Association pour l'Accompagnement Psychologique
des Personnes confront6es d une maladie grave
de leurs Proches et des Soignants
avenue de Tervuren, 215 I 14 - 1 150 BRUXELLES
tel./fax : 02735 16 97
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www.canceretpsy. be
par Claire JORIS, journaliste
Tout d'abord, qu'il soit exprim6 ici d chacune et chacun des voeux pour cette ann6e 1996.
Que nous ayons d faire des "pas" en avant, en arridre ou ) rester sur place, que cela
apporte un sens i notre 6volution.
Surtout que cette ann6e suive son cours sous le signe de la parole et de l'agir. Sous le
signe d'une parole saisie et donn6e avec intelligence et avec coeul, dans un mouvement
d'humanit6, de libert6, dans le respect de sa propre personne et de la personne de l'autre,
et de l'agir qui la construit et la renforce.
Les deux textes que nous vous proposons ce trimestre 6voquent tous deux une "parole
vivante", qui ne se dit pas n'importe quand, parce que pour atteindre, pour etre regue, elle
doit 6tre 6prouv6e. Parce que celui qui la dit et celui qui la reEoit doivent etre ouverts.
Danidle DESCHAMPS nous dit le temps, la prdsence, la rencontre avec soi-m€me et avec
l'autre, Que jamais un seul mot ne r6soud la tension de la maladie, ni ne donne sens, que
ce soit pour le malade ou pour le soignant, s'il n'est pas 6prouv6 dans le temps et dans la
rencontre.
Ainsi en eslil des "mots confi6s" de Pierre CAZENAVE, transcrits par [,ouise
LAMBRICHS, dans un livre dont nous ne saurions trop vous recommander la lecture:
"Le Livre de Pierre - Psychisme et Cancer."
Benoit de COSTER
Psychoth6rapeute
article paru dans la revue JALMALV en juin 1989
et reproduit avec l'aimable autorisation de l'Auteur
et de la Direction de la Revue
"Ce n'est pas un cancer, Docteur?"
Qui n'a imagin6 sa r6action face i une telle 6ventualit6, aussi vite repoussde. Ca n'arrive qu'aux
autres... Mais il est d'autres plus proches que d'autres, et des inimaginables confirm6s.
Si la question est ainsi formul6e, comme pour en conjurer un mauvais sort, c'est que l'id6e
mdme du cancer frappe les esprits, mdme quand on ne l'a pas. Et quand elle "nous a", cette
maladie atteint les racines de notre confiance en nous, en la vie, en notre destin.
Ir cancer atteint l'homme en ce point myst6rieux of se relient son corps, son image et sa parole.
Dds la premidre alarme, le v6cu s'altEre et se pr6cipite. Il y avait "avant", oi malgr6 les al6as de
sant6,'Je" avais le sentiment d'exister dans la continuit6 d'une ligne de vie. Confiant dans ma
bonne 6toile, je poursuivais ma route, avec ce sentiment confus d'6tre immortel.
C'est pourquoi les premiers moments de diagnostic ou les premiers moments de doute
engendrent toujours un moment de stupeur, les repdres 6vidents de soi et du monde r6el
vacillent, comme cette 6vidence de permanence qui soutient l'identit6.
Une multitude de sentiments impr6vus et contradictoires agitent l'esprit, oi s'entremdlent espoir
et peur, d6sir et angoisse:
- peur et d6sir de savoir la v6rit6,
- peur de se laisser aller, d6sir de lutter,
- peur d'avoir mal, d6sir d'Otre pris en charge, mais jusqu'oi? jusqu'd perdre
l'autonomie?
- peur de l'inconnu, des traitements, des sympt6mes,
- peur de l'issue impensable: gu6rir, oui, mais comment?... et mourir?
- peur de l'abandon et de la solitude,
- et surtout, peur d'6tre devenu diffdrent, de n'6tre plus reconnu comme semblable,
prochain. peur d'dtre maudit comme le nom du cancer, d'6tre rendu mue! interdit de s6jour au
royaume des vivants...
comment vivre? Il est des zones d'ombre en soi-m6me dans lesquelles on ne s,aventure qu,en
tremblant...
Et le^parcours de la maladie r6vdle et provoque des failles i tous niveaux, source et signe de
souffrance, souffrance du corps, entami par-la maladie qui altdre les traits, affaiblit les Torces.
ks traitemenJs m,tilent, bombardent, empoisonnent, marquent des cicatrices. [-a douleur
apparait, insidieuse, brutale.
