Université Lyon 2 Institut d'Etudes Politiques de Lyon François Chamosset Séminaire : économies nationales du Monde Arabe Sous la direction de Lahouari Addi mémoire soutenu le 29 juin 2009 Le rôle de l’institution bancaire dans l’Egypte contemporaine. Pour une illustration de la dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement Jury : Daniel Dufourt Table des matières Remerciements . . Introduction Générale . . Délimitation du sujet . . Délimitation du terrain . . Pourquoi l’Egypte ? . . Pourquoi le secteur bancaire ? . . Problématique . . Plan . . Partie 1 : La notion de système bancaire dans l’économie Egyptienne contemporaine . . I. Du libéralisme Wafdiste à l’ajustement structurel, rôle de la Banque dans l’Egypte du XXe siècle. . . 1. Le rôle de la banque dans l’institution de l’Etat Egyptien : du libéralisme au capitalisme d’Etat. . . 5 6 6 7 7 8 9 10 11 12 1. Banque et Etat à la fin des années 1990 . . 12 19 30 30 2. Bilan de la réforme du système financier initiée en 2003 : quelle libéralisation du marché bancaire ? . . 40 2. Réformes et désillusions de Sadate à Moubarak (1977-2000) . . II. La réforme du secteur bancaire : un débat perpétuel . . Partie 2 : L’apparition de structures financières extérieures au secteur bancaire : les exemples de la finance Islamique et de la micro finance. . . I. Evolution du paradigme de finance Islamique en Egypte . . 1. Genèse de la finance Islamique dans le secteur public : la caisse d’épargne Mit Ghamr et la Banque Sociale Nasser . . 2. Apparition d’un système financier privé, puis informel dans les années 1980 : de la libéralisation à la répression . . 3. La finance Islamique au XXIe siècle : discours et réalité . . II. La micro finance en Egypte : libéralisation endogène ou exogène de l’accès aux produits financiers ? . . 1. Mise en place de la micro finance sous pression internationale : les raisons d’un succès relatif . . 2. La micro finance entre maintien des entraves bureaucratiques et émergence d’un marché autonome. . . Conclusion Générale . . Bibliographie . . Ouvrages . . Articles de presses, de revue et contributions . . Littérature Grise : travaux universitaires et publications officielles . . Sites Internet et ressources en ligne . . Annexes . . Liste des sigles utilisés . . Résumé . . Mots clés . . Abstract . . 50 51 52 56 62 65 66 70 76 78 78 79 80 81 82 82 82 83 83 Keywords . . 83 Loi n° 88/2003 relative à la Banque Centrale, au Secteur Bancaire et à la politique monétaire (assortie des amendements issus de la loi n°141/2004 et n°93/2004) . . 83 Loi n°10/2009 de régulation des marchés financiers non bancaire (traduction non officielle) . . 83 Remerciements Remerciements Je tiens à remercier particulièrement M. Lahouari Addi, mon professeur dans le cadre du séminaire « économie nationale du Monde Arabe », pour sa disponibilité et ses conseils. Un grand merci aussi à Kathia Zakaria, pour m’avoir fourni les quelques précisions étymologiques nécessaires à la définition du sujet, à Carole Servière, de l’ONG Planet Finance, pour m’avoir orienté sur le secteur de la micro finance en Egypte, et à Laetitia Habchi, de l’Agence Française de Développement au Caire, pour ses précisions sur la réforme en cours du secteur bancaire Egyptien. Je tiens également à remercier le service numérique de l’Université Lyon 2, et Corentin, pour son soutien lors de la phase d’impression et de mise en forme de la page de garde. Chamosset François - 2009 5 Le rôle de l’institution bancaire dans l’Egypte contemporaine. Pour une illustration de la dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement Introduction Générale Délimitation du sujet Dans son ouvrage de référence intitulé La grande transformation. Aux origines politiques et économiques de notre temps, Karl Polanyi présente l’économie de marché de la manière suivante : Cette conception nouvelle de l’économie est née sous la plume des économistes britanniques classiques de la deuxième moitié du XVIIIe siècle, puis s’est ensuite répandue sur l’ensemble de l’Europe Occidentale avant de s’imposer au reste du monde par le biais des entreprises de colonisation. Ainsi, les organisations internationales pour le développement économique, à l’instar du Fond Monétaire International et de la Banque Mondiale enjoignent les pays à travailler en direction de l’établissement d’une économie de marché sur leur territoire, c’est à dire à laisser au maximum le système de prix dominer les relations entre agents économiques. Par ailleurs, l’avènement de l’économie de marché comme standard mondial de régulation économique s’est accompagné de la formation du concept d’Etat Nation à partir du traité de Westphalie de 1648. Regroupant un peuple à l’intérieur d’un territoire donné et sous la direction d’un gouvernement central, l’Etat Westphalien se caractérise par l’exercice de la compétence de souveraineté dont il est l’unique détenteur sur son territoire. L’Etat s’est non seulement imposé en tant que sujet premier du droit international, mais aussi comme unité de base de la mesure des rapports de force économique entre les nations dans le système international contemporain. Il s’agira dans ce travail de distinguer la notion de nation, regroupant l’ensemble des activités de production de richesses sur un territoire donné, de celle d’Etat, au sens économique du terme, qui désigne alors la puissance politique en charge de l’organisation et de la régulation de l’activité économique sur ce territoire. La confrontation de ces deux concepts clés de notre travail nous donne donc l’occasion de cerner deux aspects centraux de notre sujet : Tout d’abord, les notions d’économie de marché, et d’Etat nation sont socialement et historiquement construites dans le contexte de l’Europe occidentale du XVIIIe siècle. L’exportation de ces concepts à la quasi totalité des cultures politiques et économiques de la planète a dû faire l’objet de processus d’appropriation locaux spécifiques à chaque région du monde. Ensuite, la mise en œuvre conjointe des concepts d’Etat, et d’économie de marché a été inévitablement conflictuelle. Puisque l’économie de marché ne saurait idéalement se laisser guider par d’autres paramètres que l’évolution des prix, tandis que l’Etat, en tant que détenteur ultime de la puissance souveraine, ne saurait se laisser dicter sa conduite par une autre entité sociale que lui-même. A fortiori, lorsque le gouvernement d’un Etat donné est autoritaire, il lui sera difficile de laisser s’exprimer les forces du marché si cellesci contredisent son intérêt premier. 6 Chamosset François - 2009 Introduction Générale Nous formulerons l’hypothèse que le secteur bancaire, de par son rôle d’arbitre entre besoins et capacités de financements, constitue le lieu d’affrontement par excellence entre les intérêts du marché et ceux de l’Etat. Dans tout système économique moderne, la banque est le lieu ou sont accumulées les richesses produites par le système économiques. La logique du marché veut que l’épargne constituée par les agents économiques soient placés auprès de l’entrepreneurs le plus offrant en terme de rémunération. L’Etat ne pouvant par nature pas proposer d’investissements rentables du point de vue économique, il va se trouver dans l’obligation de fixer des règles visant à fausser la loi du marché pour pouvoir détourner une partie de l’épargne nationale à son avantage. Dans les Etats occidentaux, la solution qui a été retenue pour la résolution de ce type de conflictualité est l’adoption d’un système politique libéral dans lequel l’Etat a pris un rôle d’arbitre des conflictualités sociales inhérentes à l’économie de marché et dont les modalités d’intervention sont régulées par un processus démocratique plus ou moins pacifié. Notre travail s’articulera donc autour des deux problèmes suivants : - Tout d’abord, comment s’est déroulé le processus d’appropriation conjointe des concepts d’économie de marché par les sociétés ne faisant pas partie au départ de l’aire culturelle occidentale ? - Ensuite, comment s’exprime le rapport de force entre construction de l’Etat nation et mécanismes de marché au sein d’un système politique autoritaire, et est-ce que cette dialectique entre Etat et économie peut déboucher à terme sur un processus de démocratisation ? Délimitation du terrain Pourquoi l’Egypte ? Nous avons jugé l’étude de l’Egypte contemporaine comme un cas particulièrement adapté aux deux thématiques évoquées précédemment. Et ce pour au moins trois raisons : Tout d’abord, l’Egypte est un Etat très jeune, qui n’a connu véritablement son indépendance qu’avec le soulèvement des officiers libres de juillet 1952 qui a porté Gamal Abd El Nasser au pouvoir. Il s’agit cependant d’une vieille économie de marché qui a été parfaitement intégrée au processus de la première mondialisation (1850-1914 environ) et s’est dotée très tôt d’un système économique libéral sous la domination du colon britannique. Cependant, on peut dire que l’économie égyptienne est restée très en retrait au cours de ce que l’on a appelé la seconde mondialisation (1980 à nos jours environ), puisqu’elle reste encore dans le groupe des économies en voie de développement selon 1 le Programme National des Nations Unies pour le Développement . Un exemple bien précis nous permet d’illustrer l’évolution du rôle de l’économie Egyptienne dans l’économie e mondiale entre la première et la seconde mondialisation : en 1945 le Caire était la 6 1 Classement des nations en fonction de leur Indicateur de Développement Humain disponible sur www.undp.org/en/statistics/ , page consultée le 13 juin 2009 Chamosset François - 2009 7 Le rôle de l’institution bancaire dans l’Egypte contemporaine. Pour une illustration de la dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement place financière mondiale, en 2009, elle n’est plus que la troisième en Afrique, loin derrière 2 l’Afrique du Sud et le Maroc . Ensuite, le processus d’affirmation de l’Etat Nation Egyptien en cours a mené à l’enracinement d’un régime autoritaire dont le dirigeant, M. Mohammed Hosni Moubarak est en poste depuis 1981. Aucun scrutin pluraliste d’envergure nationale n’a pu avoir lieu avant l’élection présidentielle de 2005 ou Hosni Moubarak a recueilli officiellement dès le premier tour quelque 88% des suffrages. L’ensemble du secteur économique national étant encore largement dominé par le secteur public, on peut faire le double constat a priori paradoxal d’une privatisation de l’espace public, que s’approprient une petite bourgeoisie d’Etat qui soutient le régime actuel, d’une part ; et d’une publicisation de l’espace privé, par le maintient de la domination du secteur public sur l’économie nationale, a priori d’État. L’Égypte constitue de ce fait un exemple très concret de ce que l’on nomme généralement 3 à propos des grandes dictatures du Sud, un « néo patrimonialisme » . Enfin, on décèle, lorsque l’on considère l’histoire de l’Egypte contemporaine depuis 1952, une sorte de récurrence de la rhétorique de la libéralisation du secteur économique. On constate une première occurrence de ce type de discours sous le régime d’Anouar Al Sadate lors de la politique dite « de la porte ouverte » (Infitah) après 1974. Plus tard, en 1991, on retrouve ce même type de discours à propos des réformes dites « d’ajustement structurels » mises en place en échange d’un programme de rééchelonnement de la dette, négocié avec le Fond Monétaire International. Or il se trouve que nous vivons actuellement une période – qui a débuté au moment de la campagne électorale pour les dernières présidentielles – où le discours de libéralisation économique est de nouveau avancé par le premier ministre actuel Ahmad Nazif. C’est la Banque Mondiale qui est cette fois la marraine internationale du projet et qui fournit conjointement capitaux et assistance technique pour mener à bien ce nouveau programme. Il apparaît donc a priori que le moment est bien choisi pour établir, quatre ans après son lancement, un premier bilan des chantiers de réformes économiques mis en œuvre par le gouvernement Nazif. Pourquoi le secteur bancaire ? Dès lors se pose évidemment la question du choix du secteur bancaire pour traiter la relation entre marché et Etat dans l’Egypte contemporaine. À nouveau, trois raisons majeures peuvent être évoquées. Tout d’abord, nous constaterons au cours de ce travail que le secteur bancaire a toujours été une priorité des différentes réformes du secteur économique entreprises depuis 1952. Nous verrons également que l’analyse de ce secteur constitue un indicateur généralement assez fiable du degré de réactivité de l’ensemble du secteur économique aux mécanismes de marché. Ensuite, il apparaît que le système bancaire Egyptien est fortement imbriqué dans le circuit financier de l’Etat et que la libéralisation des marchés du crédit et de l’épargne risquerait éventuellement de porter atteinte à un certain nombre d’intérêts vitaux du régime. Ce qui place le pouvoir politique dans une situation particulièrement délicate sur la question de la privatisation du secteur bancaire, dossier pourtant central dans le programme de 2 3 Commission Economique pour l’Afrique, Etat de l’intégration régionale en Afrique, Addis Adeba, 2004, p. 140 Concept défini par Eisenstadt, Shmuel N., in Traditional Patrimonialism and Modern Neopatrimonialism. Beverly Hills: Sage Publications, 1973, et cité in Addi, Lahouari in Etat et pouvoir, approche méthodologique et sociologique, Office des Publications Universitaires, Alger, 1990, p. 120 8 Chamosset François - 2009 Introduction Générale réformes en cours depuis 2004. Selon Jean Yves Moisseron et Françoise Clément, la stratégie du gouvernement Nazif consiste à appliquer à la lettre les recommandations de la banque mondiale en matière de politique économique afin de faire oublier à la communauté internationale le coup d’arrêt porté à la dynamique de libéralisation, cette fois politique, du 4 régime depuis 2005 . Cependant, une véritable libéralisation du secteur bancaire ne serait pas pour autant sans effets sur la pérennité du régime, et il convient de s’interroger sur l’honnêteté de la politique d’ouverture économique entreprise. Enfin, il existe en parallèle des activités bancaires réalisées sous le contrôle de l’Etat un marché informel très actif de l’épargne et du crédit qui témoigne du caractère inadapté de l’offre de service bancaire à l’ampleur de la demande présente au sein de la société. L’Etat tente régulièrement de satisfaire cette demande par des moyens « formels », tout en cherchant à prendre le contrôle des parts de marchés générées par le développement de ces activités. C’est selon nous dans cette optique qu’est né le concept de finance islamique en Egypte, et c’est certainement pour les mêmes raisons que l’Etat tolère depuis la fin des années 1980 que des Organisations Non Gouvernementales pratiquent des activités de micro crédit. Ce dernier aspect du secteur bancaire Egyptien est probablement celui dans lequel la conflictualité entre logique de marché et affirmation de l’autorité de l’Etat s’exprime le plus concrètement. Problématique Les principaux enjeux du présent travail ayant été exposés, nous pouvons les synthétiser à l’intérieur de la problématique suivante : Comment se manifeste l’autorité de l’Etat Egyptien dans son comportement vis-à-vis du secteur bancaire, pris dans son sens le plus général (c’est à dire toute structure économique octroyant des crédits et recueillant l’épargne du grand public) ? La réponse à la présente problématique s’articule autour de deux questions plus précises qui feront chacune l’objet d’une partie de ce travail : - Assiste-t-on aujourd’hui en Egypte à un véritable processus de libéralisation du système bancaire, impliquant notamment la réactivation de mécanismes de marchés dans le comportement des acteurs privés ? - Le développement de pratiques bancaires « marginales » en collaboration avec l’Etat peut-il amener à une remise en cause de l’autorité de l’Etat sur l’ensemble de l’économie nationale ? Sans pour autant en faire l’objet premier de ce travail, il ne faudra jamais perdre de vue l’hypothèse selon laquelle une libéralisation du système économique Egyptien dans son ensemble amène forcément à la mise en place d’un pluralisme politique. Cette position sera rediscutée en conclusion. 4 Moisseron, Jean-Yves et Clément, Françoise, « Changements visible ou invisibles : la question de l’émergence de l’économie Egyptienne ? » in Ben Nefissa, Sarah, L’Egypte sous pression ? Des mobilisations au verrouillage politique, in Politique Africaine, n °108, décembre 2007, Karthala, pp. 106-125 Chamosset François - 2009 9 Le rôle de l’institution bancaire dans l’Egypte contemporaine. Pour une illustration de la dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement Plan Comme on l’a vu le présent mémoire comportera deux grandes parties abordant successivement les thèmes du rôle du système bancaire « formel » dans l’appareil d’Etat, et le processus d’intégration de pratiques bancaires marginales et informelles à l’intérieur de la légalité. Lors de la première partie de ce travail, nous tenterons tout d’abord une approche historique du rôle du secteur bancaire dans le processus de construction de l’Etat Nation Egyptien. Nous insisterons notamment sur le système financier dans l’Egypte pré Nassérienne, sur les changements apportés par le régime des officiers libres, les enjeux de la politique d’ouverture sous Sadate pour le secteur bancaire ainsi que sur son évolution depuis le début de l’ère Moubarak. Ensuite, nous analyserons les enjeux de la réforme actuelle en deux temps : en premier lieu en s’appuyant sur l’étude réalisée par Abou Elias 5 Haidar en 2000 sur les relations entre les banques et l’Etat avant la réforme de 2004 ; en second lieu en constatant par nous même la réalité des évolutions observables depuis le début de cette réforme. Nous arriverons à la conclusion que le secteur bancaire dit formel n’est absolument pas le reflet du marché national du crédit et de l’épargne, en ce sens qu’il ne reflète en rien la réalité de l’offre et de la demande de financement émanent du système économique dans son ensemble. La seconde partie visera quant à elle à montrer que le décalage entre le secteur bancaire formel et la réalité des marchés de financement entraîne inévitablement la formation d’un marché du crédit et de l’épargne informel sur lesquels l’Etat perd tout contrôle. Nous circonscrirons nos recherchent en ce domaine à deux épisodes de l’histoire bancaire du pays au cours desquels la formation de pratiques bancaires marginales a donné lieu à des tentatives d’intégrations au secteur bancaire dit « formel ». Ces deux exemples sont ceux de la finance islamique et du micro crédit. Il s’agira dans le premier cas de revenir sur les événements qui ont menés à une remise en cause ouverte de l’autorité de l’Etat sur le système financier et à la vague de répression qui s’est ensuite abattue sur cette activité. Puis nous tenterons de mettre en lumière les réticences exprimées par l’Etat quant au développement d’un secteur autonome de la micro finance en Egypte. 5 Abou Haidar Elias, Libéralisme et capitalisme d’Etat en Egypte. L’impossible privatisation des banques publiques, L’harmattan, Paris 2000. (pp. 24-29) 10 Chamosset François - 2009 Partie 1 : La notion de système bancaire dans l’économie Egyptienne contemporaine Partie 1 : La notion de système bancaire dans l’économie Egyptienne contemporaine L’objectif de cette présente partie n’est pas directement de parvenir à un bilan financier détaillé des rapports de force au sein du système bancaire Egyptien, mais d’interroger le concept de banque en lui-même et la signification qui lui est donné dans un contexte culturel particulier. Dans l’imaginaire occidental, la banque semble aussi vieille que le concept même de marché. Alors qu’au moyen âge, un système financier embryonnaire ne servait qu’à assurer la sécurité des voyageurs par le moyen de la lettre de change, son importance a cru avec le développement du capitalisme en Grande Bretagne à la fin du XVIIIe siècle et s’est imposée par la suite comme une institution indispensable à toute société moderne. Ainsi, 6 Karl Polanyi avance que ce sont les grands banquiers d’affaires Européens, qui ont été les principaux acteurs de la relative pacification des relations entre grandes puissances en 1815 et 1914 (ce que l’auteur nomme « la paix de cent ans »). La banque en tant qu’institution de réception de dépôts et d’octroi de crédits s’est répandue en même temps que le capitalisme à l’ensemble des économies de la planète. Il est difficile de repérer l’arrivée du mot « bank » dans le dialecte Egyptien courant. Peut être est-ce un terme tiré de l’Italien « banca », qui serait apparu dans la lingua franca des marchands des ports Arabes du XIIIe ou XIVe siècle ? Ou alors ce serait un terme importée plus récemment par les colonisateurs Français 7 ou Britanniques au cours du XIXe siècle ? . Toujours est-il que le terme « bank » s’est progressivement imposé, autant dans les langues vernaculaires que véhiculaires d’Egypte et du reste du monde Arabe, en lieu et place du terme consacré de l’Arabe classique « moussaraf », qui a dû certainement être abandonné car ne recouvrant pas l’ensemble 8 des caractéristiques évoquées par le concept de banque . Pourtant, les sociétés médiévale dans le monde Arabe se sont organisées, non pas autour des activités agricoles comme en occident, mais autour des échanges commerciaux entre centres urbains. Ce qui a donné lieu au développement de nombreuses techniques financières modernes. Ainsi, doit-on à la langue arabe les origines étymologiques des termes de « chèque » (al-Chiik) et de « crédit » (al-Qard). Comme toute organisation sociale se revendiquant de l’Etat Westphalien, l’Egypte contemporaine est le produit d’une dialectique historique entre les forces du marchés et celles de l’Etat. Nous tenterons donc d’analyser l’état du rapport de force entre ces deux entités à partir de l’exemple central du système bancaire. Nous préférerons ici parler davantage de système bancaire plutôt que de marché bancaire, dans la mesure ou il s’agira de comprendre de quelle manière les institutions bancaires sont enchâssés dans le circuit financier de l’Etat. 6 7 Op. Cit. Chapitre 1, « La paix de cent ans », pp. 21-41 Merci à Kathia Zakaria pour ces éclairages étymologiques, qui constituent des sujets de mémoires à eux seuls et ne peuvent malheureusement pas être développés ici. 8 À noter que le terme Moussaraf est toujours usité en arabe moderne, mais désigne un bureau de change Chamosset François - 2009 11 Le rôle de l’institution bancaire dans l’Egypte contemporaine. Pour une illustration de la dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement Il est donc important dans un premier temps de nous interroger sur le rôle qui a été confié à ces institutions dans ces moments de conflictualité entre Marché et Etat, ainsi que sur l’action du secteur bancaire dans la formation de l’Egypte contemporaine. Par la suite nous analyserons le secteur bancaire en deux temps distincts : tout d’abord par une analyse du secteur bancaire à la fin des années 1990, puis par une réflexion sur les dynamiques de réformes initiées depuis le début des années 2000. I. Du libéralisme Wafdiste à l’ajustement structurel, rôle de la Banque dans l’Egypte du XXe siècle. Au XIXe siècle en Egypte, la banque est une institution essentiellement importée : les grandes banques d’investissement qui financent l’industrialisation naissante du pays sont toutes d’origine étrangère. Il s’agit soit de succursales des grandes banques d’Affaire Européennes, soit d’institutions locales, mais créées et détenues par ceux que l’on appelle à l’époque les mutamassirun (les investisseurs), hommes d’affaires émigrés de l’ensemble du pourtour méditerranéen (Grecs, Italiens, Arméniens, Juifs) qui cherchent à faire fortune en Egypte En revenant conjointement sur l’économie politique du pays et sur la place qu’y prendra le secteur bancaire, nous tenterons d’établir ici un parallèle entre la formation d’un Etat Nation indépendant et la construction progressive d’un système financier moderne. Nous expliquerons donc dans un premier temps comment le processus d’acquisition de l’indépendance s’est traduit par la transformation d’un secteur bancaire pluraliste et libéral, en un système hautement centralisé et concentré exclusivement dans les mains de l’Etat. Par la suite, il s’agira de mettre en lumière le rôle des institutions financières dans la politique économique du pays nouvellement indépendant, et notamment dans la résolution du problème de la dette extérieure. 1. Le rôle de la banque dans l’institution de l’Etat Egyptien : du libéralisme au capitalisme d’Etat. A. Banque et naissance de l’Etat Nation. 9 Dans un article de 1985, Robert Bianchi parlait « d’évolution discontinue » (« discontinuous evolution »), pour qualifier la conjoncture économique Egyptienne entre 1922 et 1952. On assiste sous la période Monarchique à l’avènement d’une nouvelle classe d’hommes d’affaires qui profitent du détournement momentané des intérêts Britanniques de l’Egypte pour investir leur propre marché national et prendre un ascendant croissant sur le pouvoir 10 politique. Robert Vitalis décrit une économie nationale embryonnaire et dominée par un oligopole composé de trois grand consortiums Egyptiano-Egyptiens : le groupe Abbud, le 9 Bianchi Robert, « Businessmen's Associations in Egypt and Turkey », The annals of the American Academy of Political and Social Science 482, no. 1 (Novembre 1, 1985): 147-159. 10 Vitalis Robert « When Capitalists Collide: Business Conflict and the End of Empire in Egypt » in The Journal of Economic History 56, no. 02, 1996, University of California Press, Berkeley pp. 517-519 12 Chamosset François - 2009 Partie 1 : La notion de système bancaire dans l’économie Egyptienne contemporaine 11 groupe Yahya et la Banque Misr. Joël Beinin préfère quant à lui parler de « Capitalisme Colonial » pour décrire cet ordre économique, qui selon, lui, n’a rien de spécifique à l’Egypte, mais qui est au contraire commun à bon nombre de sociétés colonisées à la même époque. C’est en tout cas dans cette période qu’il faut rechercher les fondements de l’économie politique Egyptienne moderne. Sur les 26 banques implantées dans le pays avant 1952, on étudiera le parcours de deux d’entre elles particulièrement liées au destin national : la Banque Misr et la National Bank of Egypt. La première semble introduire les prémices d’une politique économique auprès des élites gouvernantes, tandis que la seconde constitue concrètement un embryon d’institution monétaire. Une banque Egyptienne en Egypte : la banque Misr et l’avènement d’une bourgeoisie nationaliste. Le projet de « banque Egyptienne pour les Egyptiens » a été soutenu par Mohammed 12 Talaat Harb dès le début du siècle dans diverses publications (en 1907 et 1911 ). Mais il faut attendre la révolution de 1919 pour que naisse une institution conforme à ce projet : la Banque Misr. C’est, semble-t-il, le début d’une forme de patriotisme financier, qui vient parachever l’avènement d’une conscience nationale à l’intérieur de la classe bourgeoise Egyptienne. Le groupe Misr constitue un fer de lance du développement industriel de l’Egypte et participe à la protection des intérêts des nouveaux capitaines d’industrie et propriétaires terriens en concurrence des « mutamassirun ». Durant les années 1920 et 1930, Le groupe industriel Misr sera un acteur central de l’ouverture de la société Egyptienne au Capitaliste, acquérant jusqu’à 37 filiales dans divers secteurs de l’économie nationale. 