Défi diagnostic - STA HealthCare Communications

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Défi diagnostic
La médecine exotique de l’Estrie :
vaccine, variole et vaccination
François Melançon, M.D.
Le cas de Samuel
Des symptômes équivoques...
Médecin militaire récemment reconverti à la vie civile, vous assurez une garde de
remplacement à la salle d’urgence d’Asbestos, en Estrie. Un patient vous laisse
perplexe; il s’agit d’un homme dans la jeune trentaine, qui présente de curieuses
lésions à la main et une éruption à l’avant-bras. Il en est à sa quatrième visite à la
clinique et il a jusqu’à maintenant eu droit à quatre prescriptions différentes : des
antibiotiques p.o. à deux reprises, un antifongique systémique, une crème à base de
cortisone, une crème antibiotique et une crème antifongique. Une culture des lésions
et une tentative de débridement ont été effectuées, et ce, sans succès.
Illustration de la première édition de la
publication du Dr Edward Jenner « An
Inquiry into the Causes and Effects of
Variolæ Vaccinæ ». Elle représente les
pustules de vaccine sur les mains de la
fermière Sarah Nelmes. Le pus de ces plaies
a été injecté dans le bras du jeune James
Phipps, en 1796.
Vous recommencez donc le questionnaire : le patient a noté l’apparition de nodules
sur les doigts de la main droite et, dans les deux jours qui ont suivi, une éruption
maculo-papulaire s’est étendue à la main et à l’avant-bras. Une semaine plus tard, le
bras droit, le pied et la cheville gauche ont également été touchés. L’atteinte locale
était un peu douloureuse et modérément prurigineuse. Il y avait présence
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ganglions axillaires douloureux, mais l’état général du patient demeurait
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initialement souffert d’une légère fièvre et les lésionsoressemblaient
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qu’on ne vaccine plus les soldats contre la variole, il existe cependant d'excellentes
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photos à consulter). Elles sont identiques! Vous appelez l’infectiologue au centre
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universitaire, vous lui décrivez le cas et vous lui faites part de votre suspicion
rongeurs
diagnostique. Il vous explique qu’un des seuls endroits où l’on retrouve de la vaccine
est la région de Wotton.Vous lui envoyez votre patient.
sauvages,qui
peuvent le
Qu’est-ce que nodule du trayeur?
transmettre
e nodule du trayeur est une infection due à un parapoxvirus qui peut, à l’occasion,
Lévoluer en érythème multiforme. C’est une affection bénigne qui guérit spontanéaux chats,qui
ment en quatre à cinq semaines, mais qui peut parfois s’infecter à nouveau.
peuvent ensuite
Description clinique
le transmettre
Le patient, en général un cultivateur, se présente avec des nodules hémoraux vaches et
ragiques sur les mains ou le visage (voir Photos 1 et 2). Ces lésions sont fréquemment associées à de l’œdème, de l’érythème, des adénopathies régionales et une
aux humains.
L
le clinicien novembre 2010
1
Défi diagnostic
Photo 1. Plaies de vaccine sur les mains
d’un agriculteur, quasi identiques à celles
du patient.
Photo 2. Lésions sembables à celles du
patient, mais à un stade plus grave.
Source : ht t p ://w w w .c dc .go v /n c i do d /E ID /v o l 9no 11/02- 0814G 1. h t m
2
le clinicien novembre 2010
atteinte de légère à modérée de l’état
général. La condition est très rarement grave et peut causer le décès
seulement chez des patients immunosupprimés ou atteints d’eczéma
généralisé.
Cette zoonose traverse la barrière
des espèces et affecte les bovins, les
ovins, les rongeurs, les chats et les
humains. Elle est causée par le virus
cowpox, un proche cousin du virus de
la vaccine, de la variole des singes
(monkeypox) et de la variole humaine
(smallpox).
Dr Edward Jenner : de la variole
à la vaccine
C’est Edward Jenner, un médecin de
campagne anglais né en 1749, qui a
établi la relation entre l’infection du
cowpox et la protection contre la variole, une infection extrêmement virulente provenant du Moyen-Orient.
Jusque-là, on procédait à la « variolisation » en faisant inhaler des
morceaux de coton imbibés du pus de
bubons varioliques (technique chinoise datant du XIe siècle) ou en
injectant sous la peau le pus de ces
mêmes bubons (technique arabe).
Or, un jour, Jenner apprend l’existence d’une croyance populaire
voulant qu’une personne qui contracte la variole des vaches soit
ensuite protégée de celle des humains.
