal, Michel Galloux cite entre autre le premier ministre de l’époque, Abd Al
Aziz Hijazi, et les hommes d’affaires Osman Ahmad Osman (dirigeant d’un groupe industriel
dans le secteur du bâtiment), et Fouad As Sarraf (qui deviendra le premier directeur de la
banque) ; mais aussi les cheikh Al Sha’arawi (tout juste de retour d’Arabie Saoudite), ‘Abd
El Halim Mahmud, et Mohammed Khatir.
La BIFE est rejoint en 1980 sur le marché de la finance Islamique par la Banque
Islamique Internationale d’Investissement et de Développement (BIIID). Enfin, la Banque
Misr ouvre en 1979 sa première branche spécialisée dans la finance Islamique. Ces
nouvelles structures proposent des produits financiers dont l’objectif principal assumé est
108
résolument leur rentabilité financière . On retrouve les accords d’association (Musharaka),
qui se fonde sur le partage des pertes comme des profits entre la banque et l’emprunteur,
109
mais aussi le contrat de commandite (Mudaraba) , le contrat de vente à bénéfice
110
(Murabaha) , différentes modalité de prise de participation, et le système du crédit-bail
111
(’Ijara) .
105
Aql, Badr, Tawzif Al Fasad, Dar Al Arabyyia, Le Caire, 1988
106
Galloux, Op. Cit., p. 57
107
Ibid.
108
Al Sarraf Fouad, « Le financement du développement selon la méthode Islamique », in Rycxs , Jean François, Islam et
dérégulation Financière, Dossiers du CEDEJ, n°3-1987, Le Caire, pp. 97-103
109
Le contrat de commandite est une variante de l’accord d’association dans lequel la banque (ou le commandité) défini à
l’avance avec son client (le commanditaire) les modalité exactes de son investissement en terme notamment de secteur d’activité et
de plan de développement de l’entreprise.
110
Lorsque la Banque achète une marchandise et confie sa distribution à l’un de ces clients : le coût du crédit ainsi accordé
est constitué par le partage du bénéfice réalisé lors de la vente au détail de cette marchandise.
111
Contrat de vente à terme, ou de location à un prix supérieur au marché.
Chamosset François - 2009
57
Le rôle de l’institution bancaire dans l’Egypte contemporaine. Pour une illustration de la
dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement
Graphique 18 : Rendement moyen des
placements bancaires Islamiques et traditionnels
B. Le développement des Sociétés de Placement de Fonds dans les années
1980 en marge de tout cadre légal
Les rendements croissants et de plus en plus fructueux générés par l’activité Islamique vont
attirer de plus en plus d’investisseurs vers ce secteur. A tel point que les banques Islamiques
privées vont être rapidement dépassées par de nouveaux acteurs totalement informels : les
Sociétés Islamiques de Placement de Fond (SIPF).
112
Alain Roussillon distingue parmi les 106 SIPF recensées à la fin des années 1980,
deux catégories. Il y a d’un côté les PME Islamiques, sociétés privées se servant de
l’argument Islamiques pour financer leurs activités de manières autonome et lever les fonds
des particuliers sans passer par un établissement bancaire classique, et d’autre part des
fonds d’investissement familiaux et informel dont la rentabilité des placements aurait attiré
de nouveaux investisseurs. Le marché des SIPF est alors dominé par 6 géantes : la société
Al Rayyan pour les transactions financières et les placements de fonds, la société Al Sharif
pour le développement économique, le groupe Al Saad (investissant essentiellement dans
les sociétés du secteur public), le groupe Al Hoda Misr, la société Badr pour l’investissement
et les placements de fonds, et enfin le groupe des sociétés Al Hilal.
Tableau 2 : Les six principales SIPF en 1988 (sources : Roussillon, Op. Cit. 1988,
pp.19-20)
112
58
Roussillon, Alain, Les sociétés Islamiques de placement de fonds, Dossiers du CEDEJ, n°3-1988 Le Caire, p. 17
Chamosset François - 2009
Partie 2 : L’apparition de structures financières extérieures au secteur bancaire : les exemples de
la finance Islamique et de la micro finance.
Sociétés
Al Rayyan
Montant des dépôts
Nombre de clients
receuillis en 1988
recencés
2,5 à 4 milliards de £E Entre 120 000 et 150
000
Al Sharif
Al Saad
Al Hoda Misr
1,2 à 2 milliards de £E Environ 100 000
0,8 à 1 milliards de £E Environ 100 000
350 à 500 millions
…
Badr
Environ 200 millions
…
Al Hilal
60 millions
…
Destination des
investissements
Possède 18
filiales entre l’agro
alimentaire, les
détergents ou le
bâtiment
Industrie Plasturgiques
Prêt à porter Islamique
Textile et agroalimentaire
Tourisme et grande
distribution
Sociétés Chypriotes
de carton et de
clouterie
Les SIPF dans les années 1980 ne constituent pas un phénomène marginal, mais sont
des acteurs de poids dans le système financier Egyptien. Le journaliste Mahmud Abd El
113
Fadil estime aux alentours de 300 000 le nombre de clients total des SIPF, pour des dépôts
moyens se situant entre 2000 et 10 000 £E. 0 l’origine de ces sociétés se trouvent des
activités de trafics de devises et d’accueil de l’épargne des travailleurs immigrés. Les raisons
de leurs succès est donc liées au développement et la diffusion de la rente pétrolière durant
cette période. On peut dire que l’on assiste à un véritable mouvement d’autonomisation de
la société civile. Les animateurs de ces SIPF se présentent souvent comme indépendant
de toute bourgeoisie politique ou économique et cherchent davantage à incarner l’image
du « self made man » à l’Egyptienne. Ainsi ce témoignage d’Ashraf Saad, animateur de la
société éponyme illustre bien cette idée.
« Au départ, j’étais un jeune homme ordinaire, appartenant à une famille pauvre.
Je ne possédais rien. J’étais comme n’importe quel jeune homme de ma
condition qui attend l’autobus avec guère plus de dix piastres en poche. Puis j’ai
obtenu le diplôme de l’institut coopératif et je suis parti en France pour travailler
mais je n’ai pas supporté longtemps de laver les assiettes car je m’étais porté
par tempérament vers le commerce. Je suis rentré en Egypte et je me suis lancé
dans le commerce. J’avais alors 23 ans. En 1979, je me suis installé à Simbelwan
(Delta). Tout ce que je possédais, c’était 7 ou 8 000 £E. À partir d’une toute petite
échoppe, j’ai pris la représentation de Schweppes. Puis un gros marchand de
voiture m’a proposé de travailler avec lui comme vendeur. Je prenais les voitures
à 8 000 £E et je les revendais 12 000. Il me confia dix voitures. Puis j’acquis un
magasin d’exposition avec un crédit de trente mois. En deux mois, j’avais fini de
le payer. Je pris de nombreuse représentations commerciales… Et les affaires
ont commencé à tourner. Au bout de deux ans, je me suis aperçu que je figurai au
113
Abd El Fadîl, Mahmoud, « Al baraka lam takun wara’ al-najah » (la chance n’a pas rencontré le succès), Al Ahali, 16
novembre 1988, cité in Roussilon, Op. Cit. 1988
Chamosset François - 2009
59
Le rôle de l’institution bancaire dans l’Egypte contemporaine. Pour une illustration de la
dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement
nombre des plus gros commerçants d’Egypte. Puis j’ai entendu parler des SIPF.
114
Et je m’y suis lancé. »
Ce qui caractérise principalement cette période d’essor pour les SIPF, c’est la totale impunité
dans laquelle elles pratiquent leurs activités. Leurs liens avec le marché noir des devises
est complètement assumé et elles ne possèdent aucun statut juridique, tout en continuant
à diffuser des appels de fonds sous la forme de publicité dans les grands titres de la presse
officielle et indépendante. Peu à peu, les SIPF vont tenter de régulariser leurs situation
soit en s’enregistrant sous le régime de la Loi 43/1974 – lorsqu’elles parviennent à trouver
un partenaire étranger pour rentrer dans leur capital – soit en s’instituant en Sociétés
Anonymes (régime juridique créé par la loi 159/1981), et en faisant de leurs clients des
actionnaires. Cependant, le passage au statut de SA ne fait pas complètement rentrer les
SIPF dans la légalité puisqu’elles continuent à pratiquer des augmentations de capital sans
en demander l’autorisation de la BCE (ce qui est formellement interdit) et ne laissent à leurs
« actionnaires » quasiment aucun droit de regard sur la réalité de leurs investissement.