13 Cependant, la banque Misr fait faillite en 1939. M. Clement-Henry évoque deux raisons à cet échec. Premièrement, la création d’un groupe industriel puissant et autonome supposait comme conditions préalable ce qui était en fait l’objectif de la banque Misr : 14 « the model presupposed the condition it purported to create » . En d’autres termes, il apparaît que l’industrie Egyptienne n’est à cette époque pas assez développée pour qu’une grande banque nationale puisse s’y imposer et devenir rentable. D’autre part, d’un point de 15 vue exogène, les rivalités impérialistes qui s’affrontent au Caire avant la seconde guerre mondiale ont conduit à une crise de confiance des investisseurs étrangers vis-à-vis de l’Egypte, débouchant sur une crise de liquidité touchant la Banque Misr. Obligé de dépenser une énergie et des efforts financiers considérables pour conserver la confiance du pouvoir politique, et notamment des Anglais, Talaat Harb ne peut pas se consacrer pleinement à un financement massif de l’industrie. Enfin, les nombreux scandales qui éclatent à la fin des années 1930 autour de la gestion des comptes de la banque Misr conduisent à l’éviction 11 Beinin Joel, « Egypt society and economy 1923-1952 », in M. W. Daly et Carl F. Petry (dir.), The Cambridge history of Egypt. Vol. II, Cambridge university Press, 1998. (p. 318) 12 Harb, Talaat ‘Ilaj misr al-iqtisadi wa mashru’ bank al misryyin aw bank al-umma, Le Caire, 1911 13 Clement-Henry, M. The Mediterranean Debt Crescent : money and power in Algeria, Egypt, Morocco, Tunisia, and Turkey, Florida international University Press, 1996 14 15 Ibid. p.217 Notamment entre Berlin et Londres Chamosset François - 2009 13 Le rôle de l’institution bancaire dans l’Egypte contemporaine. Pour une illustration de la dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement de Talaat Harb du directoire de la société, condition imposée par les Anglais, en préalable à toute intervention de la National Bank of Egypt (NBE) pour sauver le groupe Misr. Il faut cependant remettre l’épisode de la faillite de la banque Misr dans son contexte :ce genre d’incident semble très fréquent en Egypte durant la première moitié du XXe siècle. 16 Henry Clement cite entre autre celle de la Bank of Egypt (pourtant administrée par des fonds britanniques) en 1911. Mais l’apport de Harb à l’économie politique Egyptienne fut sans doute d’avoir découvert le pouvoir d’influence des activités de crédit sur la sphère politique. Par la mise en place d’un programme de substitution aux importations par l’industrialisation, il acquiert l’image d’un précurseur, et devient le premier planificateur de l’Histoire du Pays lorsqu’en 1929, il impose à son groupe industriel un plan de développement économique décennal. 17 John Waterbury n’hésite pas à faire de l’épisode de la banque Misr un avant goût du modèle économique Nassérien. : 18 À propos de l’épisode de la Banque Misr, Clement Henry soulève un paradigme intéressant qui pourra faire l’objet de discussions ultérieures. Il affirme que la « Bank do indeed reflect the social and political order of which they are part, in rather competitive way. A competitive bank system reflect a pluralistic capitalist order » En d’autres termes, Clement avance ici que le projet de Harb de bâtir un groupe industriel national et hégémonique n’étaient pas adaptés au climat de libéralisme économique qui dominait les relations entre les trois grands groupes industriels cité plus haut. La restructuration de 1939 avait donc pour objet, en éliminant Talaat Harb (qui mourra en 1941), de réadapter cette institution au modèle économique oligopolistique dans laquelle elle se trouvait (en la dépeçant au passage de son incarnation nationaliste). Et Clement 19 d’ajouter, pour boucler la boucle que : « To achieve a monopoly of political power, Nasser would therefore have to disaggregate the very institution that had once embodied nationalist aspirations for monopoly capitalism » Le rôle de la Banque Nationale d’Egypte dans la définition de la politique monétaire sous la monarchie. Qu’on ne s’y trompe pas, l’apparition du terme « national » dans le nom de cette institution n’en fait pas pour autant une structure nationaliste militante, semblable à la Banque Misr. La « National Bank of Egypt » (NBE) est à l’origine un produit des Moutamassirum. Elle a été fondée en 1898 le commerçant juif Sir Ernest Cassel dans le sillage de l’essor de l’industrie du coton, à la fin du XIXe siècle. Pourtant c’est dans une toute autre posture que l’observateur la retrouvera à la veille du coup d’Etat des officiers libres. Dès le lendemain de la Grande Guerre, les Anglais autorisent la NBE à émettre ses propres devises adossées au cours de la Livre Sterling, lui accordant ainsi une place prépondérante dans un secteur bancaire encore embryonnaire. Au gré des accointances entre membres du parti Wafd au pouvoir, l’ambassade du Royaume Uni, et les propriétaires de la NBE, cette institution va servir de matrice pour la mise en place des 16 17 18 19 14 Clement-Henry Op. Cit., p.220 Waterbury, John, The Egypt of Nasser and Sadate : the Political Economy of two regime, Princeton UP, 1983 Op. cit. p. 220 Ibid. p. 220 Chamosset François - 2009 Partie 1 : La notion de système bancaire dans l’économie Egyptienne contemporaine 20 prérogatives monétaires de l’Etat Egyptien en devenir. Elias Abou Haidar relève ainsi que la NBE au début des années 1950 était en charge entre autres choses de l’émission de la monnaie, du prêt en dernier ressort, de la fixation des principaux taux directeurs, et de l’application des réglementations bancaires. Toutes ses prérogatives furent accumulées les unes après les autres par le conseil d’administration de la banque qui avait fini par réunir l’ensemble des compétences définissant en général, dans les Etats occidentaux l’institution appelée Banque Centrale. Pour autant, la NBE continuait dans le même temps à assumer ses fonctions originelles de banque commerciale et évoluait sur les marchés bancaires en concurrence directe avec les autres banques commerciales. Concrètement, la direction de la NBE était assumée de la manière suivante. Les compétences relevant de la politique monétaire de la nation était sous la responsabilité d’un conseil suprême de la NBE, présidé par le ministre de l’économie en personne et comptant 7 membres dont 5 nommés par le gouvernement. Les modalités de mise en application des décisions de politique monétaires relevaient quant à elles de l’activité du Conseil d’Administration, composé de 13 membres élus par les actionnaires, qui avait par ailleurs en charge l’administration de l’aspect privé de la banque. Le statut hybride de la NBE semble découler de la situation de négociation permanente qui caractérise à cette époque les relations entre les gouvernants autochtones et les Anglais. Il s’agit en quelque sorte pour la puissance coloniale de faire croire qu’une passation de pouvoir est en cours. Cette première sous partie nous a permis de faire le point sur les relations entre banque et Etat dans l’Egypte pré Nassérienne, on a pu constater que le secteur économique était alors caractérisé par un ensemble de marchés aux fonctionnements très libéraux, dominés par de grand groupes capitalistes pour la plupart étranger. C’est dans ce contexte qu’apparaissent les premières banques Egyptienne. La banque Misr se veut l’instrument financier du nationalisme et va tenter une première planification de l’économie, tandis que la NBE est l’arme de la politique monétaire du régime tout en maintenant ses activités commerciales. L’œuvre principale de la politique économique du Régime de Gamal Abd El Nasser sera de renverser totalement cette logique en concentrant l’ensemble de la vie économique dans un modèle de capitalisme d’Etat. B. Le « socialisme » Nassérien appliqué au secteur bancaire Bien qu’auto proclamée d’inspiration socialiste, la politique économique de Gamal Abd El Nasser ne constitue pas une franche rupture avec ce qui avait commencé à la fin de « l’ancien régime », durant les années 1940. En effet, nous avons vu que l’industrialisation du pays et l’affirmation économique du nationalisme Egyptien (notamment par la politique de substitution de l’importation par l’industrialisation évoquée plus haut) était apparu au lendemain de la révolte de 1919. Il faut ajouter que la planification économique n’est pas une invention Nassérienne puisque le premier plan quinquennal du pays démarre en 1947. Alain Roussillon présente le coup d’Etat de 1952 davantage comme une réaction pragmatique et inévitable aux déboires du libéralisme financier et politique pratiqué sous « l’ancien régime » que comme une révolution idéologiquement constituée : Le secteur bancaire s’adapte avec plus ou moins de difficultés à cette reprise en main du politique sur l’économique. Le marché, jusqu’alors très concurrentiel et hétérogène, se 20 Abou Haidar, Op. Cit., pp. 24-29 Chamosset François - 2009 15 Le rôle de l’institution bancaire dans l’Egypte contemporaine. Pour une illustration de la dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement centralise peu à peu au moyen du processus de nationalisation. Cette centralisation va permettre à l’Egypte de se doter des instruments modernes de contrôle de la politique monétaire. L’affirmation d’un interventionnisme économique par la nationalisation. La vague de nationalisation, qui débute en 1956, ne touche le secteur bancaire qu’avec le décret des 22, 23 et 24 Janvier 1957. Ces textes proclament l’Egyptianisation de l’ensemble des banques commerciales, compagnies d’assurance et agences de représentations des 21 banques étrangères . Le processus d’Egyptianisation a principalement été marqué par la confiscation des trois principales banques Britanniques (la Barclay’s, la Ionian Bank et la Ottoman Bank), et des deux françaises (le comptoir national d’escompte et le Crédit Lyonnais). La Barclays devient Banque d’Alexandrie et la Ionian et la Ottoman sont absorbées dans le groupe Al Goumhourya, créé pour l’occasion. Les deux banques 22 françaises sont fusionnées pour former la Banque du Caire . Enfin, les quelque deux cents compagnies d’assurance présentes sur le marché sont fusionnées à l’intérieur de trois 23 firmes nationales . La confiscation est ici une étape vers le placement de ces nouvelles sociétés Egyptiennes sous le contrôle d’une Holding d’Organisation de l’Economie, créée elle aussi en Juin 1957. Il faut noter que cette nationalisation n’est pas pratiqué de manière purement arbitraire : en 1959, Nasser accepte de verser aux anciens investisseurs Britanniques un dédommagement de 25 millions de Livres Egyptiennes (£E). Le reste du 24 secteur bancaire et assurantiel est enfin nationalisé par la Loi 117/1961 . Ici encore, Alain Roussillon nous enjoint à ne pas considérer la nationalisation comme un objectif idéologique en soi, mais comme une réaction opportuniste à une situation de désengagement des investisseurs étrangers, s’inscrivant dans une dynamique d’Etatisation de l’économie qui allait bien au-delà du Nassérisme lui-même : « Even the first nationalization of 1956-57, which struck French and British interests in return for the tripartite aggression, then those directed against Jewish, Armenian, or Syrian and Lebanese interests, did not in themselves constitue a break with respect to the logic of Egyptianizing the state and the economy, already begun in the 1920s with the foundation of Bank Misr : what was especially revolutionnary about a decision to make the board of director and the capital of all commercial bank and insurance companies operating in Egypt 25 Egyptian ? » Cependant, la réaffirmation de l’autorité de l’Etat sur l’économie ne se réalisera qu’avec la 26 loi 250/1960 qui prévoit la création de la Banque Centrale d’Egypte (BCE). La guerre de 1956 met en avant les limites de la double fonction de la NBE dans un modèle économique dirigiste. Alors que Nasser demande au conseil suprême d’ouvrir de nouveaux crédits à la puissance publique, le conseil d’administration refuse leur déblocage : c’est ainsi que la 21 22 23 24 Waterbury, Op. Cit., p. 68 Abou-Haidar, Op. Cit., p. 24 Waterbury, Op. Cit., p. 68 Ibid. p. 69 25 Roussillon, Art. Cit. 1998, p.339 26 ème Les textes législatifs Egyptiens sont numérotés selon l’année et l’ordre de leur adoption. Par exemple, la loi 250/1960 est la 250 loi votée par le Parlement Egyptien pour l’année civile 1960. 16 Chamosset François - 2009 Partie 1 : La notion de système bancaire dans l’économie Egyptienne contemporaine NBE est nationalisée en février 1957, en même temps que la Banque Misr et les 37 filiales 27 du Groupe Misr . Place de l’institution bancaire dans le modèle économique Nassérien Mise à part quelques exceptions très localisées (comme la Caisse d’Épargne Rurale de Mit Ghamr que l’on étudiera plus tard en détail), l’ensemble du secteur financier Egyptien est détenu par l’Etat après Juillet 1961. Ce qui place de fait toute l’économie nationale dans une relation de clientèle vis-à-vis de la puissance publique, puisque tout besoin de financement est désormais forcément satisfait par une banque publique. Le libéralisme financier de « l’ancien Régime » est donc remplacé par un capitalisme d’Etat avec pour objectif une meilleure complémentarité entre les différentes institutions. Par le décret n° 1899 du 16 décembre 1961, le ministre de l’Industrie Ahmad Sidqi divise la Holding d’Organisation Economique en 39 « Organisations Générales » spécialisée dans divers secteurs de l’économie. Dans ce nouveau système, les 4 grandes banques commerciales qui dominent alors obtiennent chacune une spécialisation sectorielle : à la NBE le développement du commerce extérieur, à la Banque Misr le financement des activités agricoles, à la Banque d’Alexandrie celui de l’industrie et à la Banque du Caire celui du secteur des services. John Waterbury résume les grands débats qui préoccupaient les décideurs économiques de l’époque : « What Sidqi created was a series of sectoral pyramids with near-monopoly control on their productive sphere. Rationnal planning on the one hand combined with close auditing on the other were to insure production at a reasonable cost. Neither the market nor intersectoral competition was meaningful forces in the process. For years the debate centered on the proper mix of company authority, the concomitant definition of the proper role of General Organization, and the 28 relevance of the minister, if any, to sectoral performance. » Le projet de nationalisation totale du secteur bancaire a été assumé a posteriori dans la Charte Nationale, édictée par Nasser en Mai 1962, qui, en matière de politique économique, 29 préconise un maintien des banques dans la sphère publique . En 1963, les bénéfices engendrés par le secteur public étaient à l’origine de 45% de l’épargne nationale et 90% 30 de la formation brute de capital . Les limites du socialisme Arabe du point de vue financier C’est dans ses relations avec l’extérieur que le modèle financier Nassérien va trouver ses limites. Sur la période 1956-1964, l’économie nationale semble au beau fixe : le taux de croissance est aux alentours de 5,9% par an et la part du secteur industriel dans le PIB passe 31 de 13 à 24% . Pour autant, le pays se déclare une première fois en défaut de paiement en 27 28 29 30 Waterbury, Op. Cit., p. 72 Waterbury, Op. Cit., p. 72 Ikram Khalid, The Egyptian Economy, 1952-2000, Performance, policies and issues, Routledge, 2006 (p.7) Radwan Samir, Capital Formation in Egyptian Industry & Agriculture, 1882-1967 St Anthony’s Middle East monograph, Ithaca Press, Londres, 1974 (p.707) (cité in Waterbury 1983 op. cit. p. 85). 31 Hansen Brent et Nashashibi Karim, Foreign Trade Regimes and Economic Development: Egypt , Columbia university press, New York, 1975 (p.15) Chamosset François - 2009 17 Le rôle de l’institution bancaire dans l’Egypte contemporaine. Pour une illustration de la dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement 32 1962. John Waterbury indique trois causes directes à cette première crise : la chute brutale du cours du coton (responsable de la chute brutale des exportations totales de 121 millions de £E en 1961 à 75 millions de £E en 1962), le paiement des compensations aux anciens actionnaires du Canal de Suez, et les coûts de l’expédition militaire menée au Yemen en Septembre 1962. Cette première crise financière conduit à l’établissement d’un premier accord avec le Fond Monétaire International dès mai 1962 afin d’obtenir de nouveaux crédits. Mais le problème de la position internationale de l’Egypte n’est pas réglé pour autant sur le plan financier. En 1965, le pays est de nouveau à court de liquidités, et est obligé de signer un nouvel accord avec le FMI. Graphique 1: principaux soldes extérieurs de l’Egypte dans les années 1950-1960 Les différentes dévaluations qui suivent le défaut de paiement de 1962 n’ont aucun effet sur la balance commerciale du fait de la domination de l’économie par le secteur public, qui empêche les investissements en devise d’affluer. Dans ce contexte, la dépendance à l’égard des superpuissances s’accroît. En 1964, le Premier Ministre Ali Sabri obtient simultanément un rééchelonnement de la dette de l’Egypte envers l’Union Soviétique et une 33 aide alimentaire 500 millions de dollars de la part des Etats-Unis . Pour John Waterbury, cette situation n’est pas seulement le fruit d’une conjoncture internationale défavorable, mais aussi la preuve de difficultés structurelles dans l’élaboration de l’économie politique du nouveau régime : « After 1967, Egypt non longer had an economic plan or political organization with clear objectives – Egypt’s socialist experiment in terms of economy had not lasted more than five years, and that of the socialist vanguard, no more than 34 two » 32 Waterbury, Op. Cit., p. 95 33 34 18 Ibid.p. 95 Ibid. p. 332 Chamosset François - 2009 Partie 1 : La notion de système bancaire dans l’économie Egyptienne contemporaine 35 Alain Roussillon présente quant à lui deux hypothèses concurrentes pour expliquer ce constat d’échec. Une première explication de type interne consiste à faire porter le poids de l’échec de la révolution sur le caractère trop « idéologique » et insuffisamment « réaliste » de la politique économique de Nasser, en invoquant notamment la contradiction entre le projet de substitution aux importations par l’industrialisation, très gourmand en investissements publics, et celui de l’instauration d’un Etat providence visant à augmenter les niveaux de vie de la classe moyenne et ouvrière. C’est l’absence de choix entre ces deux stratégies qui aurait accru la dépendance du régime envers les sources externes de financement. La seconde explication – défendue par les Nassériens eux-mêmes, à l’instar de Mohammed 36 Hasasayn Haykal – repose sur l’idée que cette dégradation des soldes extérieurs résulte de l’hostilité affichée dont ont fait preuve « les impérialistes, sionistes et réactionnaires Arabes » à l’égard de l’Egypte. Quelque soit l’explication retenue, toujours est-il que la conscience de l’échec de la mise en place du socialisme Arabe sur le plan économique semble largement répandue. Et ce, même du temps de Nasser. L’allocution prononcée devant l’ensemble des dirigeants des entreprises publiques le 18 mars 1967 fait véritablement figure de désaveu. John 37 Waterbury le résume en 3 points : « 1) Management is a science and its rules do not change under capitalism or socialism. The only difference between the two economic systems stems from the ownership of the means of production and the control of profits 2) Wages must be linked to productivity. Socialism does not mean equal wages but equal opportunity to work 3) the Arab socialist Union is to involve itself in public sector operationsonly to the extent that it can contribute to implementation of plans and smooth relations between worker and management. In no way is the ASU to interfere in the production process itself » 2. Réformes et désillusions de Sadate à Moubarak (1977-2000) Ainsi, si l’on peut effectivement constater que, sous Nasser, l’Egypte a su se défaire de l’influence politique des puissances impérialiste, il faut reconnaître que le modèle de capitalisme d’Etat n’a pas permis à l’économie de prendre son indépendance vis-à-vis du système financier international. Au contraire, en voulant mettre le secteur public au centre du système économique, c’est l’Etat lui-même qui se retrouve principal débiteur des créanciers internationaux. Il va sans dire que ce sentiment généralisé d’échec sur le plan économique va grandement aider les successeurs de Gamal Abdel Nasser à mettre en place les réformes qu’ils souhaitent. D’autant que, si l’on en croit Clement M. Henry, il ne sera pas difficile de remettre le « dentifrice » économique, dans le « tube » de l’économie de marché : « Yet, if Egypt pluralistic legacy was thus almost refracted into its opposite by the victorious nationalists, the new monolith still contain manager whose previous experience would not be lost. » 35 36 38 Roussillon, Art. Cit. 1998, p. 353 Hasasayn Haykal, Mohammed, Le Sphinx et le commissaire, Paris, 1978 cité in Waterbury, Op. Cit. 37 38 Waterbury, Op. Cit., p. 99 Henry, Op. Cit., p. 221 Chamosset François - 2009 19 Le rôle de l’institution bancaire dans l’Egypte contemporaine. Pour une illustration de la dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement Dans un premier temps, les années de la présidence d’Anouar Al Sadate sont marquées par la volonté de rompre avec le capitalisme d’Etat, tout en ménageant les intérêts d’une bureaucratie devenue pléthorique et incontournable pour le maintien du régime. Pour autant, la dette extérieure restera encore un problème majeur sous la présidence de Mohammed Hosni Moubarak à partir de 1981. Une fois de plus, nous tenterons d’examiner l’histoire économique du pays du point de vue du secteur bancaire et financier, en analysant les implications de ce secteur d’activité dans la dynamique économique nationale. A. L’infitah ou le mythe de la libération des forces du marché Connu pour représenter l’aile conservatrice du mouvement des officiers libres de 1952, Anouar Al Sadate est parvenu à la présidence avec le soutien d’une bourgeoisie d’Etat, à la fois héritière du capitalisme d’Etat Nassérien et des consortiums industriels libéraux de l’ancien régime. « Sadate found his initial support in the “state bourgeoisie“. With a foot in high state office and assets in private society, this group was not only the most strategic social force, but also the one most prepared to accept his leadership ; 39 its support was crucial to Sadat’s consolidation of power » ème 40 En 1974, au lendemain de la 3 guerre Israëlo Arabe , Sadate est au sommet de sa popularité auprès de la population Egyptienne. La combinaison de cette nouvelle situation géopolitique et de ce regain de popularité va laisser au président les mains libres pour réformer l’héritage Nassérien de fond en comble. C’est l’heure de l’Infitah (ouverture économique) et de la libération des forces du Marché, décrite de la manière suivante par le Premier Ministre de l’époque Mahmoud Salem : « Notre objectif principal est de permettre l’investissement privé. Chaque condition est une contrainte et chaque contrainte est une 41 porte close, contraire à la politique d’ouverture » Pour le secteur financier, cela va se traduire par une relative libéralisation, mais aussi par l’apparition de deux grandes dépendances qui caractérisent encore l’économie politique Egyptienne : celle envers les quatre rentes (Tourisme, pétrole, transfert des revenus de l’émigration et le canal de Suez), ainsi que celle envers l’aide Américaine. Enfin, l’étude précise de la structure du secteur bancaire va nous pousser à relativiser l’impact de cette politique d’ouverture sur les logiques économiques dominantes. Le secteur bancaire et la Loi 43/1974 : la libération des forces du marché Bien que l’infitah ne débute officiellement qu’avec le manifeste d’octobre 1973 –définissant les lignes générales de la politique économique du régime – le secteur bancaire nationalisé 39 Hinnebusch Raymond, « The formation of the contemporary Egyptian State », in Oweiss, Ibrahim, The Political Economy of contemporary Egypt, Center for contemporary Arab studies, Georgetown University, Washington DC, 1991. (p. 2192) 40 Le 6 Octobre 1973, l’armée Egyptienne enfonce la ligne de fortification Bar Lev établie par Israël après la guerre de 1967. Au bout de quinze jours de déroute, l’armée de Tsahal, assistée de la technologie satellitaire Américaine, parvient enfin à contourner le front Egyptien et à établir une tête de pont sur le canal de Suez. Le général Ariel Sharon semble filer vers le Caire lorsque Moscou envoie un ultimatum à Washington, menaçant d’avoir recours à l’arme nucléaire en cas de chute du régime Egyptien. Aujourd’hui encore, la guerre d’Octobre 1973 est célébrée en Egypte comme une grande victoire. 41 20 Abou Haidar, op. cit. , p. 29 Chamosset François - 2009 Partie 1 : La notion de système bancaire dans l’économie Egyptienne contemporaine avait déjà fait l’objet d’une première réforme en 1971. En effet, le décret présidentiel 42 n°2422 annonce l’abandon de l’organisation du secteur bancaire selon une logique de spécialisation sectorielle pour l’adoption d’une spécialisation de type fonctionnelle. Concrètement, cela signifie que, alors que chacune des banques des banques d’Etat n’était autorisée à intervenir qu’à l’intérieur d’un secteur donné, le nouveau décret va attribuer à ces institutions une fonction bancaire précise auxquelles elles devront se tenir. Ainsi, par exemple, la banque Misr, qui opérait jusqu’alors dans les secteurs du textile et de l’assurance, se voit confiée la tâche de financer le commerce domestique dans son intégralité. Mis à part ce changement de conception – que l’on pourra qualifier de détail au regard des grandes transformations entreprises par la suite – il est raisonnable d’affirmer que le secteur bancaire est resté fondamentalement inchangé depuis la vague de nationalisation de 1961. La politique d’ouverture économique débute donc réellement avec la Loi 43 pour l’investissement arabe et étranger, votée au mois de juin 1974, qui vise à inciter l’entrée des investisseurs étrangers sur le marché national. Les banques créées sous le régime de la loi 43 sont autorisées à pratiquer des dépôts seulement en devise, sauf si une structure 43 publique entre à plus de 51% dans son capital. Elias Abou Haidar signale que ce nouveau régime a permis le retour en Egypte des grandes enseignes bancaires internationales (Barclays, Chase Manhattan Bank, American Express…), sans pour autant initier une quelconque dénationalisation des institutions financières déjà existantes. L’objectif était alors de concurrencer Beyrouth et de faire du Caire la place financière incontournable du monde Arabe. C’est alléchée par le gigantesque et quasiment inexploré marché intérieur que représentait l’Egypte de l’époque que les grandes banques d’affaire internationales se sont pressées aux portes de l’Autorité Générale d’Investissement pour les Zones de Libre Echange (GAFIZ) en charge d’accepter ou non les candidature à la loi 43. 44 Au final, John Waterbury recense au 30 septembre 1979 pas moins de 139 projets bancaires créés sous le régime de la loi 43, mobilisant 580 milliards de £E d’investissements (dont 344 en provenance d’investisseurs étrangers), et à l’origine de la création de seulement de 2800 emplois environ. Il faut noter que c’est le secteur bancaire qui attire le plus de projet de création de sociétés de lois 43, aussi bien en terme de nombres de projets, que d’investissement réalisé. Ainsi, à la même date, la centaines de projets visant le secteur du tourisme n’ont fait l’objet que de 397 milliards de £E d’investissement et les 42 projets regroupé sous l’appellation Logement, Santé et Transports n’avaient attirés que 159 milliards de £E. On constate ainsi que la banque est au cœur du projet politique et économique constitué par l’Infitah, il s’agit en quelque sorte de créer une dynamique bancaire suffisamment concurrentielle pour permettre aux investisseurs étrangers de pénétrer le marché Egyptien. Pour autant, le secteur bancaire public n’est pas mis à l’écart de l’Infitah. Au contraire, ce sont principalement ces institutions qui vont servir de partenaires locaux aux projets de création d’entreprises sous Loi 43. Celles que l’on appellera par la suite les « banques de l’Infitah » sont parrainés par des banques ou sociétés d’assurance publiques. Par ailleurs les banques publiques sont également impliquées dans le développement de nombreux projets de loi 43 dans des secteurs très diversifiés de l’économie. D’une manière plus générale, il apparaît qu’en 1982, sur les 44 banques créées sous le statut de la Loi 43, 25 avaient pour 42 Abou Haidar, Op. Cit. , p. 28 43 44 Ibid. p.31 Waterbury, Op. Cit., p. 147 Chamosset François - 2009 21 Le rôle de l’institution bancaire dans l’Egypte contemporaine. Pour une illustration de la dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement actionnaires majoritaires des institutions publiques Egyptiennes détenant au moins 51% de 45 leur capital. Ainsi, Mourad M. Wahba prend l’exemple de la National Bank of Egypt, qui , en Juin 1982, avait investi a elle seule près de 53,02 millions de £E dans 35 projets sous Loi 43. 