FONDS DISTINCTS Prêts pour la ruée vers l’or gris Ils engendrent non seulement des ventes sans précédent, mais ils sont également en pleine mutation. Un nombre croissant de futurs retraités et d’entrepreneurs n’hésitent pas à les adopter pour dormir tranquille. Voici pourquoi. Claude Couillard Les fonds distincts gagnent du terrain depuis une décennie. De 2003 à 2006, leur croissance de 77 % a même été supérieure à la hausse de 70 % de l’actif sous gestion des fonds communs de placement au pays1. Si bien qu’au 31 décembre dernier, les fonds distincts sous gestion que détenaient les Canadiens totalisaient 68,85 milliards de dollars. Deux facteurs expliquent principalement leur popularité. Le premier est lié à l’évolution de notre population, abondamment composée de baby-boomers au seuil de la retraite. « C’est un produit qui est bien adapté à une clientèle vieillissante ou prudente », rappelle André Langlois, vice-président du développement et de la mise en marché, octobre 2007 17 www.conseiller.ca FONDS DISTINCTS Épargne et fonds distincts, chez Desjardins Sécurité financière (DSF). En effet, de plus en plus de futurs retrai- tés apprécient la garantie que confère ce produit offert par les compagnies d’assurances. La perspective de pouvoir récupérer au minimum 75 % de l’investissement initial après 10 ans ou au décès en rassure plus d’un. La seconde raison de cet engouement tient à l’importante volatilité à laquelle les L’industrie québécoise des fonds distincts a poussé un investisseurs ont été soumis au cours des grand soupir de soulagement un certain 16 décembre 2005. deux dernières décennies. « Les gens sont Ce jour-là, la Loi 136 est entrée en vigueur. « Elle est venue de plus en plus éduqués », constate André confirmer la protection contre les créanciers pour les proLanglois. Deux ou trois bonnes correcduits de placement offerts par une compagnie d’assurance tions leur ont confirmé la fugacité des vie », explique André Langlois, de Desjardins Sécurité financière. lunes de miel boursières et ont mis à rude Autrement dit, les clarifications qu’elle comporte certifient épreuve leur seuil de tolérance. « Une fois que les fonds distincts proposés aux particuliers sont doréqu’on a perdu son capital et que cela navant clairement insaisissables. prend trois ou cinq ans avant de le rebâtir, certaines formes d’investissement devienPour que ces placements restent à l’abri des créanciers, le nent peut-être plus attrayantes », souligne-t-il. contrat que signe l’épargnant doit renfermer deux conditions Cette tranquillité d’esprit a bien sûr définies par le Code civil. La première prévoit la désignation un prix. En juin 2006, le ratio des frais de d’un bénéficiaire : conjoint, personne unie civilement, descengestion (RFG) moyen des fonds distincts dant, ascendant ou encore bénéficiaire irrévocable. La seconde était supérieur de 0,43 %, pour l’ensemexige que le contrat soit un contrat de rente. Or, pour qu’un tel ble de l’industrie, à celui des fonds com- Insaisissabilité 101 contrat de rente existe, il doit y avoir aliénation du capital. En mai 2004, la Cour suprême a cependant remis en question ce principe dans un jugement célèbre appelé l’arrêt Thibault. « La Cour suprême a conclu qu’il n’y avait pas eu d’aliénation de capital parce que le titulaire du contrat avait gardé la maîtrise des fonds, ayant le choix de les affecter à un type de placement ou à un autre, et parce qu’il y avait des facultés de retrait pendant la période d’accumulation du capital », raconte Robert Lebeau, vice-président, Affaires juridiques, de la Financière Sun Life. Ces possibilités de modification sont courantes dans le monde des fonds distincts. « Le tribunal a conclu qu’il n’y avait pas contrat de rente et qu’il y avait saisissabilité », poursuit-il. Dix-huit mois plus tard, la Loi 136 modifiant la Loi sur les assurances a dissipé le nuage d’incertitude qui planait depuis sur le produit. Désormais, les choix de placement et les facultés de retrait n’invalident plus le contrat de rente. Ce dernier est formulé comme tel dès le départ et une méthode de calcul de la rente versée est prévue au contrat. « Depuis