É D I T O R I A L Angor spastique : amusette pour universitaire ou réel problème en cardiologie pratique ? Vasospastic angina ● S. Weber* Mots-clés : Spasme coronaire - Tests de provocation. Keywords: Coronary spasm - Provocative testing. angor vasospastique, mécanisme évoqué sur des bases théoriques par Osler à la fin du XIXe siècle et dont le tableau clinique a bien été décrit par Prinzmetal dans les années 1950, a été sous les feux de la rampe pendant près d’une décennie sous l’impulsion de l’équipe italienne d’Attilio Maseri relayée par de nombreuses équipes internationales dont, à l’échelon hexagonal, celle de Michel Bertrand à Lille, dont la contribution a été des plus déterminantes. Les éditoriaux et articles originaux des revues cardiologiques de renom et les sessions plénières des congrès internationaux étaient largement ouverts à ce sujet, voire même dominées par lui. Au début des années 1980, l’intérêt de la communauté cardiologique pour cette forme clinique si particulière d’insuffisance coronaire s’est assez brusquement tari, pour ne pas dire totalement dissipé. Quelle explication pouvons-nous proposer de cet étrange phénomène ? Avons-nous assisté à une curieuse épidémie liée à un virus spasmogène ?… Ce n’est pas strictement impossible, mais, reconnaissons-le, très peu vraisemblable ! La large utilisation des antagonistes calciques initiée précisément autour des années 1980 aurait-elle, de par son efficacité thérapeutique, “gommé” l’angor vasospastique ? Cette explication apporte sa part de vérité lorsque le spasme coronaire vient émailler l’évolution d’une maladie coronaire athéromateuse préalablement diagnostiquée. Ce phénomène ne fournit cependant pas d’explication plausible à une diminution de la fréquence des nouveaux cas chez les patients naïfs de toute pathologie coronaire et normotendus. La redécou- L’ * Hôpital Cochin, Paris. La Lettre du Cardiologue - n° 392 - février 2006 verte, notamment pas les auteurs anglo-saxons, de la thrombose endocoronaire, largement connue en France dès les années 1960, n’offre pas non plus d’explication rationnelle à mon sens. Je ne connais pas de thrombose endocoronaire pouvant être déclenchée instantanément par l’injection intracoronaire d’un vasoconstricteur (méthylergométrine, Méthergin®) et disparaissant tout aussi instantanément après l’administration de trinitrine ! Soyons direct… L’explication la plus plausible pour cette raréfaction du spasme coronaire, dans les diagnostics de sortie comme dans la littérature, est un déplacement subit du centre d’intérêt des équipes de coronarographies, des tests de provocation du spasme, vers les premiers pas de la cardiologie interventionnelle précisément au début des années 1980 ! Selon l’adage bien connu, “on ne trouve que ce que l’on cherche”, et la diminution de l’“appétit” des coronarographistes pour la pratique large, voire systématique, des tests de provocation lorsque la seule anatomie lésionnelle coronaire n’explique pas le tableau clinique rend compte de cette brutale désaffection… Tout en adhérant et en pratiquant, bien entendu, très largement la cardiologie interventionnelle, notre équipe est restée, au cours des deux dernières décennies, fidèle à la pratique systématique des tests de provocation par le Méthergin® lorsque la coronarographie n’objectivait pas de sténose hémodynamiquement significative chez un patient hospitalisé pour douleur thoracique suspecte. Le rationnel nous paraît, en effet, le même en 2005 qu’en 1980. Si l’ensemble des éléments cliniques et des examens complémentaires non invasifs a justifié la pratique d’une coronarographie chez un patient, c’est que le niveau de vraisemblance du diagnostic d’angor était élevé ou, tout au moins, “intermédiaire”. Dans ces conditions, il n’y a aucune logique à interrompre l’approche diagnostique “au milieu du gué” ; s’il n’y a pas de sténose hémodynamiquement significative, la procédure est complétée par un test de provocation. En l’absence de cette démarche et d’un autre outil de diagnostic performant en matière d’angor vasospastique, le cardiologue devra choisir soit de laisser partir son patient sans aucun traitement vasodilatateur coronaire, l’exposant ainsi au risque de récidive brutale sous forme d’un infarctus ou d’une mort subite, soit d’instaurer à l’aveugle un traite3 É D I T O R I A L ment au long cours par antagoniste calcique pour une maladie qui, peut-être, n’existe pas… Le spasme artériel coronaire est-il fréquent ? Tout dépend, bien sûr, de l’opiniâtreté avec laquelle on le recherche. Si l’on attend que le malade apporte lui-même “sur un plateau” un diagnostic d’angor de Prinzmetal