e208 Canadian Family Physician • Le Médecin de famille canadien | VOL 63: APRIL • AVRIL 2017
Commentaire |
Les principes d’Upshur pour discuter de l’aptitude médicale à conduire
route tuent environ 2500 personnes au Canada chaque
année et en blessent quelque 180000. Par comparaison,
le nombre de décès attribuables au SRAS en 2003 était de
444; toutefois, ce nombre aurait pu être bien plus élevé si
les libertés civiles n’avaient pas été restreintes pendant un
certain temps.
Les médecins de famille font assez souvent face à des
décisions et à des discussions difficiles entourant les effets
du problème médical d’un patient sur la sécurité routière,
surtout quand, comme moi, ils détiennent un Certificat de
compétence additionnelle en soins aux personnes âgées.
La suspension du permis de conduire d’une personne
contre son gré peut constituer un affront à son autonomie
et a des répercussions potentiellement dommageables,
comme l’isolement social, en plus de ses avantages pour
la sécurité. Mais lorsque j’évalue la sécurité de la conduite,
au-delà de faire reconnaître ces tensions, je ne trouve
pas que les 4 principes traditionnels de l’autonomie, de
la bienfaisance, de la non-malfaisance et de la justice
sont aussi utiles que les simples paramètres proposés
par Upshur pour orienter les discussions et la décision,
en particulier lorsque le vieillissement peut être associé à
une perte de lucidité, de jugement et de fonctionnement
autonome, comme le cas suivant le démontre.
La fille d’un homme de 76 ans atteint d’aphasie pro-
gressive d’expression téléphone à la clinique pour faire
part de ses inquiétudes à propos de l’aptitude de son
père à conduire et demande une évaluation à ce sujet.
Son père conduit une courte distance chaque jour pour
aller travailler à l’entreprise familiale et aime bien
ces sorties. Il serait «dévasté» s’il perdait son permis,
explique sa fille. Il y a 2 ans, il a eu un accident de la
route et on lui a subséquemment demandé de passer
un examen pratique. Son père a apparemment passé
beaucoup de temps à se préparer pour ce test. Il l’a
réussi mais, depuis, la famille a remarqué un ralentis-
sement dans sa vitesse de réaction et son jugement.
Les membres de sa famille s’inquiètent de sa sécurité
et de celle d’autrui, mais ils hésitent à aborder directe-
ment le problème.
L’aphasie n’est habituellement pas un diagnostic
qui soulève des inquiétudes à propos de la conduite;
par contre, en raison des inquiétudes de sa fille, on
donne au père un rendez-vous à la clinique. À la
suite d’une réévaluation, il est visible que l’aphasie a
progressé, et le père manifeste maintenant des signes
de troubles de motricité. Il ne peut plus parler. Il a
développé des problèmes de mouvements oculaires,
de nouveaux tremblements au repos, une mauvaise
coordination, et il bouge aussi très lentement. Les
résultats de ses tests cognitifs révèlent une déficience
visuospatiale, de la persévération, et il lui a fallu
plus de 5 minutes pour compléter la partie B du Trail
Making Test, ce qui signale un problème à transférer
son attention entre des tâches. Sans qu’on ne lui
pose de questions, le patient admet qu’il ne fait plus
confiance en son propre jugement. Même s’il y a une
incertitude diagnostique quant à la cause du déclin du
fonctionnement manuel et de la cognition du patient,
son évaluation clinique, en se fondant sur l’évaluation
fonctionnelle limitée effectuée au cabinet, porte à croire
qu’il n’est pas sécuritaire pour cet homme de conduire.
Application des principes
Dans le cas de ce patient, selon le principe du tort, il
est justifié de l’empêcher de conduire simplement parce
qu’il risque potentiellement de causer du tort à d’autres.
Il risque aussi de se faire du tort à lui-même, mais ce
tort potentiel, quoique véritable, n’est pas nécessaire
pour justifier la suspension de son permis. Selon le prin-
cipe du tort, le risque de nuire à d’autres est suffisant
pour agir. Il n’est pas non plus nécessaire, selon ce prin-
cipe, que la personne reconnaisse ou accepte le fait
que sa conduite pose un risque de nuire—un aspect
du principe qui peut être utile quand on a affaire à des
patients qui font de la démence et sont peu lucides—, ni
de connaître le degré de certitude à propos du risque de
nuire, parce qu’une intervention en santé publique pour
éviter des torts peut être justifiée même si le risque de
tort est incertain3. Dans le cas présent, il y a de l’incerti-
tude concernant les torts, en raison de l’évaluation fonc-
tionnelle limitée effectuée à la clinique et du manque
de précision quant au diagnostic et à la mesure dans
laquelle l’aphasie nuit à la capacité de communiquer et
de répondre aux questions du test. Ce manque de clarté
est présent dans de nombreux diagnostics tels que l’hy-
poglycémie, la syncope et la déficience cognitive légère,
ce qui oblige les médecins à se laisser guider par leurs
principes, leurs observations cliniques et leur jugement.
Par ailleurs, selon ce cadre, il n’est pas acceptable de
limiter le raisonnement logique au simple principe du
tort. Le principe des moyens les moins restrictifs oriente
les médecins quant à la façon de structurer les discus-
sions parfois difficiles avec les patients à propos de leur
aptitude à conduire. Il incite les médecins à structurer la
discussion dans son ensemble, avec délicatesse et par
étapes, en commençant par éduquer les patients à pro-
pos des motifs d’inquiétude potentiels et, si possible, de
les amener eux-mêmes à prendre leur propre décision
d’arrêter de conduire avant d’en arriver à la nécessité
d’informer le service provincial de délivrance des permis.
Le principe de la réciprocité nous fait reconnaître les
répercussions du retrait du permis sur le mode de vie du
patient. Ce principe comporte une certaine obligation de
cerner d’autres moyens de transport et même de fournir
des options, comme aider les personnes à s’inscrire aux
services communautaires de transports collectifs. Si de
tels services sociaux ne sont pas accessibles, les méde-
cins ont une certaine obligation, en vertu du principe