C. La répression de l’Etat face à la montée d’une bourgeoisie concurrente
Le scandale des SIPF éclate réellement à la fin de l’année 1987 lorsque le groupe Al Hilal
est mis en liquidation judiciaire et que son directeur, Muhammad Kamal Abd Al Hadi, s’enfuit
à l’étranger. La faillite de ses investissements Chypriote a provoqué un mouvement de
panique parmi les 2000 actionnaires de la société. Un déposant fini par intenter une action
en justice devant les atermoiement des responsables de la société pour lui restituer ses 150
000 $. Cet événement marque le début de la vague de répression mené par l’Etat contre
les SIPF.
Au delà de ce scandale, somme toute prévisible étant donné les conditions d’existence
des SIPF, la répression de l’Etat va être suscitée par deux événements jugés inacceptables
115
par l’Etat car mettant en péril ses intérêts vitaux . Tout d’abord, la société Al Hoda Misr
annonce le 28 Avril 1988, sur trois pleines pages achetées dans le quotidien d’Etat Al Ahram,
sa volonté d’acheter une compagnie d’aviation civile, dans l’attente d’une privatisation
d’Egyptair. Deux jours plus tard, les sociétés Al Saad et Al Rayyan, annoncent leurs volonté
de fusionner en une seule SIPF au capital propre d’un milliard de £E. Le ministère de
l’économie fait interdire ce projet et un nouveau scandale éclabousse la société Al Rayyan :
l’un des directeurs de la société est enlevé de l’hôpital psychiatrique ou il était interné pour
« dépendance médicamenteuse », non sans avoir au préalable signé une passation de
pouvoir sur la société au bénéfice de son propre frère.
Dans le même temps l’Etat Egyptien réplique à ces deux provocations par une vaste
campagne de dénigrement par l’intermédiaire de la presse officielle : en moins de 3 mois,
l’hebdomadaire Al Ahram Al Iqtisadi consacre pas moins de 6 unes aux démêlés judiciaires
des SIPF. Les SIPF accumulent subitement les poursuites judiciaires : le 15 mai 1988, Al
Rayyan est accusée d’avoir importé sans autorisation des stock de fève, et le 17, cinq
dirigeants de SIPF sont inculpés pour manquement aux réglementations relatives aux
116
banques et aux sociétés financières .
114
Al-Sharqawy, Gamal, Al Haqiqa awda Sharikat tawzif al-amwal ( La vérité sur les Sociétés Islamiques de Placement de
Fond), Al Fajr lil-tibaa, Le Caire, 1988, cité in Roussilon, Op. Cit. 1988 p. 25
115
116
60
Roussillon, Op. Cit. 1988, p. 29
Ibid. p. 31
Chamosset François - 2009
Partie 2 : L’apparition de structures financières extérieures au secteur bancaire : les exemples de
la finance Islamique et de la micro finance.
La répression Etatique va finir par prendre la forme de la loi n°146/1988 votée en
urgence le 5 juin 1988 obligeant, entre autre, les SIPF à publier un rapport d’activité annuel
et à conserver en fond propre une partie de leurs dépôts. Un délai de 3 mois est laissé à
ces sociétés pour se mettre en conformité avec la Loi et seule la société Al Rayyan refuse
de l’appliquer : le gel de ses avoirs en octobre 1988 servira à démontrer la fermeté de l’Etat.
Au-delà de cette série d’événements relevant plus des péripéties d’un feuilleton
américain que d’un véritable problème d’économie politique, une question mérite d’être
posée concernant l’épisode des SIPF : celle de la méthode de répression utilisée par le
gouvernement pour faire rentrer ces éléments informels dans le rang : puisqu’il existait
des manifestations ostensibles de l’état d’illégalité dans lequel se trouvaient les SIPF, alors
pourquoi a-t-il fallu rédiger une nouvelle loi visant spécifiquement à réglementer l’activité
de ces sociétés ? En d’autre terme, pourquoi inventer un délit pour inculper les SIPF alors
qu’elles se trouvent déjà dans l’illégalité ?
Alain Roussillon avance que l’épisode des SIPF montre que la stratégie du
gouvernement en matière de régulation des activités informelles ne doit pas être analysée
en différenciant ce qui est légal de ce qui ne l’est pas, mais ce qui est utile au bon
fonctionnement de la société et de l’économie, et ce qui menace la pérennité de l’Etat. En
réalité, les SIPF rendaient à l’Etat un service qu’il était incapable de proposer à ses sujets :
celui de protéger les placements contre l’inflation en maintenant des rendements suffisants
117
pour conserver le pouvoir d’achat des épargnants . Lorsque ces sociétés sont devenus
trop menaçantes pour le régime, il a fallu les punir, mais à l’aide d’un autre arsenal juridique
que celui existant, puisque l’existant tolérait aussi des activités informelles qui étaient jugées
nécessaire par l’Etat.
« Il y a là un raidissement de l’attitude de l’Etat à partir duquel on peut formuler
une hypothèse paradoxale : le « bon » fonctionnement d’une économie elle-même
“duelle“, ou coexistent un secteur d’activités formelles et un secteur “informel“,
n’est possible et viable que si les foudres de la loi sont susceptibles de s’abattre
sur tous. Plus précisément, le sentiment d’incertitude que crée, tant dans le
secteur formel que dans le secteur dit informel, le fait pour chacun de ne pas très
bien savoir ou il en est par rapport à la loi constitue l’un des ressorts essentiels
de ce système de contrôle et la faute majeure des SIPF est ici d’avoir voulu, au
nom d’une légitimité supérieure, s’affranchir explicitement de ce système de
118
contrôle. »
On retrouve ici la problématique de la légitimité soulevée par le phénomène de la
finance islamique. Dans l’épisode des SIPF, on retrouve l’opposition traditionnelle entre la
dynamique de sécularisation de l’Etat et les revendications d’ordre religieuses de l’Islam
politique. Ce n’est pas pour autant qu’il existe un lien entre l’Islam politique et les SIPF,
mais, simplement, en voulant s’extraire de l’autorité politique par l’invocation d’une légitimité
religieuse, les SIPF ont dépassés les limites de ce qu’un Etat de type Westphalien pouvait
tolérer.
L’essor d’une finance islamique privée dans les années 1970 va donc permettre
la constitution d’une dynamique d’autonomisation de la sphère économique dans son
ensemble à partir du secteur financier. Il ne s’agit pas là d’un mouvement politique à
117
En 1987, le rendement moyen des placements dans les SIPF était aux alentours de 25%, tandis que le taux d’intérêt fixé
par l’Etat était de 8,5%, pour un taux d’inflation moyen de 20%. Galloux, Op. Cit. p. 155
118
Roussillon, Op. Cit. 1988 p. 34
Chamosset François - 2009
61
Le rôle de l’institution bancaire dans l’Egypte contemporaine. Pour une illustration de la
dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement
proprement parler – puisque les liens entre l’Islam politique et les milieux financiers sont
très ténus – mais plutôt d’un aveu de la part de l’Etat de son incapacité à répondre à
la demande croissante qui émerge de la société, de diversifier des activités financières
disponibles. Loin d’être un prétexte, la référence religieuse est ici un moyen de construire
une activité économique autonome de la sphère politique en recherchant de nouvelles
sources de légitimité qui induisent de nouvelles réglementation. Le développement de la
finance islamique dans les années 1980 est donc le produit de la rencontre entre l’arrivé des
pratiques religieuses d’inspirations Wahhabites en provenance de la péninsule Arabique
et propagées par le retour des travailleurs émigrés, et les mouvements de dérégulations
financières pratiqués par les gouvernements occidentaux. Dans les années 1980, l’islam
119
investit de nouveaux espaces de la sociétés Egyptiennes , tandis que les placements
internationaux deviennent de plus en plus alléchants. C’est la conjonction de ces deux
facteurs qui va expliquer le succès de cette activité.
3. La finance Islamique au XXIe siècle : discours et réalité
À la fin des années 1980, le court moment de liberté qui avait permis la constitution d’un
secteur financier parallèle est définitivement terminé. La rente pétrolière est quelque peu
tarie et l’épisode des SIPF rendu les investisseurs plus réticents à se lancer dans des
opérations de collecte d’épargne trop importantes. L’ajustement structurel va dans le même
temps donner un nouveau souffle au secteur bancaire traditionnel en lui permettant de fixer
des taux d’intérêts librement et d’opérer sur les marchés des changes et des capitaux. On
peut effectivement repérer une période de renouveau de l’activité à la fin des années 1990,
mais nous verrons que le champs islamique, au sens Bourdieusien du terme, n’est plus
autant valorisé dans le système financier Egyptien que durant les années 1970.