11 de ces projets, représentant environ 46% de l’investissement global de la NBE, ont pour objet la création de structures bancaires et d’investissement. Les autres projets se répartissent entre différents secteurs tels que les services (7 projets), l’industrie (6 projets), ou le tourisme (4 projets). On assiste donc dans les années 1970 à l’instauration paradoxale de structures bancaires ayant pour objectif affiché la croissance de leurs profits, tout en étant parrainées par des entreprises financières publiques. L’activité bancaire durant la période de l’Infitah Il est légitime de se demander pourquoi les banques publiques Egyptiennes ne se sontelles pas senties menacées par cette première fissure dans le monopole d’Etat dont elles jouissaient avant la loi 43. En effet, à la fin de 1975, le régime de spécialisation fonctionnel de 1971 est complètement abandonné, les banques publiques se retrouvent en situation de concurrence directe entre elles. Parallèlement, l’année suivante, la Loi 97/1976 autorise les banques en joint-ventures à proposer à leurs clients Egyptiens des comptes en devise 46 librement transférable vers l’étranger . 47 Selon deux rapports de la Banque Centrale de 1977 et 1978 , les activités des joint-ventures du secteur bancaire n’ont que peu d’impact sur l’investissement local, mais participent en réalité à la captation de l’épargne Egyptienne en devise (constituée en grande partie du salaire des émigrés Egyptiens dans le golfe Arabo-Persique) placées via ces joint-ventures dans des investissements Offshore. Au final, sans faire véritablement de concurrence aux banques du secteur public (qui détient encore en 1979 81% des dépôts et octroyait 83% des crédits) sur le marché national, le principal effet négatif de l’arrivée des banques étrangères en Egypte a été de réorienter l’épargne en devise des Egyptiens vers d’autres placements étrangers beaucoup plus rentables. 48 Elias Abou Haidar dresse ainsi à propos de la « libéralisation » du secteur bancaire sous l’Infitah le constat d’un double échec : d’une part, l’entrée des banques étrangères dans le système n’a pas permis une réelle mise en concurrence des institutions publiques et privées. D’autre part, la possibilité faite aux banques étrangères d’ouvrir un compte en devise à entraîné une fuite d’une part non négligeable de l’épargne Egyptienne constituée en devise vers l’étranger. Nous avons donc vu que la politique de porte ouverte et de « libération des forces du marché » menée sous le régime de Sadate ne constituait pas une remise en cause formelle du poids du secteur public dans l’économie. Pour autant, on peut constater une certaine prise de distance de l’Etat vis-à-vis de la logique interventionniste vers 1979 lorsque le 49 Parlement impose au secteur public de se financer auprès du secteur bancaire traditionnel . La même année est créée la National Investment Bank (NIB) qui a pour but, non seulement 45 46 Waterbury, Op. Cit. p. 149 47 48 49 22 Wahba, Mourad Magdy, The role of the State in the Egyptian Economy, Ithaca Press, Reading, 1994, p.165 Ibid. p. 149 Op. Cit. p. 32 Waterbury, Op. Cit. p. 120 Chamosset François - 2009 Partie 1 : La notion de système bancaire dans l’économie Egyptienne contemporaine l’octroi de crédits aux entreprises d’Etat, mais aussi la planification économique, tâche qui relevait jusqu’alors du ministère de l’économie. La tendance au sortir de l’Infitah est donc d’une part à l’unification du secteur public sous la coupe d’une seule institution de nature bancaire, et d’autre part à la limitation de l’intervention gouvernementale directe dans l’organisation de l’économie. On assiste à la formation de ce que l’on pourrait appeler un capitalisme d’Etat intermédié. Les enjeux du financement de la dette extérieure D’un point de vue général, l’économie Egyptienne au cours des années 1970 est marquée 50 par l’émergence des quatre grandes activités qui constituent, encore aujourd’hui les sources principales de devises affluant dans le pays (Graphique 2). On peut constater que la caractéristique principale de ces activités est qu’elles répondent à des logiques que l’on pourrait qualifier de rentières : c’est à dire qu’elles ne donnent pas lieu véritablement à la création de richesses sur le territoire national ni au développement d’un avantage comparatif, mais plutôt à l’exploitation de ressources préexistantes, développées en général par des puissances étrangères. Graphique 2 : principales sources de devises perçues dans les années 1970 (hors aides étrangères) Par ailleurs, il faut noter deux autres ressources financières importantes qui se développent fortement au même moment. La première est l’aide internationale, et 51 notamment l’aide américaine . En 1973, le Congrès des Etats-Unis vote la mise en place d’une antenne de l’USAID (l’agence Américaine d’aide au développement) au Caire en charge de venir en aide au décile le plus pauvre de la population. L’année suivante le 50 Qui sont les exportations pétrolières, le tourisme, le Canal de Suez (rouvert en 1975) et les transferts de revenus étrangers. 51 Ibid. p. 399 Chamosset François - 2009 23 Le rôle de l’institution bancaire dans l’Egypte contemporaine. Pour une illustration de la dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement programme d’aide alimentaire PL480 (pour Public Law 480) est remis sur pied en place après avoir été abandonné en 1966. À partir de 1976, la coopération économique entre l’USAID va au-delà de l’humanitaire puisque cette année-là, l’agence américaine participe à hauteur de 95 millions de dollars dans le capital de la compagnie des ciments de Suez, créée sous le régime de la Loi 43/1974. Enfin, un programme d’aide et de coopération militaire a été enfin officiellement signé au lendemain des accords de camp David en 1978. Graphique 3 : Evolution de l’aide américaine à l’Egypte La dernière des sources de financement du déficit public qui mérite notre attention est la hausse de l’emprunt contracté auprès du secteur bancaire national. En effet, le graphique 4 montre à quel point le secteur public domine la demande de financement dans les années 70, pour autant, on signalera que les créances détenues auprès du secteur privé augmentent plus rapidement dans la fin de la décennie que celle détenues par le secteur public. 24 Chamosset François - 2009 Partie 1 : La notion de système bancaire dans l’économie Egyptienne contemporaine Graphique 4 : la demande de financement en provenance du marché intérieur Au regard de la structure du financement de la dette extérieure Egyptienne, on peut extraire les véritable enjeux de la mise en place de l’Infitah dans le secteur bancaire. En effet, il apparaît que sur l’ensemble des sources de financement évoquées, la seule qui puisse échapper au contrôle direct de l’Etat est le transfert des revenus de l’émigration. En permettant aux banques étrangères de proposer des comptes en devise à leurs clients, tout en imposant une participation publique de 51% à celles qui voulaient intervenir en Livre Egyptienne (£E), le gouvernement à tenté de drainer vers le secteur public les salaires en devises, ou tout du moins de les empêcher d’être investies dans le secteur privé sans un contrôle préalable de l’Etat. Les économies des émigrés passaient donc soit par un jointventure détenu par à 51% par une banque publique, soit étaient réinvesties en dollar. L’épisode des banques de l’Infitah pose ainsi les enjeux contemporains du contrôle par l’Etat Egyptien du secteur bancaire national : il s’agit de créer une source de financement interne à partir de l’épargne nationale, pour atténuer la dépendance de l’Etat envers l’étranger, tout en échappant à un recours à l’instrument fiscal. Dès lors, si l’Etat perd le contrôle du secteur bancaire public, il se retrouve soit sous la pression de créanciers privés ou étrangers – ce qui impliquera de faire des concessions à des gouvernements étrangers ou à une bourgeoisie économique qui concurrencerait alors dangereusement la bourgeoisie d’Etat – soit dans l’obligation d’augmenter les impôts ce qui imposera forcément au régime des concessions en direction d’une libéralisation politique. Enfin, il faut citer Clement Henry qui décrit avec cynisme les conséquences de la libéralisation du secteur bancaire sur le système économique Egyptien : « The sharks at the cutting edge, so to speak, of Sadat’s attack against Nasser’s old order were Egypt’s joint venture and Investment banks, the principal beneficiaries of Infitah. They escaped the net of Central Bank regulations and infested Egypt’s sovereign of murky waters of economic policy making. Collectively, they sabotaged government policy in areas of vital national interest, 52 such as foreign exchange and domestic credit allocation » 52 Clement-Henry, Op. Cit. p. 222 Chamosset François - 2009 25 Le rôle de l’institution bancaire dans l’Egypte contemporaine. Pour une illustration de la dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement Cette position nous montre que les gains espérés de l’infitah par la présidence sont davantage à mesurer en termes de légitimité politique qu’en termes d’efficience économique. On constate ainsi que l’espace de décision en matière de politique économique est envahi par un système d’échange de rente économique contre rente politique : le président Sadate, dont le charisme ne peut égaler celui de son illustre prédécesseur, se doit de s’entourer d’une nouvelle bourgeoisie d’Etat qui lui soit inféodée. Loin de « libérer les forces du marché », l’Infitah n’est en réalité qu’un nouvel outil de réorganisation du système de clientèle autour de l’Etat central. B. L’Egypte entre ajustement structurel et mondialisation Après 30 ans de réformes contradictoires, les premiers mandats du président Moubarak se caractérisent par une relative stabilité sur le plan de la politique intérieure. Au lieu de vouloir imposer à son tour un nouveau modèle au secteur économique, Hosni Moubarak va davantage chercher à concilier l’héritage de Nasser et de Sadate en poursuivant de manière extensive la dynamique de libéralisation des marchés, tout en préservant le secteur public : « The major domestic legacy inherited by Mubarak was the hybrid resulting from the openning of Nasser’s state dominated economy to the international capitalist market. » 53 Deux événements cependant vont troubler cette période de calme à la fin des années 1980, tout d’abord le retour de la pression de la dette extérieure en à partir de 1988, puis le début du démantèlement du secteur public entre 1987 et 1991. Nous conclurons cette première partie historique par une synthèse sur la situation du secteur bancaire à la fin des années 1980. La pression de la dette à la fin des années 1980 54 Sur la décennie 1973-1984, l’Egypte a connu une croissance annuelle moyenne de 8,5% , associé à un taux d’investissement aux alentours de 25% du PIB. Dans ces conditions, les crédits internationaux étaient encore facile à obtenir. En 1986, la chute brutale des cours du pétrole a entraîné une baisse non négligeable des revenus du pays, faisant encore plonger le déficit courant. Si bien qu’au début de l’année 1988, la dette totale de l’Egypte vis-à-vis du reste du monde s’élevait alors à 115% du PIB pour un déficit courant de 1 milliard de 55 dollars. 56 Amin Galal évoque alors deux explications opposées sur les raisons qui ont conduit cette situation de déséquilibre. Il y a une première école de pensée qui rend la politique économique menée jusqu’alors entièrement responsable du déficit courant des années 1980. Pour ces tenant du libéralisme économique, la dette Egyptienne est principalement due à une politique de change qui surévalue la monnaie, à des systèmes de subventions généralisés et surdéveloppés et à une politique de l’emploi désastreuse. Cette situation ne peut être remédiée que par une ouverture accrue de l’économie Egyptienne à la concurrence internationale, et à la construction d’avantages comparatifs dans sa politique industrielle. 53 54 Hinnebusch Op. Cit., 1991. p. 204 Rapport annuel de la banque Mondiale 1986, cité par Galal Amin, « Adjustmentt and development : the case of Egypt », in El Naggar, Saïd, Adjustment policies and development strategies in the Arab World, FMI, Washington, 1987, pp. 92-117 55 Niblock, Timothy, « The Egyptian experience in regional perspective : international factors and economic liberalisation in the arab world », in Blin Louis (dir.), L’économie Egyptienne, libéralisation et insertion dans le marché mondial, L’Harmattan, Paris, 1993 56 26 Galal A. Amin, op. Cit. 1987 p. 95 Chamosset François - 2009 Partie 1 : La notion de système bancaire dans l’économie Egyptienne contemporaine La seconde école de pensée présente une vision radicalement opposée du problème. Cette conception plus protectionniste affirme que c’est justement l’intégration du pays à l’économie monde qui détruit son activité interne et ne lui permet pas d’accéder à une réelle indépendance vis-à-vis des pays du Nord. Il faudrait donc poursuivre une politique de substitution aux importations par l’industrialisation en augmentant le niveau d’investissement public. Il faut replacer ce débat dans un contexte de guerre froide et souligner les caractéristiques évidemment hautement idéologiques et caricaturales des positions décrites. Si l’on essaie d’approcher le problème de la dette extérieure de manière pragmatique, on constate que lorsque le taux de croissance de l’Egypte et les prix du pétrole étaient élevés, les crédits étaient facile à obtenir et à faible coût. Tandis que lorsque le cours du pétrole s’effondre brutalement en 1986, les investisseurs se sont détournés d’une économie qui n’avait su en réalité que développer des dépendances rentières à l’égard de la dette extérieure. Brièvement à court de liquidité, l’Egypte se retrouve de nouveau sous la coupe de ses créanciers, regroupés dans le club de Paris. Le pays fait désormais l’objet comme de nombreuses économies du Sud d’une politique d’ajustement structurel menée sous la pression du Fond Monétaire International (FMI). Après un premier moratoire, en 1987, le Club de Paris n’acceptera un rééchelonnement de la dette Egyptienne qu’après 1991, lorsque l’Egypte se sera ralliée à la coalition internationale contre l’Irak lors de la deuxième guerre du golfe. L’essoufflement d’un modèle bancaire centralisé 57 À partir d’un article de Salwa El Antary , nous pouvons retirer trois grandes caractéristiques du secteur bancaire Egyptien à la fin des années 1980 On constate tout d’abord une domination du secteur par les structures publiques. 58 Clement Henry relève ainsi que les 4 grandes banques commerciales concentrent en 1989, 64,5% des dépôts et 56,9% des crédits. De plus Salwa Al Antary souligne l’Etat Egyptien a participé à la création de 42 banques de loi 43 à hauteur de 39% du capital total. Par ailleurs il apparaît que, malgré l’apparition de nombreuses banques étrangères sur le marché, une large part (76%) des capitaux financiers qui sont investis en Egypte sont détenus par des Egyptiens. Enfin, il apparaît que les banques privées et publiques on tendance à intervenir sur les même secteurs de l’activités bancaire, avec pour objectif commun d’assurer les profits les plus rapides et les plus conséquents possibles : « Le capital public et privé se retrouve dans une même politique qui consiste à réaliser les profits les plus importants et les plus rapides possible indépendamment de la prise en considération des conséquences de leurs options pour l’économie nationale dans son ensemble. Ainsi,, alors que l’économie Egyptienne souffre d’un gonflement ininterrompu de l’endettement extérieur et d’un déficit chronique de la balance des opérations courantes, l’ensemble des banques opérant en Egypte, il est vrai à des degrés divers, 59 placent leurs avoirs en devise auprès de banques étrangères » 57 El Antary, Salwa, « Les transformations du système bancaire Egyptien », in Tiers Monde, volume 31, n°121, 1990 pp. 165-183 58 59 Clement Henry, Op. Cit, 1996 El Antary, Salwa, Op. Cit., 1990, p. 179 Chamosset François - 2009 27 Le rôle de l’institution bancaire dans l’Egypte contemporaine. Pour une illustration de la dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement La deuxième caractéristique du système financier de la fin des années 1980 est l’essor d’activités bancaires dites islamiques, et, dans leur sillage, d’un marché financier informel. Mais nous reviendrons plus en détail sur ce phénomène dans la seconde partie de notre travail. Enfin, Salwa Al Antary met l’accent sur l’inaction de la banque centrale dans l’exercice de ses prérogatives : la Banque Centrale d’Egypte (BCE) semble, en 1991, incapable de mener une politique monétaire, elle est remise en cause par des institutions financières parallèles et ene parvient pas à s’imposer à l’ensemble du secteur comme l’autorité de référence en matière de régulation bancaire. 1991, année de la « seconde Infitah » En 1991, l’Egypte parvient enfin à conclure un accord avec le Fond Monétaire International (FMI) et la Banque Mondiale au sujet du rééchelonnement de sa dette. On le sait, ce genre d’accord est très fréquent à cette période de l’Histoire dans les économies en développement et ne constitue en rien un geste de pure humanité de la part des pays développé ou du FMI. Comme beaucoup d’autre économies en développement, l’Egypte est alors contrainte de mettre en place une politique d’ajustement structurel visant à assurer le service de sa dette par tous les moyens. D’un point de vue financier, cette réforme comporte 60 trois volets principaux, relevé par Salwa Al Antary dans un article de 1995 . Il s’agit tout d’abord de mettre en place une politique déflationniste sur le plan monétaire. Cet aspect est à l’époque favorisée par un afflux massif de réserves officielles étrangères engrangée suite au soutien de l’Egypte à l’intervention américaine en Irak, à l’aide internationale collectée au lendemain du séisme au Caire d’Octobre 1992, et au rééchelonnement effectif de la dette en 1991. L’objectif premier est alors de maintenir la Livre Egyptienne au plus bas et de relever les taux directeurs de la BCE afin de placer le pays en situation d’acheteur de devises et de reconstituer les réserves de change officielles. 60 Al Antary Salwa, « Le système bancaire Egyptien et la politique d’ajustement structurel », in Egypte Monde Arabe, n°21, Le Caire 1995, pp. 156-16 Salwa al-Antary, « Le système bancaire égyptien et la politique d'ajustement structurel », Égypte/Monde arabe, Première série, 21 | 1995, [En ligne], mis en ligne le 08 juillet 2008. URL : http://ema.revues.org/index397.html. Consulté le 16 juin 2009. 28 Chamosset François - 2009 Partie 1 : La notion de système bancaire dans l’économie Egyptienne contemporaine Graphique 5 : évolution des actifs de la BCE en devise et service de la dette Le second volet de la réforme, contenu dans la loi 203/1991, se situe dans la réorientation de l’octroi du crédit du secteur public vers le secteur privé de l’économie. En effet, cette nouvelle réglementation supprime l’obligation de l’Etat de garantir les dettes des entreprises publiques et de les renflouer de manière systématique dès que le besoin s’en fait sentir. On relève ainsi que de 68% en 1980, la part du crédit total octroyé au secteur public 61 est tombée à un plancher se situant aux alentours de 24% en 1993 . Cette réorientation n’est pas sans conséquence sur la pérennité du secteur public à long terme : « C'est ainsi que la loi 203, la nouvelle politique monétaire et la gestion du système bancaire ont contribué à aggraver la crise financière du secteur étatique, 62 ne laissant d'autre issue que la privatisation. » 61 62 Ibid. Ibid. Chamosset François - 2009 29 Le rôle de l’institution bancaire dans l’Egypte contemporaine. Pour une illustration de la dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement La politique de réorientation du crédit va donc entraîner une première vague de privatisations dans lesquelles les banques publiques joueront un rôle central d’évaluation de la valeur des entreprises privatisées, et de garantie de la souscription aux actions émises. Cette réforme prévoyait déjà la mise en conformité de la réglementation bancaire avec les normes internationales de gestion du risque et la cession progressive des parts des banques publiques dans le capital des banques mixtes, et ce, en prévision d’une privatisation du secteur bancaire sur le long terme. Cette mise en perspective historique nous permet de souligner les principales interrogations qui pèsent sur le rôle de la banque dans le système économique Egyptien. Le secteur financier légal, après s’être imposé comme une Institution d’Etat sous le régime de Nasser, a subi une libéralisation de façade sous Anouar Al Sadate, tout en continuant à être largement dominé par l’Etat. Ce contrôle absolu s’est ensuite fissuré avec l’arrivée de structures financières non bancaires, comme les Sociétés Islamiques de Placement de Fonds ou les trafiquants de devises, sur lesquelles l’Etat a de plus en plus de mal à assumer son autorité. C’est dans ce contexte qu’est apparu le débat sur la réforme du secteur bancaire. Il s’agissait non seulement de satisfaire aux demandes répétées du FMI en faveur d’une libéralisation tous azimuts de l’économie, mais aussi de trouver un moyen pour permettre l’émergence d’un secteur privé dynamique qui resterait sous le contrôle de la bourgeoisie d’Etat. II. La réforme du secteur bancaire : un débat perpétuel On l’a vu, les politiques d’ajustement structurels menées au début des années 1990 pointent la question de la privatisation du secteur bancaire sur le long terme. Il nous faut tout d’abord rappeler à toute fin utile que la privatisation ne signifie pas pour autant l’instauration d’un marché concurrentiel, ni même un désengagement de l’Etat du secteur concerné. Mais plutôt le simple passage d’une entreprise d’un statut juridique de droit public à un autre de droit privé. Aussi, on peut dire que les vagues de privatisations menées depuis 1990 relèvent à la base d’une contradiction dans l’attitude du gouvernement vis-à-vis du FMI. Les créanciers de l’Egypte, animés par les fondements idéologiques du consensus de Washington, voyaient dans la privatisation un moyen de libérer les énergies du marché et de créer un pluralisme économique, qui poserait sur le long terme les bases d’un pluralisme politique. Or, comme on l’a vu dans l’étude des dynamiques de l’Infitah, la création d’institutions de droit privé n’a jamais été pour l’Etat qu’un moyen de s’assurer le soutien d’une bourgeoisie d’Etat par ce système d’échange de rente économiques contre rente politique. Pour comprendre exactement la nature de cette contradiction, il faut dans un premier temps mettre en lumière le poids exact de l’Etat sur le secteur bancaire avant la réforme de 2004, puis tenter d’établir un premier bilan de cette réforme en se demandant si elle a abouti à un réel désengagement de l’Etat du marché bancaire. 1. Banque et Etat à la fin des années 1990 Nous nous appuierons principalement dans cette première partie sur l’ouvrage de Elias Abou-Haidar intitulé Libéralisme et capitalisme d’Etat en Egypte, qui constitue l’étude la plus complète et la plus récente à notre disposition sur le secteur bancaire. Ce livre a été publié 30 Chamosset François - 2009 Partie 1 : La notion de système bancaire dans l’économie Egyptienne contemporaine en 2000 et conclu à un bilan négatif des réformes inspirées par l’ajustement structurel de 1991. En effet, il apparaît que malgré les efforts réalisés en apparence, le secteur public domine encore largement le marché bancaire Egyptien. Nous serons amenés dans un premier temps à relativiser la dynamique de désengagement du secteur public, avant de discuter des enjeux d’une réforme de fond du système bancaire. Le premier constat à formuler lorsque l’on parle du secteur bancaire Egyptien de la fin des années 1990, c’est celui de son caractère extrêmement figé. En effet, il apparaît qu’entre 1984 et 2004, aucun agrément n’a été accordée par l’Etat pour l’implantation d’une nouvelle banque. Au contraire, la réforme de 1991 est l’occasion d’organiser une certaine 63 concentration des institutions, ce qui semble, à première vue, éloigné de l’idée que l’on se fait de la libéralisation et du pluralisme économique. Graphique 6 : étendue du marché bancaire Egyptien En théorie, une seule explication pourrait prévaloir face au constat du caractère figé de ce marché : la saturation. Cependant, on a vu que la fin des années 1980 avait été marquée par l’apparition de structures financières informelles, concurrençant les institutions financières classiques. Dès lors seule une volonté politique de geler le marché bancaire autour des institutions existantes peut être à l’origine d’une telle constance de la structure du marché bancaire. Nous tenterons dans cette première partie de déterminer d’une part le poids réel de l’Etat sur le secteur bancaire, puis de poser la question des véritables enjeux politiques d’une privatisation. A. Les limites d’une dichotomie secteur public/secteur privé 63 À noter que cette opération concentration concerne exclusivement le secteur privé puisqu’elle consiste en la fusion de 13 institutions de loi 43/1974 dans la Banque Nationale de Développement en 1992. Chamosset François - 2009 31 Le rôle de l’institution bancaire dans l’Egypte contemporaine. Pour une illustration de la dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement La BCE propose la typologie suivante du marché bancaire Egyptien à la veille de la 64 réforme de 2004 . On recense tout d’abord trois grands secteurs d’activité financière sous la tutelle de la BCE : les activités commerciales, adressées au grand public, les banques d’investissements, dont l’objectif principal est de drainer des Investissement Direct à l’Etranger en direction de l’Egypte, et des Banques spécialisées. Le secteur commercial est largement dominé par les quatre grandes banques d’Etat : la Banque du Caire, la Banque Misr, la Banque d’Alexandrie et la National Bank of Egypt 65 (NBE). En 1997, ces quatre banques concentraient encore 62,2% des dépôts . Le secteur commercial privé étant composé en 2003 de 24 banques de loi 43/1974. La domination du secteur privé est une fois de plus écrasante lorsque l’on considère les réseaux commerciaux des deux catégories d’institution. Ainsi en 2003, les comptes de la BCE nous montrent que les quatre grandes banques publiques comptaient quelques 917 agences au travers du pays, alors que les 24 banques commerciales privées réunie n’en avaient que 383. Cette question de l’accès des particuliers aux agences locales est cruciales dans la mesure de l’ouverture du marché à la concurrence : comment en effet considérer le marché comme libéralisé si la rue Egyptienne est encore dominée par quatre grandes enseignes commerciales publiques. Le secteur des banques d’investissement est quant à lui réparti entre 11 Joint-ventures et banques privés, et les agences de représentation de 22 banques offshore. Nous reviendront en détail sur le rôle précis de ces institutions, mais retenons pour l’instant que leurs principale fonction consiste à collecter l’épargne en devise et à drainer les investissements étrangers vers les différents secteurs de l’économie réelle. Les banques spécialisées enfin sont au nombre de quatre et oeuvrent dans trois domaines d’activité précis : l’industrie (Egyptian Industrial Developement Bank), l’agriculture (Principal Bank for Agricultural development) et l’immobilier (Arab Land Bank et Crédit foncier Egyptien). Cette typologie des institutions bancaires en fonction de leur statut juridique n’est cependant pas satisfaisante. Tout d’abord elle répond à une définition trop restreinte des 66 institutions bancaires, qui met de côté un « géant méconnu » : La National Investment Bank (NIB) dont la prise en compte transfigure totalement la structure du marché décrite précédemment. De plus la prise en compte des relations de clientèles et des flux financiers à l’intérieur du secteur bancaire nous amène à dépasser la simple dichotomie secteur public – Secteur privé, pour présenter la typologie bancaire selon un système de cercles concentriques organisés autour de l’Etat. Le rôle de la NIB Comme on l’a vu, la création de la NIB a été créée par la loi 119/1980 à un moment ou le système semblait atteindre une relative maturité, avec pour objectif bien précis de financer exclusivement le gouvernement central et le secteur public de l’économie. La première particularité de cette institution est juridique : elle échappe à une grande partie des réglementations imposée par la BCE au secteur bancaire traditionnel. Son conseil d’administration est libre de fixer le montant des crédits globaux octroyés sans obligation de réserves en fonds propres. 