Les Sept péchés capitaux

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LES SEPT PÉCHÉS
CAPITAUX
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LES
7 PEC
PÉCHÉS
ES
.CAPITAUX
par Jacques de Lacretelle
Pierre Mac-Orlan
Jean Giraudoux
André
Paul
Salmon
Morand
Max Jacob
J.
Kessel
nry
Librairie
Gallimard
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JEAN
GIRAUDOUX
L'ORGUEIL
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Ecrivez le mot Luxure, ou le mot Envie,
ou le mot Mensonge. Vous avez l'impression
de marquer sur le papier blanc les moins
remarquables et les plus banales de vos
empreintes digitales. Ecrivez le mot Orgueil.
Il vous vient une bouffée de bien-être calli-
graphique, et aussi detriomphe humain
modeste qui est, vous le verrez tout à l'heure,
justement l'orgueil. Vous tracez vraiment
votre paraphe. Même constatation si vous le
prononcez. Alors que vous sentez sur vos
lèvres le goût de vieil élastique des autres
péchés, et que vous devinez qu'avarice vient
d'avaritia, et envie de invidia, et mentir de
mentire, le mot Orgueil a une saveur neuve.
C'est le seul péché capital qui se soit introduit
dans la langue française, et dans pas mal
d'autres aussi, sans passé latin ou grec. Les
étymologies que lui a trouvées la science
n'ont aucun rapport avec lui, que ce soit le
sanscrit ktel qui veut dire « vaciller amou-
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L'ORGUEIL
reusement », -ou l'armoricain rogi qui veut
dire « plumer la vague ». Tel est l'Orgueil.
Le seul péché capital dont l'appellation se
forme sans précipité préalable dans les dialectes humains, y pénètre sans ascendance, le
seul mot qui soit conçu, si l'on peut dire, sans
péché.
Qui veut parler de l'Orgueil n'a pas non
plus à reprendre un stock d'anecdotes et à
rajeunir les histoires de Plaute et de Térence.
On ne décrit pas avec des anecdotes le radium
ou la poudre. Certes, on nous abreuve encore
de mots modernes d'orgueilleux. Celui de
ce duc qui, se noyant de conserve avec un
cousin, ne voulut pas, malgré son héroïsme,
quand arriva le radeau sauveteur, céder le
pas à la branche cadette. Celui de cette altesse
disant à sa fille qui voulait épouser un simple
marquis « Tu auras six mois de bonheur et
quarante ans de bout de table.»Celui de ce
président du Conseil, dont le fils venait de
commettre un vilain assassinat, et qui, à la
porte du poste de police qui abritait l'assassin,
fit rectifier la position à l'agent qui ne le
saluait pas. Le malheur est que ce ne sont
pas là les mots de l'Orgueil, mais de la Vanité.
Rien de plus connu que la Vanité, ou, ainsi
que l'appelait le Moyen âge, la vaine gloire.
Elle consiste, comme disait saint Bonaventure,
L'ORGUEIL
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à ne pas se considérer comme une simple
abjection, ou, comme disait l'autre, à s'endimancher tous les jours. Mais elle ressemble
bien peu à l'Orgueil. La Vanité, à bien l'étudier, est le sentiment qui suppose chez l'homme
le sentiment le plus pédant de l'égalité. Le
vaniteux n'engage avec les autres hommes
qu'un tournoi, qu'un match, c'est-à-dire un
combat entre égaux, et il a recours, pour
faire pencher de son côté la faveur du sort,
à des armes et à des recettes courantes, telles
que perles, bijoux, titres ou culture. Les
vaniteux sont divisés en catégories aussi
nettes que les boxeurs il y a les vaniteux poids
coq, poids plume, les vaniteux poids lourds
et ils ne se battent qu'entre vaniteux de
même catégorie. C'est bien le contraire de
l'Orgueil. Le vaniteux est essentiellement
sociable, il n'y a de vanité qu'à la foire, à
l'église, au théâtre. Pas de vanité sur les récifs,
les promontoires, terrasses de l'Orgueil. La
vanité disparaît à l'heure de la mort. Or, la
mort est le soleil de l'Orgueil. Qu'est-ce que
l'Orgueil ?
L'Orgueil est tout ce qui nous reste du
péché originel.
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L'ORGUEIL
Quand M. Diehl visita Diarbekir, il de-
manda à examiner, dans le trésor de l'église
Sainte-Myriam, le seul objet qui datât de
l'Eden. C'était une poupée d'or, larve vaguement féminine, nue, qui d'après les papes
d'Erzeroum était antérieure à la femme elle-
même, et, d'après ceux de Van, nettement
postérieure. M. Diehl prétend qu'elle est
allemande. Par la faute de M. Diehl, l'Orgueil
est donc bien le seul fragment qui nous reste
de notre création. Toute la question est de
savoir si dans ce coup'd'orgueil, l'homme s'est
fait ou s'est perdu. Ou les deux à la fois.