A. Finance Islamique et Ajustement Structurel : la réaffirmation du secteur
bancaire traditionnel
On a vu qu’à partir de 1991, la position extérieure de l’Egypte avait contraint le
gouvernement à négocier un plan d’ajustement structurel avec le FMI en échange d’un
rééchelonnement de sa dette. Sur le plan financier, cette réforme a permis d’ouvrir de
nouveaux horizons au secteur bancaire traditionnel, avec pour objectif de diversifier ses
activités. Tout d’abord, l’Etat a tenté de libéraliser les taux d’intérêts par l’émission de bons
du trésors à destination des banques et des particuliers. Auparavant fixés à 8 ou 9%, les
taux d’intérêts bancaires ont crus, avec la hausse de la demande en bons du trésor, jusqu’à
120
19,5% en juillet 1995 .
Ensuite, le second aspect de cette réforme financière a été l’ouverture d’un marché des
changes légal, permettant la création d’agences de changes réagissant aux prix du marché.
Cet aspect de la réforme visait avant tout à contrôler davantage les anciens trafiquants
de devises en les intégrants dans un marché formel sous l’autorité de la BCE. Ainsi, ces
agents de changes n’étaient ils pas autorisés à collecter les revenus des Egyptiens expatriés
– prérogative devenu le monopole des banques publiques – ni à conserver un fond de
roulement en devise de plus de 30% de leur capital d’une journée sur l’autre.
119
Pour une illustration du rapport entre développement des SIPF et du phénomène religieux, lire le roman de Sonallah Ibrahim,
Les Années de Zeth, trad. Richard Jacquemont, Acte Sud, 1993
120
62
Galloux, Op. Cit., p. 156
Chamosset François - 2009
Partie 2 : L’apparition de structures financières extérieures au secteur bancaire : les exemples de
la finance Islamique et de la micro finance.
Nous pensons qu’il faut comprendre les réformes placées sous le sceau de
« l’ajustement structurel », davantage comme une réponses aux déboires de l’épisode des
SIPF. Il s’agissait de transformer radicalement le marché Financier de manière à renforcer
la position des banques conventionnelles et d’empêcher l’émergence de nouveaux acteurs
121
informels sur le marché financier. Michel Galloux évoque un événement curieux allant
dans ce sens : en 1989 – au lendemain du scandale des SIPF – le grand mufti de la
122
République , Sayyid Tantawi, emet une fatwa accordant une légitimité religieuse aux
certificats d’investissement émis par la Banque Ahli (filiale de la NBE), en contradiction avec
l’ensemble des fatwa qui ont pu être émises par ses collègues, et qui suscite la réprobation
de l’ensemble de la communauté des Oulémas, le Grand Imam d’Al Azhar compris. On peut
y voir une tentative de sécularisation de la finance islamique de la part de Tantawi, dans
la mesure ou cette fatwa vise à normaliser la pratique de la Riba et à réduire le caractère
« halal » d’un investissement à la seule obligation de financer des activités moralement
valorisantes, tout en noyant les pratiques Islamiques « classiques » dans un plus grand
marché politique.
« En outre on peut penser que, si l’objet principal de la fatwa était la légitimation
des certificats de la banque Ahli, c’est que les sociétés de placement de fonds
Islamiques collectaient leurs dépôts par l’émission de certificats concurrents,
selon un principe de commandite. Le succès de ces derniers auprès des
épargnants pourrait expliquer la proposition faite à la Banque Ahli par le mufti de
créer […] un quatrième type de certificat, à rendements variables, sur le modèle
123
de ceux des sociétés de placement de fonds »
B. La fin d’un « champs » financier Islamique ?
Si il est certain que l’ajustement structurel met un véritable coup d’arrêt à l’expansion des
activités de Finance Islamique en Egypte, il est difficile par la suite de chiffrer le poids réel
de ce type d’activité sur l’ensemble du secteur. Pourtant plusieurs arguments penchent en
faveur d’une thèse de l’affaiblissement du paradigme de la finance Islamique.
Tout d’abord, le développement des marchés financiers conventionnels et la
régularisation d’un ensemble d’acteurs jusqu’alors informel met fin à la nécessité de trouver
des sources de légitimité alternatives pour exercer une activité financière. Les placements
les plus rentables sont désormais accessibles depuis le secteur formel de l’économie. Par
ailleurs, le succès du « champs » de l’Islam Financier (au sens Bourdieusien du terme : c’est
à dire comme un espace de valorisation d’un certain capital symbolique) a aussi produit sur
le long terme une forme de désenchantement, ou plus exactement, de désacralisation. Alors
que l’Islam politique n’a encore jamais véritablement eu l’occasion d’être mis à l’épreuve
de l’exercice du pouvoir en Egypte, l’Islam économique a déjà montré que son caractère
religieux n’élevait pas pour autant le gestionnaire au-dessus des affres de l’appât du gain
ou de la spéculation.
« As far as economic Islam is concerned, the degree of demystification may
be even greater than with political Islam, since many economic variable are
121
122
123
Ibid. p. 159
Conseiller religieux suprême de l’Etat Egyptien
Galloux, Op. Cit., 1997, p. 166
Chamosset François - 2009
63
Le rôle de l’institution bancaire dans l’Egypte contemporaine. Pour une illustration de la
dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement
quantifiable. Beautiful words are a poor substitute for a negative balance
124
sheet. »
La principale critique qui est revient souvent de la Finance Islamique en Egypte est que ses
promoteurs ont promis ce qui peut s’apparenter à une quadrature du cercle : islamique ou
pas, on ne peut pas faire fonctionner longtemps un modèle financier ou l’on prétend à la fois
éloigner le bon croyant/bon épargnant du péché de l’usure tout en lui offrant des taux de
rendement à deux chiffres. Les promesses de taux d’intérêts de 25 ou 30% qui ont été faites
au moment du scandale des SIPF, et les escroqueries qui s’en sont ensuivies sont autant
d’atteinte à la pérennité d’un système qui se veut avant tout fondé sur un principe moral.
Par ailleurs, il est possible aussi d’expliquer l’échec de l’Islam économique par
125
l’émergence de ce que Patrick Haenni appelle « L’islam de marché »
, qui peut se
résumer par le processus d’individualisation du rapport au religieux en marche dans la
plupart des sociétés au Moyen-Orient. Cette Islam de marché se caractérise par une perte
de contrôle des chefs des mouvements Islamistes sur leurs militants et une multiplication
des réseaux au détriments des relations de hiérarchie. Cette dynamique est favorisée par
l’avènement des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication et la
multiplication et s’inspire beaucoup des techniques de management américains. L’islam
de marché s’éloigne des pratiques collectives pour approcher la religion de manière plus
individuelle, poussant tout un chacun a procéder à une relecture personnelle et plus
pragmatique des principaux dogmes.
« Cette critique jette le discrédit sur les institutions sociales mises en place
pour cristalliser le rêve d’un contre espace public islamiste. […] L’enthousiasme
retombe de la même manière du côté des banques islamiques qui drainent
de moins en moins d’épargne. Elles essuient des critiques toujours plus
sévères, notamment de la part des intellectuels islamistes eux-mêmes, alors
que certains de leurs promoteurs de jadis, comme Ahmed El Naggar (considéré
comme le père spirituel de la finance Islamique) reviennent au secteur bancaire
126
conventionnel. »
Enfin, on peut avancer qu’il existe tout simplement un effet de normalisation de la Finance
Islamique, lorsque l’ensemble des acteurs, qu’ils soient publics ou privés tendent à légitimer
de manière religieuses leurs produits, il devient alors difficile pour une entreprise de justifier
une spécialisations sur le seul critère Islamique. Ici le symbole de la normalisation que l’on
retiendra s’est déroulé en Octobre 2001, lorsque le ministre des finances a proposé au
directeur de la Banque Islamique Faysal d’Egypte, le poste de gouverneur de la BCE. Celuici a fini par refuser, mais il est apparu a cette occasion que les banques Islamiques étaient
désormais considérées comme des banques comme les autres.