64 Kamar, Bassem, Politique de change et globalisation. Le cas de l’Egypte, L’Harmattan, Paris, 2003, p. 193 65 66 32 Ibid. p. 194 L’expression est de Elias Abou Haidar Chamosset François - 2009 Partie 1 : La notion de système bancaire dans l’économie Egyptienne contemporaine Par ailleurs, l’examen de son statut nous permet de relever deux fonctions essentielles de la NIB : il s’agit d’une part d’une autorité de planification, puisqu’elle est en charge du financement des projets de développement économique, du suivi de l’application du plan de développement, et de la définition exact des programmes annuels de financement. Mais la NIB doit aussi gérer la collecte des fonds nécessaires à ces activités d’une part par la centralisation des fonds étrangers et de l’aide au développement, et d’autre part par l’émission d’obligations en Livre ou en devise. Du point de vue de son passif, on ne saurait donc considérer cette institution comme une banque à proprement parler, puisque ses ressources sont employées uniquement au financement des structures publiques. Graphique 7 : actifs de la NIB Pour autant, la NIB ne doit pas être mis à part du système financier national, dans la mesure ou elle se trouve en concurrence directe avec les autres institutions « traditionnelle » pour le contrôle de ses ressources. Chamosset François - 2009 33 Le rôle de l’institution bancaire dans l’Egypte contemporaine. Pour une illustration de la dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement Graphique 8 : structure des ressources de la NIB en 2003 En effet, on constate ainsi que la NIB propose des produits d’épargne à destination aussi bien des ménages Egyptiens (via les Fonds Publics d’Epargne (FPE) des salariés qui constituaient plus de 69% des ressources totales de la NIB), que des investisseurs institutionnels (soit par les certificats d’investissement, soit par l’émission d’obligations en dollars. 67 Elias Abou Haidar relève deux problèmes principaux posés par cette répartition des ressources. Premièrement, le financement à près de 69% par des Fonds Publics d’Epargne ne paraît ni pérenne ni souhaitable : il n’est pas pérenne dans la mesure ou le FMI fait pression pour libéraliser le marché de l’épargne salariale et mettre fin au monopole public sur ces fonds, il n’est pas souhaitable car ces fonds émanant de l’épargne des ménages devraient plutôt servir, quitte à se diriger vers la sphère publique, davantage au financement des politique sociales qu’économiques. Ensuite, il faut savoir que les principaux acheteurs des certificats d’investissements sont les banques publiques, et notamment la National Bank of Egypt. Le poids croissant que devrait prendre l’émission de ces produits d’épargne sur le marché bancaire risque de rendre le gouvernement de plus en plus dépendant de son système bancaire. De ce point de vue, le rapport de clientèle entre Etat et banque publique est inversé : à tel point qu’on ne saurait dire au final qui dépend de qui. Pour résumer, Elias Abou Haidar montre que la prise en compte de la NIB dans l’étude globale du secteur bancaire renforce de beaucoup le poids de l’Etat dans le rapport de force entre secteur bancaire public et privé. Nous avons pu établir une première typologie du système dans son ensemble en prenant comme critères le statut juridique des institutions et leur bilan comptable. 67 34 Op. Cit. p. 77 Chamosset François - 2009 Partie 1 : La notion de système bancaire dans l’économie Egyptienne contemporaine Schéma 1 : typologie du secteur bancaire Egyptien par statut juridique Une autre mesure de la domination du public : la théorie des six cercles concentriques Cependant, une analyse du secteur bancaire en terme de flux montre les limites de la simple dichotomie public/privé. En effet, l’analyse du « reliquat hors secteur public » nous indique qu’en réalité la part des fonds privés dans les banques du secteur dit privé sont infimes et quasiment tous issus de fonds étrangers. Pour illustrer cette thèse, Elias Abou Haidar 68 prend l’exemple de l’intervention bancaire sur les marchés financiers Egyptiens . En 2000, le marché des investisseurs institutionnels en Egypte est dominé par trois grands acteurs qui représentent 86% de l’activité sur les marchés financiers : il y a le Fond Hermes EFG, alimenté par la banque D’Alexandrie et des investisseurs offshore, La Banque Misr qui possède à 100% trois fonds d’investissement et 35% du fond d’Investissement Concord, et la NBE qui possède également 3 autres fonds à 100% et 50% du Fond d’Investissement Concord. Ces éléments nous amènent à l’idée que l’Etat est un acteur omniprésent du système bancaire. Dès lors, Elias Abou-Haidar propose de repenser son organisation, non plus en terme de dichotomie public/privé, mais en terme de degré d’indépendance des institutions vis-à-vis de l’Etat. « [Ainsi], nous […] parviendrons non plus à une représentation linéaire et nette du système, mais à une architecture en étoile ou la tête de la « pieuvre » est pour l’instant constituée par le premier cercle : la NBE et la banque Misr. Ce n’est qu’à ce prix que nous pourrons dépasser la naïveté des représentations officielles 69 binaires du fonctionnement du système bancaire Egyptien » C’est ainsi qu’on préférera présenter le secteur bancaire Egyptien de la fin des années 1990 comme un système composé de six cercles concentriques sur lequel on classera les institutions en fonction de leur degré d’indépendance vis-à-vis de l’Etat. Les trois premiers cercles sont constitués d’institutions ayant la double caractéristique d’être totalement publique tout en étant des actifs sur les marchés financiers. Le premier cercle est composé de la NBE et de la banque Misr, deux banques commerciales publiques qui possèdent leur propre fond d’investissements. Le deuxième cercle est constitué par les banques d’Alexandrie et du Caire, elles aussi commerciales et publiques, mais n’intervenant qu’indirectement sur les marché financiers. Le troisième cercle est enfin composé des trois 68 69 Ibid. p. 105 Ibid. p. 114 Chamosset François - 2009 35 Le rôle de l’institution bancaire dans l’Egypte contemporaine. Pour une illustration de la dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement grandes compagnies d’assurances publiques (Misr Assurance, Assurances Al Charq, et Egypt Re-Insurance). Le quatrième cercle est composé de banques publiques qui n’ont pas accès aux marchés des capitaux. Le cinquième cercle comprend 12 institutions privées sous influence du public (il faut savoir que la minorité de blocage pour le gouvernement sur un joint-venture est situé à 25% du capital social : tant qu’une société joint-venture n’est pas détenue à plus de 76% par des capitaux privé, elle est considérée comme étant sous l’influence de l’Etat). Enfin, le sixième et dernier cercle est constitué des institutions qui se rapprochent le plus de ce que nous pourrions appeler le secteur privé. Pour résumer le point de vue de Elias Abou Haidar sur le système bancaire Egyptien d’avant la réforme de 2004, on peut retenir trois facteurs qui permettent de distinguer les institutions financières dans le paradigme des six cercles concentriques : le degré d’indépendance de l’institution vis à vis du politique, son niveau de réactivité aux mécanismes du marché et son niveau d’intégration au circuit financier de l’Etat. B. Les enjeux de la réforme à venir Cette nouvelle lecture de la réalité du système bancaire Egyptien nous permet de mieux percevoir les enjeux de la privatisation annoncée et d’une possible libéralisation des marchés des produits d’épargne et de crédit. Pour qu’une privatisation bancaire soit effective en Egypte, il faudrait donc que deux conditions soient réunies : cela signifierait tout d’abord un désengagement des intérêts de l’Etat de l’ensemble du secteur – notamment autour de la question du financement de sa dette – et ce ne serait que dans un deuxième temps qu’il faudrait réfléchir à une possible réhabilitation des mécanismes de marché. Nous tenterons dans cette seconde sous partie de mettre en lumière les mécanismes qui sous-tendent le circuit financier de l’Etat, avant de poser la question du degré de concurrence qui caractérise les rapports interbancaires en Egypte. Sortir l’Etat de son rôle de client du système bancaire En 1998, le déficit de l’Etat Egyptien est de 21% de son budget total, soit 2,8 milliards 70 de dollars (1% du PIB de 1998). 7 ans à peine après le début de la période d’ajustement structurel, l’objectif pour le gouvernement reste encore de limiter au maximum le financement externe du déficit public. Il s’agit donc de privilégier un financement interne de la dette publique, et ce, de deux manière : en émettant d’une part des obligations à destination du secteur bancaire, et en s’appuyant d’autre part sur les épargnes des ménages (via le transfert des dépôts en banque, l’émission de certificats d’investissement, ou la captation d’une partie des flux d’épargne nouvelle) 70 36 Ibid. p. 131 Chamosset François - 2009 Partie 1 : La notion de système bancaire dans l’économie Egyptienne contemporaine Graphique 9 : Financement de la dette publique Egyptienne Les dynamiques de financement de la dette publique sont donc les suivantes : depuis le début des années 1990, l’Etat s’est totalement détourné de l’épargne collectée par le secteur bancaire commercial pour se tourner vers une institution spécialisée dans le financement de la dette publique (la NIB). En réalité, on s’aperçoit que la NIB constitue un intermédiaire privilégié pour financer l’Etat et le secteur public par l’épargne bancaire. L’avantage de cette stratégie de financement interne et intermédié de la dette publique est qu’elle permet de se conformer à toutes les exigences du FMI : elle donne l’illusion d’un désengagement progressif de l’Etat du secteur bancaire et elle permet de réduire la dépendance de l’Etat vis-à-vis des financements extérieurs et tout en autorisant maintien du niveau des dépenses publiques. L’enjeu de la privatisation du secteur bancaire est donc de parvenir à concevoir l’Etat non plus en tant que concurrent déloyal des autres investisseurs du secteur privé, mais bien en tant qu’arbitre dans une situation de marché libéralisé. Quelle place pour le secteur privé ? Après avoir analysé les rapports qu’entretient l’Etat Egyptien avec le système bancaire, nous allons maintenant tenter d’analyser le degré de réactivités des institutions bancaires aux mécanismes de marché. A partir de ce bilan (Tableau 1), Elias Abou Haidar déduit deux distorsions de concurrence majeures. Tout d’abord la domination du passif des banques par la collecte de dépôts à court terme, de même que celle de l’actifs par les crédits de court terme fait de l’accès aux ménage un déterminant de la compétitivité des institutions. Ce qui limite de fait les banques du secteur privé, désavantagées comme on l’a vu par l’étroitesse de leur réseau d’agence. De plus, la faible hétérogénéité des sources de financement limite les possibilité de stratégies offensives sur le marché et maintient les banques dans une situation attentiste vis-à-vis de leur clientèle. Chamosset François - 2009 37 Le rôle de l’institution bancaire dans l’Egypte contemporaine. Pour une illustration de la dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement Tableau 1 : Bilan global du secteur bancaire en 2000 (en %) Actif Prêt et avances moins d'un an Plus d'un an Créances interbancaires Banque en Egypte Créances étrangère en £E Créances en devise Avoirs BCE Bons du trésor Actif financiers et titres Titres garantis par l'Etat Autre titre à taux fixes Actions 50,4 10,2 9,1 10,8 10 37,6 12,8 4,1 0 6,1 4,7 0,6 3,2 Fonds d'investissement Autres actifs 9,4 1,5 Total 100 100 71 Passif Dépôts Compte courant depot à terme moins d'un an DAT plus d'un an Autres DAT Dépots en devise Autres dépots Dette interbancaire Dette interbancaire Egypte Dette interbancaire en £E Dette interbancaire en devise dettes envers la BCE Emprunt à Long terme et émission d'obligations Capital propre Réserves Provisions Autres passifs 66,1 6 3,6 1,9 2,9 2,1 7,1 10,1 100 5,4 21,2 4,2 8,2 15,2 11,9 2,9 0,2 2,9 100 72 À partir de l’analyse de ce bilan, Elias Abou Haidar détermine trois grands types de risques systémiques qui pèsent sur le système financier Egyptien : les risques 73 74 75 d’insolvabilité , d’illiquidité et de transformation . Le risque d’insolvabilité est mesuré par l’étude du ratio de solvabilité, c’est à dire du rapport entre les fonds propres détenus physiquement par les banques et leurs engagements auprès de leurs créditeurs. Le risque pris est pondéré en fonction des créditeurs auprès desquels la banque s’est engagée : les dépôts des particuliers doivent être garantis à 100% par les fonds propres, les prêts accordés par les autres banques à 50% et les prêt de la banque centrale à 20%. Les accords de Bâle II estiment qu’un système financier encours de graves risques d’insolvabilité si le ratio tombe en dessous de 8,2%. Or il se trouve que le ratio de solvabilité du secteur bancaire Egyptien à la fin de 1998 se trouve à 8,8% si l’on exclu la valeur des garanties provisionnées sur les crédits accordés 71 72 73 Ibid. p. 145 Ibid. p. 179 et suivantes. L’insolvabilité se produit lorsqu’un agent se déclare incapable de rembourser ses dettes à ses créanciers : on parle d’insolvabilité systémique lorsque le défaut de paiement d’un agent place son créancier lui-même en situation d’insolvabilité, entraînant une faillite en chaîne des agents. 74 Le risque d’illiquidité se produit lorsque les agents perdent totalement confiance les uns envers les autres : les titres de créances ne s’échangent plus entre les acteurs, chacun s’attendant à la faillite imminente de l’autre. 75 La transformation consiste à emprunter à court terme pour prêter à long terme : le risque de transformation intervient lorsque l’emprunteur à long terme rate une échéance, plaçant son créancier emprunteur de court terme, immédiatement en, situation de défaut de paiement. 38 Chamosset François - 2009 Partie 1 : La notion de système bancaire dans l’économie Egyptienne contemporaine (car on sait désormais à quel point la valeur de ces garanties ne protègent pas les créancier de l’insolvabilité de leur client : se référer à la crise des subprime). Le risque d’illiquidité encouru est ici mesuré par deux indicateurs : le coefficient de liquidité à moins d’un mois (calculé par le ratio Liquidités disponibles / liquidités exigibles en moins d’un mois) et le coefficient de liquidité de plus de 3 mois (liquidités disponibles / liquidités exigibles en moins de trois mois). Alors que le coefficient de liquidité est de 1,6 en ce qui concerne la liquidité à moins d’un mois, il tombe à 0,87 pour la liquidité à moins de 3 mois. C’est donc l’ampleur des dépôts à terme contractés par les banques qui seraient la principale source du risque d’illiquidité du système bancaire Egyptien. Enfin, le risque de transformation consiste à utiliser des dépôts liquides ou de court terme pour financer des prêts de long terme. Il se mesure simplement par la comparaison globale de la somme de passifs à plus d’un an avec la somme des actifs pour la même durée de l’ensemble du secteur bancaire. On constate qu’en 1998, le solde de transformation est en déficit de plus de 66 milliards de £E, soit 20% du bilan comptable de l’ensemble du secteur. Cependant, Abou Haidar signale que cette situation ne reste tenable que dans la mesure ou les créanciers de long terme des banques sont en grande majorité des institutions publiques (créances de la BCE, et dépôts de long terme d’entreprises publiques). Il décrit enfin ce fort risque de transformation comme un « moindre mal » compte tenu du risque de solvabilité encouru. En résumé, le système bancaire de la fin des années 1990 est donc marqué par deux caractéristiques : il y a d’une part une attitude attentiste de la part institutions bancaires qui ne semblent pas chercher particulièrement à élaborer des stratégies agressives pour accroître leurs parts de marché, et il y a d’autre part la présence de risques systémiques majeurs contre lesquels la garantie de l’Etat Egyptien constitue le seul rempart valable. Cependant, cette précarité systémique peut aussi être considérée comme une manière pour l’Etat de maintenir le secteur bancaire sous une dépendance de facto, davantage que de jure, afin de garantir l’attitude apathique des institutions bancaires aussi bien publiques que privées. En maintenant les banques dans l’attentisme, l’investissement privé en Egypte reste difficile d’accès et trop cher, et le secteur public reste le seul utilisateur des excédents de financement disponibles sur le marché. Une compétition accrue à l’intérieur d’un marché bancaire actif risquerait en effet de rendre les produits d’épargnes plus alléchants pour les ménages qui placent par défaut leur argent dans des Fonds Publics d’Epargne. L’analyse approfondie qu’Elias Abou Haidar a réalisé du secteur bancaire de la fin des années 1990 a abouti à deux conclusions majeures. 1- Non seulement l’Etat Egyptien ne joue pas pleinement son rôle d’arbitre du marché bancaire, mais il se trouve lui même en concurrence avec les institutions bancaires. Le gouvernement et les autorités économiques se servent, par l’intermédiaire de la NIB, de l’épargne des ménages pour financer la dette publique. 2- Les banques Egyptiennes sont condamnées par l’Etat à adopter une position attentiste sur le marché si elles ne veulent pas voir leurs activités menacées par de graves risques systémiques. Or, l’Etat n’a aucun intérêt à voir apparaître un véritable marché bancaire car les banques proposeraient alors des produits financiers suffisamment alléchant pour attirer l’épargne placée dans les FPE, qui servent à financer la dette publique interne. Ces deux conclusions nous permettent de définir plus clairement ce que constituerait la mise en place d’une réelle économie de marché au niveau bancaire : il faudrait d’une part que l’Etat se désengage du jeu bancaire et trouve d’autres sources de financement de la dette publique que l’épargne nationale ; il faudrait ensuite adopter une réglementation Chamosset François - 2009 39 Le rôle de l’institution bancaire dans l’Egypte contemporaine. Pour une illustration de la dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement pour réguler le marché bancaire de manière autonome et éviter l’apparition de risques systémiques. C’est prenant ces deux critères comme des hypothèses de départ que nous allons étudier la réforme en cours du secteur bancaire, afin de déterminer si cette réforme constitue ou non une véritable libéralisation. 2. Bilan de la réforme du système financier initiée en 2003 : quelle libéralisation du marché bancaire ? Il ne s’agira pas dans cette dernière partie de porter un quelconque jugement de valeur sur la nécessité ou non de réformer le système bancaire Egyptien, mais de mettre en évidence, 6 ans après son lancement, la portée réelle de la réforme en cours et de souligner ses éventuelles contradictions internes. La réforme intitulée « Financial Sector Reform Programm », bien que validé par le président en septembre 2004 a réellement débuté avec la Loi n°88/2003 qui visait à renforcer les prérogatives de la BCE. En 2004, le ministère des finances a ensuite entamé un audit complet du secteur bancaire public, et notamment des quatre grandes banques commerciales afin de repérer le poids réel constitué par les créances douteuses dans les actifs bancaires. Enfin, l’événement le plus « spectaculaire » de ce programme a été la privatisation de la banque d’Alexandrie, rachetée par la banque Italienne Intesa San Paolo. Il faut noter avant toute chose que le gouvernement Egyptien n’a pas mis cette réforme en place de manière totalement autonome. Même si la présidence lance officiellement le processus politique dès 2004, le gros de l’application des dispositions de la loi de 2003 76 n’intervient qu’à partir de 2006, grâce à l’octroi par la Banque Mondiale d’un prêt de 500 millions de dollars US. La présence de cette aide internationale majeure nous permet d’avancer que, de la même manière que le programme d’ajustement structurel du début des années 1990 était en phase avec les principaux éléments idéologiques du consensus de Washington, la réforme du secteur financier de 2004 est directement liée à la doctrine de la « bonne gouvernance », prônée par la banque mondiale depuis le début des années 2000. « To this effect, World Bank operations seeked to:(i) strengthen the domestic banking system inter-alia by divesting fully state-owned banks shares in joint venture banks, privatizing one of the large state-owned commercial banks, defining a framework to implement institutional, operational and financial restructuring of the remaining public banks, and consolidating and merging small banks in an over banked market; (ii) develop the contractual savings system and restructure the insurance industry so it can play an effective role in the management and transfer of risk and mobilization of long-term savings; and (iii) strengthen the regulatory and supervisory framework for banks and nonbank financial institutions to ensure compliance with international standards and 77 effective enforcement. » Nous tenterons de comparer la dynamique de réforme engagée avec les critères de libéralisation du marché que nous avons retenus de l’analyse de Elias Abou Haidar. Il s’agira 76 Nasr Sahar [en ligne], Implementation, completion and result report on a loan in the amount of US$ 500 millions to the Arab Republic of Egypt for a financial sector development policy loan , Rapport du service financier de la banque mondiale pour la région MENA,Washington, 21 février 2007 [page consultée le 14 Juin 2009] www.worldbank.org 77 40 Ibid., p. 2 Chamosset François - 2009 Partie 1 : La notion de système bancaire dans l’économie Egyptienne contemporaine dans un premier temps de se demander si l’on assiste réellement à un désengagement de l’Etat en tant que client sur le marché bancaire avant de mesurer l’efficacité des nouveaux outils de régulations sur la dynamisation du marché. A. Vers un désengagement de l’Etat du secteur bancaire ? Il s’agit ici de se poser la question de l’évolution du rôle de l’Etat dans la réforme en cours : peut-on parler d’un désengagement de la puissance publique en tant qu’acteur du jeu bancaire ? Nous verrons que si, en apparence, l’Etat s’est effectivement désengagé de son rôle dans une grande partie des institutions bancaires, il apparaît que le phénomène de captation de l’épargne des ménages par le financement de la dette publique est toujours bien présent. Le désengagement institutionnel relatif : les conséquences de la vague de privatisation sur la structure du marché Il faut noter en guise de remarque préliminaire que le processus de réforme institutionnelle s’est produit en deux temps distincts : il y a eu tout d’abord une première période de transformation de statut, qui s’est traduite par une refonte des institutions existantes, puis un second temps de « dégraissage » qui a abouti à diminuer d’un tiers le nombre d’institutions agissant sur le marché. Graphique 10: Structure du système bancaire Egyptien avant et après la réforme de 2003 Si l’on considère seulement l’évolution du nombre d’institutions bancaires présentes sur le marché depuis 2000, on remarque que la première conséquence directe de la loi 78 88/2003 a été la transformation des 12 banques d’affaires et banques spécialisés en 3 banques publiques commerciales, et en 11 joint-ventures. Concrètement, cela signifie tout simplement l’abandon de la spécialisation fonctionnelle de la Banque principale de 78 Article 32 de la loi 88/2003 (en annexe) Chamosset François - 2009 41 Le rôle de l’institution bancaire dans l’Egypte contemporaine. Pour une illustration de la dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement développement agricole, de la Banque Egyptienne de développement industriel, et de la Arab Egyptian Real Estate Bank (banque créée lors de la fusion de la Arab Land Bank et de la Egyptian Real Estate Bank en 1999). Ces 3 banques spécialisés deviennent alors des banques publiques et commerciales polyvalentes : c’est ici le dernier vestige de l’organisation bancaire Nassérienne qui tombe. En Mai 2007, la Banque Misr a enfin racheté 79 100% des actions de la banque du Caire. Dans un deuxième temps, on constate que le rétrécissement effectif du marché bancaire – passant d’un total de 61 à 41 institutions – est principalement à mettre sur le compte de la diminution du nombre de société Offshore en activité sur le marché. Dès 2004, sept des 20 sociétés offshore en activité sur le marché ont tout simplement arrêté leurs activités sur le territoire Egyptien. Durant les 3 années suivantes, les treize sociétés restantes ont procédé à des opérations de fusion acquisition de manière à ne former qu’un contingent de 7 sociétés. A noter enfin la privatisation de la banque d’Alexandrie, devenue joint-ventures de la banque Intesa San Paolo en 2006, réduisant à 6 le nombre total de banques publiques en activité. Enfin, il faut signaler que cette réforme de la structure du marché telle que présentée dans le graphique 10 masque un retrait des parts détenues par l’Etat dans 13 des 17 joint80 ventures Egyptiens enregistrés en 2007 . Graphique 11 : Structure du marché bancaire Egyptien avant et après la réforme de 2003 Cependant, on peut constater que la mise en place de la réforme du secteur financier n’a pas entraîné pour autant de véritable changement dans la structure des réseaux commerciaux des banques. En effet, il apparaît que la majorité des agences recensées sous l’appelation « banques d’investissement et banques spécialisées » a été transféré après sa suppression au secteur public, maintenant la faiblesse du réseau d’agences des jointventures et banques privées. En 2007, le secteur public détenait encore plus des deux tiers du réseau d’agences locales, et ce malgré la privatisation de la banque d’Alexandrie. On sait que cette persistance de la domination du public sur ce réseau est une entorse majeure 79 80 42 BCE, Economic Review, vol. 48 n°2, 2007-2008. Nasr, Art. Cit.. p. 10 Chamosset François - 2009 Partie 1 : La notion de système bancaire dans l’économie Egyptienne contemporaine à la mise en place de mécanismes de marché tant que les dépôts liquides et crédits de court terme constitueront la ressource principale du secteur bancaire. Cependant, il faut constater que la densité bancaire est en nette augmentation depuis 2004. La BCE comptait en juin 2004 une agence pour 24 900 habitants, contre une agence pour 22 800 habitants en juin 81 2008, et une agence pour 22 400 habitants en Mars 2009 . À noter enfin, que la réduction du nombre de banques Offshore sur le marché n’a en réalité que peu d’impact la structure de l’accès aux services bancaires puisque le nombre d’agences concernées est très limité. On peut conclure de cette analyse que si effectivement la part de marché du secteur 82 bancaire public est passé de 58% à 53% entre 2005 et 2007 , le processus de libéralisation – en tant que mise en œuvre des mécanismes de marché – repose véritablement sur la capacité des banques privées à élaborer un solide réseau d’agences locales et à diversifier leurs ressources, de manière à agrandir la taille du marché et à améliorer les conditions d’accès aux services bancaires. Evolution du financement de la dette publique Il est important de noter en premier lieu que la dette publique Egyptienne est avant tout contractée à l’intérieur de son propre pays. (A titre de comparaison la dette publique 83 française en décembre 2008 est détenue à plus de 65% par des non résidents ). On a vu à l’occasion de la mise en place de l’ajustement structurel que pour continuer à financer sa dette publique par le système financier international, le gouvernement doit se tourner vers des institutions internationales de plus en plus exigeantes sur la gestion budgétaire. Ainsi, la Banque Mondiale impose à l’Etat de libéraliser son économie en échange de l’octroi de prêts internationaux. Or on a aussi vu à quel point la libéralisation du secteur bancaire en particulier risquait de peser sur le financement de la dette publique interne, puisque c’est le caractère atone du marché bancaire qui permet de placer les produits des fonds publics d’épargne parmi les placements les plus avantageux du marché. Le mode de financement de la dette publique choisie par l’Etat Egyptien le place finalement devant un dilemme que l’on pourrait résumer de la manière suivante : soit il refuse ouvertement de libéraliser son économie, et il voit les aides extérieures qui lui sont accordées s’amoindrir progressivement, soit il accepte d’ouvrir le secteur bancaire à la concurrence, et il décide alors de renoncer à une partie de ses sources de financements internes. 