Il apprend qu’en France, un pasteur
nommé Rabout Pommier considère
que l’inoculation de la « picote » des
génisses est le meilleur traitement
préventif de la variole chez l’homme;
la picote et la variole étant, pour
Pommier, la même maladie. Une
enquête minutieuse permet à Jenner
de confirmer cette croyance popu-
laire. Par observation, il suppose que
le pus des lésions des victimes de la
vaccine les protègent. Il décide de
tester sa théorie sur un enfant nommé
James Phipps.
Le 14 mai 1796, il prélève du pus
des lésions des mains d’une jeune
femme et l’administre à James
Phipps. Il répète cette injection
plusieurs jours en augmentant progressivement la quantité de pus injectée. L’enfant tombe malade, puis il
guérit très vite. Trois mois plus tard,
Jenner lui inocule la variole, mais cela
n’a aucun effet. Jenner multiplie les
cas d’expérience et publie enfin ses
résultats en juin 1798 dans « An
inquiry into the causes and effects of
the variolæ vaccina ».
Cependant, la publication de
Jenner rencontre le scepticisme de
l’élite médicale et il est ridiculisé
publiquement lors de la première
présentation de ses découvertes. La
découverte est toutefois si extraordinaire que les conclusions de Jenner
s’imposent finalement. En fait, sa
découverte est si efficace que le gouvernement britannique interdira toute
autre forme de traitement pour la variole.
Jenner appelle la matière qui
provoque la variole des vaches
« virus » et pose ainsi les premières
bases de ce que sera l’immunologie.
En l’honneur de Blossom, la vache
qui avait transmis la vaccine à Sarah
Nehmes, il nomme sa technique
vaccination, dérivé de « vacca » –
vache.
L’origine probable de la vaccine
La relation entre le virus cowpox et le
virus de la vaccine est confus depuis
Défi diagnostic
Retour sur le cas
de Samuel
Quelques jours après la visite de
Samuel, vous rappelez
l’infectiologue. Celui-ci vous
confirme que les lésions ont été
identifiées en microscopie
électronique comme des lésions
de vaccine. Le patient a
spontanément guéri en quelques
semaines.
qu’Edward Jenner a utilisé un virus
isolé des vaches pour vacciner un
patient contre la variole humaine. On
croit en effet que Jenner aurait pu vacciner des gens déjà porteurs de la vaccine ou de la variole avec le virus cowpox et que ces virus, mis en contact,
auraient muté pour former un nouveau
virus, dont certains spécimens auraient
pu s’échapper dans la nature.
Il existe une immunité croisée entre
les différents virus de la famille
Orthopox, et il est possible que la vaccination massive contre la variole ait
donné aux agriculteurs une protection
relative contre la vaccine au XXe siècle. La fin de l’immunisation contre la
variole pourrait cependant entraîner
une recrudescence des cas de cowpox
chez les agriculteurs.
La transmission du
virus
Le virus se transmet à travers les bris
cutanés (plaies et abrasions). Les
lésions passent par les stades maculaire, papulaire, vésiculaire, pustulaire
et ulcéré, puis elles se transforment
finalement en escarres, après environ
deux semaines. Le réservoir du virus
cowpox se trouve chez les rongeurs
sauvages, qui peuvent le transmettre
aux chats, qui , eux, peuvent ensuite le
transmettre aux vaches et aux humains.
L’infection touche tous les continents,
mais elle semble légèrement plus prévalente en Europe et en Asie. C
Le diagnostic
Dr Melançon est
omnipraticien et
compte 25 années
d’expérience dont 18
en salle d’urgence. Il a
pratiqué en cabinet
privé et en CLSC. Il
est récemment revenu
à ses premières amours, soit la
médecine d’urgence, la traumatologie et
la psychiatrie.
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le clinicien novembre 2010
Avec la montée du bioterrorisme, il est
important de différencier une lésion de
vaccine d’une lésion due à l’anthrax. À
cet effet, dresser l’historique des contacts entre le patient et des vaches, des
moutons, des rongeurs ou des chats qui
présentaient des plaies aide beaucoup à
établir le diagnostic.
Le diagnostic définitif se pose au
moyen de la microscopie électronique
et l’isolation du virus, par l’utilisation
d’une réaction en chaîne par
polymérase, ainsi que par un essai
d’immunofluorescence pour mesurer
les immunoglobulines spécifiques IgG
et IgM, puis l’avidité pour les anticorps
IgG. Initialement, les titres d’IgM sont
élevés et l’avidité pour les IgG spécifiques est basse. Après deux mois, le
titre des IgM chute et l’avidité pour les
IgG devient élevée.
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