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2 Penser un monde de signes
Nous avons vu dans le précédent module de cours que les peuples de
l’oralité, bien que dépourvus d’écriture alpha-numérique, possédait une
aptitude à lire l’espace : un comportement humain mais également
animal, une manifestation incongrue, un placement d’air, un rêve, etc.
L’oralité est un univers de signes où, pour qui sait le lire, le monde dit
des choses à travers des phénomènes observables et impose de facto à
l’homme un code pour savoir agir en conséquence : les rituels.
Avec les diverses inventions de l’écriture, l’homme grave un support
comme il grave son milieu. Mais au lieu de gratter la terre pour cultiver,
au lieu de couper des arbres, recueillir de la terre et extraire de la pierre
pour se loger et se protéger (fortifications), il grave de la pierre, du bois,
ou de la peau animale. Le code qui lui permet de dire le monde relève de
la pensée symbolique, c’est l’écriture.
De nombreux scientifiques, de Pythagore à Galilée, ont affirmé que le
monde était mathématique. La géométrie a dit le monde en volume et en
a extrait l’architecture, Pythagore a modélisé la dimension mathématique
de la musique en travaillant sur les fréquences, les intervalles et les
rapports entre les notes (harmonie.
Les Grecs ont beaucoup travaillé sur le phénomène linguistique
(rhétorique), leur objectif étant d’en extraire la puissance d’énonciation et
de conviction. Mettre en forme un discours à partir d’outils précis
(figures de style, succession d’étapes dans l’énonciation) sera le travail
des sophistes mais également des philosophes. La rhétorique, et l’étude
de la grammaire qui lui sera intrinsèque, seront des techniques
prescriptives, disant comment devait être organisé le discours dans une
situation donnée.
Dans le Cratyle de Platon1, Socrate montre que les mots ne sont ni
conventionnels et arbitraires (Hermogène) ni naturels, dans le le sens
ils auraient un lien profond avec ce qu’ils représentent (Cratyle). Socrate
dit que le sens prime sur le mot et que ce dernier n’est pas la chose mais
la représente.
Il faudra attendre Ferdinand de Saussure2 (1857-1913) pour voir une
approche descriptive de la langue. La linguistique comprise comme la
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1%Platon. Cratyle. Flammarion, 1999.
2%Saussure, Ferdinand de. Cours de linguistique générale. Payot, 1995.
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science qui étudie le langage sous toutes ses formes. Influencé par les
sciences exactes et le positivisme, Saussure cherche à démonter le
mécanisme de la langue pour en trouver les ressorts essentiels.
Autant nous pouvions voir une analogie entre une terre mise en culture
et une tablette d’argile gravée par un calame, autant nous pouvons faire
un lien entre la vision atomiste de la science, l’essor de l’industrie et cette
science descriptive qui fera de la langue une structure (1910).
Pour aller vite, Saussure montrera qu’une langue n’est pas structurée au
hasard mais à partir d’unités élémentaires (phonèmes, morphèmes)
s’opposant terme à terme.
Saussure verra dans la linguistique une partie de la science des signes
(sémiologie).
Pour Saussure, un élément ne signifie pas en propre mais en situation
d’opposition ou de distinction avec un autre dans un système.
C’est le code qui permet de comprendre les oppositions pertinentes.
Jusqu’à présent l’approche du signe se limitait à dire que c’était « une
chose mise pour une autre ».
Saussure, pour dire le signe, créera les notions de signifiant (Sa) et de
signifié (Sé).
Hjelmslev, également linguiste, proposera de voir dans le signifiant le
plan de l’expression et dans celui du signifié, celui du contenu. Le
signifiant constitue en fait la forme du signe et le signifié le sens qui lui
est attribué dans le système linguistique.
Charles Peirce (1839-1914) partira d’un autre point de vue. Pour lui, le
rapport de sémiose est constitué du signe matériel, de son objet (de
pensée) qu’il dénote et de son interprétant. On passe dans une relation
ternaire. Avec Peirce, on sort de la simple relation cause/effet et surtout,
l’homme vient s’impliquer dans l’analyse.
L’approche de Peirce est intéressante car elle élargit l’émission du signe
au milieu et rejoint en cela l’oralité. Elle est dynamique et vivante.
En fonction du cadre de référence et du contexte que nous avons vu en
communication interpersonnelle, l’interprétant aura une lecture
différente du signe.
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Le signe peircien n’a pas forcément d’émetteur conscient humain et n’a
pas forcement d’émetteur du tout.