81 82 83 BCE [en ligne], Monthly statiscal bulletin, Mai 2009, [page consultée le 14 juin 2009] www.cbe.org Nasr Sahar (dir.), op. cit. p. 36 Agence Française du Trésor [en ligne], Qui détient la dette française ? , [page consultée le 8 Juin 2009] www.aft.gouv.fr Chamosset François - 2009 43 Le rôle de l’institution bancaire dans l’Egypte contemporaine. Pour une illustration de la dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement Graphique 12 : poids de la dette publique interne et externe Si l’on analyse à présent le détail de la dette publique interne depuis 2003, on s’aperçoit que sa chute en valeur relative autant qu’absolue depuis 2006 est principalement dû à la résorption partielle du passif de la NIB. Concrètement, cela signifie que l’Etat n’a pas tenté de résoudre le problème de la dette par un rééquilibrage budgétaire, mais plus probablement, par l’abandon d’un certain nombre de programmes de financement du secteur public par la NIB (il se trouve qu’il est très difficile de trouver des chiffres sur l’emploi exact des fonds de la NIB. Graphique 13 : structure de la dette publique interne Pour autant, la question de la dépendance de l’Etat vis-à-vis des FPE n’est pas résolue. En réalité, le graphique 15 nous montre que la résorption du passif de la NIB est en partie dû 44 Chamosset François - 2009 Partie 1 : La notion de système bancaire dans l’économie Egyptienne contemporaine à l’émission d’obligations spécifiques par le trésor Egyptien en direction de ces FPE. Il est important de noter qu’à partir de septembre 2006, la NIB n’octroie plus le moindre prêt au gouvernement Egyptien et que les seules créances encore détenues sont des obligations classiques émises en direction de tout type d’investisseur. C’est à partir de ce moment-là que commence l’émission d’obligations budgétaires en direction des FPE. Ce graphique nous montre qu’en réalité la diminution du passif de la NIB en 2006 a été absorbée par une désintermédiation de la NIB dans le financement de la dette publique. Graphique 14 : participation comparée de la NIB et des FPE au financement de la dette budgétaire interne On peut enfin déduire de cette analyse que non seulement l’effacement du rôle de la NIB dans le financement de la dette ne s’est pas traduite par la fin de la dépendance de l’Etat vis-à-vis de l’épargne nationale, mais que cette dépendance s’est même accrue. On observe d’une part que le niveau auquel les FPE finance la dette publique est légèrement supérieur à celui auquel la NIB était engagé avant 2006, et d’autre part que les FPE sont une source de financement unique qui remplace les multiples sources de financement dont disposait la NIB jusqu’alors (certificat d’investissement, obligations émises en US$, Epargne de la Poste…) B. La mise en place de nouveaux outils de régulation du secteur bancaire On constate ainsi que si le désengagement de l’Etat du secteur bancaire est effectif, il conserve tout de même un intérêt majeur à ce que le marché reste le plus atone possible afin de lui permettre de continuer à se financer avec l’épargne des ménages. En ce qui concerne le développement d’un marché bancaire autonome, la Banque Mondiale a articulé les objectifs visés par son aide à la réforme autour de deux phases distinctes. « That reform program foresaw two phases. The first focused on developing more effective monetary and financial instruments to control liquidity, and liberalizing interest rates and credit. The second phase focused on increasing competitiveness in the financial market by enhancing private participation in 84 commercial banking, securities, and insurance. » Il s’agit dans cette partie de nous interroger sur les conséquences de la réforme sur la dynamisation du marché bancaire. Pour ce faire, nous tenterons dans un premier temps 84 El Daher Samir [en ligne], Programm Information Document : Appraisal Stage. Egypt Finance sector reform, Banque Mondiale, 12 Janvier 2006 [page consultée le 12 Juin 2009] www.worldbank.org , p. 1 Chamosset François - 2009 45 Le rôle de l’institution bancaire dans l’Egypte contemporaine. Pour une illustration de la dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement de mesurer la portée des mesures de régulation prises par le gouvernement Egyptien afin de limiter au maximum l’apparition de risques systémiques, avant de tenter de déceler une éventuelle diversification des activités du secteur bancaire dans son ensemble. La mise en place de nouvelles règles prudentielles par la BCE La mise en place d’éléments de contrôle des activités bancaires et la réhabilitation de la BCE en tant qu’instance d’arbitrage au sein du secteur semble être la véritable priorité à la fois de la Loi 88/2003 et du programme d’aide à la réforme de la banque mondiale. On peut ainsi distinguer trois volets dans l’instauration de nouvelles règles prudentielles : il y a tout d’abord la mise en place de programmes d’audit des grandes banques commerciales afin de les apurer des créances douteuses qui polluaient leurs actifs, ensuite la mise en place de nouvelles règles de gestion des risques (avec notamment la mise en conformité aux règles des accords de Bales II), en fin la mise en place de la société I-Score de gestion d’un fichier client interbancaire (équivalent du fichier FICP en France). En premier lieu, la réforme a été accompagnée de programme d’audit des institutions publiques dans une optique d’assainissement de leurs actifs et de mise en conformité de leurs activités aux standards internationaux. Ces audits se sont ensuivis de programmes de restructuration, mis en place par la banque mondiale, en vue d’une ouverture possible du capital de ces sociétés. Il s’agit ici de régulations ponctuelles visant officiellement à éliminer la masse des prêts non performants qui avaient été jusqu’alors accordés au secteur public 85 de l’économie par les banques d’Etat. La revue économique de la BCE affirmait ainsi qu’en 2008, 80% de la dette du secteur public avait été renégociée, et 35% avait été remboursée, en priorité à la banque d’Alexandrie nouvellement privatisée. Par ailleurs, la loi 88/2003 a pour objectif premier une réaffirmation de l’autorité et des 86 missions de la BCE . Cette réaffirmation des missions s’accompagne de la mise en place de nouvelles règles prudentielles, en phase avec les normes bancaires internationales. L’apport de cette loi qui se réfère sans l’évoquer aux standards de Bales II, est donc d’injecter au sein du marché bancaire de nouvelles règles de fonctionnement et de gestion des risques. Ce premier jet de mesures a été complété par la suite par d’autres programmes de régulation spécifiques mis en place en coopération avec la Banque Centrale Européenne 87 afin d’améliorer les techniques de supervision du secteur . Enfin, la loi 88/2003 a créé 88 l’Institut Egyptien de Technique bancaire avec pour mission de former les personnels des banques pour la mise en œuvre des nouvelles régulations. Cet institut a été financé en grande partie par le prêt de la banque mondiale et par une participation de l’USAID. En dernier lieu, on peut observer un mouvement d’autonomisation des banques vis-àvis de la BCE dans la gestion des risques clients. En effet, en 2005 est né en Egypte le premier crédit bureau, devenu par la suite la société I-score dont l’activité principale consiste à gérer un fichier de risques clients (équivalent semble-t-il du fichier FICP en France), afin de permettre une meilleure gestion des risques de solvabilité. Le capital social de cette société est détenu par 25 institutions bancaires Egyptiennes ainsi que le Fond Social 85 86 87 88 46 BCE [en ligne], Economic review, volume 48, n°2 2007-2008, p. 3 [page consultée le 6 juin 2009] www.cbe.org.eg Loi 88/2003, « Section I : la Banque Centrale d’Egypte » BCE [en ligne], Economic review, vol. 48 n°2, 2007-2008, p. 4 [page consultée le 6 juin 2009] www.cbe.org.eg Loi 88/2003, article 45 et 46 Chamosset François - 2009 Partie 1 : La notion de système bancaire dans l’économie Egyptienne contemporaine de Développement, son directeur exécutif est Mohammed Refaat Al Houshy, directeur de la Commercial International Bank (un joint-venture duquel l’Etat s’est retiré en 2006), et le président du conseil d’administration est Mr. Mohamed Ahmed Abd El Salam Kafafi, directeur de la Banque du Caire. La mise Toutes ces informations sur le projet I-score 89 proviennent du site Internet de la société , aucune étude approfondie de la structure du capital ni de l’activité effective de cette société n’a été menée à notre connaissance. Quelle diversification des activités ? Si l’on peut effectivement constater une hausse globale de l’activité bancaire par la mesure de la hausse de son bilan comptable (7 à 8% de hausse par ans depuis 2004), l’étude successive des emplois et des ressources qui constituent ce bilan nous révèle cependant une relative stabilité dans la structures des activités qui dominent le marché. Graphique 15 : Structure de l’actif du secteur bancaire L’analyse des actifs en premier lieu nous indique que malgré un récent regain d’activités interbancaires, les emplois des finances du secteur bancaire restent encore largement dominés par les activités de prêts à la clientèle et d’investissement dans des titres publics (on se souvient qu’en 2000, les prêts comptaient encore pour 50,4% de l’ensemble des 90 actifs contre environ un tiers en 2008). Globalement, les banques investissent très peu sur les marchés financiers, et préfèrent se reporter sur des actifs publiques peu rémunérateurs mais très sécurisants. 89 90 [page consultée le 5 juin 2009] www.i-score.com.eg cf. p. 34 Chamosset François - 2009 47 Le rôle de l’institution bancaire dans l’Egypte contemporaine. Pour une illustration de la dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement Graphique 16 : Structure du passif du secteur bancaire Le passif est quant à lui dominé par une dépendance croissante envers les dépôts des ménages (de 66,3% du passif en 2000, les dépôts sont passés à 69% en 2008). On notera au passage que les banques Egyptiennnes sont prêteuses nettes vis-à-vis des banques étrangères, ce qui semble indiquer un phénomène, certes marginal, de fuite de l’épargne Egyptienne vers des placements en devise. Deux conclusions sont à tirer de l’analyse du bilan comptable depuis 2004 : a. La première, c’est que la domination constante du bilan par les activités de détail (prêts et dépôts) favorise toujours les banques possédant le plus fort réseau d’agences locales. Or nous avons vu que ce sont les institutions du secteur public qui possèdent encore les plus vastes réseau et ont donc le meilleur accès à la clientèle. b. La seconde conclusion, c’est que les banques possèdent une très forte capacité de financement sur le marché intérieur que l’octroi de prêt ne suffit pas à combler. L’emploi de la masse de dépôts collecté dans des investissements à l’étrangers ou auprès de titres publics sont le signe d’un marché bancaire qui reste toujours dans une position très attentiste et peu dynamique sur le marché national. Au final, L’analyse du bilan comptable du secteur nous montre que malgré la redistribution des cartes entre secteur public et privé qu’a constitué la réforme engagée en 2003, il semblerait que l’on assiste pas encore à une résurgence des mécanismes de marché. Les banques Egyptiennes, privées comme publiques semblent encore peut réactives aux mouvements de l’offre et de la demande de financements et davantage portées sur la conservation de la part de marché que l’Etat leurs a accordé. Il est peut être encore un peu tôt pour évaluer l’effet de la privatisation de la banque d’Alexandrie, ou du retrait de l’Etat des principales joint-ventures sur une redynamisation des mécanismes de marchés. Actuellement, on peut constater que même si les statuts des institutions changent, l’attitude vis-à-vis du marché reste tout aussi indifférente. On ne peut donc pas encore parler de véritable libéralisation du marché au sens ou l’entend Elias Abou Haidar. 48 Chamosset François - 2009 Partie 1 : La notion de système bancaire dans l’économie Egyptienne contemporaine En conclusion de cette première partie, nous retiendrons que la banque a toujours été une institution centrale dans la constitution de l’Etat Egyptien et dans la construction de son processus de légitimation. C’est pourquoi la pression accrue de la Banque Mondiale et des autres institutions internationales pour sa libéralisation risque de mettre en difficulté le modèle de financement des politiques publiques Egyptienne. Les artifices multiples mis en place depuis l’époque de l’ajustement structurel semblent s’épuiser petit à petit, et réduire la possibilité de l’Etat d’échapper à la volonté des institutions internationales. Cette mise en difficulté risque même de mettre sérieusement en cause l’avenir du régime dans la mesure ou, privé de l’accès à l’épargne publique, le gouvernement se verra confronté à un choix entre une hausse de la pression fiscale ou une réduction des dépenses publiques, notamment dans le domaine de la politique sociale. À court ou moyen terme, ces deux options risquent d’être fatales pour l’oligarchie aux commandes de l’Etat. La hausse de la pression fiscale risquerait de réveiller les ambitions d’une classe moyenne pour un partage plus large de l’exercice du pouvoir politique, tandis qu’une diminution du niveau de subventions aux produits de base entraînerait à coup sûr de graves troubles sociaux. On observe ainsi que les mesures de désengagement de l’Etat relatif aux subventions de nombreux produits de base (huile, céréales, fèves, essence…) se sont multipliées depuis le début des années 2000. Alors faut-il voir dans les émeutes de la faim de 2008, et les grèves générales avortées des 6 avril 2008 et 2009, une conséquence indirecte de cette pression exercée par les Institutions Internationales ? Il semble que les raisons du malaise Egyptien soient bien plus complexe, mais la problématique du financement de la dette publique risque de d’avoir un impact croissant sur la situation sociale du pays dans les prochaines années. Cependant, le caractère atone du marché bancaire classique soulève également un problème de taille concernant le fonctionnement de l’économie au jour le jour : puisque l’offre de produit bancaires formelle ne semble pas s’accorder avec la demande existant sur le marché, l’émergence d’un système financier informel semble inévitable. Se pose dès lors la question de la stratégie mise en place par l’Etat pour conserver le contrôle de ce marché secondaire sans pour autant l’étouffer puisqu’il répond tout de même à l’expression d’un besoin a priori vital pour la société dans son ensemble. C’est précisément l’objet de cette seconde partie. Au travers des exemple de l’islam politique et du micro crédit, nous tenterons d’analyser la réaction de la puissance publique face à ce qu’il convient d’appeler une « vengeance du marché ». Chamosset François - 2009 49 Le rôle de l’institution bancaire dans l’Egypte contemporaine. Pour une illustration de la dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement Partie 2 : L’apparition de structures financières extérieures au secteur bancaire : les exemples de la finance Islamique et de la micro finance. Le panorama non exhaustif du secteur bancaire qui vient d’être réalisé ne répond pas totalement à la question du rôle de la banque dans la société Egyptienne. Paradoxalement, la relative stabilité du système qui a toujours dominé depuis les nationalisations de 1961 n’est pas le reflet de la réalité des marchés de produits de crédit ou d’épargne. On peut même dire que, depuis la première heure du capitalisme d’Etat Nassérien, le monopole bancaire sur ces deux activités a toujours été contesté par des institutions plus ou moins marginales selon les époques et les circonstances. Deux principales critiques sont alors régulièrement adressées au système bancaire centralisé qui domine plus ou moins depuis 1961. Il y a tout d’abord une critique libérale, défendue surtout par les institutions internationales : le modèle Egyptien d’un système bancaire centralisé et sous la coupe de l’Etat est un modèle non performant économiquement et portant atteinte à la liberté d’entreprendre dans la mesure ou il maintient le crédit hors de portée de l’entrepreneur privé. La seconde critique est d’inspiration Islamiste : le concept même de banque est une notion impérialiste importée par les puissances coloniales et comportant des aspects contraires à l’Islam (notamment la pratique de l’usure), il faut donc se réapproprier cette idée pour la rendre conforme aux obligations morales et religieuses propres à notre culture. Au cœur de ces tentatives se trouve la volonté récurrente de démocratiser l’accès aux produits financiers et de faire concurrence aux banques classiques tout en élargissant leur marché traditionnel. Les intérêts de l’Etat et des banques étant, comme on l’a vu, relativement imbriqués, ces tentatives de démocratisation du système financier ont eu souvent une portée politique à plus ou moins long terme. On peut analyser ces expériences comme une forme de réaction de la part de la société civile au caractère excessivement bureaucratique et exclusif du système financier mis en place par l’Etat. Il s’agirait en quelque sorte d’une vengeance du marché face à la frustration de l’initiative privée découlant du capitalisme d’Etat. On retrouve ici un débat récurrent dans le monde arabe entre modernité importée et modernité appropriée. Faut-il accepter et imiter tel quel un projet de société occidental, sous prétexte qu’il a fait preuve de sa supériorité technique, économique et politique incontestable sur la culture Arabo-musulmane ? Ou alors faut-il chercher à se l’approprier et à capter l’essence universalisante de ce modèle, et à le concilier à une culture locale ? On voit que cette question purement financière à la base se heurte à des aboutissants culturels qu’il faut prendre en compte pour comprendre réellement l’enjeu qui sous-tend le lien entre libéralisation économique et politique. Pour qu’un modèle économique puisse être performant, il faut aussi qu’il soit acceptable moralement, au moins dans une certaine mesure, par les agents économiques. Ce n’est qu’en prenant en compte le facteur culturel qu’une libéralisation économique, qui jusqu’alors reste imposée de manière 50 Chamosset François - 2009 Partie 2 : L’apparition de structures financières extérieures au secteur bancaire : les exemples de la finance Islamique et de la micro finance. exogène à l’Etat, pourra engendrer une dynamisation du secteur économique, et donc une renaissance de la société civile. Cette partie portera concrètement sur deux paradigmes à l’origine de plusieurs expériences bancaires « marginale » : la finance Islamique et la micro finance. Nous verrons que, bien que d’inspiration idéologique sensiblement différentes, ces deux approches répondent au même besoin d’élargir l’accès à la fois à l’épargne et aux crédits à une plus large partie de la société en tentant de remettre en cause le poids du capitalisme d’Etat sur le secteur bancaire. I. Evolution du paradigme de finance Islamique en Egypte Depuis la création du mouvement des Frères musulmans en 1928, l’Islam politique en Egypte a toujours été dans une position de contestation non seulement du pouvoir en place, mais aussi de la dynamique de construction d’un Etat emprunté au modèle Westphalien. 91 En effet, la construction d’un Etat Westphalien implique selon Michel Galloux , deux dynamiques sociales a priori incompatible avec l’Islam politique : la construction d’une conscience nationale, et la sécularisation du pouvoir politique. Objectivement, il apparaît en effet que les mouvements Islamiques sont devenus à partir des années 1970 les principales forces de contestations des régimes politiques instaurés par les mouvements de libération nationale au lendemain de la décolonisation. Comme l’explique Bertrand Badie, la dérive de ces mouvements nationalistes en dictatures militaires (comme ce fut le cas notamment en Egypte, en Algérie, ou en Tunisie) a accru la légitimité des islamistes en tant que challenger du pouvoir en place. « l’espace religieux, loin de demeurer partout un lieu de légitimation du prince, devient de plus en plus un site de contre légitimité qui réduit d’autant plus la marge de manœuvre des gouvernants en ôtant de leur compétence tout un 92 ensemble d’attributs toujours plus nombreux et déterminants. » De la même manière que l’Islam politique conteste un modèle politique sur la base de son caractère importé et sécularisant, on pourrait déduire que la finance Islamique est avant tout un moyen de remettre en cause un système d’économie de marché lui aussi importé. Mais alors une question se pose : si l’on souhaite Islamiser l’économie, pourquoi commencé par le secteur financier, c’est à dire là ou le risque de commettre le péché d’Usure (« al Riba ») est le plus grand ? Pourquoi y a-t-il des banques et des sociétés d’investissement Islamiques, alors qu’il n’y a pas d’industrie, ou d’agriculture Islamique ? Samer Soliman avance une explication en terme d’avantage comparatif constitué par la pratique de la finance Islamique : « In fact, the reason that Islamic actors are attracted to the financial sector is to do with its suspicious nature. Because of the Islamic prohibition on Riba, new actors can penetrate the financial sector and carve out a niche in the market by simply convincing a section of the population that the interest given and taken by banks is to be considered as riba and that only Islamic banks are respecting the prohibition of riba in Islam. They cannot apply the same strategy in the industrial 91 92 Galloux, Michel, Finance islamique et pouvoir politique. Le cas de l’Egypte contemporaine, Presses universitaires de France, 1997 Badie, Bertrand, Culture et politique, Economica, Paris, 1993 Chamosset François - 2009 51 Le rôle de l’institution bancaire dans l’Egypte contemporaine. Pour une illustration de la dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement sector, in which they could have to compete on purely economic ground by convincing their customers that they were providing the best product at the lower price. In the financial sector, however, they can compete without economic efficiency. Islamic banks have simply to convince that the their competitors – that is, the conventionnal banks – are illicit an so anyone who deals with them is destined to go directly to hell » En d’autres termes, la pratique de la finance Islamique ne serait pas tant une manière de contester le libéralisme économique occidental que de se placer sur un segment porteur du marché bancaire. Cependant, cette stratégie d’ordre économique n’est pas sans effet politique pour autant. On a vu à quel point le secteur bancaire depuis 1961 était dominé par l’Etat. Il est donc difficile de critiquer impunément la légitimité d’un système financier centralisé sans porter atteinte à un moment ou à un autre à la légitimité de l’Etat luimême. Car au-delà d’une simple stratégie marketing, la finance Islamique constitue aussi un prétexte pour légitimer le contournement par ces institutions des règles et autorités de régulation du marché, censés être le support d’un système économique impie. Nous tenterons une approche historique du phénomène de Finance Islamique en Egypte en mettant en avant une évolution discontinue du rôle de l’Etat vis-à-vis des banques se revendiquant de l’Islam Politique, d’abord initiateur des premiers projets de finance Islamique, puis farouche opposant à son essor dans les années 1980, enfin partenaire d’une finance Islamique en marge de la finance classique. 