complet avec ses douleurs nocturnes, son sus-décalage percritique et ses troubles rythmiques et conductifs d’accompagnement, la prévalence sera effectivement assez faible… Il s’agit là d’une approche particulièrement spécifique, mais très peu sensible ! La pratique systématique du test au Méthergin® lorsqu’il n’y a pas de sténose hémodynamiquement significative nous conduit, sur 2 000 coronarographies annuelles, à pratiquer environ 300 tests, dont 6 à 7 % se révèlent positifs. La prise de risque iatrogène associée à ce test de provocation n’est bien sûr jamais nulle, mais elle peut être extrêmement réduite pour peu que l’on respecte certaines précautions de bon sens. – Ce test au Méthergin® n’est pratiqué qu’en l’absence de sténose serrée. – Le Méthergin® est injecté par voie intraveineuse, à raison de deux ampoules selon un protocole validé sur des milliers de patients. – Le spasme angiographique est levé par administration intraveineuse de dérivés nitrés dès qu’il devient indiscutablement significatif à la coronarographie et sans attendre l’apparition de signes électriques majeurs, encore moins le déclenchement de la douleur. – Les dérivés nitrés peuvent être administrés par voie intracoronaire, si nécessaire. – L’administration systématique d’un dérivé nitré en fin de procédure permet, lorsque le test est négatif, de se mettre à l’abri d’une positivité tardive, survenant en dehors de la salle de cathétérisme, et donc potentiellement dangereuse. Moyennant ces précautions, le risque iatrogène devient extrêmement faible, nettement plus faible que le risque de méconnaître un authentique angor vasospastique par non-réalisation du test de provocation. Le test au Méthergin® est spécifique et n’induit pas de spasme focal significatif chez les sujets asymptomatiques, ainsi que l’a démontré l’équipe lilloise dans une étude portant sur plusieurs milliers de patients, à condition, cependant, de ne considérer une réponse comme positive que si le spasme déclenché est indiscutablement angiographiquement significatif (spasme occlusif ou sténose réversible de plus de 70 %). Ce test est sensible, à la condition, toutefois, qu’il soit effectué le plus rapidement possible après le dernier épisode douloureux thoracique, car, du fait de l’évolution capricieuse dans le temps de l’angor spastique, un test réalisé à distance de la période symptomatique peut fausser le diagnostic. Une méconnaissance du diagnostic peut-elle être grave ? La réponse me paraît clairement positive. L’analyse de travaux anciens étudiant sur le long cours le pronostic de patients dont la coronarographie ne montrait pas de sténose significative peut être faussement rassurante. Dans ces études, le pronostic était bon ; cependant, nombre de ces patients avaient bénéficié d’une coronarographie non pas pour douleurs thoraciques spontanées, mais du fait d’autres circonstances, notamment en raison de la positi4 vité, chez un patient asymptomatique, d’un test de détection de l’ischémie myocardique. Il n’y a pas, dans la littérature, de larges séries d’angors vasospastiques documentés et non traités permettant de répondre avec précision à la question du pronostic de cette pathologie ! La réponse ne peut donc être qu’indirecte, par le biais, par exemple, de la relativement forte prévalence de l’angor vasospastique lors du bilan étiologique des arrêts cardiaques extrahospitaliers récupérés. La méconnaissance du diagnostic est d’autant plus regrettable que, dans la grande majorité des cas, il existe un traitement efficace : la prescription d’inhibiteur des canaux calciques. Il s’agit indiscutablement de la classe pharmacologique de première intention ; de fortes posologies sont souvent nécessaires, tout au moins en début de traitement, pour contrôler les phénomènes de vasospasme coronaire. Afin de limiter les effets indésirables, l’utilisation conjointe d’un anticalcique bradycardisant (vérapamil ou diltiazem) et d’une dihydropiridine semble être un choix plus judicieux que l’utilisation de très fortes posologies d’une seule de ces deux catégories d’inhibiteurs calciques, car elles exposent au risque de bradycardie ou de dépression myocardique pour le diltiazem et le vérapamil, ou d’effets vasodilatateurs excessifs, cliniquement insupportables, à type de bouffées vasomotrices ou d’œdèmes des membres inférieurs pour les très fortes doses de dihydropiridine. L’efficacité du traitement sera au mieux jugée par le renouvellement d’un test de provocation au Méthergin® effectué sous traitement. Lorsque le test est négativé par la thérapeutique, dans notre expérience, le pronostic devient excellent, la principale