Mais comment dissocier cette peine du corps de celui qui I'habite? c'est I'dpreuve du suiet:
..-.6preuve de la permanence de ce moi qui me fait "moi" depuis l'origine de la vii et me
garanllt la rencontre,
. - 6preuve de l'identi(6 aux racines de I'Etre, quand ''je" ne me reconnais plus dans le
miroir et que je cherche dans le regard de I'autre 'l'assurince d'ctre reconnu.'ii ".i a..
supplications ignor6es, des regards ddtourn6s, des silences qui trahissent.
.. ... -.fpreu.ve d'une image d6chue, de r6les qu'on ne plus tenir, d'une parole qui ne sait plus
"qui"_ dire: pire: que ''je" ne suis plus moi. ei d qui le dire? comme ii cette chute dans la
gravit6 de Ia vie chassait les images secretes et enfantines d'une bonne f6e pr6sidant i notre
naissance, pour faire surgir celle d'un mauvais sort acharn6 contre nous. Iri forces aveugles
qui hantent notre inconscient se rdveillent, avec la faute prete d nous accabler!
. -.6preuve de la rencontre de ce qui pourra survivre d la tourmente. Vient alors le risque et
la tentation de se coller au mot "canc6reux", de se confondre i un destin mortifdre eln un
d6sespoir ignor6, cach6 derridre un acharnement i gu6rir...
9uand J'ac.cident_ fait_ irruption dans une vig comment ne pas chercher i donner un sens d
I'absurde, l'impr6visible, le non-sens? ne serait-ce que_ p6ur survivre? comment ne pas
questionner et chercher_ i partager "ce qui m'arrive" et qui dbranle tous les repdres familiers,^les
valeurs, ce qui fait trier les amis et dpro ver la solitude? '
Comment supporter en soi les traces de la maladie, cicatrices de I'ime et du corps, sisnes de la
gravit6 du ma1, sans me rassembler moi-mome dans mon seul vrai centre de griuite, iou. rnon
nom, inscrit dans mon histoire? Et crier, exiger que ce nom me d6signe uux" v"r* de I'autre
plus essentiellement que le lieu de ma tumeur o-u Ie num6ro de ma cham"bre.
Ir cancer r6veille, .provoque, me semble{-il. une urgrcnce de parole et de parole vraie, pleine,
comme une n6cessit6_ vitale_ qyg ce-tte parole soit recueillie, entendue, pour que puisse se idutenii
le d6sir du suje! celui qui dit "Je"- en son nom... Ii ne suffii pas aL parter poui gu6rir,
?.Ufgt?tt!*n: Et le temps presse. Mais la q-uesrion n'est-elle paj aussi di retier'ce quT a pu
etre delle par, a cause de. e travers cette 6preuve?
La parole: un travail de m6moire.
En rupture d'6vidence, une premidre question surgit: "pourquoi moi?" la premidre r6action
est d'accuser l'injustice du sort. Une dutre est de s-'accuser soi-m6me retourndnt la question du
coupable el de se rdsigner.,. .Qui qeut.dire le poids des n6cessit6s psy"hotogiqu"s
lnconsclentes dans une vie et quel peut Ctre I'impact de leur alliance avec la'n6cessitiou la
fatalit6 phyiiologiquel _Il est dei gl,6risons 6tonnantes, comme des morts surprenantes-.. C,est
que la maladie.vient.r6v6ler, par.la.force des choses, la tension qui existe en c^hacun de nous, le
partage entre d6sir de vie et d6sir de mort inconscient, c'est d diie non pas n6cessairement celui
de mouril mais de licher prise, se mettre en repos de d6sir.
La maladie ramdne au fondement de la question: qu'est-ce qui me pousse ir reconduire au iour le
jour le contrat pass6 avec mon corps au jbur de mi naissanci?
Dans. ce flottement dl d6sir, -cette d6liaison possible de moi-m0me avec ce moi ,.autre,,, la
question peut effe d'abord de formuler le chaos, de se raccrocher au fil de son histoiri iui" ..,
lignes de force et de tension, ses fractures et sa continuit6.
Parler, ce serait alors tenter de donner forme, de mettre en mots ce qui n,a iamais vu le iour en
moi, s'aventurer dans f inconnu de soi-mdme, 6prouv6. c'est aussi 6herchei un sas de s'6iurit6,
un lieu pacifiant, un couloir oir puissent circuler le doute, le d6sespoir et l'espoir, et la culpabilit6
sans s'y figer. Ot puissent aussi s'inventer d'autres mots que ceuxJa, avec d'autres qui
d6sirent pour votre vie, partie prenante dans ce passage.