1. Genèse de la finance Islamique dans le secteur public : la caisse d’épargne Mit Ghamr et la Banque Sociale Nasser L’Egypte est considérée par beaucoup de spécialiste de la finance Islamique comme un berceau de ce « capitalisme vert ». Les deux premières expériences se revendiquant de la finance Islamique dans le pays son mises en place dans un contexte d’économie dirigiste avec l’assentiment de l’Etat. La première relève de l’initiative personnelle de l’économiste 93 Ahmad Al Najjar, tandis que la seconde est un programme piloté par le ministère des Waqf A. Une approche opportuniste de la finance islamique : la caisse d’épargne de Mit Ghamr (1963-1967) La mise en place de la Caisse d’Epargne de Mit Ghamr est directement liée à l’expérience de son fondateur, Ahmad Al Najjar. Cet économiste spécialiste en économie sociale a été formé en Allemagne et revient en Egypte au début des années 1960 pour tenter de fonder une activité de service bancaire qui soit accessible au plus grand nombre, inspiré du modèle Allemand d’épargne populaire. L’idée de créer une caisse d’épargne repose sur le constat d’une double défaillance du système bancaire classique dans les zones rurales. En effet, la version Nassérienne du capitalisme d’Etat telle que décrite dans la première partie de ce travail avait tendance, selon Al Najjar, a susciter la méfiance des populations rurales qui hésitaient à placer leurs économies dans des institutions jugées trop bureaucratiques. De plus, il fallait, pour attirer l’épargne de ménages généralement très influencés par le poids des traditions religieuses, donner une dimension morale à toute activités bancaire qui leur était destiné. Au-delà de la simple question de la rentabilité, les missions principales de la caisse étaient avant tout la mise en place dans les campagnes Egyptiennes de nouvelles 93 52 Ministère en charge des biens de l’administration des dons de charité publique et religieuse. Chamosset François - 2009 Partie 2 : L’apparition de structures financières extérieures au secteur bancaire : les exemples de la finance Islamique et de la micro finance. habitudes d’épargnes, l’incitation à la propriété individuelle (même à crédit), et la création d’emplois qualifiés en zone rurale. C’est avec ces objectifs que fut fondée en 1963 la première Caisse d’Epargne Rurale 94 dans la localité de Mit Ghamr . Cette structure était uniquement alimentée par des activités de la localité de Mit Ghamr et possédait une direction complètement autonome du reste du 95 système bancaire. Cependant, Samer Soliman avance que la mise en place de ce vaste projet a pu obtenir l’aval de l’Etat grâce à l’appui du directeur des services secrets, ami de la famille Al Najjar. C’est bien entendu le volet moral des activités de la Caisse d’épargne rurale qui a été à l’origine du concept de finance Islamique. Cette islamisation se retrouve 96 dans l’analyse des produits proposés par la Caisse : Du côté des dépôts, deux types de comptes sont proposés par la banque à ses épargnants : il y a tout d’abord le compte d’épargne ouvert, dans lequel l’épargne est totalement liquide et le dépôt minimum de 5 piastres (0,05 £E). Ensuite, un seul type de compte rémunérateur est proposé, sur lequel le dépôt minimum est de 1 £E et les intérêts sont calculés non seulement en fonction du montant déposé, mais aussi des profits réalisés par la banque. Les techniques de financement utilisées sont quant à elles plus complexes. Il y a d’un côté des prêts ordinaires, accordés sur critères sociaux sans intérêts et remboursables sur deux ans pour un montant maximal de 200 £E. Il y a aussi les prêts dit « d’association » (« mousharaka » en arabe) qui constitue formellement un contrat dans lequel la banque et un entrepreneur s’engagent à partager dans des proportions définies à l’avance (allant de 15% à 50% pour la Caisse) les pertes et les profits réalisés par l’entreprise. Le montant maximal de l’emprunt est de 2000 £E et la durée de remboursement peut aller jusqu’à 2 ans. Enfin, la Caisse prend également en charge la récolte et la redistribution de la zakat par la création et la gestion d’un fond social pour l’aumône, fixé à 2,5% de son capital. 97 98 Michel Galloux souligne le succès rencontré par cette institution dans ses premières années. Fin 1963, la Caisse comptait 17 560 clients pour 40 944 £E d’épargne collectée. L’année suivante le nombre de client était en progression de 73% et la masse des capitaux gérés de 367%. Il faut dire que la Caisse d’Epargne Rurale bénéficie d’un régime juridique particulièrement favorable : elle n’est pas astreinte aux réglementations de la BCE, concernant les réserves obligatoires et n’exige aucune garanties à ses débiteurs. Malgré ces avantages, la Caisse fait preuve d’une gestion trop prudente et va connaître rapidement un problème de surliquidité. En 1967, les prêts accordés ne représentent que 20% des dépôts. Ce déséquilibre comptable est dû à un manque de complémentarité entre les différents produits de dépôts et d’épargne proposés : en effet, les prêts d’association représentent la même années136% des comptes rémunérés. 94 95 Deuxième ville du gouvernorat de Sharqiah située sur la branche de Damiette dans le Delta du Nil. Soliman, Samer, « The rise and decline of Islamic Banking model in Egypt, », in Clement-Henry, M, et Wilson, Rodney (dir.) The politics of Islamic Finance, Edinburg University Press, 2004, pp. 265-285 96 97 Galloux, Op. Cit., p. 24 Troisième pilier de l’Islam, la Zakat est la part du revenu que chaque musulman se doit de reverser chaque année en aumône directement aux plus pauvres ou aux oeuvres de charité. 98 Op. Cit., p. 25 Chamosset François - 2009 53 Le rôle de l’institution bancaire dans l’Egypte contemporaine. Pour une illustration de la dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement En 1967, la BCE va mettre fin à l’autonomie de la Caisse d’Epargne Rurale de Mit Ghamr sous le prétexte de ces déséquilibres, l’entreprise finira par être liquidée en 1973. Les raisons de cette prise de contrôle semblent davantage politiques que comptables. Cette volonté d’inciter l’initiative privée, d’activer des mécanismes de marché, et de dynamiser le système financier ne devait pas convenir au contexte de centralisation de l’économie. Cependant, cette initiative comporte des éléments que l’on pourrait qualifier de pré-Infitah, et qui aurait pu fonctionner dans la politique de la porte ouverte. On peut dire pour résumer que la Caisse d’Epargne de Mit Ghamr était peut-être en avance sur son temps. Cependant, Samer Soliman nous incite à ne pas faire d’anachronisme en qualifiant cette institution d’Islamique : si les produits proposés par la banque sont effectivement en phase avec la morale musulmane concernant la Riba, à aucun moment ne figure dans les discours des dirigeants de la banques une quelconque inspiration d’ordre Islamique. Cela s’explique aisément par le contexte de sa création : non seulement une autorisation du régime – à l’époque engagé dans une violente vague de répression des frères Musulmans – est nécessaire, mais l’expérience est aussi cofinancée par l’agence de développement de la République Fédérale d’Allemagne. « What makes a bank Islamic is therefore no avoidance of interest alone but this avoidance in an Islamic framework and discourse that prohibits Riba. This did not happen in the case of Mit Ghamr. Al Najjar’s account is teleological : it was only after Islamic banking became legally possible in the late 1970s that Al Najjar 99 baptized his bank as the first Islamic bank in history. » B. Le développement de la finance Islamique sous le contrôle de l’Etat : l’expérience de la Banque Sociale Nasser (BSN) La banque sociale Nasser a été créé sous Anouar Al Sadate par la loi 66/1971 avec pour objectif « d’élargir la base des solidarités sociales entre citoyens ». Il s’agit donc d’une entreprise sociale directement pilotée par le gouvernement. Là aussi, le caractère Islamique de la société n’est pas ouvertement revendiqué car la banque cherche aussi à s’adresser aux minorités. Les produits financiers proposés sont pourtant quasiment les même que ceux de la Caisse de Mit Ghamr, mais avec des objectifs de rentabilités mieux assumés. En effet, pour pouvoir attirer plus d’épargnants, tous les dépôts sont rémunérés, tandis que la politique de crédit privilégie les prêts de court terme à forte rentabilité, en direction de projet de plus grande ampleur. 100 « Ainsi selon Ibrahim Lutfi , si la banque avait le choix entre financer une entreprise de Taxis, qui employerait ensuite des chauffeurs, et financer directement ces derniers pour leur permettre de devenir propriétaire de leur taxi, 101 c’était cette dernière solution qui devait être choisie » 99 Soliman, Art. Cit. p. 268 100 L’un des présidents de la Banque Sociale Nasser 101 Galloux, Op. Cit. p. 31 54 Chamosset François - 2009 Partie 2 : L’apparition de structures financières extérieures au secteur bancaire : les exemples de la finance Islamique et de la micro finance. Graphique 17 : structure de l’actif de la Banque Sociale Nasser L’autre spécificité de la Banque Sociale Nasser par rapport à l’expérience de Mit Ghamr est la gestion de la Zakat. Jusqu’alors redistribuée localement, la Zakat est désormais prélevée directement par l’Etat pour le financement de sa politique sociale à l’échelle locale. Elle est donc totalement déductible des impôts alors que les autres formes de dons ne le sont qu’à hauteur de 3 à 7%, et passe par l’intermédiaire de comités de la Zakat (lijana al Zakat) en charge de sa redistribution. La banque social a donc engagé des cheikh pour constituer ces comités parrainés par le ministère des Waqf. Cependant, un malentendu est survenu entre le ministère et ces comités dans l’utilisation qui devait être faite de la Zakat. Le ministère comprenait le sens de la Zakat dans son sens purement social, tandis que de nombreux comités ont envisagé une utilisation de la Zakat pour le financement du 102 culte . Ainsi, l’aumône prélevée par la Banque Sociale Nasser a autant servi à financer des pharmacies, des hôpitaux ou des écoles que des mosquées ou des cours de Coran. La création de la Banque Sociale Nasser s’explique par le contexte de recomposition des rapports de forces politiques après la mort de Gamal Abd El Nasser. Frustré de 15 ans de répression politique, les Frères Musulmans cherchent à intégrer le nouveau régime. Ce projet de banque social, même si il ne revendique pas non plus une véritable appartenance Islamique peut être perçue comme une sorte de garantie accordée par Sadate aux frère musulmans pour tenter de satisfaire à moindre frais leurs revendications de moralisation de la société. C’est aussi un moyen de donner aux cheikhs et autres prédicateurs, jusqu’alors très critiques à l’égard du régime un espace de libre expression reconnu institutionnellement et bénéficiant de salaires confortables. Par la suite, cette institution sera aussi utilisée par le pouvoir comme le pendant social de la politique d’ouverture économique. Elle est alors présenté comme un outil de lutte contre les discriminations sociales induites par le processus d’ouverture au marché. 102 Ben Néfissa-Paris, Sarah, « Zakât officielle et zakât non officielle aujourd'hui en Égypte », Égypte/Monde arabe, Première série, 7 | 1991, [En ligne], mis en ligne le 08 juillet 2008. URL : http://ema.revues.org/index1163.html. Consulté le 11 juin 2009. Chamosset François - 2009 55 Le rôle de l’institution bancaire dans l’Egypte contemporaine. Pour une illustration de la dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement Nous avons donc vu que la finance Islamique naît dans le secteur public avec pour objectif de développer les aspects sociaux des activités bancaires. Il s’agit avant tout - tout du moins dans les discours - d’élargir l’accès au crédit ou à l’épargne et d’organiser un système de redistribution sur des bases morales inspirées par l’islam, d’abord par la mise en place de prêts sociaux, puis par la constitution d’un véritable réseau de prélèvements sociaux parallèles par la Zakat. Ce n’est qu’avec l’arrivée sur le marché de nouveaux acteurs privés que naît véritablement un secteur de finance islamique compétitif. 2. Apparition d’un système financier privé, puis informel dans les années 1980 : de la libéralisation à la répression L’apparition de nouveaux acteurs se revendiquant de la finance islamique en Egypte à la fin des années 1970 est favorisé par une double concession de l’Etat à la société civile. Il y a tout d’abord la mise en place de l’Infitah, avec la loi 43/1974, qui autorise l’initiative économique privée et l’existence d’un secteur économique en marge du capitalisme d’Etat hérité de Nasser. Il y a ensuite la réforme constitutionnelle de 1977 qui reconnaît la charia comme l’une des bases du droit Egyptien, ce qui redonne une forme de légitimité à l’Islam politique. Les années 1980 en Egypte sont un moment de confrontation entre légitimité religieuse et légitimité politique. Nous verrons dans un premier temps que les acteurs de la finance islamiques privées vont vite être débordés par d’autres acteurs complètement en marge de la légalité. Nous analyserons enfin les modalités de la répression menée par l’Etat contre ces activités illégales. A. La naissance d’un secteur Financier Islamique privé sous Anouar Al Sadate. En 1977 s’installe en Egypte la première banque Islamique Privée sous le nom de Banque Islamique Faysal d’Egypte (BIFE). Son créateur, Muhammad Faysal, possède un réseau alliant les principaux soutient à la politique d’ouverture économique et de nombreux 103 Oulémas issus de Al Azhar . Cette alliance de l’ouverture économique et du conservatisme religieux va permettre une forte implication de l’Etat et des autorités religieuses dans le capital de la société. Par ailleurs, la BIFE va obtenir un statut juridique particulier inventé 104 pour l’occasion dans la loi 48/1977 qui lui accorde de nombreux avantages en sus du statut d’entreprise de loi 43. « Parmi ces privilèges figuraient : la non soumission à la réglementation sur le contrôle de change ; non soumission à la réglementation des sociétés par action ; non soumission aux lois sur le contrôle de crédit, à l’exception des opérations en devise locale ; exemption de tout impôt sur les bénéfices et les revenus ainsi que la taxe foncière pendant quinze ans ; protection absolue contre la nationalisation, la confiscation des actifs, la saisie des dépôts ou des parts des personnes physiques ou morales participant au capital de la banque ; non soumission des employés à la législation du travail, à celle de l’emploi, des salaires, des indemnités et des assurances sociales ; exonération d’impôt et de taxes douanières pour le matériel importé ; non soumission aux procédures 103 104 56 Plus vieille université du Monde Arabe, fondée en 975 après J.C., une référence en matière de théologie. Galloux, Op. Cit., p. 56 Chamosset François - 2009 Partie 2 : L’apparition de structures financières extérieures au secteur bancaire : les exemples de la finance Islamique et de la micro finance. imposées par les codes civil et commercial en cas de conflit entre la banque et toute autre institution ou tout actionnaire ou investisseur, conflit que le conseil d’administration de la banque était seul à pouvoir trancher. C’est ce qui fit dire 105 à Badr Aql , non sans exagération, que les privilèges en question faisaient 106 purement et simplement de la BIFE un Etat dans l’Etat. » A noter, que la BIFE appartient à 49% à des fonds saoudiens, ce qui constitue à l’époque une garantie suffisante de sérieux et de piété. Parmi les soutiens Egyptien au projet de 107 Mohammed Faysal, Michel Galloux cite entre autre le premier ministre de l’époque, Abd Al Aziz Hijazi, et les hommes d’affaires Osman Ahmad Osman (dirigeant d’un groupe industriel dans le secteur du bâtiment), et Fouad As Sarraf (qui deviendra le premier directeur de la banque) ; mais aussi les cheikh Al Sha’arawi (tout juste de retour d’Arabie Saoudite), ‘Abd El Halim Mahmud, et Mohammed Khatir. La BIFE est rejoint en 1980 sur le marché de la finance Islamique par la Banque Islamique Internationale d’Investissement et de Développement (BIIID). Enfin, la Banque Misr ouvre en 1979 sa première branche spécialisée dans la finance Islamique. Ces nouvelles structures proposent des produits financiers dont l’objectif principal assumé est 108 résolument leur rentabilité financière . On retrouve les accords d’association (Musharaka), qui se fonde sur le partage des pertes comme des profits entre la banque et l’emprunteur, 109 mais aussi le contrat de commandite (Mudaraba) , le contrat de vente à bénéfice 110 (Murabaha) , différentes modalité de prise de participation, et le système du crédit-bail 111 (’Ijara) . 105 Aql, Badr, Tawzif Al Fasad, Dar Al Arabyyia, Le Caire, 1988 106 Galloux, Op. Cit., p. 57 107 Ibid. 108 Al Sarraf Fouad, « Le financement du développement selon la méthode Islamique », in Rycxs , Jean François, Islam et dérégulation Financière, Dossiers du CEDEJ, n°3-1987, Le Caire, pp. 97-103 109 Le contrat de commandite est une variante de l’accord d’association dans lequel la banque (ou le commandité) défini à l’avance avec son client (le commanditaire) les modalité exactes de son investissement en terme notamment de secteur d’activité et de plan de développement de l’entreprise. 110 Lorsque la Banque achète une marchandise et confie sa distribution à l’un de ces clients : le coût du crédit ainsi accordé est constitué par le partage du bénéfice réalisé lors de la vente au détail de cette marchandise. 111 Contrat de vente à terme, ou de location à un prix supérieur au marché. Chamosset François - 2009 57 Le rôle de l’institution bancaire dans l’Egypte contemporaine. Pour une illustration de la dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement Graphique 18 : Rendement moyen des placements bancaires Islamiques et traditionnels B. Le développement des Sociétés de Placement de Fonds dans les années 1980 en marge de tout cadre légal Les rendements croissants et de plus en plus fructueux générés par l’activité Islamique vont attirer de plus en plus d’investisseurs vers ce secteur. A tel point que les banques Islamiques privées vont être rapidement dépassées par de nouveaux acteurs totalement informels : les Sociétés Islamiques de Placement de Fond (SIPF). 112 Alain Roussillon distingue parmi les 106 SIPF recensées à la fin des années 1980, deux catégories. Il y a d’un côté les PME Islamiques, sociétés privées se servant de l’argument Islamiques pour financer leurs activités de manières autonome et lever les fonds des particuliers sans passer par un établissement bancaire classique, et d’autre part des fonds d’investissement familiaux et informel dont la rentabilité des placements aurait attiré de nouveaux investisseurs. Le marché des SIPF est alors dominé par 6 géantes : la société Al Rayyan pour les transactions financières et les placements de fonds, la société Al Sharif pour le développement économique, le groupe Al Saad (investissant essentiellement dans les sociétés du secteur public), le groupe Al Hoda Misr, la société Badr pour l’investissement et les placements de fonds, et enfin le groupe des sociétés Al Hilal. Tableau 2 : Les six principales SIPF en 1988 (sources : Roussillon, Op. Cit. 1988, pp.19-20) 112 58 Roussillon, Alain, Les sociétés Islamiques de placement de fonds, Dossiers du CEDEJ, n°3-1988 Le Caire, p. 17 Chamosset François - 2009 Partie 2 : L’apparition de structures financières extérieures au secteur bancaire : les exemples de la finance Islamique et de la micro finance. Sociétés Al Rayyan Montant des dépôts Nombre de clients receuillis en 1988 recencés 2,5 à 4 milliards de £E Entre 120 000 et 150 000 Al Sharif Al Saad Al Hoda Misr 1,2 à 2 milliards de £E Environ 100 000 0,8 à 1 milliards de £E Environ 100 000 350 à 500 millions … Badr Environ 200 millions … Al Hilal 60 millions … Destination des investissements Possède 18 filiales entre l’agro alimentaire, les détergents ou le bâtiment Industrie Plasturgiques Prêt à porter Islamique Textile et agroalimentaire Tourisme et grande distribution Sociétés Chypriotes de carton et de clouterie Les SIPF dans les années 1980 ne constituent pas un phénomène marginal, mais sont des acteurs de poids dans le système financier Egyptien. Le journaliste Mahmud Abd El 113 Fadil estime aux alentours de 300 000 le nombre de clients total des SIPF, pour des dépôts moyens se situant entre 2000 et 10 000 £E. 0 l’origine de ces sociétés se trouvent des activités de trafics de devises et d’accueil de l’épargne des travailleurs immigrés. Les raisons de leurs succès est donc liées au développement et la diffusion de la rente pétrolière durant cette période. On peut dire que l’on assiste à un véritable mouvement d’autonomisation de la société civile. Les animateurs de ces SIPF se présentent souvent comme indépendant de toute bourgeoisie politique ou économique et cherchent davantage à incarner l’image du « self made man » à l’Egyptienne. Ainsi ce témoignage d’Ashraf Saad, animateur de la société éponyme illustre bien cette idée. « Au départ, j’étais un jeune homme ordinaire, appartenant à une famille pauvre. Je ne possédais rien. J’étais comme n’importe quel jeune homme de ma condition qui attend l’autobus avec guère plus de dix piastres en poche. Puis j’ai obtenu le diplôme de l’institut coopératif et je suis parti en France pour travailler mais je n’ai pas supporté longtemps de laver les assiettes car je m’étais porté par tempérament vers le commerce. Je suis rentré en Egypte et je me suis lancé dans le commerce. J’avais alors 23 ans. En 1979, je me suis installé à Simbelwan (Delta). Tout ce que je possédais, c’était 7 ou 8 000 £E. À partir d’une toute petite échoppe, j’ai pris la représentation de Schweppes. Puis un gros marchand de voiture m’a proposé de travailler avec lui comme vendeur. Je prenais les voitures à 8 000 £E et je les revendais 12 000. Il me confia dix voitures. Puis j’acquis un magasin d’exposition avec un crédit de trente mois. En deux mois, j’avais fini de le payer. Je pris de nombreuse représentations commerciales… Et les affaires ont commencé à tourner. Au bout de deux ans, je me suis aperçu que je figurai au 113 Abd El Fadîl, Mahmoud, « Al baraka lam takun wara’ al-najah » (la chance n’a pas rencontré le succès), Al Ahali, 16 novembre 1988, cité in Roussilon, Op. Cit. 1988 Chamosset François - 2009 59 Le rôle de l’institution bancaire dans l’Egypte contemporaine. Pour une illustration de la dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement nombre des plus gros commerçants d’Egypte. Puis j’ai entendu parler des SIPF. 114 Et je m’y suis lancé. » Ce qui caractérise principalement cette période d’essor pour les SIPF, c’est la totale impunité dans laquelle elles pratiquent leurs activités. Leurs liens avec le marché noir des devises est complètement assumé et elles ne possèdent aucun statut juridique, tout en continuant à diffuser des appels de fonds sous la forme de publicité dans les grands titres de la presse officielle et indépendante. Peu à peu, les SIPF vont tenter de régulariser leurs situation soit en s’enregistrant sous le régime de la Loi 43/1974 – lorsqu’elles parviennent à trouver un partenaire étranger pour rentrer dans leur capital – soit en s’instituant en Sociétés Anonymes (régime juridique créé par la loi 159/1981), et en faisant de leurs clients des actionnaires. Cependant, le passage au statut de SA ne fait pas complètement rentrer les SIPF dans la légalité puisqu’elles continuent à pratiquer des augmentations de capital sans en demander l’autorisation de la BCE (ce qui est formellement interdit) et ne laissent à leurs « actionnaires » quasiment aucun droit de regard sur la réalité de leurs investissement. C. La répression de l’Etat face à la montée d’une bourgeoisie concurrente Le scandale des SIPF éclate réellement à la fin de l’année 1987 lorsque le groupe Al Hilal est mis en liquidation judiciaire et que son directeur, Muhammad Kamal Abd Al Hadi, s’enfuit à l’étranger. La faillite de ses investissements Chypriote a provoqué un mouvement de panique parmi les 2000 actionnaires de la société. Un déposant fini par intenter une action en justice devant les atermoiement des responsables de la société pour lui restituer ses 150 000 $. Cet événement marque le début de la vague de répression mené par l’Etat contre les SIPF. Au delà de ce scandale, somme toute prévisible étant donné les conditions d’existence des SIPF, la répression de l’Etat va être suscitée par deux événements jugés inacceptables 115 par l’Etat car mettant en péril ses intérêts vitaux . Tout d’abord, la société Al Hoda Misr annonce le 28 Avril 1988, sur trois pleines pages achetées dans le quotidien d’Etat Al Ahram, sa volonté d’acheter une compagnie d’aviation civile, dans l’attente d’une privatisation d’Egyptair. Deux jours plus tard, les sociétés Al Saad et Al Rayyan, annoncent leurs volonté de fusionner en une seule SIPF au capital propre d’un milliard de £E. Le ministère de l’économie fait interdire ce projet et un nouveau scandale éclabousse la société Al Rayyan : l’un des directeurs de la société est enlevé de l’hôpital psychiatrique ou il était interné pour « dépendance médicamenteuse », non sans avoir au préalable signé une passation de pouvoir sur la société au bénéfice de son propre frère. Dans le même temps l’Etat Egyptien réplique à ces deux provocations par une vaste campagne de dénigrement par l’intermédiaire de la presse officielle : en moins de 3 mois, l’hebdomadaire Al Ahram Al Iqtisadi consacre pas moins de 6 unes aux démêlés judiciaires des SIPF. Les SIPF accumulent subitement les poursuites judiciaires : le 15 mai 1988, Al Rayyan est accusée d’avoir importé sans autorisation des stock de fève, et le 17, cinq dirigeants de SIPF sont inculpés pour manquement aux réglementations relatives aux 116 banques et aux sociétés financières . 114 Al-Sharqawy, Gamal, Al Haqiqa awda Sharikat tawzif al-amwal ( La vérité sur les Sociétés Islamiques de Placement de Fond), Al Fajr lil-tibaa, Le Caire, 1988, cité in Roussilon, Op. Cit. 1988 p. 25 115 116 60 Roussillon, Op. Cit. 1988, p. 29 Ibid. p. 31 Chamosset François - 2009 Partie 2 : L’apparition de structures financières extérieures au secteur bancaire : les exemples de la finance Islamique et de la micro finance. La répression Etatique va finir par prendre la forme de la loi n°146/1988 votée en urgence le 5 juin 1988 obligeant, entre autre, les SIPF à publier un rapport d’activité annuel et à conserver en fond propre une partie de leurs dépôts. Un délai de 3 mois est laissé à ces sociétés pour se mettre en conformité avec la Loi et seule la société Al Rayyan refuse de l’appliquer : le gel de ses avoirs en octobre 1988 servira à démontrer la fermeté de l’Etat. Au-delà de cette série d’événements relevant plus des péripéties d’un feuilleton américain que d’un véritable problème d’économie politique, une question mérite d’être posée concernant l’épisode des SIPF : celle de la méthode de répression utilisée par le gouvernement pour faire rentrer ces éléments informels dans le rang : puisqu’il existait des manifestations ostensibles de l’état d’illégalité dans lequel se trouvaient les SIPF, alors pourquoi a-t-il fallu rédiger une nouvelle loi visant spécifiquement à réglementer l’activité de ces sociétés ? En d’autre terme, pourquoi inventer un délit pour inculper les SIPF alors qu’elles se trouvent déjà dans l’illégalité ? Alain Roussillon avance que l’épisode des SIPF montre que la stratégie du gouvernement en matière de régulation des activités informelles ne doit pas être analysée en différenciant ce qui est légal de ce qui ne l’est pas, mais ce qui est utile au bon fonctionnement de la société et de l’économie, et ce qui menace la pérennité de l’Etat. En réalité, les SIPF rendaient à l’Etat un service qu’il était incapable de proposer à ses sujets : celui de protéger les placements contre l’inflation en maintenant des rendements suffisants 117 pour conserver le pouvoir d’achat des épargnants . Lorsque ces sociétés sont devenus trop menaçantes pour le régime, il a fallu les punir, mais à l’aide d’un autre arsenal juridique que celui existant, puisque l’existant tolérait aussi des activités informelles qui étaient jugées nécessaire par l’Etat. « Il y a là un raidissement de l’attitude de l’Etat à partir duquel on peut formuler une hypothèse paradoxale : le « bon » fonctionnement d’une économie elle-même “duelle“, ou coexistent un secteur d’activités formelles et un secteur “informel“, n’est possible et viable que si les foudres de la loi sont susceptibles de s’abattre sur tous. Plus précisément, le sentiment d’incertitude que crée, tant dans le secteur formel que dans le secteur dit informel, le fait pour chacun de ne pas très bien savoir ou il en est par rapport à la loi constitue l’un des ressorts essentiels de ce système de contrôle et la faute majeure des SIPF est ici d’avoir voulu, au nom d’une légitimité supérieure, s’affranchir explicitement de ce système de 118 contrôle. » On retrouve ici la problématique de la légitimité soulevée par le phénomène de la finance islamique. Dans l’épisode des SIPF, on retrouve l’opposition traditionnelle entre la dynamique de sécularisation de l’Etat et les revendications d’ordre religieuses de l’Islam politique. Ce n’est pas pour autant qu’il existe un lien entre l’Islam politique et les SIPF, mais, simplement, en voulant s’extraire de l’autorité politique par l’invocation d’une légitimité religieuse, les SIPF ont dépassés les limites de ce qu’un Etat de type Westphalien pouvait tolérer. L’essor d’une finance islamique privée dans les années 1970 va donc permettre la constitution d’une dynamique d’autonomisation de la sphère économique dans son ensemble à partir du secteur financier. Il ne s’agit pas là d’un mouvement politique à 117 En 1987, le rendement moyen des placements dans les SIPF était aux alentours de 25%, tandis que le taux d’intérêt fixé par l’Etat était de 8,5%, pour un taux d’inflation moyen de 20%. Galloux, Op. Cit. p. 155 118 Roussillon, Op. Cit. 1988 p. 34 Chamosset François - 2009 61 Le rôle de l’institution bancaire dans l’Egypte contemporaine. Pour une illustration de la dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement proprement parler – puisque les liens entre l’Islam politique et les milieux financiers sont très ténus – mais plutôt d’un aveu de la part de l’Etat de son incapacité à répondre à la demande croissante qui émerge de la société, de diversifier des activités financières disponibles. Loin d’être un prétexte, la référence religieuse est ici un moyen de construire une activité économique autonome de la sphère politique en recherchant de nouvelles sources de légitimité qui induisent de nouvelles réglementation. Le développement de la finance islamique dans les années 1980 est donc le produit de la rencontre entre l’arrivé des pratiques religieuses d’inspirations Wahhabites en provenance de la péninsule Arabique et propagées par le retour des travailleurs émigrés, et les mouvements de dérégulations financières pratiqués par les gouvernements occidentaux. Dans les années 1980, l’islam 119 investit de nouveaux espaces de la sociétés Egyptiennes , tandis que les placements internationaux deviennent de plus en plus alléchants. C’est la conjonction de ces deux facteurs qui va expliquer le succès de cette activité. 