127
Le site Internet islamic-banking.com
qui propose un annuaire des institutions
proposant des services de finance Islamique dans le monde relève huit banques de ce type
en Egypte. Aucune de ces huit institutions ne peut être qualifiée de banque islamique à
100%. En réalité la finance islamique aujourd’hui en Egypte semble davantage être un type
de produits bancaires qu’un secteur d’activité à part entière.
124
Soliman, Art. Cit., 2004, p. 280
125
126
Ibid. p. 16
127
64
Haenni, Patrick, L’Islam de marché. L’autre révolution conservatrice, Seuil, La République des Idées, Paris, 2005
http://www.islamic-banking.com/ibanking/ifi_list.php , [page consultée le 12 juin 2009]
Chamosset François - 2009
Partie 2 : L’apparition de structures financières extérieures au secteur bancaire : les exemples de
la finance Islamique et de la micro finance.
En résumé, la place de la notion de finance islamique dans le système économique
Egyptien évolue historiquement de la manière suivante. Ce paradigme naît tout d’abord
de la prise de conscience d’une fraction d’intellectuels, issus de la bourgeoisie d’Etat et
formés à l’étranger, des carences du modèle financiers induit par le capitalisme d’Etat mis
en place par Nasser. L’aspect islamique n’est au départ qu’une forme de moralisation d’une
activité jugée trop bureaucratique et suscitant la méfiance de ses clients les plus réticents.
À partir des années 1970, la finance islamique en tant que domaine de valorisation d’un
capital symbolique religieux dans le champs financier, va être récupérée par une classe
moyenne enrichie par les transferts de pétrodollar en provenance du Golfe Arabo-Persique.
À ce moment-là, la référence religieuse va être l’occasion de créer de nouvelles normes
d’échanges financiers dans cadre moral concurrent à celui constitué par l’Etat. Cette période
de compétition entre ces deux systèmes financiers va se solder d’une part par une forte
répression de l’Etat contre la finance islamique informelle, mais aussi part l’intégration du
référent religieux à l’intérieur du système économique dominant. Revendiqué par l’ensemble
des acteurs, l’aspect islamique va peu à peu perdre, si ce n’est de son sens, au moins de
sa spécificité et atténuer la réalité d’un secteur financier islamique en marge du système
bancaire d’Etat.
On retrouve ici un parcours sommes toute assez semblable à celui de la place
donnée aux Frères Musulmans dans l’espace politique Egyptien : après les années de
répressions vécues sous le régime de Nasser, le mouvement a été peu à peu toléré
sous Sadate puis sous Moubarak. Aujourd’hui, les Frères Musulmans sont formellement
associés à l’exercice du pouvoir puisqu’ils possèdent 70 députés à l’Assemblée du peuple
(Maglis Al-Chaab), pourtant ces soixante-dix parlementaires sont contraints de siéger sous
l’étiquette « indépendants » puisque le mouvement des Frères Musulmans n’est toujours
128
pas autorisé à se constituer en parti politique . Vis-à-vis de l’islam politique comme de
l’islam économique, le pouvoir use donc de la même stratégie : on intègre les valeurs et
les idéaux revendiqués par les « acteurs marginaux » du champs politique ou économique,
sans pour autant reconnaître au groupe social se référant à ces valeurs une existence
légitime. On trouve ici l’une des clés de la pérennité du régime Egyptien : on a affaire
dans ce régime à une bourgeoisie d’Etat qui se nourrit d’un compromis permanent entre
l’ensemble des revendications portés par les forces politiques d’opposition en les intégrants
toujours au moment ou elles commencent à porter un projet politique concurrent à celui du
gouvernement. C’est ainsi que l’assise sociale et idéologique de cette bourgeoisie s’agrandit
de crises en crises sans jamais provoquer de réelle alternance politique.
II. La micro finance en Egypte : libéralisation
endogène ou exogène de l’accès aux produits
financiers ?
Si nous avons choisi d’aborder successivement la question de la finance islamique et celle
de la micro finance en Egypte, c’est que nous sommes convaincu qu’il existe une réelle
filiation entre ces deux phénomènes, tout du moins dans l’étude de leur genèse. En effet,
lorsque Ahmad El Najjar lance sa première Caisse d’Epargne Rurale en 1961, il a dans
l’idée non seulement de développer des réflexes d’épargne au sein de la population rurale
128
Officiellement, la constitution Egyptienne interdit toute création de partie sur la base de l’appartenance confessionnelle.
Chamosset François - 2009
65
Le rôle de l’institution bancaire dans l’Egypte contemporaine. Pour une illustration de la
dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement
Egyptienne, mais aussi de répondre à une demande croissante de financements émanant
du secteur informel de l’économie.
Or, nous avons vu que la finance islamique, attirée par les sirènes du libéralisme
international et réprimée par une puissance publique qu’elle avait d’abord cherché à défier,
a fini par complètement abandonner ses prérogatives sociales pour entrer dans le secteur
bancaire dit « formel ». Pour autant, le problème de la forte discrimination dans l’accès au
crédit et à l’épargne, ainsi que celui de la méfiance des couches les plus pauvres de la
population vis-à-vis du secteur bancaire est resté irrésolu. C’est pourtant exactement dans
cet objectif de démocratisation du système financier, que Mohammed Yunus, prix Nobel de
la paix conçoit l’idée de micro finance :
« Aucun de nous n’aime l’idée d’Apartheid. Lorsque nous entendons parler
d’un tel système, quel qu’il soit et ou qu’il existe, nous nous y opposons.
Nous comprenons touts que nul ne devrait souffrir pour la simple raison
qu’il appartient à une classe sociale ou à une race, ou qu’il connaît certaines
conditions économiques. Mais nos institutions financières ont pu créer un
système d’apartheid sans que personne en soit choqué. Si vous n’avez pas
de garanties, vous ne pouvez pas emprunter : aux yeux des banques, vous
129
n’appartenez pas à notre monde. »
C’est pour cette raison que l’on retrouve dans le paradigme de la micro finance (MF) en
Egypte une forme de filiation avec le projet originelle de la finance islamique : il s’agit de
diversifier l’offre de produits financiers disponibles sur le marché afin d’attirer de nouveaux
épargnants et de nouveaux entrepreneurs dans le système dit « formel ». Dans le cas
présent, ce sera l’appui du PNUD et des agences de développement occidentales qui vont
être perçu comme une forme de légitimation, ou tout du moins, de moralisation, par le
discours humanitaire et développementaliste, de ces pratiques. Pour autant, l’Etat Egyptien
conserve encore un contrôle stricte sur ces pratiques ce qui constitue semble-t-il un frein
majeur au développement des activités du micro crédit au travers du pays.
Sans entrer véritablement dans les détails de l’impact réel de la micro finance sur
l’économie Egyptienne, nous tenterons d’analyser les rapports qu’entretiennent les acteurs
du micro crédit aussi bien avec la sphère politique nationale qu’avec les institutions
internationales d’aide au développement. C’est dans cette optique que nous examineront
les enjeux du processus de transformation des acteurs du micro crédits en Institutions de
Micro Finance (IMF), actuellement en cours dans le pays.
1. Mise en place de la micro finance sous pression internationale : les
raisons d’un succès relatif
130
Une récente enquête sur la pratique du micro crédit en Egypte estime que la pratique de
l’octroi de micro prêts à vocation sociale remontant à l’époque Nassérienne. En effet, l’Etat
Egyptien, par l’intermédiaire la Principal Bank for Development and Agricultural Credit, avait
mis en place le projet « Famille productives » consistant en l’allocation de micro prêts aux
129
Yunus, Muhammad, Vers un nouveau capitalisme (creating a world without poverty), trad. Merle d’Aubigné Béatrice et
Steta Annick, JC Lattès, 2008 p. 92
130
Planet Finance [en ligne], National Impact survey of micro finance in Egypt, Le Caire, Mai 2008 p. 19 [page consultée le 14 juin
2009] http://www.undp.org.eg
66
Chamosset François - 2009
Partie 2 : L’apparition de structures financières extérieures au secteur bancaire : les exemples de
la finance Islamique et de la micro finance.
familles pauvres en milieu rurale. Mais l’apparition d’un micro crédit d’initiative non publique
remonte véritablement à 1988, sous l’initiative de l’USAID.
Nous reviendrons dans cette première partie sur l’expansion de la micro finance en
Egypte depuis le début des années 1990, puis nous tenterons de produire un tableau de ce
secteur en recensant les acteurs intervenants et les différents types de produits proposés.