l’adoption de la Loi 136, on peut affirmer avec beaucoup plus de certitude que les contrats qui sont offerts par les assureurs à titre de contrats de rente et qui contiennent cette méthode de calcul sont des contrats de rente en bonne et due forme, et que les sommes accumulées sont insaisissables », conclut M. Lebeau. octobre 2007 19 Fonds distincts générateurs de rentes Au cours de la prochaine décennie, plus de trois millions de Canadiens prendront leur retraite. C’est donc dire que le monde du placement s’apprête à passer graduellement d’un mode d’accumulation du capital à un mode de décaissement. Et le fonds distinct n’échappe pas à ce changement de culture. Il deviendra de plus en plus un outil appelé, à terme, à procurer un revenu de retraite. Lancée il y a environ cinq ans, cette option fait, paraît-il, fureur aux États-Unis. « Ils sont rendus avec 450 à 500 milliards de dollars d’actifs accumulés dans ce type de fonds distincts », précise Patrick Lefrançois, vice-président principal chez Placements CI. Cette tendance prend racine de ce côté-ci de la frontière. Desjardins Sécurité financière compte joindre le mouvement sous peu. Depuis le printemps, Placements CI offre à sa clientèle la possibilité d’adhérer à sa famille de fonds distincts SunWise Elite Plus. À titre d’exemple, le détenteur qui y investit 100 000 $ touche, en remplissant certaines conditions, une prime annuelle non composée de 5 % sur son capital pendant les 10 ans du contrat. À échéance, les 150 000 $ accumulés lui sont peu à peu versés pendant 20 ans, ce qui équivaut à un revenu annuel fixe de 7 500 $. Le produit remporte déjà un franc succès. « On est rendu à 150 millions de dollars pour le Canada », informe Patrick Lefrançois. Et ce n’est pas fini. D’ici cinq ans, le marché des fonds distincts générateurs d’un revenu prévisible et régulier à la retraite pourrait représenter jusqu’à 40 milliards de dollars pour l’ensemble de l’industrie au pays, prévoit-il. FONDS DISTINCTS muns de placement au pays, révèlent les chiffres les plus récents fournis par Morningstar Canada (voir tableau Fonds distincts offerts au Canada – moyennes). Plus le placement est spécialisé, plus l’écart se creuse. Toujours en juin 2006, le RFG moyen d’un fonds distinct d’actions www.conseiller.ca canadiennes était de 0,71 % plus élevé. Dans le cas d’un fonds d’actions internationales, la différence atteignait presque 1 %. L’écart entre le RFG moyen d’un fonds commun et d’un fonds distinct identique ne dépend pas que de sa objectif conseiller 20 FONDS DISTINCTS catégorie. Il varie également selon la garantie associée au fonds distinct. « Si je prends la garantie de base, c’est-àdire 75 % à l’échéance et 75 % en cas de décès, c’est à peu près 0,3 % ou 0,4 %, explique Patrick Lefrançois, viceprésident principal auprès de Placements CI. Pour la garantie de 75 % à l’échéance et de 100 % au décès, c’est 0,5 % à 1 %, selon le fonds. Et pour le fonds distinct 100 % garanti à l’échéance et au décès, on est à 1,25 %. » Il s’agit toujours, bien sûr, d’un ordre de grandeur. Les pourcentages réels varient selon les produits et les entreprises. Ces frais additionnels attribuables à la garantie n’ont pour ainsi dire pas bougé au cours des dernières années, indique André Langlois. La raison est bien simple. « Il y a eu des resserrements des normes de capitalisation des compagnies d’assurances pour s’assurer que l’industrie ne prenne pas des risques non calculés », raconte-t-il. Ces mesures visaient à consolider encore davantage les assises financières des assureurs. Par contre, il y a de bonnes nouvelles pour les épargnants en ce qui concerne les frais de gestion. « Dans l’industrie des fonds communs, il y a actuellement une tendance à la baisse sur le plan des frais de gestion, signale-t-il. L’industrie des fonds distincts subit à peu près le même genre de changement. » DSF fait partie des institutions qui ont annoncé de telles réductions. Au cours des deux dernières années, elle a diminué le RFG de huit de ses fonds. Les baisses varient de cinq points de base (ou 0,05 %) à 31 points de base. D’autres sont prévues cet automne. Moins