Alors seulement peut se reposer la question du sens de la vie: pas seulement du "Pourquoi"?
qui d6rive vite vers "A qui [a faute"? Mais dans un retournement de la question: " Dans quel
sens tout cela peuril aller, qui me fasse sens et signe, en fonction de mon histoire? Comment
m'y retrouver? et comment cette "v|rit6" m6dicale que l'on me dit ou que je redoute de
deviner, comment peut-elle rejoindre, modifier, surprendre la v6rit6 de ma vie, celle que je me
suis construite sur elle et qui 1'a 6clair6e jusqu'i pr6sent,"
Chaque malade s'interroge, au moment du plus grand risque. Crrtains pr6fdrent chasser ces
pens6es pour mieux lutter, d'autres remontent au fil de leur histoire, s'aventurent d faire des
liens l) of ils ne voyaient que hasard, dans leur propre vie, et dans la chaine des g6n6rations. On
peut etre soudain frapp6 d'un destin commun avec tel ou tel proche, comme logiquement
inscrit.... Et si les destins pouvaient diverger? On peut d6couvrir de quel poids ont pes6 des
errements pass6s, que l'on avait cru oubli6s et se laisser reprendre dans un travail d'6laboration
oi les traces s'inscrivent dans une mdmoire vivante.
D'autres r6fl6chissent sur leurs investissements actuels e la lumidre de cette crise, et
r6am6nagent leur priorit6, remettant leur vie dans un autre ordre. Il peut s'agir de rOves
inaccomplis: voyages, cr6ations, art, rencontres ou de retrouvailles , paroles de pardon devenues
possibles... ou au contraires de ruptures. n'est-ce pas quand on est accul6 au pied du mur que
parfois surgit une issue impr6vue, une nouvelle faEon de voir le pass6 qui ordonne autrement le
pr6sent et impose des nouvelles "n6cessit6s" d venir?
Ce destin "si funeste" s'6claire parfois de retournements surprenants: effets de parole et de
rire, moments de re-cr6ation, invention surprenante, rebondissement vers un destin redevenu
viable, c'est d dire humanis6, quelle qu'en soit l'issue. Effet de pacification aussi, comme si le
plus grand risque engendrait une brdche de libert6 oi vivre se conjugue au pr6sent.
Encore faut-il que cette mutation soit soutenue par d'autres, pr6ts aussi e mettre en jeu leur
propre parole et leur subjectivit6.
Ir cancer qui vient d6lier un 6tre humain de son histoire, risque aussi de d6lier les liens avec les
autres: amis, famille, soignants. En cela, cette 6preuve est vitalement appel ) l'autre:
- appel d un regard qui a pouvoir de me reconnaitre ou de m'abolir comme personne
humaine, en un corps vivant, sexu6, d6sirant m0me s'il est souffrant. Un regard qui me redonne
visage humain dans l'alt6ration de ses traits.
- appel i une parole de partage, i un contact juste, qui touche sans trop de peur, d une
distance non fig6e,
- appel d une v6rit6 qui tienne compte de la singuiarit6 de chacun.
Et pourtant... Si souvent, l'imp6ratif hospitalier destin6 au bien-Otre du malade devient un
imp6ratif d6shumanisant: "H6pital et peut-Ctre- Silencel".
Volr dans 1e cancer le seul d6sordre des cellules aboutit pour le malade i la soumission, i la
r6volte ou e une complainte r6p6titive qui se tarit dans la violence d'une non-rencontre, d'un
diagnostic pos6 comme une 6tiquette, d'un traitement ordonn6 sur une maladie, un organe et pas
autour d'une personne.
Si souvent, le cancer engendre l'angoisse, qui engendre le silence de toutes parts; si rien ne vient
le rompre, ce silence envahit le quotidien , empoisonne les relations ou les fige, coupe chacun de
lui-m6me. I: technique est sacralis6e, la maladie est soign6e avec acharnement, l'homme
d6shumanis6, humili6. Ne serait-ce pas parce qu'i l'angoisse du malade r6pond, r6sonne d leur
insu l'angoisse des soignants et des proches? Une parole reste en suspens, interdite, le silence
consume les esprits et ratatine les actes, sous prdtexte de se prot6ger ou de prot6ger l'autre.
3. Le cancer: une exigence de rencontre.
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