A. Genèse et expansion du micro crédit en Egypte
En 1988, le premier programme de l’USAID évoqué plus haut aboutit à la création des deux
première Organisation Non Gouvernementale (ONG) spécialisées dans ce domaine : la
Cairo Foundation et la Alexandria Businessmen Association (ABA). L’USAID apportait un
soutient technique à la mise en place de service de micro finances pour permettre à ces
131
deux associations de trouver de nouveaux clients en développant les produits adaptés .
À la différence des premiers projets de MF développés par l’Etat Egyptien, les activités
de ces deux fondations se concentrent essentiellement sur le secteur urbain (le Caire et
Alexandrie). Il faut par exemple attendre 1997, pour que l’ABA sorte d’Alexandrie et lance un
projet dans le gouvernorat rural de Kafr El Sheikh. Il faut croire que l’assistance technique
américaine associé à l’expérience de terrain de l’ABA va rencontrer un certain succès en
Egypte puisque dès 1998, l’ABA lance un nouveau programme de micro finance à Bahreïn,
132
puis un autre au Yemen en 1999, et enfin un troisième en 2005 en Arabie Saoudite .
L’activité de l’ABA est exclusivement tournée vers le prêt, et a pu mettre en place des
systèmes nationaux de gestion
L’initiative de L’USAID obtient un soutient de l’Etat à partir de 1991, avec la création
du Fond social de développement (FSD), nouvelle entité gouvernementale de gestion de
la politique sociale, qui lance un programme de développement du micro crédit. Par la
suite, cet organisme recevra de la loi 141/2004 la mission de coordonner les différentes
initiatives de Micro Finance mise en place sur l’ensemble du territoire Egyptien, et de mette
en place des accords d’associations avec les institutions financières proposant des activités
de micro crédit. Le PNUD recense ainsi quatre banque commerciales offrant ce genre de
service avant 2004 : la Banque Nationale de Développement, la Banque Principale pour le
Développement et le Crédit Agricole, la Banque du Caire (depuis 2001) et la Banque Misr
133
(depuis 2003) , auxquelles s’est ajoutée la banque d’Alexandrie après sa privatisation.
Par ailleurs, dès le début des années 2000, les différentes agences de développement
occidentales mettent en place tour à tour leurs programmes de micro crédit. Planet
134
Finance
recense entre autre l’agence Canadienne de développement, la fondation
Ford, l’Unicef, l’agence de développement Egypto Suisse, l’ONG Save the children, la
coopération Allemande, le Fond Italien pour l’Egypte, ou même la politique de voisinage de
la Commission Européenne.
Enfin, l’année 2005 a été l’occasion pour le PNUD de lancer une stratégie nationale
pour la micro finance en Egypte, dans le but d’élargir encore l’accès à ces services à une
plus large part de la population. Il s’agit pour le l’un des objectifs du PNUD est également
131
Information sur l’histoire des relations entre l’USAID et l’ABA sur le site de cette dernière consacré a ses activités de micro
finance : http://www.aba-sme.com/Overview - History.html [page consultée le 14 juin 2009].
132
Ibid.
133
Programme des Nations Unies pour le Développement[en ligne], The National Strategy for micorfinance, 2006 p. 10 [page
consultée le 9 juin 2009] http://www.undp.org.eg
134
Planet Finance, Op. Cit., p. 19
Chamosset François - 2009
67
Le rôle de l’institution bancaire dans l’Egypte contemporaine. Pour une illustration de la
dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement
de lutter contre l’idée que la micro finance ne se limite qu’à l’octroi de micro prêts par des
donateurs privés, s’apparentant à une nouvelle forme de charité. Il s’agit de montrer que
ce sont des pratiques financières pouvant être viables économiquement, et participer à la
création d’un système de micro finance complètement autonome et orienté en direction des
135
plus pauvres .
B. Les principaux acteurs du micro crédit : structure du marché et produits
proposés
136
La récente enquête de Planet Finance sur les activités du micro crédit en Egypte propose
une typologie regroupant 5 différents catégories d’acteurs de la Micro finance en Egypte :
a- Les deux ONG spécialisées qui agissent dans ce secteur depuis 1988 : l’ABA et la
Cairo Foundation, désormais sous la tutelle du ministère de la solidarité sociale.
b- Les 5 banques commerciales classiques (2 privée et 3 publiques) auxquelles il
faudrait rajouter la Poste Nationale, qui est la seule institution à proposer des produits de
micro épargne.
c- Les communautés de développement des ONG : réseaux d’ONG proposant entre
autre des services de Micro crédit.
d- Des « ONG parapluie », d’envergure nationales, qui relient un ensemble d’actions
locales, généralement avec le soutien du gouvernement.
e- Les Associations de communautés de développement : qui sont les relais locaux des
deux types de réseaux précédents.
On recensait donc en décembre 2007, environ un millions de clients ayant accès au
micro crédit sur l’ensemble du territoire Egyptien, ce « marché », se répartit entre les
différents acteurs de la manière suivante :
135
136
68
PNUD, Op. Cit. p. 10
Planet Finance, Op. Cit. p. 20
Chamosset François - 2009
Partie 2 : L’apparition de structures financières extérieures au secteur bancaire : les exemples de
la finance Islamique et de la micro finance.
Graphique 19 : répartition du million de clients que compte la MF en Egypte
Par ailleurs, les activités de micro crédits sont inégalement réparties sur le territoire.
Malgré la mise en place de projets en zone urbaine dès 1988 par l’ABA et la Cairo
Foundation, les activités de micro finance semblent encore trop largement concentrée dans
les régions rurales, et notamment en Haute Egypte (qui concentre à elle seule 52,7%
137
des projet de micro finance du pays ). Cependant, lorsque l’on considère les taux de
pénétration de chaque territoire par la MF, il apparaît que c’est justement la haute Egypte
qui est la région la plus délaissée en la matière.
137
USAID [en ligne], Microfinance Programs map, Le Caire, Avril 2008 [page consultée le 10 juin 2009] http://egypt.usaid.gov
Chamosset François - 2009
69
Le rôle de l’institution bancaire dans l’Egypte contemporaine. Pour une illustration de la
dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement
Graphique 20 : pénétration comparée du
marché du micro crédit par zones géographiques
138
Selon le PNUD , l’Egypte est depuis le début des années 1990 un pays précurseur en
matière de micro finance sur l’ensemble du Moyen-Orient, pourtant on ne retrouve pas dans
la réalité du micro crédit les ressorts de véritables mécanismes de marché. Ainsi, l’ensemble
des acteurs de la Micro finance sont encore parrainé par une institution publique ou par des
structures d’aide au développement étrangères qui ne voient que l’aspect social du micro
crédit et se contentent de réduire les possibilités offertes par la micro finance à de simples
micro prêts alloués comme n’importe quelle autre aide au développement.
Aussi, peut-on conclure que la micro finance en Egypte ne constitue pas encore à
l’heure actuelle un véritable champs à l’intérieur de la sphère financière, et n’a donc pas pour
objectif une réelle démocratisation du secteur bancaire « ordinaire », mais reste davantage
un outil novateur dans la mise en œuvre de la politique sociale du gouvernement. D’un point
de vue institutionnel, il faut remarquer que, jusqu’en 2005, les structures de micro finances
étaient pilotées soit par le ministère des Solidarités Sociales, soit par le Fond Social de
Développement, et que à aucun moment la BCE ou une quelconque entité de régulation
économique n’a eu à superviser des activités qui, avant toute implication sociale, relèvent
de la gestion financière pure.
2. La micro finance entre maintien des entraves bureaucratiques et
émergence d’un marché autonome.
Mis à part le caractère exclusivement social du paradigme de la micro finance en Egypte, les
observateurs internationaux déplorent également le faible taux de pénétration du « marché
potentiel » de la micro finance. Ainsi, le Fond de développement des Capitaux, une agence
138
70
PNUD, Op. Cit. 2008, p. 7
Chamosset François - 2009
Partie 2 : L’apparition de structures financières extérieures au secteur bancaire : les exemples de
la finance Islamique et de la micro finance.
139
des Nations Unis (UNCDF)
estime-t-il à 5% le nombres de clients potentiels ayant
bénéficié d’un micro crédit sur l’ensemble du territoire.
