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impuissance compréhensive ni, a fortiori, aucun échec du sens. L’interrogation critique se
retourne finalement en une perspective quasi-dogmatique.
Le chapitre 2 reconstruit la première déstabilisation du transcendantal qui a lieu à la fin des
années 1920, entre 1928 et 1930. Heidegger développe une métontologie pour compléter et
corriger le projet de l’ontologie fondamentale et afin de dégager un niveau de possibilisation
transcendantale plus profond, en-deçà de la compréhension du Dasein : on passe alors, dans le
cadre de la « métaphysique du Dasein », d’un transcendantal ontologico-herméneutique à un
fondement métaphysico-ontique. La réhabilitation de la Vorhandenheit, le rôle plus important
donné aux tonalités fondamentales (Grundstimmungen), le passage au premier plan – fait
unique dans toute la pensée de Heidegger ! – de la dimension ontique et surtout la conception
renouvelée de la temporalité comme oscillation du possible advenant depuis l’étant en son
tout, mènent à un véritable ébranlement du transcendantal. Le transcendantal prend la forme
d’un non-pouvoir, c’est-à-dire d’une « impuissance métaphysique [metaphysische
Ohnmacht] »
et d’une « indigence transcendantale [transzendentale Bedürftigkeit] »
: il
indique l’impossibilité, pour l’homme fini et jeté en un monde, de ne pas comprendre l’être.
La condition de possibilité la plus originaire est une impossibilité et non plus une possibilité.
La deuxième partie retrace la façon dont Heidegger abandonne peu à peu le transcendantal
jusqu’à la fin des années 1930. Le chapitre 3 analyse en détail les interprétations
heideggeriennes des trois premiers chapitres du livre Θ de la Métaphysique d’Aristote (1931),
puis de l’Ecrit sur la liberté de Schelling (1936). Ce chapitre s’insère dans une perspective
d’histoire de la réception, mais il montre aussi comment la pensée de Heidegger s’élabore en
dialogue avec les auteurs de la tradition. Heidegger retient d’Aristote en particulier la
signification kinétique et ontologique de la δύναμις κατὰ κίνησιν, la mise en évidence d’une
effectivité propre à la δύναμις en-deçà de l’ἐνέργεια et l’idée d’une bipolarité inhérente à la
δύναμις μετὰ λόγου, qu’il traduit – notons-le – par Vermögen. Cette interprétation de la
Métaphysique Θ 1-3 se reflète dans la lecture qu’il fait des Recherches de Schelling en 1936.
Heidegger lit en effet – c’est ce que nous montrons – le « pouvoir du bien et du mal »
(Vermögen zum Guten und zum Bösen) comme le paradigme même d’une δύναμις μετὰ λόγου,
et il insiste en cela sur la coappartenance des contraires inhérente à cette force, si bien que
Martin Heidegger, Metaphysische Anfangsgründe der Logik im Ausgang von Leibniz, Gesamtausgabe, vol. 26,
éd. par Klaus Held, Frankfurt am Main, Klostermann, 1978, p. 279.
Martin Heidegger, Kant und das Problem der Metaphysik, Gesamtausgabe, vol. 3, éd. par Friedrich-Wilhelm
von Herrmann, Frankfurt am Main, Klostermann, 1991, p. 236. Trad. fr. Walter Biemel, Alfonse de Waehlens,
Kant et le problème de la métaphysique, Paris, Gallimard, 1953, p. 291. Trad. mod.