La Lettre du Cardiologue - n° 392 - février 2006
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ÉDITORIAL
vité, chez un patient asymptomatique, d’un test de détection de
l’ischémie myocardique. Il n’y a pas, dans la littérature, de larges
séries d’angors vasospastiques documentés et non traités per-
mettant de répondre avec précision à la question du pronostic de
cette pathologie ! La réponse ne peut donc être qu’indirecte, par
le biais, par exemple, de la relativement forte prévalence de l’an-
gor vasospastique lors du bilan étiologique des arrêts cardiaques
extrahospitaliers récupérés.
La méconnaissance du diagnostic est d’autant plus regrettable
que, dans la grande majorité des cas, il existe un traitement effi-
cace : la prescription d’inhibiteur des canaux calciques. Il s’agit
indiscutablement de la classe pharmacologique de première inten-
tion ; de fortes posologies sont souvent nécessaires, tout au moins
en début de traitement, pour contrôler les phénomènes de vasos-
pasme coronaire. Afin de limiter les effets indésirables, l’utilisa-
tion conjointe d’un anticalcique bradycardisant (vérapamil ou
diltiazem) et d’une dihydropiridine semble être un choix plus
judicieux que l’utilisation de très fortes posologies d’une seule
de ces deux catégories d’inhibiteurs calciques, car elles exposent
au risque de bradycardie ou de dépression myocardique pour le
diltiazem et le vérapamil, ou d’effets vasodilatateurs excessifs,
cliniquement insupportables, à type de bouffées vasomotrices ou
d’œdèmes des membres inférieurs pour les très fortes doses de
dihydropiridine. L’efficacité du traitement sera au mieux jugée
par le renouvellement d’un test de provocation au Méthergin®
effectué sous traitement. Lorsque le test est négativé par la thé-
rapeutique, dans notre expérience, le pronostic devient excellent,
la principale préoccupation étant la tolérance du traitement. En
cas de réponse insuffisante, d’autres classes pharmacologiques
peuvent être utilisées tels les dérivés nitrés, plus rarement, les
atropiniques de synthèse, notamment lorsque le spasme survient
préférentiellement en deuxième partie de nuit ; dans quelques
formes particulièrement sévères, d’autres vasodilatateurs peu-
vent être testés, au cas par cas, sur une base empirique. En cas
de spasme réfractaire compliquant une plaque athéromateuse non
serrée, se reproduisant constamment au même endroit de l’arbre
coronaire, l’implantation d’une endoprothèse peut être envisa-
gée, à titre exceptionnel, même en l’absence de lésion hémody-
namiquement significative. Cette démarche doit cependant res-
ter l’exception, la grande majorité des angors vasospastiques
répondant très bien aux traitements pharmacologiques.
Pour apporter une conclusion à ces quelques propositions, l’his-
toire du spasme coronaire illustre bien, à mon sens, l’impact par-
fois excessif des phénomènes de “mode” sur les pratiques médi-
cales. L’importance du spasme dans l’épidémiologie de la maladie
coronaire a probablement été exagérée à la fin des années 1970
et au début des années 1980. La coronarographie diagnostique
était arrivée à pleine maturité, la cardiologie interventionnelle
n’existait pas encore et, la nature médicale ayant horreur du vide,
l’espace libre a peut-être été un peu trop rempli par l’étude de la
vasomotricité coronaire. Toutefois, a contrario, l’abandon brutal
de ce concept, même si l’on comprend et partage l’enthousiasme
pour la cardiologie interventionnelle naissante, nous a conduits à
sous-estimer une pathologie, certes bien plus rare que l’athérome
sténosant, mais concernant néanmoins vraisemblablement plu-
sieurs milliers de patients chaque année en France. Ce déficit dia-
gnostique mérite d’être comblé, car, dans les conditions actuelles
ment au long cours par antagoniste calcique pour une maladie
qui, peut-être, n’existe pas…
Le spasme artériel coronaire est-il fréquent ? Tout dépend, bien
sûr, de l’opiniâtreté avec laquelle on le recherche. Si l’on attend
que le malade apporte lui-même “sur un plateau” un diagnostic
d’angor de Prinzmetal complet avec ses douleurs nocturnes, son
sus-décalage percritique et ses troubles rythmiques et conductifs
d’accompagnement, la prévalence sera effectivement assez
faible… Il s’agit là d’une approche particulièrement spécifique,
mais très peu sensible ! La pratique systématique du test au
Méthergin®lorsqu’il n’y a pas de sténose hémodynamiquement
significative nous conduit, sur 2 000 coronarographies annuelles,
à pratiquer environ 300 tests, dont 6 à 7 % se révèlent positifs.
La prise de risque iatrogène associée à ce test de provocation
n’est bien sûr jamais nulle, mais elle peut être extrêmement
réduite pour peu que l’on respecte certaines précautions de bon
sens.
–Ce test au Méthergin®n’est pratiqué qu’en l’absence de sté-
nose serrée.
–Le Méthergin®est injecté par voie intraveineuse, à raison de
deux ampoules selon un protocole validé sur des milliers de
patients.
–Le spasme angiographique est levé par administration intra-
veineuse de dérivés nitrés dès qu’il devient indiscutablement
significatif à la coronarographie et sans attendre l’apparition de
signes électriques majeurs, encore moins le déclenchement de la
douleur.
–Les dérivés nitrés peuvent être administrés par voie intracoro-
naire, si nécessaire.
–L’administration systématique d’un dérivé nitré en fin de pro-
cédure permet, lorsque le test est négatif, de se mettre à l’abri
d’une positivité tardive, survenant en dehors de la salle de cathé-
térisme, et donc potentiellement dangereuse.
Moyennant ces précautions, le risque iatrogène devient extrê-
mement faible, nettement plus faible que le risque de mécon-
naître un authentique angor vasospastique par non-réalisation du
test de provocation. Le test au Méthergin®est spécifique et n’in-
duit pas de spasme focal significatif chez les sujets asymptoma-
tiques, ainsi que l’a démontré l’équipe lilloise dans une étude
portant sur plusieurs milliers de patients, à condition, cependant,
de ne considérer une réponse comme positive que si le spasme
déclenché est indiscutablement angiographiquement significatif
(spasme occlusif ou sténose réversible de plus de 70 %). Ce test
est sensible, à la condition, toutefois, qu’il soit effectué le plus
rapidement possible après le dernier épisode douloureux thora-
cique, car, du fait de l’évolution capricieuse dans le temps de
l’angor spastique, un test réalisé à distance de la période symp-
tomatique peut fausser le diagnostic.
Une méconnaissance du diagnostic peut-elle être grave ? La
réponse me paraît clairement positive. L’analyse de travaux
anciens étudiant sur le long cours le pronostic de patients dont la
coronarographie ne montrait pas de sténose significative peut être
faussement rassurante. Dans ces études, le pronostic était bon ;
cependant, nombre de ces patients avaient bénéficié d’une coro-
narographie non pas pour douleurs thoraciques spontanées, mais
du fait d’autres circonstances, notamment en raison de la positi- .../...