140
Conscients de ces deux failles majeures, les acteurs ont lancé en 2005 une opération
intitulée « construire une stratégie nationale de développement de la Microfinance : une
approche sectorielle » ( “Building a National Strategy for Microfinance in Egypt: A Sector
141
Development Approach” )sous l’égide du PNUD
« The proposed strategy targets “the economically active poor”, meaning “those
who are not destitute”. The economically active poor include the micro enterprise
sector, and the vulnerable poor who are employed in low- salary jobs, both of
whom are excluded, or underserved by the formal financial system. Accordingly,
the development of effective, wide-spread, sustainable access to microfinance
is perceived as contingent on building inclusive financial systems whereby
the financial services needed by the poor, and the institutions that provide and
142
support them, are integrated into the formal financial sector. »
Nous étudierons successivement dans cette dernière partie, quels sont les points d’entrave
à l’avènement d’un marché de la MF autonome, quelle est la portée de la réforme actuelle
de ce secteur et quelle sont les initiatives mises en place par les acteurs de la micro finance
eux-mêmes pour développer ces mécanismes de marchés.
A. Encadrement législatif et institutionnel de l’activité : quels sont les points
de blocage subsistants ?
143
Dans un article de 2007, Magddy Moussa nous apprend que l’activités des Institutions
de Micro Finance sont encadrés juridiquement par deux textes principaux qui sont les lois
84/2002 et 141/2004 (intitulée small enterprise regulation law).
La loi 84/2002 est une loi s’appliquant à l’ensemble des Organisations Non
Gouvernementales présentes en Egypte. Les principaux éléments de cette loi disposent
que le Ministère des Solidarités Sociales (MSS) est le coordinateurs de l’ensemble des
programmes menés par des ONG en Egypte. Cela implique que le MSS possède un droit de
regard non seulement sur leurs activités, mais aussi sur leurs rapports et publications. En
outre, les ONG ne peuvent faire de profits, ni se porter garante pour un emprunteur. Selon,
144
Magdy Moussa , le défaut principal de cette loi est qu’il n’a prévu aucun statut juridique
spécifique à destination des organisations spécialisées dans le micro crédit.
On l’a déjà vu, la disposition principale de la loi 141/2004 est de désigner le Fond Social
de Développement (FSD) comme responsable de la coordination des différents projets de
139
Cité in Planet Finance, Op. Cit. 2008, p. 23
140
Décrétée « Année internationale de la Micro finance » par le secrétaire général des Nations Unies de l’époque, M. Kofi
Annan, après la remise à M. Mohammed Yunus et à sa société Grameen Bank, du prix Nobel de la paix.
141
PNUD [en ligne], National Strategy for Micro finance, UNDP Egypte, Le Caire 2006, [page consultée le 13 Juin 2009]
http://www.undp.org.eg ,
142
143
Ibid. p. VI
Moussa, Magdy[en ligne], R egulation and Supervision of Microfinance in Egypt, Planet Finance Egypte, p. 10 [page consultée
le 14 juin 2009] http://www.microfinanceregulationcenter.org/content/article/detail/37060
144
Ibid. p. 11
Chamosset François - 2009
71
Le rôle de l’institution bancaire dans l’Egypte contemporaine. Pour une illustration de la
dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement
micro finance. A ce sujet, Magdy Moussa nous enjoint à bien différencier les fonctions d’un
simple coordinateur de celles d’un véritable superviseur.
« A supervisory body – as is the case with the Central Bank of Egypt or the
Capital Market uthority – is responsible not only for monitoring the activity in
a specific sector but also for issuing working licenses to applicants and for
inspecting their activities. A coordinating body, by contrast, does not enjoy the
authority of supervision in the manner mentioned above, but rather is vested by
law with the authority to monitor, coordinate, and plan – without interference in
145
the work or affairs of those practicing the activity to be monitored. »
En d’autre terme, le FSD, désigné comme coordinateur et non comme superviseur du
secteur de la MF par la loi, n’aura en aucun cas une fonction de définition de ce qui relève de
la micro finance et de ce qui n’en relève pas, pas plus qu’il ne pourra réguler les pratiques
se disant relever de la MF. En pratique cela signifie également que les IMF qui ne sont pas
considérées comme des banques d’un point de vue juridique et n’ont pas à se soumettre aux
nouvelles réglementations mises en place par la loi 88/2003, par ailleurs, elles ne peuvent
avoir accès à l’historique de crédit de leurs clients dans la mesure ou seuls les crédits aux
particuliers de plus de 30 000 £E sont recensés dans les statistiques de la BCE.
146
Concrètement, Magdy Moussa relève donc cinq obstacles institutionnels majeurs au
développement de la micro finance en Egypte. En premier lieu, il y a l’impossibilité pour les
ONG en Egypte de pratiquer des emprunts auprès du secteur bancaire classique. Ce qui
rends les IMF totalement tributaires des donneurs internationaux pour collecter leur capital
de départ. Se pose également le problème de l’obligation faite aux ONG en Egypte de
faire signer tout chèque ou acte de déblocage de fonds par l’un des membre du bureau de
l’organisation. De son côté, le MSS doit avoir connaissance de l’ensemble des décisions
prises par les comités exécutifs des ONG et se réserve le droit d’en modifier certaines,
si il les juge inappropriées. De plus, les services du MSS exigent des ONG des bilans
comptables manuscrits et refusent toute version informatique. Enfin, officiellement, le code
civil Egyptien interdit la pratique de l’usure par des institutions non financières au delà d’un
taux de 4 à 5%. Même si en pratique, cette règle n’est pas respectée (ne serait-ce que parce
que l’inflation tourne autour de 10% actuellement en Egypte), les IMF demandent à ce que
cette disposition soit réformée.
B. Dynamiques de réforme et processus de transformation.
On l’a vu, le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) semble être
la principale force organisatrice de la réforme du secteur de la MF. Le rapport d’activité sur
le sujet, mentionne trois orientations de réforme : à un niveau micro, à un niveau méso et
147
à un niveau macro .
148
Tout d’abord, le niveau micro de la réforme a pour objectif de développer la diversité
des produits proposés aux clients de la MF, cela implique principalement de pousser les
banques traditionnelles à s’investir dans ce secteur en développant leur capacité de crédit
à destination de ce type de clientèle. Il s’agit ensuite de développer des partenariats avec
145
Ibid. p. 10
146
147
PNUD, Op. Cit. 2006, p. 12
148
72
Ibid. p. 12
Ibid. p.13
Chamosset François - 2009
Partie 2 : L’apparition de structures financières extérieures au secteur bancaire : les exemples de
la finance Islamique et de la micro finance.
la Banque Postale Nationale pour développer les activités de micro épargne et se servir
du vaste réseau d’agence dont elle dispose pour relayer les activités des IMF. Enfin, le
PNUD souhaiterait que cet aspect de la réforme débouche sur la constitution d’un marché
autonome de la micro finance occupé par de véritables Institutions de Micro Finance ayant
un statut juridique approprié. Cela impliquerait entre autre, une relative diversification des
sources de financements et donc une diminution de la dépendance des IMF envers les
dons de charité ; un développement croissant de la capacité d’accueil de nouveaux clients
par les IMF et donc une amélioration du taux de pénétration moyen du pays ; et, enfin, le
développement de l’adhésion des IMF aux standards de procédures mises en œuvre par le
Réseau Egyptien de la Micro Finance (Egyptian Micro Finance Network).
149
Ensuite, la dynamique de réforme à un niveau méso
repose sur trois
aspects distincts : l’amélioration de la fluidité de l’information à l’échelle régionale,
l’approfondissement des relations des IMF avec le tissu économique régional, et l’adhésion
à des structures de supervision du marché. Cela va se traduire dans un premier temps par
la mise en place d’organismes régionaux de prospection sur la conjoncture du marché de la
MF et la constitution d’une structure d’enregistrement de l’historique de crédit de l’ensemble
des clients de la MF. Ensuite, le développement de l’implantation locale des IMF devra être
réalisée par le biais d’une amélioration de l’accès aux sources de financement locales, et
par le développement de services d’assistances aux structures locales de MF. On entend
par « structures de supervision du marché » des agences internationales de notation ou
bien le Réseau Egyptien de MF évoqué plus haut.
150
Enfin, la dynamique de réforme à un niveau macro est essentiellement composée de
la mise en place de politiques publiques ayant pour objectif de faciliter l’entrée de nouveaux
acteurs sur le marché de la MF, ainsi que de campagne d’information sur l’activité des IMF
à destination du grand public.