performant? Pas si sûr… On pourrait croire que ces frais plus élevés rendent le fonds distinct constamment moins performant. C’est vrai lorsqu’il possède un fonds de placement identique ou sous- « Une population vieillissante est une clientèle naturelle pour les fonds distincts. » – André Langlois jacent, comme on dit dans le jargon. Dans ces nombreux cas, l’écart joue implacablement en sa défaveur. Ainsi, de juin 2001 à juin 2006, les fonds distincts, dans leur ensemble, ont rapporté en moyenne 6,8 % par année, soit 1,1 % de moins que l’ensemble des fonds communs au pays, selon Morningstar. Au terme d’une décennie, la différence peut alors s’avérer importante. octobre 2007 21 www.conseiller.ca FONDS DISTINCTS Fonds distincts offerts au Canada – moyennes (au 30 juin 2006) Rendement Ratio des frais de annuel gestion (%) Types de fonds 3 ans (%) commun distinct commun distinct Tous les fonds 2,35 2,78 9,4 8,5 2,18 3,7 2,9 Obligations can. de base 1,49 2,19 2,81 10,2 9,1 Équilibrés canadiens Actions canadiennes 2,12 2,83 17,4 16,7 Actions internationales 2,14 3,1 12,2 8,8 Actions américaines 2,26 3,04 2,5 1,7 Rendement annuel 5 ans (%) commun distinct 7,9 6,8 4,5 3,7 8,9 7,7 14 12,8 7,8 5,3 2,1 1,3 Source : Morningstar Research Inc. Toutefois, maints assureurs offrent des fonds distincts uniques, dénués de tout clone dans la famille des fonds communs. Et malgré le coût de la garantie, nombre d’entre eux coiffent des fonds de placement dans leurs catégories respectives. « DSF est dans le premier quartile des fonds d’actions canadiennes, malgré le fait qu’on doive amputer le rendement de 35 ou 40 points de base annuellement », illustre André Langlois. Sur les 37 fonds distincts qu’offre l’assureur de personnes, de 15 à 20 se classent généralement ainsi dans les deux premiers quartiles, toutes catégories de fonds de placement confondues, précise-t-il. Outre sa garantie, une autre caractéristique explique la popularité grandissante du fonds distinct : son insaisissabilité (voir encadré Insaisissabilité 101). Les fonds communs ne jouissent pas d’un tel avantage légal… et concurrentiel. Par conséquent, il n’est pas étonnant que cette particularité séduise, en plus des futurs retraités, de nombreux travailleurs autonomes et entrepreneurs, ayant bon espoir de ne pas perdre leurs précieux avoirs en cas de faillite. « Ils n’ont pas de caisse de retraite, rappelle Patrick Lefrançois. Ils ont alors la possibilité d’investir dans un produit qui peut leur donner une sécurité supplémentaire. » Garantie : miroir de l’épargnant Chez DSF, le détenteur moyen de fonds distincts a autour de la mi-cinquantaine. Il possède principalement le produit au sein de son REER. Même scénario à Placements CI, où de 70 % à 80 % des fonds distincts fructifient à l’abri de l’impôt. Les trois types de garantie qu’offre la société attirent trois profils de clients différents, a noté Patrick Lefrançois : z 75 % à l’échéance et 75 % au décès : « C’est un entrepreneur qui souhaite obtenir le côté insaisissabilité à coût raisonnable », décrit-il; www.conseiller.ca z 75 % à l’échéance et 100 % au décès : un retraité ou un baby-boomer à la santé précaire, désireux de transmettre l’intégralité de son capital à ses héritiers en cas de décès; z 100 % à l’échéance et 100 % au décès : le client CPG, au profil plus conservateur, qui investit dans un fonds 100 % garanti. Peu importe le profil, le fonds distinct permet à son détenteur « de garder le même style de placement à 65 ans qu’à 50 ans », souligne Patrick Lefrançois. Par exemple, la garantie lui permettra de conserver un fonds équilibré à la retraite et lui évitera ainsi de devoir choisir un traditionnel fonds de revenu. « À un certain âge, on doit choisir entre des produits d’investissement totalement sécuritaires, comme des CPG, et d’autres plus raffinés, qui offrent un rendement plus élevé, mais qui procurent aussi une certaine forme de garantie autant sur le capital que sur le revenu », déclare André Langlois. Pourvus de telles qualités, les fonds distincts semblent ainsi promis à un brillant avenir ! 1 Rapports 2003-2007 par Investor Economics. objectif conseiller 22