Tél. 044 388 82 00, Fax 044 388 82 01
ERIC DECOSTERD
Responsable Formation postgrade,
Haute école de gestion de Fribourg
L'expression latine «sub rosa» évoque la confi-
dence. Bien que l'origine de l'expression de-
meure nébuleuse, on peut noter que, selon la
mythologie grecque, le dieu de l'amour Eros
aurait donné une rose au dieu du silence Har-
pocrate pour qu'il taise à jamais les aventures
galantes de sa mère Aphrodite. C'est ainsi que
la rose serait devenue le symbole du secret et
du silence. Des roses décoraient également
les plafonds des salles de banquets romains
pour rappeler que ce qui était dit «sub vino»
(sous l'emprise du vin) devait rester «sub
rosa» (à l'abri des indiscrétions). La signifi-
cation symbolique de la rose semble avoir
perduré: lorsqu'on décèle un secret ou une
supercherie, ne dit-on pas encore aujourd'hui
«découvrir le pot aux roses»?
Secret médical, secret d'Etat, secret bancaire,
secret professionnel, secret de l'isoloir, secret
d'alcôve et secret de famille? Le secret est-il
encore aujourd'hui au coeur de la vie sociale?
«Je crois beaucoup au secret»,confiait Jacques
Chirac, alors président de la République, au
journaliste et écrivain Franz-Olivier Giesbed.
«Ça peut être un atout considérable dans un
monde hypermédiatisé qui a l'obsession de la
transparence», disait cet animal politique.
La quête de la transparence est effectivement
un phénomène résolument moderne. De l'af-
faire Bettencourt au scandale Bygmalion en
France, en passant par Cahuzac et le dopage
des sportifs,sans oublier les polémiques récur-
rentes en Suisse sur la rémunération des diri-
geants des grandes entreprises, l'actualité la
plus récente nous offre, ici comme ailleurs, de
nombreux événements pouvant être analysés
sous l'angle de la recherche de la transpa-
rence.
Même en politique locale, par souci de clarté,
il est devenu habituel qu'un intervenant com-
mence par déclarer ses intérêts personnels.
Cependant, selon le sociologue Stéphane Ar-
pin, il serait illusoire de voir dans cette traque
du «caché» le moyen de venir à bout de toutes
les zones d'ombre du monde politique et éco-
nornique. Nous allons concentrer notre pro-
pos sur le monde de l'économie d'entreprise.
DÉVELOPPEMENT DE LA COMMUNICATION
Pour Denis Kessler, la quête de la transparence
s'est progressivement imposée sous l'effet
conjoint de la révolution des technologies
de la communication, de l'évolution de l'or-
ganisation des entreprises, du passage d'une
économie d'endettement à une économie de
fonds propres, ainsi que des exigences des in-
vestisseurs institutionnels. Regardons certains
éléments d'un peu plus près.
On assiste à un développement sans précé-
dent de la communication interne et externe
dans tous les domaines. I:accès à l'informa-
tion est beaucoup plus facile que par le passé.
De plus, la vitesse des ondes favorise une dis-
ponibilité en temps réel.A cela vient s'ajouter
l'évolution de l'organisation des entreprises.
Le fayolisme ne fait plus recette. La circulation
de l'information a longtemps été verticale et
descendante, conformément au modèle pyra-
midal prôné depuis le début du XXe siècle.
Elle était donc plus facile à contrôler. L'infor-
mation était synonyme de pouvoir. Celui qui
la détenait était peu enclin à la partager. La
transformation d'entreprises dites verticales
en des unités de plus en plus matricielles,
voire horizontales, est une réalité qui favorise
bien entendu la propagation de l'information.
Les entreprises familiales à capitaux privés
elles sont encore très nombreuses en Suisse
peuvent être relativement restrictives quant
à leur transparence. On a connu cela même
avec des grands groupes. Pendant très long-
temps, Roche n'a pas jugé utile de publier son
chiffre d'affaires. Aujourd'hui encore, Rolex
reste très opaque. Si une entreprise doit faire
appel à l'endettement, le dialogue entre le
banquier et le management de l'entreprise
reste privé et confidentiel. On parle alors de
secret bancaire. Mais lorsque cette même
entreprise doit recourir aux marchés finan-
ciers, elle est conduite à rendre publiques
un nombre considérable d'informations
qu'elle pouvait auparavant garder secrètes.
En consultant la liste des vingt plus grandes
entreprises suisses publiée par UBS en 1968,
on voit que les chiffres d'affaires sont pour la
plupart fondés sur des estimations.