Cet ensemble de mesures proposées par le PNUD vise en réalité a initier en Egypte ce
que le professionnels de la MF appellent le processus de transformation. Dans un article de
151
2004, N. Fernando avait défini ce processus de la manière suivante : « An establishment
of a regulated financial institution (RFI) by a nongovernment organization (NGO) or a
group of NGOs by transferring its loan portfolio to the RFI completely or partially ». Le
processus de transformation vise en quelque sorte à constituer un secteur de la micro
finance autonome réagissant à des mécanismes de marché et généralement placé sous le
contrôle d’une autorité de supervision. Pour les IMF concernée, les principaux avantages de
cette option sont avant tout de pouvoir, grâce à leur nouveau statut juridique, acquérir une
relative autonomie financière en accédant à des fonds d’épargne qui lui étaient inaccessible
jusqu’alors, cette nouvelle autonomie leur permet entre autre d’élargir la capacité d’octroi de
152
crédit, ainsi que la gamme des produits financiers disponibles . Cependant, en 2006, on
ne comptait que 43 IMF dans le monde ayant fait le choix de se transformer en « Institutions
149
150
151
Ibid. p. 14
Ibid. p. 15
Fernando, N. Micro Success Story? Transformation of non-governmental organizations into regulated financial institutions.
Asian Development Bank: Regional and Sustainable Development Department. Manille, 2004, cité in Hishigsuren, Gaamaa
[enligne], Transformation of Micro-finance Operations from NGO to Regulated MFI, 2006, p. 5 [page consultée le 14 juin 2009]
www.microcreditsummit.org
152
Hishigsuren, Art. Cit. p. 5
Chamosset François - 2009
73
Le rôle de l’institution bancaire dans l’Egypte contemporaine. Pour une illustration de la
dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement
153
Financières Régulée » . Ainsi, si les perspectives de transformations sont relativement
alléchantes pour les ONG pratiquant la Micro Finance, il faut souligner que ce processus
a tendance aussi à effrayer. Le principal point d’inquiétude des professionnels de la MF
semble être ce que l’on appelle le « mission drift » (que l’on ne pourrait mieux traduire en
Français que part une « dérive vis-à-vis des objectifs d’origine »), Christina Franck, dans un
article de 2008, définissait le mission drift de la manière suivante :
« In a microfinance context, “mission drift” is the concept that MFIs migrate away
from their original mission (to serve low-income clients and alleviate poverty)
in favor of generating profits for investors by serving higher income clients or
by maintaining high-interest rates on client loans. Certain observers associate
mission drift with commercialization and transformation. It is thought that the
conversion from an NGO to an RFI legal structure emphasizes profit motive over
social impact, which in turn may encourage an MFI to target a higher-income and
less risky clientele, shifting its focus away from low-income clients. Many critics
point to the fact that transformed MFIs tend to have higher average loan sizes
154
than MFI NGOs as an indicator of mission drift. »
Se pose dès lors la question d’un possible « mission drift » de la micro finance Egyptienne.
Il est évidemment encore bien trop tôt pour établir un quelconque bilan empirique du
processus actuel de transformation. Cependant, il est possible d’effectuer un nouveau
parallèle avec l’expérience de la finance islamique dans les années 1980 : considérant les
épisodes de la Caisse d’Epargne Rurale de Mit Ghamr et celui des Sociétés Islamiques
de Placement de Fonds, on peut affirmer que, dans une certaine mesure, l’ouverture de la
finance Islamique aux mécanismes de marché et à une compétition internationale accrue a
constitué un véritable « mission drift » avant l’heure.
C. Vers l’émergence d’un secteur de la micro finance autonome ?
Lors d’un entretien préliminaire au début de nos recherches sur le secteur de la micro
155
finance, Carole Servière affirmait que nous vivions actuellement un véritable « tournant
de l’Histoire de la micro finance en Egypte ». Et ce, malgré les contraintes institutionnelles
qui pèsent sur le développement d’un véritable marché de la MF. Au moins trois illustrations
de la situation de la MF en Egypte tendent à appuyer ce point de vue.
156
Tout d’abord, l’enquête réalisée par Planet Finance
déjà citée plus haut, relève
une tendance à la privatisation des activités de micro finance qui deviennent de plus en
plus des entreprises commerciales et dépendent de moins en moins des politiques de codéveloppement des agences internationales. Ainsi, en 2006, la Grameen Bank, fondée au
Bengladesh en 1977 par Muhammad Yunus a-t-elle signé un contrat avec le groupe Abul
Latif Jameel pour combattre la pauvreté dans le monde Arabe par la micro finance. On peut
ainsi parler à cette occasion de la création du premier véritable joint venture Egyptien dans
le domaine de la MF.
153
154
Ibid. p.40
Franck, Christina [en ligne], Stemming the tide of mission drift : microfinance transformation and the double bottom
line, Women’s World Banking, 2008, p. 8 [page consultée le 14 juin 2009 ] http://www.swwb.org/stemming-the-tide-ofmission-drift
155
Responsable de l’antenne de Planet Finance en Egypte, entretien accordé le 24 mars 2009
156
74
Op. Cit. p. 25
Chamosset François - 2009
Partie 2 : L’apparition de structures financières extérieures au secteur bancaire : les exemples de
la finance Islamique et de la micro finance.
De plus, le Réseau Egyptien des IMF travaille actuellement à l’élaboration d’un « crédit
bureau » visant à élaborer des historiques de crédits pour l’ensemble des clients de la micro
finance et ainsi participer à l’amélioration de la gestion des risques clients par les IMF, sur
le modèle du projet I-score évoqué en première partie.
157
Enfin, beaucoup plus récemment, la Loi 10/2009
prévoit la mise en place d’un
véritable statut juridique pour les IMF qui seraient désormais placée sous la tutelle d’une
« Autorité Générale de Régulation Financière » (article premier), dépendante du ministère
de l’investissement et censée régir le « système financier non bancaire », il s’agit de
remplacer les autorités de régulation des marchés ainsi que de supervision du secteur
assurantiel par la mise en place d’une seule autorité pour l’ensemble du secteur non
bancaire. Même si les IMF n’obtiennent pas encore de véritable statut juridique spécifique,
elles se trouvent désormais sous la tutelle du ministère de l’investissement plutôt que sous
celui du MSS et sont donc reconnues comme de véritables entités économiques, et non
plus pour leurs seules vocations sociales.
En conclusion de cette seconde partie, nous pouvons constater que face à l’atonie
du marché bancaire Egyptien, des acteurs issus de la société civile ou de la communauté
internationale ont tenté de développer de nouveau paradigmes financiers avec pour but
originel de stimuler le marché des produits financiers et d’en démocratiser l’accès. Les deux
paradigmes étudiés ont en commun d’avoir connu, ou de connaître encore un franc succès
auprès de la population Egyptienne ainsi que d’appartenir à des courants de pensée qui
dépassent largement les frontières de l’Egypte. Ce sont deux mouvement non seulement
en lien avec le processus de mondialisation, mais qui se sont créé à l’origine pour tenter
d’apporter des réponses locales aux problèmes générés par le système financier global.
On trouve aussi quelque similarités dans la relation qu’ont entretenu ces deux
« paradigmes » avec la puissance publique. Il apparaît en effet, que la principale
revendication non satisfaite de leurs promoteurs était d’être reconnu comme des institutions
à part dans le paysage financier national et nécessitant un statut juridique adéquat : la
finance islamique s’est développée dans le secteur informel tandis que les institutions de
Micro finance sont encore considérées comme des ONG caritatives. Au-delà de la question
de la légalité des pratiques enregistrées, il semblerait que ce que l’Etat refuse par-dessus
tout de concéder à ces deux activités, c’est une légitimité. C’est pourquoi les organismes
financiers qui veulent se développer en marge de l’Etat semblent tous condamnés à se
trouver privé de statut juridique clair, et à errer aux frontières de la légalité.
157
Traduction Anglaise non officielle obtenue grâce à l’aimable collaboration de C. Servière, le texte de loi dans sa version
complète figure en Annexe.