3. La finance Islamique au XXIe siècle : discours et réalité À la fin des années 1980, le court moment de liberté qui avait permis la constitution d’un secteur financier parallèle est définitivement terminé. La rente pétrolière est quelque peu tarie et l’épisode des SIPF rendu les investisseurs plus réticents à se lancer dans des opérations de collecte d’épargne trop importantes. L’ajustement structurel va dans le même temps donner un nouveau souffle au secteur bancaire traditionnel en lui permettant de fixer des taux d’intérêts librement et d’opérer sur les marchés des changes et des capitaux. On peut effectivement repérer une période de renouveau de l’activité à la fin des années 1990, mais nous verrons que le champs islamique, au sens Bourdieusien du terme, n’est plus autant valorisé dans le système financier Egyptien que durant les années 1970. A. Finance Islamique et Ajustement Structurel : la réaffirmation du secteur bancaire traditionnel On a vu qu’à partir de 1991, la position extérieure de l’Egypte avait contraint le gouvernement à négocier un plan d’ajustement structurel avec le FMI en échange d’un rééchelonnement de sa dette. Sur le plan financier, cette réforme a permis d’ouvrir de nouveaux horizons au secteur bancaire traditionnel, avec pour objectif de diversifier ses activités. Tout d’abord, l’Etat a tenté de libéraliser les taux d’intérêts par l’émission de bons du trésors à destination des banques et des particuliers. Auparavant fixés à 8 ou 9%, les taux d’intérêts bancaires ont crus, avec la hausse de la demande en bons du trésor, jusqu’à 120 19,5% en juillet 1995 . Ensuite, le second aspect de cette réforme financière a été l’ouverture d’un marché des changes légal, permettant la création d’agences de changes réagissant aux prix du marché. Cet aspect de la réforme visait avant tout à contrôler davantage les anciens trafiquants de devises en les intégrants dans un marché formel sous l’autorité de la BCE. Ainsi, ces agents de changes n’étaient ils pas autorisés à collecter les revenus des Egyptiens expatriés – prérogative devenu le monopole des banques publiques – ni à conserver un fond de roulement en devise de plus de 30% de leur capital d’une journée sur l’autre. 119 Pour une illustration du rapport entre développement des SIPF et du phénomène religieux, lire le roman de Sonallah Ibrahim, Les Années de Zeth, trad. Richard Jacquemont, Acte Sud, 1993 120 62 Galloux, Op. Cit., p. 156 Chamosset François - 2009 Partie 2 : L’apparition de structures financières extérieures au secteur bancaire : les exemples de la finance Islamique et de la micro finance. Nous pensons qu’il faut comprendre les réformes placées sous le sceau de « l’ajustement structurel », davantage comme une réponses aux déboires de l’épisode des SIPF. Il s’agissait de transformer radicalement le marché Financier de manière à renforcer la position des banques conventionnelles et d’empêcher l’émergence de nouveaux acteurs 121 informels sur le marché financier. Michel Galloux évoque un événement curieux allant dans ce sens : en 1989 – au lendemain du scandale des SIPF – le grand mufti de la 122 République , Sayyid Tantawi, emet une fatwa accordant une légitimité religieuse aux certificats d’investissement émis par la Banque Ahli (filiale de la NBE), en contradiction avec l’ensemble des fatwa qui ont pu être émises par ses collègues, et qui suscite la réprobation de l’ensemble de la communauté des Oulémas, le Grand Imam d’Al Azhar compris. On peut y voir une tentative de sécularisation de la finance islamique de la part de Tantawi, dans la mesure ou cette fatwa vise à normaliser la pratique de la Riba et à réduire le caractère « halal » d’un investissement à la seule obligation de financer des activités moralement valorisantes, tout en noyant les pratiques Islamiques « classiques » dans un plus grand marché politique. « En outre on peut penser que, si l’objet principal de la fatwa était la légitimation des certificats de la banque Ahli, c’est que les sociétés de placement de fonds Islamiques collectaient leurs dépôts par l’émission de certificats concurrents, selon un principe de commandite. Le succès de ces derniers auprès des épargnants pourrait expliquer la proposition faite à la Banque Ahli par le mufti de créer […] un quatrième type de certificat, à rendements variables, sur le modèle 123 de ceux des sociétés de placement de fonds » B. La fin d’un « champs » financier Islamique ? Si il est certain que l’ajustement structurel met un véritable coup d’arrêt à l’expansion des activités de Finance Islamique en Egypte, il est difficile par la suite de chiffrer le poids réel de ce type d’activité sur l’ensemble du secteur. Pourtant plusieurs arguments penchent en faveur d’une thèse de l’affaiblissement du paradigme de la finance Islamique. Tout d’abord, le développement des marchés financiers conventionnels et la régularisation d’un ensemble d’acteurs jusqu’alors informel met fin à la nécessité de trouver des sources de légitimité alternatives pour exercer une activité financière. Les placements les plus rentables sont désormais accessibles depuis le secteur formel de l’économie. Par ailleurs, le succès du « champs » de l’Islam Financier (au sens Bourdieusien du terme : c’est à dire comme un espace de valorisation d’un certain capital symbolique) a aussi produit sur le long terme une forme de désenchantement, ou plus exactement, de désacralisation. Alors que l’Islam politique n’a encore jamais véritablement eu l’occasion d’être mis à l’épreuve de l’exercice du pouvoir en Egypte, l’Islam économique a déjà montré que son caractère religieux n’élevait pas pour autant le gestionnaire au-dessus des affres de l’appât du gain ou de la spéculation. « As far as economic Islam is concerned, the degree of demystification may be even greater than with political Islam, since many economic variable are 121 122 123 Ibid. p. 159 Conseiller religieux suprême de l’Etat Egyptien Galloux, Op. Cit., 1997, p. 166 Chamosset François - 2009 63 Le rôle de l’institution bancaire dans l’Egypte contemporaine. Pour une illustration de la dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement quantifiable. Beautiful words are a poor substitute for a negative balance 124 sheet. » La principale critique qui est revient souvent de la Finance Islamique en Egypte est que ses promoteurs ont promis ce qui peut s’apparenter à une quadrature du cercle : islamique ou pas, on ne peut pas faire fonctionner longtemps un modèle financier ou l’on prétend à la fois éloigner le bon croyant/bon épargnant du péché de l’usure tout en lui offrant des taux de rendement à deux chiffres. Les promesses de taux d’intérêts de 25 ou 30% qui ont été faites au moment du scandale des SIPF, et les escroqueries qui s’en sont ensuivies sont autant d’atteinte à la pérennité d’un système qui se veut avant tout fondé sur un principe moral. Par ailleurs, il est possible aussi d’expliquer l’échec de l’Islam économique par 125 l’émergence de ce que Patrick Haenni appelle « L’islam de marché » , qui peut se résumer par le processus d’individualisation du rapport au religieux en marche dans la plupart des sociétés au Moyen-Orient. Cette Islam de marché se caractérise par une perte de contrôle des chefs des mouvements Islamistes sur leurs militants et une multiplication des réseaux au détriments des relations de hiérarchie. Cette dynamique est favorisée par l’avènement des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication et la multiplication et s’inspire beaucoup des techniques de management américains. L’islam de marché s’éloigne des pratiques collectives pour approcher la religion de manière plus individuelle, poussant tout un chacun a procéder à une relecture personnelle et plus pragmatique des principaux dogmes. « Cette critique jette le discrédit sur les institutions sociales mises en place pour cristalliser le rêve d’un contre espace public islamiste. […] L’enthousiasme retombe de la même manière du côté des banques islamiques qui drainent de moins en moins d’épargne. Elles essuient des critiques toujours plus sévères, notamment de la part des intellectuels islamistes eux-mêmes, alors que certains de leurs promoteurs de jadis, comme Ahmed El Naggar (considéré comme le père spirituel de la finance Islamique) reviennent au secteur bancaire 126 conventionnel. » Enfin, on peut avancer qu’il existe tout simplement un effet de normalisation de la Finance Islamique, lorsque l’ensemble des acteurs, qu’ils soient publics ou privés tendent à légitimer de manière religieuses leurs produits, il devient alors difficile pour une entreprise de justifier une spécialisations sur le seul critère Islamique. Ici le symbole de la normalisation que l’on retiendra s’est déroulé en Octobre 2001, lorsque le ministre des finances a proposé au directeur de la Banque Islamique Faysal d’Egypte, le poste de gouverneur de la BCE. Celuici a fini par refuser, mais il est apparu a cette occasion que les banques Islamiques étaient désormais considérées comme des banques comme les autres. 127 Le site Internet islamic-banking.com qui propose un annuaire des institutions proposant des services de finance Islamique dans le monde relève huit banques de ce type en Egypte. Aucune de ces huit institutions ne peut être qualifiée de banque islamique à 100%. En réalité la finance islamique aujourd’hui en Egypte semble davantage être un type de produits bancaires qu’un secteur d’activité à part entière. 124 Soliman, Art. Cit., 2004, p. 280 125 126 Ibid. p. 16 127 64 Haenni, Patrick, L’Islam de marché. L’autre révolution conservatrice, Seuil, La République des Idées, Paris, 2005 http://www.islamic-banking.com/ibanking/ifi_list.php , [page consultée le 12 juin 2009] Chamosset François - 2009 Partie 2 : L’apparition de structures financières extérieures au secteur bancaire : les exemples de la finance Islamique et de la micro finance. En résumé, la place de la notion de finance islamique dans le système économique Egyptien évolue historiquement de la manière suivante. Ce paradigme naît tout d’abord de la prise de conscience d’une fraction d’intellectuels, issus de la bourgeoisie d’Etat et formés à l’étranger, des carences du modèle financiers induit par le capitalisme d’Etat mis en place par Nasser. L’aspect islamique n’est au départ qu’une forme de moralisation d’une activité jugée trop bureaucratique et suscitant la méfiance de ses clients les plus réticents. À partir des années 1970, la finance islamique en tant que domaine de valorisation d’un capital symbolique religieux dans le champs financier, va être récupérée par une classe moyenne enrichie par les transferts de pétrodollar en provenance du Golfe Arabo-Persique. À ce moment-là, la référence religieuse va être l’occasion de créer de nouvelles normes d’échanges financiers dans cadre moral concurrent à celui constitué par l’Etat. Cette période de compétition entre ces deux systèmes financiers va se solder d’une part par une forte répression de l’Etat contre la finance islamique informelle, mais aussi part l’intégration du référent religieux à l’intérieur du système économique dominant. Revendiqué par l’ensemble des acteurs, l’aspect islamique va peu à peu perdre, si ce n’est de son sens, au moins de sa spécificité et atténuer la réalité d’un secteur financier islamique en marge du système bancaire d’Etat. On retrouve ici un parcours sommes toute assez semblable à celui de la place donnée aux Frères Musulmans dans l’espace politique Egyptien : après les années de répressions vécues sous le régime de Nasser, le mouvement a été peu à peu toléré sous Sadate puis sous Moubarak. Aujourd’hui, les Frères Musulmans sont formellement associés à l’exercice du pouvoir puisqu’ils possèdent 70 députés à l’Assemblée du peuple (Maglis Al-Chaab), pourtant ces soixante-dix parlementaires sont contraints de siéger sous l’étiquette « indépendants » puisque le mouvement des Frères Musulmans n’est toujours 128 pas autorisé à se constituer en parti politique . Vis-à-vis de l’islam politique comme de l’islam économique, le pouvoir use donc de la même stratégie : on intègre les valeurs et les idéaux revendiqués par les « acteurs marginaux » du champs politique ou économique, sans pour autant reconnaître au groupe social se référant à ces valeurs une existence légitime. On trouve ici l’une des clés de la pérennité du régime Egyptien : on a affaire dans ce régime à une bourgeoisie d’Etat qui se nourrit d’un compromis permanent entre l’ensemble des revendications portés par les forces politiques d’opposition en les intégrants toujours au moment ou elles commencent à porter un projet politique concurrent à celui du gouvernement. C’est ainsi que l’assise sociale et idéologique de cette bourgeoisie s’agrandit de crises en crises sans jamais provoquer de réelle alternance politique. II. La micro finance en Egypte : libéralisation endogène ou exogène de l’accès aux produits financiers ? Si nous avons choisi d’aborder successivement la question de la finance islamique et celle de la micro finance en Egypte, c’est que nous sommes convaincu qu’il existe une réelle filiation entre ces deux phénomènes, tout du moins dans l’étude de leur genèse. En effet, lorsque Ahmad El Najjar lance sa première Caisse d’Epargne Rurale en 1961, il a dans l’idée non seulement de développer des réflexes d’épargne au sein de la population rurale 128 Officiellement, la constitution Egyptienne interdit toute création de partie sur la base de l’appartenance confessionnelle. Chamosset François - 2009 65 Le rôle de l’institution bancaire dans l’Egypte contemporaine. Pour une illustration de la dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement Egyptienne, mais aussi de répondre à une demande croissante de financements émanant du secteur informel de l’économie. Or, nous avons vu que la finance islamique, attirée par les sirènes du libéralisme international et réprimée par une puissance publique qu’elle avait d’abord cherché à défier, a fini par complètement abandonner ses prérogatives sociales pour entrer dans le secteur bancaire dit « formel ». Pour autant, le problème de la forte discrimination dans l’accès au crédit et à l’épargne, ainsi que celui de la méfiance des couches les plus pauvres de la population vis-à-vis du secteur bancaire est resté irrésolu. C’est pourtant exactement dans cet objectif de démocratisation du système financier, que Mohammed Yunus, prix Nobel de la paix conçoit l’idée de micro finance : « Aucun de nous n’aime l’idée d’Apartheid. Lorsque nous entendons parler d’un tel système, quel qu’il soit et ou qu’il existe, nous nous y opposons. Nous comprenons touts que nul ne devrait souffrir pour la simple raison qu’il appartient à une classe sociale ou à une race, ou qu’il connaît certaines conditions économiques. Mais nos institutions financières ont pu créer un système d’apartheid sans que personne en soit choqué. Si vous n’avez pas de garanties, vous ne pouvez pas emprunter : aux yeux des banques, vous 129 n’appartenez pas à notre monde. » C’est pour cette raison que l’on retrouve dans le paradigme de la micro finance (MF) en Egypte une forme de filiation avec le projet originelle de la finance islamique : il s’agit de diversifier l’offre de produits financiers disponibles sur le marché afin d’attirer de nouveaux épargnants et de nouveaux entrepreneurs dans le système dit « formel ». Dans le cas présent, ce sera l’appui du PNUD et des agences de développement occidentales qui vont être perçu comme une forme de légitimation, ou tout du moins, de moralisation, par le discours humanitaire et développementaliste, de ces pratiques. Pour autant, l’Etat Egyptien conserve encore un contrôle stricte sur ces pratiques ce qui constitue semble-t-il un frein majeur au développement des activités du micro crédit au travers du pays. Sans entrer véritablement dans les détails de l’impact réel de la micro finance sur l’économie Egyptienne, nous tenterons d’analyser les rapports qu’entretiennent les acteurs du micro crédit aussi bien avec la sphère politique nationale qu’avec les institutions internationales d’aide au développement. C’est dans cette optique que nous examineront les enjeux du processus de transformation des acteurs du micro crédits en Institutions de Micro Finance (IMF), actuellement en cours dans le pays. 1. Mise en place de la micro finance sous pression internationale : les raisons d’un succès relatif 130 Une récente enquête sur la pratique du micro crédit en Egypte estime que la pratique de l’octroi de micro prêts à vocation sociale remontant à l’époque Nassérienne. En effet, l’Etat Egyptien, par l’intermédiaire la Principal Bank for Development and Agricultural Credit, avait mis en place le projet « Famille productives » consistant en l’allocation de micro prêts aux 129 Yunus, Muhammad, Vers un nouveau capitalisme (creating a world without poverty), trad. Merle d’Aubigné Béatrice et Steta Annick, JC Lattès, 2008 p. 92 130 Planet Finance [en ligne], National Impact survey of micro finance in Egypt, Le Caire, Mai 2008 p. 19 [page consultée le 14 juin 2009] http://www.undp.org.eg 66 Chamosset François - 2009 Partie 2 : L’apparition de structures financières extérieures au secteur bancaire : les exemples de la finance Islamique et de la micro finance. familles pauvres en milieu rurale. Mais l’apparition d’un micro crédit d’initiative non publique remonte véritablement à 1988, sous l’initiative de l’USAID. Nous reviendrons dans cette première partie sur l’expansion de la micro finance en Egypte depuis le début des années 1990, puis nous tenterons de produire un tableau de ce secteur en recensant les acteurs intervenants et les différents types de produits proposés. A. Genèse et expansion du micro crédit en Egypte En 1988, le premier programme de l’USAID évoqué plus haut aboutit à la création des deux première Organisation Non Gouvernementale (ONG) spécialisées dans ce domaine : la Cairo Foundation et la Alexandria Businessmen Association (ABA). L’USAID apportait un soutient technique à la mise en place de service de micro finances pour permettre à ces 131 deux associations de trouver de nouveaux clients en développant les produits adaptés . À la différence des premiers projets de MF développés par l’Etat Egyptien, les activités de ces deux fondations se concentrent essentiellement sur le secteur urbain (le Caire et Alexandrie). Il faut par exemple attendre 1997, pour que l’ABA sorte d’Alexandrie et lance un projet dans le gouvernorat rural de Kafr El Sheikh. Il faut croire que l’assistance technique américaine associé à l’expérience de terrain de l’ABA va rencontrer un certain succès en Egypte puisque dès 1998, l’ABA lance un nouveau programme de micro finance à Bahreïn, 132 puis un autre au Yemen en 1999, et enfin un troisième en 2005 en Arabie Saoudite . L’activité de l’ABA est exclusivement tournée vers le prêt, et a pu mettre en place des systèmes nationaux de gestion L’initiative de L’USAID obtient un soutient de l’Etat à partir de 1991, avec la création du Fond social de développement (FSD), nouvelle entité gouvernementale de gestion de la politique sociale, qui lance un programme de développement du micro crédit. Par la suite, cet organisme recevra de la loi 141/2004 la mission de coordonner les différentes initiatives de Micro Finance mise en place sur l’ensemble du territoire Egyptien, et de mette en place des accords d’associations avec les institutions financières proposant des activités de micro crédit. Le PNUD recense ainsi quatre banque commerciales offrant ce genre de service avant 2004 : la Banque Nationale de Développement, la Banque Principale pour le Développement et le Crédit Agricole, la Banque du Caire (depuis 2001) et la Banque Misr 133 (depuis 2003) , auxquelles s’est ajoutée la banque d’Alexandrie après sa privatisation. Par ailleurs, dès le début des années 2000, les différentes agences de développement occidentales mettent en place tour à tour leurs programmes de micro crédit. Planet 134 Finance recense entre autre l’agence Canadienne de développement, la fondation Ford, l’Unicef, l’agence de développement Egypto Suisse, l’ONG Save the children, la coopération Allemande, le Fond Italien pour l’Egypte, ou même la politique de voisinage de la Commission Européenne. Enfin, l’année 2005 a été l’occasion pour le PNUD de lancer une stratégie nationale pour la micro finance en Egypte, dans le but d’élargir encore l’accès à ces services à une plus large part de la population. Il s’agit pour le l’un des objectifs du PNUD est également 131 Information sur l’histoire des relations entre l’USAID et l’ABA sur le site de cette dernière consacré a ses activités de micro finance : http://www.aba-sme.com/Overview - History.html [page consultée le 14 juin 2009]. 132 Ibid. 133 Programme des Nations Unies pour le Développement[en ligne], The National Strategy for micorfinance, 2006 p. 10 [page consultée le 9 juin 2009] http://www.undp.org.eg 134 Planet Finance, Op. Cit., p. 19 Chamosset François - 2009 67 Le rôle de l’institution bancaire dans l’Egypte contemporaine. Pour une illustration de la dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement de lutter contre l’idée que la micro finance ne se limite qu’à l’octroi de micro prêts par des donateurs privés, s’apparentant à une nouvelle forme de charité. Il s’agit de montrer que ce sont des pratiques financières pouvant être viables économiquement, et participer à la création d’un système de micro finance complètement autonome et orienté en direction des 135 plus pauvres . B. Les principaux acteurs du micro crédit : structure du marché et produits proposés 136 La récente enquête de Planet Finance sur les activités du micro crédit en Egypte propose une typologie regroupant 5 différents catégories d’acteurs de la Micro finance en Egypte : a- Les deux ONG spécialisées qui agissent dans ce secteur depuis 1988 : l’ABA et la Cairo Foundation, désormais sous la tutelle du ministère de la solidarité sociale. b- Les 5 banques commerciales classiques (2 privée et 3 publiques) auxquelles il faudrait rajouter la Poste Nationale, qui est la seule institution à proposer des produits de micro épargne. c- Les communautés de développement des ONG : réseaux d’ONG proposant entre autre des services de Micro crédit. d- Des « ONG parapluie », d’envergure nationales, qui relient un ensemble d’actions locales, généralement avec le soutien du gouvernement. e- Les Associations de communautés de développement : qui sont les relais locaux des deux types de réseaux précédents. On recensait donc en décembre 2007, environ un millions de clients ayant accès au micro crédit sur l’ensemble du territoire Egyptien, ce « marché », se répartit entre les différents acteurs de la manière suivante : 135 136 68 PNUD, Op. Cit. p. 10 Planet Finance, Op. Cit. p. 20 Chamosset François - 2009 Partie 2 : L’apparition de structures financières extérieures au secteur bancaire : les exemples de la finance Islamique et de la micro finance. Graphique 19 : répartition du million de clients que compte la MF en Egypte Par ailleurs, les activités de micro crédits sont inégalement réparties sur le territoire. Malgré la mise en place de projets en zone urbaine dès 1988 par l’ABA et la Cairo Foundation, les activités de micro finance semblent encore trop largement concentrée dans les régions rurales, et notamment en Haute Egypte (qui concentre à elle seule 52,7% 137 des projet de micro finance du pays ). Cependant, lorsque l’on considère les taux de pénétration de chaque territoire par la MF, il apparaît que c’est justement la haute Egypte qui est la région la plus délaissée en la matière. 137 USAID [en ligne], Microfinance Programs map, Le Caire, Avril 2008 [page consultée le 10 juin 2009] http://egypt.usaid.gov Chamosset François - 2009 69 Le rôle de l’institution bancaire dans l’Egypte contemporaine. Pour une illustration de la dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement Graphique 20 : pénétration comparée du marché du micro crédit par zones géographiques 138 Selon le PNUD , l’Egypte est depuis le début des années 1990 un pays précurseur en matière de micro finance sur l’ensemble du Moyen-Orient, pourtant on ne retrouve pas dans la réalité du micro crédit les ressorts de véritables mécanismes de marché. Ainsi, l’ensemble des acteurs de la Micro finance sont encore parrainé par une institution publique ou par des structures d’aide au développement étrangères qui ne voient que l’aspect social du micro crédit et se contentent de réduire les possibilités offertes par la micro finance à de simples micro prêts alloués comme n’importe quelle autre aide au développement. Aussi, peut-on conclure que la micro finance en Egypte ne constitue pas encore à l’heure actuelle un véritable champs à l’intérieur de la sphère financière, et n’a donc pas pour objectif une réelle démocratisation du secteur bancaire « ordinaire », mais reste davantage un outil novateur dans la mise en œuvre de la politique sociale du gouvernement. D’un point de vue institutionnel, il faut remarquer que, jusqu’en 2005, les structures de micro finances étaient pilotées soit par le ministère des Solidarités Sociales, soit par le Fond Social de Développement, et que à aucun moment la BCE ou une quelconque entité de régulation économique n’a eu à superviser des activités qui, avant toute implication sociale, relèvent de la gestion financière pure. 2. La micro finance entre maintien des entraves bureaucratiques et émergence d’un marché autonome. Mis à part le caractère exclusivement social du paradigme de la micro finance en Egypte, les observateurs internationaux déplorent également le faible taux de pénétration du « marché potentiel » de la micro finance. Ainsi, le Fond de développement des Capitaux, une agence 138 70 PNUD, Op. Cit. 2008, p. 7 Chamosset François - 2009 Partie 2 : L’apparition de structures financières extérieures au secteur bancaire : les exemples de la finance Islamique et de la micro finance. 139 des Nations Unis (UNCDF) estime-t-il à 5% le nombres de clients potentiels ayant bénéficié d’un micro crédit sur l’ensemble du territoire. 