Jules Vuillemin
Résumé. Les théorèmes négatifs de
Gôdel
n'entraînent pas logiquement
l'existence d'un monde intelligible d'objets mathématiques. Carnap les traduit
en termes de syntaxe existentiellement neutres. Mais cette traduction néglige le
théorème
gôdelien
de
complétude,
ordinairement entendu comme une critique
du logicisme. Le positivisme est philosophiquement sophistique et c'est à lui
qu'incombe le poids de la preuve lorsqu'il soutient que sont compatibles ces
trois affirmations : 1) la syntaxe sauve l'intégralité des mathématiques, 2) elle
réduit les mathématiques à la logique, 3) elle élimine les contenus au profit de
conventions cohérentes. Qu'on rende au mot logique le sens restreint et naturel
que lui donne le théorème de
complétude,
tout en refusant d'amputer les
mathématiques : la croyance au monde intelligible paraît alors requise.
Abstract.
Gôdel's négative
theorems do not entail that an intelligible
world
of
mathematical objects exists. Carnap has translated
thèse
theorems into
syntactical
terms
which are ontological neutral. But his translation neglects
Gôdel's
theorem of
complétude
that is ordinarily understood as dismissing
logicism. Positivists are
philosophically
sophistical and
the
burden of truth lies
with
them
when they uphold the compatibility between
thèse
three assertions:
1) syntax saves the integrality of mathematics, 2)
it
reduces mathematics to
logîc,
3) it replaces without a
loss
contents by
cohérent
conventions. Let us
however give back the word
logic
the restricted and natural meaning which
was its own in the theorem of
complétude,
while
maintaining the
whole
of
mathematics. Then it
seems
required to believe that the intelligible world does
exist.
Les questions philosophiques traditionnelles expriment-
elles la maladie de l'esprit ou, plus simplement, du verbe ? La
croyance qu'il en est ainsi est aussi répandue que diffuse en
philosophie analytique. Je l'examinerai sous la forme précise
qu'elle reçoit quand
elle
porte sur l'existence des objets
mathématiques.
Dans un essai inachevé, non publié de son vivant, «Les
mathématiques sont-elles une syntaxe du langage ?»
[Gôdel
1995,
cité M],
Gôdel
défend contre Carnap la légitimité de la question
qui nous occupe. Elle avait été posée et précisée par la théorie
hilbertienne de la démonstration : on éliminerait les suppositions
existentielles si l'on parvenait à prouver que les mathématiques
formalisées sont non contradictoires. Hilbert avait conjecturé que
cette démonstration était possible. Je rappellerai d'abord
comment, en réfutant la conjecture, les théorèmes négatifs de
Gôdel paraissent fonder définitivement l'existence de réalités
mathématiques. Carnap, cependant, a interprété en un sens opposé
les mêmes théorèmes, selon lui dépourvus de portée existentielle.
J'analyserai en second lieu la réaction surprise, sans doute irritée
et, à l'examen, peu convaincante de Gôdel : syntaxe carnapienne
et platonisme gôdelien sont mathématiquement indiscernables.
C'est seulement après
s'être
reporté au théorème gôdelien de
complétude de la logique afin de reconnaître la spécificité
philosophique de la syntaxe, expression moderne de la
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