Chamosset François - 2009
75
Le rôle de l’institution bancaire dans l’Egypte contemporaine. Pour une illustration de la
dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement
Conclusion Générale
En conclusion de ce travail, il nous semble important de rappeler que nous avons pris le
parti d’étudier le système bancaire en tant que reflet de l’économie nationale dans son
ensemble. Nous avons ainsi pu montrer que le secteur bancaire formel, trop occupé à servir
les intérêts de l’Etat qui garantit sa stabilité, n’assumait que de manière imparfaite son rôle
dans l’économie nationale. Ainsi, l’émergence d’un système financier informel est à la fois
inévitable pour l’Etat et souhaitable pour le reste de l’économie.
C’est dans ce contexte que s’exprime la dialectique entre affirmation du contrôle
de l’Etat sur l’économie et résurgence périodique des forces du marché. D’un côté,
l’Etat s’arroge les ressources de l’épargne privée pour financer son intervention massive
dans l’ensemble des secteurs l’économie, et de l’autre il assèche les capacités de
financement en présence dans le circuit national, empêchant ainsi la constitution d’une
bourgeoisie concurrente dont la légitimité serait assurée par l’accaparement d’un capital
privé. On observe là un parfait exemple du phénomène de néo patrimonialisme évoqué en
introduction. Dans ce modèle, l’Etat n’est pas l’arbitre entre les protagonistes du marché,
mais son protecteur, ce qui signifie que pour conserver le contrôle du marché, il a tout intérêt
à ce que subsiste en permanence une menace de risques systémiques qui ruineraient
l’ensemble des acteurs économiques si l’Etat n’était pas là pour les en prémunir.
Parallèlement, un secteur financier informel se développe à la fois pour tenter de
satisfaire les besoins de financement présents dans le secteur informel de l’économie et
garantir éventuellement des dépôts des ménages de l’inflation par la mise en place de
produits d’épargne plus rentables. La puissance publique a donc mis en place une zone
de flou entre légalité et illégalité ou elle tolère un ensemble de pratiques lorsqu’elles sont
nécessaires au fonctionnement de l’économie et les réprime lorsque elles menacent trop la
pérennité du régime. C’est la gestion de cette zone d’ombre qui constitue la source principale
de la domination de l’Etat sur l’économie de marché.
Ce travail nous aura permis par ailleurs de mesurer l’influence réelle du système
économique international à la fois sur l’Etat en développement et sur son économie
nationale. On a vu ainsi que les institutions internationales – soutenues par les créanciers
internationaux de l’Égypte – exercent des pressions répétés sur les décideurs politiques
du pays pour que l’Etat laisse davantage s’exprimer les mécanismes de marchés dans
la sphère économique. Mais dans le même temps, on peut constater que les pratiques
bancaires marginales que nous avons étudiées étaient elles aussi en lien avec la
conjoncture politique et économique internationale. Aurait-on pu assister à un tel essor de
la finance islamique dans les années 1980, sans la flambée du prix du pétrole et sans les
mouvements de dérégulation des marchés des capitaux occidentaux ? Pourrait-on imaginer
que l’Etat Égyptien consente à accorder un début de statut juridique aux Institutions de Micro
Finance si le jury du prix Nobel de la Paix de 2005 avait décidé de l’attribuer à quelqu’un
d’autre que Mohammed Yunus ?
Cependant, la portée de cette influence internationale reste à relativiser. Il
faut reconnaître que malgré les pressions exercées, le gouvernement Égyptien n’a
encore esquissé que des gestes symboliques en direction d’une véritable libéralisation
économique, confondant bien souvent distribution d’entreprises publiques à une
76
Chamosset François - 2009
Conclusion Générale
bourgeoisie que l’on souhaite fidéliser, et mise en place d’une véritable économie de
marché. De notre point de vue, l’Etat se trouve dans une véritable impasse sur la question
du maintien de son niveau de dépenses publique et, à terme, du maintien de sa politique
sociale. Il est véritablement pris en tenaille entre la pression des institutions internationales
qui l’enjoignent à ouvrir le secteur bancaire à la concurrence et ses intérêts vitaux qui lui
dictent de conserver le contrôle du marché pour ne pas voir l’épargne nationale délaisser
progressivement les titres de la dette publique. Et il n’est pas certain qu’il choisisse de se
conformer de bonne grâce aux demandes de la banque mondiale ou du FMI.
Dans cette perspective, l’existence d’un lien de causalité entre libéralisation
économique et politique, évoquée en introduction, paraît assez ténu. Parant au plus pressé,
il semble que le gouvernement d’Ahmad Nazif a choisi de mettre en œuvre les politiques de
libéralisation actuelles pour ne pas avoir à répondre au niveau international de son manque
de bonne volonté dans le processus de démocratisation du régime. On voit dès lors mal
comment les maigres concessions accordées en direction d’une ouverture économique
pourraient déboucher sur des réformes allant dans le sens d’une libéralisation politique.
De ce point de vue, la reconnaissance progressive de structures bancaires marginales
et alternatives, comme le micro crédit ont à nos yeux davantage de chances d’aboutir
à l’émergence d’une société civile autonome par rapport à l’Etat. En effet, ces pratiques
réalisées à des échelles très localisées ne risquent pas de remettre directement en cause
les intérêts de l’Etat, puisqu’elles touchent des individus qui ne participent pas a priori
au système bancaire traditionnel, alors qu’elles contribuent effectivement à l’émergence
d’activités économiques autonomes dont la richesses et les emplois qui en découlent
échappent au néo patrimonialisme.
Chamosset François - 2009
77
Le rôle de l’institution bancaire dans l’Egypte contemporaine. Pour une illustration de la
dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement
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Chamosset François - 2009
81
Le rôle de l’institution bancaire dans l’Egypte contemporaine. Pour une illustration de la
dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement
Annexes
Liste des sigles utilisés
ABA
BCE
BIFE
BIIID
BSN
FMI
FPE
FSD
IMF
MF
MSS
NBE
NIB
ONG
PNUD
SIPF
USAID
Alexandria Businessmen Association
Banque Centrale d’Egypte
Banque Islamique Faysal d’Egypte
Banque Islamique Internationale d’Investissement et de Développement
Banque Sociale Nasser
Fond Monétaire International
Fond Public d’Epargne
Fond Social de Développement
Institution de Micro Finance
Micro Finance
Ministère des Solidarité Sociales
National Bank of Egypt
National Investment Bank
Organisation Non Gouvernementale
Programme des Nations Unies pour le Développement
Société Islamique de Placement de Fonds
United State Agency for International Development
Résumé
L’Egypte s’est lancée en 2004 dans un programme de libéralisation de son système
bancaire, actuellement dominé par le secteur publique. Cette réforme est l’occasion
de revenir sur le rôle joué par les institutions bancaires dans l’histoire économique
contemporaine du pays. Il s’agit d’analyser en profondeur la conflictualité intrinsèque qui
existe entre affirmation de l’Etat Nation et développement d’une économie de marché.
L’étude du secteur bancaire nous permettra de traiter entre autre de l’intégration de l’Egypte
à l’économie mondiale et de son rapport aux institutions économiques internationales,
comme la banque mondiale. Nous soulèverons enfin la question de l’apparition de deux
types de pratiques bancaires dites « marginales » depuis le milieu des années 1970: la
finance islamique et la micro finance, pour comprendre dans quelle mesure ces activités
informelles risquent de mettent en péril la survie du régime.
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Annexes
Mots clés
Egypte contemporaine, secteur bancaire, économie en développement, finance islamique,
micro finance.
Abstract
Egypt has launched in 2004 a liberalization program of its banking system, currently
dominated by the public sector. This reform is an occasion to tackle the role played by
the banking institutions in the country’s contemporary economic history. We will try to
analyze deeply the insight clash that exists between the affirmation of a nation state and the
development of a market economy. The study of the banking sector will permit us among
other things to deal with the question of integration of Egyptian economy within the global
economic system, and with the relationship between the Egyptian state and the international
economic institutions such as World Bank. Eventually, we will raise the question of the
emergence of two kinds of « outcast » practices since the middle 1970s : Islamic finance
and micro finance, in order to understand to what extent those kinds of practices would
jeopardize the regime’s suvival.
Keywords
Contemporary Egypt, banking sector, developing economy, Islamic finance, micro finance
/!\ A consulter sur place au centre de documentation de l'Institut d'Etudes
Politiques de lyon /!\
Loi n° 88/2003 relative à la Banque Centrale, au
Secteur Bancaire et à la politique monétaire (assortie
des amendements issus de la loi n°141/2004 et n
°93/2004)
Loi n°10/2009 de régulation des marchés financiers
non bancaire (traduction non officielle)
Chamosset François - 2009
83
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