préoccupation étant la tolérance du traitement. En cas de réponse insuffisante, d’autres classes pharmacologiques peuvent être utilisées tels les dérivés nitrés, plus rarement, les atropiniques de synthèse, notamment lorsque le spasme survient préférentiellement en deuxième partie de nuit ; dans quelques formes particulièrement sévères, d’autres vasodilatateurs peuvent être testés, au cas par cas, sur une base empirique. En cas de spasme réfractaire compliquant une plaque athéromateuse non serrée, se reproduisant constamment au même endroit de l’arbre coronaire, l’implantation d’une endoprothèse peut être envisagée, à titre exceptionnel, même en l’absence de lésion hémodynamiquement significative. Cette démarche doit cependant rester l’exception, la grande majorité des angors vasospastiques répondant très bien aux traitements pharmacologiques. Pour apporter une conclusion à ces quelques propositions, l’histoire du spasme coronaire illustre bien, à mon sens, l’impact parfois excessif des phénomènes de “mode” sur les pratiques médicales. L’importance du spasme dans l’épidémiologie de la maladie coronaire a probablement été exagérée à la fin des années 1970 et au début des années 1980. La coronarographie diagnostique était arrivée à pleine maturité, la cardiologie interventionnelle n’existait pas encore et, la nature médicale ayant horreur du vide, l’espace libre a peut-être été un peu trop rempli par l’étude de la vasomotricité coronaire. Toutefois, a contrario, l’abandon brutal de ce concept, même si l’on comprend et partage l’enthousiasme pour la cardiologie interventionnelle naissante, nous a conduits à sous-estimer une pathologie, certes bien plus rare que l’athérome sténosant, mais concernant néanmoins vraisemblablement plusieurs milliers de patients chaque année en France. Ce déficit diagnostique mérite d’être comblé, car, dans les conditions actuelles .../... La Lettre du Cardiologue - n° 392 - février 2006 Co-Triatec, p. 5 É D I T O R I A L .../... Figure 2. Test au Méthergin®. Figure 1. État de base. d’un laboratoire performant de coronarographie, la pratique de l’examen clé, le test au Méthergin®, ne comporte qu’une prise de risque faible, assurément plus faible que la méconnaissance du diagnostic. Non traité, l’angor vasospastique peut évoluer, avec une fréquence impossible à chiffrer “mathématiquement” mais non négligeable, vers l’infarctus du myocarde ou la mort subite. À l’inverse, une fois le patient traité et l’efficacité de ce traitement, comportant bien sûr un sevrage tabagique, vérifiée chez chaque patient, le pronostic devient très favorable. Une brève observation clinique et deux images compléteront ces quelques lignes sur l’angor vasospastique. Il s’agit d’un jeune patient d’une trentaine d’années, sportif mais néanmoins fumeur et porteur d’une hypercholestérolémie modérée, jusqu’à présent non traitée. Il se plaint de plusieurs épisodes de douleurs thoraciques constrictives nocturnes, dont les caractéristiques sont très évocatrices d’une pathologie coronaire. L’examen clinique et l’électrocardiogramme de repos sont normaux. Une épreuve d’effort couplée à une scintigraphie myocardique s’avère strictement normale au palier de 220 W... Malgré ce résultat, l’indication d’une coronarographie est néanmoins posée compte tenu du 6 caractère franchement très évocateur des douleurs thoraciques. Celle-ci objective un athérome non sténosant de l’ensemble du réseau coronaire, avec une sténose atteignant peut-être tout juste les 50 % au segment 2 de la coronaire droite. De ce fait, le patient “bénéficie” de l’implantation d’une endoprothèse et des thérapeutiques antiagrégantes et hypolipidémiantes, prescrites à juste titre dans ce contexte. Malgré un excellent résultat angiographique, les symptômes nocturnes persistent et le patient nous est adressé. La coronarographie confirme la perméabilité du stent et l’existence d’une infiltration athéromateuse réelle mais hémodynamiquement non significative de l’ensemble du réseau (figure 1). Un test au Méthergin® entraîne une vasoconstriction profonde et diffuse de l’ensemble de la coronaire droite en dehors, bien sûr, des quelques misérables centimètres “protégés” par le barrage métallique du stent ! (figure 2). La mise en route d’un traitement inhibiteur calcique fortement dosé et le sevrage tabagique entraînent la disparition totale de la symptomatologie… Décidément, les triomphes éclatants de la cardiologie interventionnelle ne doivent pas faire oublier la réalité du spasme coronaire et il faut le rechercher chaque fois que les circonstances cli■ niques l’indiquent. La Lettre du Cardiologue - n° 392 - février 2006