Rechercher ce que chacun de nous a d'orgueil, c'est déterminer quelle eût été sa collaboration, s'il avait été premier homme, à la
confection de l'humanité. L'Orgueil, c'est
Adam arriviste. Un éclat d'orgueil dans une
race animale, chez les chevaux, chez les
fourmis, et nous risquons de voir un autre
être que l'homme, se pourvoir de ce que nous
appelons l'humanité, avec ses bibliothèques,
ses bretelles, ses cafés chantants.
Si l'on examine, en effet, ce programme
parfait de soirée familiale ou provinciale qu'est
en général le répertoire des péchés capitaux,
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L'ORGUEIL
on peut constater que six se retrouvent chez
les animaux. Ce ne sont donc pas des péchés.
Il est difficile d'admettre que la chair humaine
soit un prisme assez merveilleux pour changer
en péchés,
c'est-à-dire en attentats à Dieu,
des distractions qui lui sont communes
avec la chair des ânes et des belettes. L'exer-
cice de ces six péchés n'implique pas l'existence
la
d'une
inconnue
dans
carrière humaine. Ce sont
la
nature
des
ou
défauts
de planète, presque de continents, disons de
sous-préfectures. Il y a tout à l'intérieur de
notre petit monde pour les nourrir. Tous
supposent la société, et quelques-uns la police.
Ils ne regardent que nous, et nul être extérieur
à notre univers n'en est troublé. L'Eglise est,
d'ailleurs, de notre avis. Il n'est aucun de ces
six péchés capitaux qui lui paraisse en réalité
condamnable. Elle les étiquette péchés, pour
certaines raisons de santé physique ou morale,
comme elle étiquette péché la viande le vendredi. Peut-être aussi pour distraire, par ces
six capes à couleur vive, l'homme de son vrai
péché, l'Orgueil. Aucun de ces péchés n'affecte complètement la vie de celui qui s'y
adonne
immense est le nombre des avares
polis, des luxurieux généreux, des paresseux
pleins de franchise. L'Eglise sait que l'aristocratie française est avare, et elle la respecte,
L'ORGUEIL
que la bourgeoisie est paillarde, et elle la
flatte. Chacun de ces péchés donne même à
l'âme humaine une anse par laquelle la miséricorde ou la doctrine peut aisément la saisir.
Tendre son âme à Dieu par le péché, c'est
courant.
Mais, dès que s'aperçoit sur un visage une
lueur de ce soleil que Dieu n'a pas créé, et
que la vraie lignée d'Adam se transmet par
un jeu de glaces encore inconnu à l'Eglise,
toutes les torches de la religion flamboient
pour la dénaturer. Quand ce n'est pas la
torche du bûcher. Pas un père de l'Eglise,
pas un prédicateur qui ne traite ce radium
comme on traite le cancer. De là vient aussi la
précaution, la sympathie avec laquelle les
moralistes non chrétiens ont parlé de l'Orgueil. Ni La Rochefoucauld, ni Vauvenargues
ne se sont sérieusement attaqués à lui. C'est
simplement qu'ils n'avaient aucun penchant
pour l'anthropologie ou la théologie, et que
l'histoire de l'Orgueil n'est guère autre chose
que l'histoire de notre création. Nous en
reviendrons toujours là. Etudier l'Orgueil,
c'est étudier l'homme dans sa lutte contre
Dieu. On n'écrit pas des anecdotes sur l'Orgueil, des remarques sur l'Orgueil, mais des
dissertations, des traités.
Voici le mien.
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L'ORGUEIL
L'Orgueil a deux degrés.
Dans le premier, l'orgueilleux veut sa
victoire sur Dieu.
Dans le second, état suprême de l'Orgueil,
l'orgueilleux désire sa propre défaite.