140 Conscients de ces deux failles majeures, les acteurs ont lancé en 2005 une opération intitulée « construire une stratégie nationale de développement de la Microfinance : une approche sectorielle » ( “Building a National Strategy for Microfinance in Egypt: A Sector 141 Development Approach” )sous l’égide du PNUD « The proposed strategy targets “the economically active poor”, meaning “those who are not destitute”. The economically active poor include the micro enterprise sector, and the vulnerable poor who are employed in low- salary jobs, both of whom are excluded, or underserved by the formal financial system. Accordingly, the development of effective, wide-spread, sustainable access to microfinance is perceived as contingent on building inclusive financial systems whereby the financial services needed by the poor, and the institutions that provide and 142 support them, are integrated into the formal financial sector. » Nous étudierons successivement dans cette dernière partie, quels sont les points d’entrave à l’avènement d’un marché de la MF autonome, quelle est la portée de la réforme actuelle de ce secteur et quelle sont les initiatives mises en place par les acteurs de la micro finance eux-mêmes pour développer ces mécanismes de marchés. A. Encadrement législatif et institutionnel de l’activité : quels sont les points de blocage subsistants ? 143 Dans un article de 2007, Magddy Moussa nous apprend que l’activités des Institutions de Micro Finance sont encadrés juridiquement par deux textes principaux qui sont les lois 84/2002 et 141/2004 (intitulée small enterprise regulation law). La loi 84/2002 est une loi s’appliquant à l’ensemble des Organisations Non Gouvernementales présentes en Egypte. Les principaux éléments de cette loi disposent que le Ministère des Solidarités Sociales (MSS) est le coordinateurs de l’ensemble des programmes menés par des ONG en Egypte. Cela implique que le MSS possède un droit de regard non seulement sur leurs activités, mais aussi sur leurs rapports et publications. En outre, les ONG ne peuvent faire de profits, ni se porter garante pour un emprunteur. Selon, 144 Magdy Moussa , le défaut principal de cette loi est qu’il n’a prévu aucun statut juridique spécifique à destination des organisations spécialisées dans le micro crédit. On l’a déjà vu, la disposition principale de la loi 141/2004 est de désigner le Fond Social de Développement (FSD) comme responsable de la coordination des différents projets de 139 Cité in Planet Finance, Op. Cit. 2008, p. 23 140 Décrétée « Année internationale de la Micro finance » par le secrétaire général des Nations Unies de l’époque, M. Kofi Annan, après la remise à M. Mohammed Yunus et à sa société Grameen Bank, du prix Nobel de la paix. 141 PNUD [en ligne], National Strategy for Micro finance, UNDP Egypte, Le Caire 2006, [page consultée le 13 Juin 2009] http://www.undp.org.eg , 142 143 Ibid. p. VI Moussa, Magdy[en ligne], R egulation and Supervision of Microfinance in Egypt, Planet Finance Egypte, p. 10 [page consultée le 14 juin 2009] http://www.microfinanceregulationcenter.org/content/article/detail/37060 144 Ibid. p. 11 Chamosset François - 2009 71 Le rôle de l’institution bancaire dans l’Egypte contemporaine. Pour une illustration de la dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement micro finance. A ce sujet, Magdy Moussa nous enjoint à bien différencier les fonctions d’un simple coordinateur de celles d’un véritable superviseur. « A supervisory body – as is the case with the Central Bank of Egypt or the Capital Market uthority – is responsible not only for monitoring the activity in a specific sector but also for issuing working licenses to applicants and for inspecting their activities. A coordinating body, by contrast, does not enjoy the authority of supervision in the manner mentioned above, but rather is vested by law with the authority to monitor, coordinate, and plan – without interference in 145 the work or affairs of those practicing the activity to be monitored. » En d’autre terme, le FSD, désigné comme coordinateur et non comme superviseur du secteur de la MF par la loi, n’aura en aucun cas une fonction de définition de ce qui relève de la micro finance et de ce qui n’en relève pas, pas plus qu’il ne pourra réguler les pratiques se disant relever de la MF. En pratique cela signifie également que les IMF qui ne sont pas considérées comme des banques d’un point de vue juridique et n’ont pas à se soumettre aux nouvelles réglementations mises en place par la loi 88/2003, par ailleurs, elles ne peuvent avoir accès à l’historique de crédit de leurs clients dans la mesure ou seuls les crédits aux particuliers de plus de 30 000 £E sont recensés dans les statistiques de la BCE. 146 Concrètement, Magdy Moussa relève donc cinq obstacles institutionnels majeurs au développement de la micro finance en Egypte. En premier lieu, il y a l’impossibilité pour les ONG en Egypte de pratiquer des emprunts auprès du secteur bancaire classique. Ce qui rends les IMF totalement tributaires des donneurs internationaux pour collecter leur capital de départ. Se pose également le problème de l’obligation faite aux ONG en Egypte de faire signer tout chèque ou acte de déblocage de fonds par l’un des membre du bureau de l’organisation. De son côté, le MSS doit avoir connaissance de l’ensemble des décisions prises par les comités exécutifs des ONG et se réserve le droit d’en modifier certaines, si il les juge inappropriées. De plus, les services du MSS exigent des ONG des bilans comptables manuscrits et refusent toute version informatique. Enfin, officiellement, le code civil Egyptien interdit la pratique de l’usure par des institutions non financières au delà d’un taux de 4 à 5%. Même si en pratique, cette règle n’est pas respectée (ne serait-ce que parce que l’inflation tourne autour de 10% actuellement en Egypte), les IMF demandent à ce que cette disposition soit réformée. B. Dynamiques de réforme et processus de transformation. On l’a vu, le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) semble être la principale force organisatrice de la réforme du secteur de la MF. Le rapport d’activité sur le sujet, mentionne trois orientations de réforme : à un niveau micro, à un niveau méso et 147 à un niveau macro . 148 Tout d’abord, le niveau micro de la réforme a pour objectif de développer la diversité des produits proposés aux clients de la MF, cela implique principalement de pousser les banques traditionnelles à s’investir dans ce secteur en développant leur capacité de crédit à destination de ce type de clientèle. Il s’agit ensuite de développer des partenariats avec 145 Ibid. p. 10 146 147 PNUD, Op. Cit. 2006, p. 12 148 72 Ibid. p. 12 Ibid. p.13 Chamosset François - 2009 Partie 2 : L’apparition de structures financières extérieures au secteur bancaire : les exemples de la finance Islamique et de la micro finance. la Banque Postale Nationale pour développer les activités de micro épargne et se servir du vaste réseau d’agence dont elle dispose pour relayer les activités des IMF. Enfin, le PNUD souhaiterait que cet aspect de la réforme débouche sur la constitution d’un marché autonome de la micro finance occupé par de véritables Institutions de Micro Finance ayant un statut juridique approprié. Cela impliquerait entre autre, une relative diversification des sources de financements et donc une diminution de la dépendance des IMF envers les dons de charité ; un développement croissant de la capacité d’accueil de nouveaux clients par les IMF et donc une amélioration du taux de pénétration moyen du pays ; et, enfin, le développement de l’adhésion des IMF aux standards de procédures mises en œuvre par le Réseau Egyptien de la Micro Finance (Egyptian Micro Finance Network). 149 Ensuite, la dynamique de réforme à un niveau méso repose sur trois aspects distincts : l’amélioration de la fluidité de l’information à l’échelle régionale, l’approfondissement des relations des IMF avec le tissu économique régional, et l’adhésion à des structures de supervision du marché. Cela va se traduire dans un premier temps par la mise en place d’organismes régionaux de prospection sur la conjoncture du marché de la MF et la constitution d’une structure d’enregistrement de l’historique de crédit de l’ensemble des clients de la MF. Ensuite, le développement de l’implantation locale des IMF devra être réalisée par le biais d’une amélioration de l’accès aux sources de financement locales, et par le développement de services d’assistances aux structures locales de MF. On entend par « structures de supervision du marché » des agences internationales de notation ou bien le Réseau Egyptien de MF évoqué plus haut. 150 Enfin, la dynamique de réforme à un niveau macro est essentiellement composée de la mise en place de politiques publiques ayant pour objectif de faciliter l’entrée de nouveaux acteurs sur le marché de la MF, ainsi que de campagne d’information sur l’activité des IMF à destination du grand public. Cet ensemble de mesures proposées par le PNUD vise en réalité a initier en Egypte ce que le professionnels de la MF appellent le processus de transformation. Dans un article de 151 2004, N. Fernando avait défini ce processus de la manière suivante : « An establishment of a regulated financial institution (RFI) by a nongovernment organization (NGO) or a group of NGOs by transferring its loan portfolio to the RFI completely or partially ». Le processus de transformation vise en quelque sorte à constituer un secteur de la micro finance autonome réagissant à des mécanismes de marché et généralement placé sous le contrôle d’une autorité de supervision. Pour les IMF concernée, les principaux avantages de cette option sont avant tout de pouvoir, grâce à leur nouveau statut juridique, acquérir une relative autonomie financière en accédant à des fonds d’épargne qui lui étaient inaccessible jusqu’alors, cette nouvelle autonomie leur permet entre autre d’élargir la capacité d’octroi de 152 crédit, ainsi que la gamme des produits financiers disponibles . Cependant, en 2006, on ne comptait que 43 IMF dans le monde ayant fait le choix de se transformer en « Institutions 149 150 151 Ibid. p. 14 Ibid. p. 15 Fernando, N. Micro Success Story? Transformation of non-governmental organizations into regulated financial institutions. Asian Development Bank: Regional and Sustainable Development Department. Manille, 2004, cité in Hishigsuren, Gaamaa [enligne], Transformation of Micro-finance Operations from NGO to Regulated MFI, 2006, p. 5 [page consultée le 14 juin 2009] www.microcreditsummit.org 152 Hishigsuren, Art. Cit. p. 5 Chamosset François - 2009 73 Le rôle de l’institution bancaire dans l’Egypte contemporaine. Pour une illustration de la dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement 153 Financières Régulée » . Ainsi, si les perspectives de transformations sont relativement alléchantes pour les ONG pratiquant la Micro Finance, il faut souligner que ce processus a tendance aussi à effrayer. Le principal point d’inquiétude des professionnels de la MF semble être ce que l’on appelle le « mission drift » (que l’on ne pourrait mieux traduire en Français que part une « dérive vis-à-vis des objectifs d’origine »), Christina Franck, dans un article de 2008, définissait le mission drift de la manière suivante : « In a microfinance context, “mission drift” is the concept that MFIs migrate away from their original mission (to serve low-income clients and alleviate poverty) in favor of generating profits for investors by serving higher income clients or by maintaining high-interest rates on client loans. Certain observers associate mission drift with commercialization and transformation. It is thought that the conversion from an NGO to an RFI legal structure emphasizes profit motive over social impact, which in turn may encourage an MFI to target a higher-income and less risky clientele, shifting its focus away from low-income clients. Many critics point to the fact that transformed MFIs tend to have higher average loan sizes 154 than MFI NGOs as an indicator of mission drift. » Se pose dès lors la question d’un possible « mission drift » de la micro finance Egyptienne. Il est évidemment encore bien trop tôt pour établir un quelconque bilan empirique du processus actuel de transformation. Cependant, il est possible d’effectuer un nouveau parallèle avec l’expérience de la finance islamique dans les années 1980 : considérant les épisodes de la Caisse d’Epargne Rurale de Mit Ghamr et celui des Sociétés Islamiques de Placement de Fonds, on peut affirmer que, dans une certaine mesure, l’ouverture de la finance Islamique aux mécanismes de marché et à une compétition internationale accrue a constitué un véritable « mission drift » avant l’heure. C. Vers l’émergence d’un secteur de la micro finance autonome ? Lors d’un entretien préliminaire au début de nos recherches sur le secteur de la micro 155 finance, Carole Servière affirmait que nous vivions actuellement un véritable « tournant de l’Histoire de la micro finance en Egypte ». Et ce, malgré les contraintes institutionnelles qui pèsent sur le développement d’un véritable marché de la MF. Au moins trois illustrations de la situation de la MF en Egypte tendent à appuyer ce point de vue. 156 Tout d’abord, l’enquête réalisée par Planet Finance déjà citée plus haut, relève une tendance à la privatisation des activités de micro finance qui deviennent de plus en plus des entreprises commerciales et dépendent de moins en moins des politiques de codéveloppement des agences internationales. Ainsi, en 2006, la Grameen Bank, fondée au Bengladesh en 1977 par Muhammad Yunus a-t-elle signé un contrat avec le groupe Abul Latif Jameel pour combattre la pauvreté dans le monde Arabe par la micro finance. On peut ainsi parler à cette occasion de la création du premier véritable joint venture Egyptien dans le domaine de la MF. 153 154 Ibid. p.40 Franck, Christina [en ligne], Stemming the tide of mission drift : microfinance transformation and the double bottom line, Women’s World Banking, 2008, p. 8 [page consultée le 14 juin 2009 ] http://www.swwb.org/stemming-the-tide-ofmission-drift 155 Responsable de l’antenne de Planet Finance en Egypte, entretien accordé le 24 mars 2009 156 74 Op. Cit. p. 25 Chamosset François - 2009 Partie 2 : L’apparition de structures financières extérieures au secteur bancaire : les exemples de la finance Islamique et de la micro finance. De plus, le Réseau Egyptien des IMF travaille actuellement à l’élaboration d’un « crédit bureau » visant à élaborer des historiques de crédits pour l’ensemble des clients de la micro finance et ainsi participer à l’amélioration de la gestion des risques clients par les IMF, sur le modèle du projet I-score évoqué en première partie. 157 Enfin, beaucoup plus récemment, la Loi 10/2009 prévoit la mise en place d’un véritable statut juridique pour les IMF qui seraient désormais placée sous la tutelle d’une « Autorité Générale de Régulation Financière » (article premier), dépendante du ministère de l’investissement et censée régir le « système financier non bancaire », il s’agit de remplacer les autorités de régulation des marchés ainsi que de supervision du secteur assurantiel par la mise en place d’une seule autorité pour l’ensemble du secteur non bancaire. Même si les IMF n’obtiennent pas encore de véritable statut juridique spécifique, elles se trouvent désormais sous la tutelle du ministère de l’investissement plutôt que sous celui du MSS et sont donc reconnues comme de véritables entités économiques, et non plus pour leurs seules vocations sociales. En conclusion de cette seconde partie, nous pouvons constater que face à l’atonie du marché bancaire Egyptien, des acteurs issus de la société civile ou de la communauté internationale ont tenté de développer de nouveau paradigmes financiers avec pour but originel de stimuler le marché des produits financiers et d’en démocratiser l’accès. Les deux paradigmes étudiés ont en commun d’avoir connu, ou de connaître encore un franc succès auprès de la population Egyptienne ainsi que d’appartenir à des courants de pensée qui dépassent largement les frontières de l’Egypte. Ce sont deux mouvement non seulement en lien avec le processus de mondialisation, mais qui se sont créé à l’origine pour tenter d’apporter des réponses locales aux problèmes générés par le système financier global. On trouve aussi quelque similarités dans la relation qu’ont entretenu ces deux « paradigmes » avec la puissance publique. Il apparaît en effet, que la principale revendication non satisfaite de leurs promoteurs était d’être reconnu comme des institutions à part dans le paysage financier national et nécessitant un statut juridique adéquat : la finance islamique s’est développée dans le secteur informel tandis que les institutions de Micro finance sont encore considérées comme des ONG caritatives. Au-delà de la question de la légalité des pratiques enregistrées, il semblerait que ce que l’Etat refuse par-dessus tout de concéder à ces deux activités, c’est une légitimité. C’est pourquoi les organismes financiers qui veulent se développer en marge de l’Etat semblent tous condamnés à se trouver privé de statut juridique clair, et à errer aux frontières de la légalité. 157 Traduction Anglaise non officielle obtenue grâce à l’aimable collaboration de C. Servière, le texte de loi dans sa version complète figure en Annexe. Chamosset François - 2009 75 Le rôle de l’institution bancaire dans l’Egypte contemporaine. Pour une illustration de la dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement Conclusion Générale En conclusion de ce travail, il nous semble important de rappeler que nous avons pris le parti d’étudier le système bancaire en tant que reflet de l’économie nationale dans son ensemble. Nous avons ainsi pu montrer que le secteur bancaire formel, trop occupé à servir les intérêts de l’Etat qui garantit sa stabilité, n’assumait que de manière imparfaite son rôle dans l’économie nationale. Ainsi, l’émergence d’un système financier informel est à la fois inévitable pour l’Etat et souhaitable pour le reste de l’économie. C’est dans ce contexte que s’exprime la dialectique entre affirmation du contrôle de l’Etat sur l’économie et résurgence périodique des forces du marché. D’un côté, l’Etat s’arroge les ressources de l’épargne privée pour financer son intervention massive dans l’ensemble des secteurs l’économie, et de l’autre il assèche les capacités de financement en présence dans le circuit national, empêchant ainsi la constitution d’une bourgeoisie concurrente dont la légitimité serait assurée par l’accaparement d’un capital privé. On observe là un parfait exemple du phénomène de néo patrimonialisme évoqué en introduction. Dans ce modèle, l’Etat n’est pas l’arbitre entre les protagonistes du marché, mais son protecteur, ce qui signifie que pour conserver le contrôle du marché, il a tout intérêt à ce que subsiste en permanence une menace de risques systémiques qui ruineraient l’ensemble des acteurs économiques si l’Etat n’était pas là pour les en prémunir. Parallèlement, un secteur financier informel se développe à la fois pour tenter de satisfaire les besoins de financement présents dans le secteur informel de l’économie et garantir éventuellement des dépôts des ménages de l’inflation par la mise en place de produits d’épargne plus rentables. La puissance publique a donc mis en place une zone de flou entre légalité et illégalité ou elle tolère un ensemble de pratiques lorsqu’elles sont nécessaires au fonctionnement de l’économie et les réprime lorsque elles menacent trop la pérennité du régime. C’est la gestion de cette zone d’ombre qui constitue la source principale de la domination de l’Etat sur l’économie de marché. Ce travail nous aura permis par ailleurs de mesurer l’influence réelle du système économique international à la fois sur l’Etat en développement et sur son économie nationale. On a vu ainsi que les institutions internationales – soutenues par les créanciers internationaux de l’Égypte – exercent des pressions répétés sur les décideurs politiques du pays pour que l’Etat laisse davantage s’exprimer les mécanismes de marchés dans la sphère économique. Mais dans le même temps, on peut constater que les pratiques bancaires marginales que nous avons étudiées étaient elles aussi en lien avec la conjoncture politique et économique internationale. Aurait-on pu assister à un tel essor de la finance islamique dans les années 1980, sans la flambée du prix du pétrole et sans les mouvements de dérégulation des marchés des capitaux occidentaux ? Pourrait-on imaginer que l’Etat Égyptien consente à accorder un début de statut juridique aux Institutions de Micro Finance si le jury du prix Nobel de la Paix de 2005 avait décidé de l’attribuer à quelqu’un d’autre que Mohammed Yunus ? Cependant, la portée de cette influence internationale reste à relativiser. Il faut reconnaître que malgré les pressions exercées, le gouvernement Égyptien n’a encore esquissé que des gestes symboliques en direction d’une véritable libéralisation économique, confondant bien souvent distribution d’entreprises publiques à une 76 Chamosset François - 2009 Conclusion Générale bourgeoisie que l’on souhaite fidéliser, et mise en place d’une véritable économie de marché. De notre point de vue, l’Etat se trouve dans une véritable impasse sur la question du maintien de son niveau de dépenses publique et, à terme, du maintien de sa politique sociale. Il est véritablement pris en tenaille entre la pression des institutions internationales qui l’enjoignent à ouvrir le secteur bancaire à la concurrence et ses intérêts vitaux qui lui dictent de conserver le contrôle du marché pour ne pas voir l’épargne nationale délaisser progressivement les titres de la dette publique. Et il n’est pas certain qu’il choisisse de se conformer de bonne grâce aux demandes de la banque mondiale ou du FMI. Dans cette perspective, l’existence d’un lien de causalité entre libéralisation économique et politique, évoquée en introduction, paraît assez ténu. Parant au plus pressé, il semble que le gouvernement d’Ahmad Nazif a choisi de mettre en œuvre les politiques de libéralisation actuelles pour ne pas avoir à répondre au niveau international de son manque de bonne volonté dans le processus de démocratisation du régime. On voit dès lors mal comment les maigres concessions accordées en direction d’une ouverture économique pourraient déboucher sur des réformes allant dans le sens d’une libéralisation politique. De ce point de vue, la reconnaissance progressive de structures bancaires marginales et alternatives, comme le micro crédit ont à nos yeux davantage de chances d’aboutir à l’émergence d’une société civile autonome par rapport à l’Etat. En effet, ces pratiques réalisées à des échelles très localisées ne risquent pas de remettre directement en cause les intérêts de l’Etat, puisqu’elles touchent des individus qui ne participent pas a priori au système bancaire traditionnel, alors qu’elles contribuent effectivement à l’émergence d’activités économiques autonomes dont la richesses et les emplois qui en découlent échappent au néo patrimonialisme. Chamosset François - 2009 77 Le rôle de l’institution bancaire dans l’Egypte contemporaine. Pour une illustration de la dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement Bibliographie Ouvrages Abou Haidar Elias, Libéralisme et capitalisme d’Etat en Egypte. L’impossible privatisation des banques publiques, L’harmattan, Paris 2000 Addi, Lahouari, Etat et pouvoir, approche méthodologique et sociologique, Office des Publications Universitaires, Alger, 1990 Aql, Badr, Tawzif Al Fasad, Dar Al Arabyyia, Le Caire, 1988 Al-Sharqawy, Gamal, Al Haqiqa awda Sharikat tawzif al-amwal (La vérité sur les Sociétés Islamiques de Placement de Fond), Al Fajr lil-tibaa, Le Caire, 1988 Badie, Bertrand, Culture et politique, Economica, Paris, 1993 Blin Louis (dir.), L’Économie Egyptienne, libéralisation et insertion dans le marché mondial, L’Harmattan, Paris, 1993 Clement Henry, M, The Mediterranean Debt Crescent : money and power in Algeria, Egypt, Morocco, Tunisia, and Turkey, Florida international University Press, 1996 Clement-Henry, et Wilson, Rodney (dir.) 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URL : http://ema.revues.org/index397.html Consulté le 16 juin 2009 Chamosset François - 2009 79 Le rôle de l’institution bancaire dans l’Egypte contemporaine. Pour une illustration de la dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement Moisseron, Jean-Yves et Clément, Françoise, « Changements visible ou invisibles : la question de l’émergence de l’économie Egyptienne ? » in Ben Nefissa, Sarah, L’Egypte sous pression ? 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Pour une illustration de la dialectique entre marché et Etat dans une économie en développement Annexes Liste des sigles utilisés ABA BCE BIFE BIIID BSN FMI FPE FSD IMF MF MSS NBE NIB ONG PNUD SIPF USAID Alexandria Businessmen Association Banque Centrale d’Egypte Banque Islamique Faysal d’Egypte Banque Islamique Internationale d’Investissement et de Développement Banque Sociale Nasser Fond Monétaire International Fond Public d’Epargne Fond Social de Développement Institution de Micro Finance Micro Finance Ministère des Solidarité Sociales National Bank of Egypt National Investment Bank Organisation Non Gouvernementale Programme des Nations Unies pour le Développement Société Islamique de Placement de Fonds United State Agency for International Development Résumé L’Egypte s’est lancée en 2004 dans un programme de libéralisation de son système bancaire, actuellement dominé par le secteur publique. Cette réforme est l’occasion de revenir sur le rôle joué par les institutions bancaires dans l’histoire économique contemporaine du pays. Il s’agit d’analyser en profondeur la conflictualité intrinsèque qui existe entre affirmation de l’Etat Nation et développement d’une économie de marché. L’étude du secteur bancaire nous permettra de traiter entre autre de l’intégration de l’Egypte à l’économie mondiale et de son rapport aux institutions économiques internationales, comme la banque mondiale. Nous soulèverons enfin la question de l’apparition de deux types de pratiques bancaires dites « marginales » depuis le milieu des années 1970: la finance islamique et la micro finance, pour comprendre dans quelle mesure ces activités informelles risquent de mettent en péril la survie du régime. 82 Chamosset François - 2009 Annexes Mots clés Egypte contemporaine, secteur bancaire, économie en développement, finance islamique, micro finance. Abstract Egypt has launched in 2004 a liberalization program of its banking system, currently dominated by the public sector. This reform is an occasion to tackle the role played by the banking institutions in the country’s contemporary economic history. We will try to analyze deeply the insight clash that exists between the affirmation of a nation state and the development of a market economy. The study of the banking sector will permit us among other things to deal with the question of integration of Egyptian economy within the global economic system, and with the relationship between the Egyptian state and the international economic institutions such as World Bank. Eventually, we will raise the question of the emergence of two kinds of « outcast » practices since the middle 1970s : Islamic finance and micro finance, in order to understand to what extent those kinds of practices would jeopardize the regime’s suvival. Keywords Contemporary Egypt, banking sector, developing economy, Islamic finance, micro finance /!\ A consulter sur place au centre de documentation de l'Institut d'Etudes Politiques de lyon /!\ Loi n° 88/2003 relative à la Banque Centrale, au Secteur Bancaire et à la politique monétaire (assortie des amendements issus de la loi n°141/2004 et n °93/2004) Loi n°10/2009 de régulation des marchés financiers non bancaire (traduction non officielle) Chamosset François - 2009 83