Le schéma saussurien (Sa) -> (Sé) postulait un émetteur et un récepteur,
chez Peirce, nous allons de signe en signe. L’activité sémiotique est
ouverte et potentiellement sans fin.
Peirce apportera également à la sémiotique les notions d’indice, d’icône
et de symbole, qui sont trois façons de faire signe.
L’indice est une trace sensible, « un fragment arraché de l’objet ». C’est
une prise directe, une manifestation du signe (fumée, cri,
mouvement, paralangage, …). Il ne représente pas la chose, il en dit la
présence. La lecture de l’indice est une pratique très ancienne (oralité) et
est partagée par le monde animal.
L’icône (l’image) s’ajoute au monde, quand l’indice est prélevé de lui.
Elle représente l’objet. C’était déjà le cas de certains signes des écritures
idéogrammatiques. L’icône réalise une « coupure sémiotique » (le signe
n’est pas la chose) qui correspond, nous dit D. Bougnoux, à la coupure
anthropologique : « même domestiqués, les animaux sensibles aux
indices ne s’intéressent pas aux tableaux, aux photographies, ni même à
leur reflet dans le miroir. »3 Par son aspect descriptif ou schématique,
l’icône peut facilement franchir les frontières.
Le symbole est un signe purement arbitraire (panneau de sens interdit,
les symboles chimiques ou algébriques, les signes linguistiques, etc.).
La pensée logocentrique est constituée de symboles quand le rêve, la
poésie, la pub, le cinéma, etc., sont le fait d’indices et d’icônes. Pour
Peirce, contrairement au discours porté par les logocentristes méfiants
vis à vis de l’image, « l’icône est la façon la plus parfaite de représenter
une pensée ».4 « Le monde des choses correspond à notre biosphère dont
notre sémiosphère a émergé » (D. Bougnoux, Op. Cit., p. 39).
Rappelez-vous de l’approche mésologique du corps animal et du corps
médial. La sémiosphère est infinie et peut créer tous le mondes qu’elle
souhaite. A ce titre, en étant au-delà des objets référents, on peut lui faire
la critique de ramener toute la réalité à du langage.
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3%Daniel%Bougnoux%(1993,%p.%34)%
4%Charles%Sanders%Peirce.%Pragmatisme*et*pragmaticisme,*Oeuvres*philosophiques*,*
Volume*I.%Cerf.%Passages,%2002.%
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Cette approche sera reprise par le courant dit structuraliste à partir des
années 1950, qui appliquera à la culture ce système binaire d’opposition.
encore, comment ne pas voir une complémentarité entre ce
découpage du sens de manière binaire et l’essor de la culture de masse
qui se concentrait sur le stéréotype et le standard ?
La sémiologie structurale était intéressante car, créée sur le modèle
linguistique, elle laissait présager du fait qu’elle pouvait atteindre le
degré de positivisme des sciences exactes.
Un des porte-drapeaux du structuralisme sera Roland Barthes qui
étudiera la culture de masse à partir de ses signes. Pour lui les
communications de masse utilisent un discours stéréotypique qui
dissimule un sens que le sémiologue aura à extraire. La quête du thos
dans la publicité, la mode ou la lessive pour en divulguer le logós.
Les fonctions de Jakobson (1963) permettront d’aller plus loin que
l’analyse unique du sens général (référentiel) du message en étudiant
l’ensemble de ses fonctions. Il y en a six.
Si la fonction référentielle exprime le sens commun du message et sa
valeur de vérité Il pleut »), la fonction émotive est centrée sur le
destinateur (« Pff ! Il pleut. »), la fonction métalinguistique sur le code
je te dis qu’il pleut »), la fonction phatique sur le contact coucou, il
pleut ! »), la fonction conative (du latin conatio, effort) sur le destinataire
Écoute ! Il pleut. »), et la fonction poétique sur la qualité intrinsèque
du message (« il pleut sur mon cœur. »).
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Une autre approche est celle des 5 W de Harold Dwight Lasswell (Who
say What to Whom in Which channel with What effect ? Qui dit quoi à
qui par quel canal avec quels effets ? (1948). Cette interrogation multiple,
si elle ne règle pas le problème de la représentation schématique de la
communication, possède des qualités certaines très utiles dans la
publicité.
On peut toutefois s’interroger sur les pratiques artistiques graphiques ou
musicales qui s’élaborent aussi sans les mots…
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