Le point de départ de l'Orgueil est la conscience de l'Orgueil. Aussi Dieu, comme
moyen préventif, pour ne pas laisser soupçonner aux hommes la présence universelle
de l'Orgueil, l'a-t-il entouré d'innombrables
sosies inoffensifs, qui le cachent par leur
présence même: Au Portugal, on retire le
taureau irrité de l'arène en y lâchant une
douzaine de bœufs qui l'encadrent. Dieu a
lâché la présomption, la vanité, l'ambition, la
satisfaction, la fatuité. Il est assez rare que les
humains ne s'en contentent pas. Les décorations ont été inventées justement pour bien
marquer ceux qui n'engagent pas le combat
avec Dieu. Les moins dangereux se marquent
en France avec du rouge. Il est faux que ce
soit entre commandeurs du Nicham et ar-
changes fidèles, comme l'Eglise aime à le
L'ORGUEIL
faire croire, que se livre la lutte. Cette liste
de cent mille noms qui chaque année sollicite
les palmes est la liste de ceux auxquels le
métier d'homme plaît le plus et semble le
plus naturel. La liste des deux ou trois
personnes qui, tous lçs dix ans, refusent la
Légion d'honneur, signale même les moins
dangereux, puisqu'ils estiment à ce point la
valeur négative de la distinction, puisqu'ils
arborent des non décorations. L'Eglise voit,
les filles qui pénètrent chez les marchands de
perles. Rubis, diamants, turquoises, lanternes
de sûreté, marquent les âmes tranquilles au
regard de l'inspecteur suprême. Pas une
parure morale ou matérielle qui ne soit pour
le ciel un gage d'humilité. Poiret est le symbole du Parisien soumis aux lois divines.
C'est aussi avec la même ruse que Dieu a
écarté l'Orgueil de presque toutes les femmes,
en leur laissant croire que certaines parties
précises de leurs corps étaient des sortes de
bijoux indépendantes d'elles-mêmes et qu'elles
avaient à porter comme des parures. Je parle
de leurs seins. La femme n'a plus que pour ses
seins l'orgueil qu'elle eut le jour fatal pour
son corps entier, et elle est désormais préservée
par ces restes du corps primitif de toute récidive générale. Le plaisir qu'elle éprouve
quand on la complimente de ses seins est de
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L'ORGUEIL
qualité infernale, tout autre éloge n'est
qu'humain. Ils émergent d'elles comme les
deux cimes du Mont Ararat, mais cimes que
n'eût point recouvertes le déluge, et tout ce
qui les approche entre dans une atmosphère
de création du monde. Elle ne sait trop qu'en
penser elle-même. Le plaisir qu'elle a d'eux
n'est pas direct. C'est une volupté sans assouvissement, et plutôt la réminiscence d'un
plaisir antérieur aux âges. La pudeur ne se
pose pas sur eux, quelle que soit leur forme,
ou leur volume. Chaque mère qui nourrit
allaite un messie, un antéchrist, mais elle est
elle-même préservée. Ventouses de l'Orgueil féminin. Le décolletage a sauvé la
femme de l'Orgueil.
A défaut d'organe masculin qui lui permît
de désarmer aussi les hommes, Dieu a essayé
de les tromper sur la personne même des
orgueilleux. Il a projeté sur les vaniteux ou
les ambitieux ou les mécréants célèbres une
formidable lumière et les a donnés au monde
comme types de l'Orgueil. Napoléon, Attila
passent pour des orgueilleux. L'Eglise l'a
imité, et a appelé orgueilleux tous ceux qui
ont su, avec gloire, n'être pas de son avis, que
ce soit Luther, Calvin ou M. Loisy. L'Orgueil,
confiné ainsi aux rois, aux tyrans ou aux
libertins, paraissait le sentiment le moins à la
PÉCHÉS
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L'ORGUEIL
portée de l'humanité, et beaucoup d'humains,
qui contenaient en eux les germes de l'Orgueil,
ont été, dès le début, découragés d'une carrière qui supposait de si hauts grades. La vérité
est que l'Orgueil n'est presque jamais dans le
cœur où on le recherche. J'ai été dans l'armée
l'Orgueil n'était pas dans les maréchaux, mais
dans un pharmacien aide-major. J'ai été dans
le monde
l'Orgueil était dans un second clerc
de notaire. Dans la politique c'était un sténographe du Sénat. C'est cette instabilité du
pôle de l'orgueil qui est, sinon redoutable, du
moins fatigante pour Dieu. Malgré la création
des titres de chambellan suprême, de grand
vizir, malgré les efforts pour l'entraîner dans
une caste, l'Orgueil demeure le sentiment,
ou le vice, le plus démocratique. Parfois,
satisfait de sa visite aux grands du monde,
l'inspecteur suprême aperçoit, soudain, au
milieu d'Asnières ou de Marly, un petit
fonctionnaire distrait accoudé à sa fenêtre
Le soleil est beau. Les pompiers de Marly,
car c'est le premier dimanche du mois, grimpent sur l'échafaudage d'exercice offert à leur
compagnie par Sardou, qui craignait tant de
voir brûler sa collection de tabatières, et
s'amusent de là-haut à arroser les arbres.
Ah, de quel cœur les platanes boivent l'eau
destinée au feu Le petit fonctionnaire semble
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