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Une exécution ordinaire
Author : Emmanuel Didier
Date : 9 février 2010
Le couvercle est épais, plombant. Pour son premier film en tant que cinéaste, l’écrivain
Marc Dugain a choisi la camisole étouffante du Moscou des années 1950, ses longues
artères tapissées de feuilles mortes et sa joie de vivre communicative en devanture. Sorte
de remake soviétique du Promeneur du Champ-de-Mars|critique du film Le Promeneur du
Champ-de-Mars, Une exécution ordinaire farfouille dans l’arrière-boutique stalinienne avec
austérité et minutie. Quelle meilleure démarche pour évoquer le « Petit Père des peuples »
au seuil de son existence ?
Urologue dans un hôpital moscovite, Anna (Marina Hands) débite à la chaîne coliques
néphrétiques et cirrhoses carabinées. Installée dans sa petite boîte en contreplaqué faisant office
de cabinet, elle accueille les restes d’une humanité dévastée, recroquevillée dans un couloir
d’attente. Au suivant ! Ses collègues, confinés eux aussi dans les boxes adjacents, semblent
méfiants à son propos. Paranoïa toute soviétique ou jalousie mal placée ? Il se murmure en tout
cas qu’Anna fait usage de procédés pas tout à fait traditionnels, rumeur excitant frénétiquement
les âmes dénonciatrices et les maître-chanteurs lubriques. Son mari Vassili (Edouard Baer),
physicien au chômage forcé, squatte chambre et squares, en attente d’une prochaine chute de
régime. Ces deux représentants de l’intelligentsia moscovite font preuve d’une résistance
résignée : « Heureusement, il reste l’amour », résume Vassili.
Un jour, Anna se fait alpaguer au travail par deux hommes mandatés. Direction un labyrinthe de
couloirs gris, un dédale de moquette triste. Assise entre deux femmes garde-chiourmes dans une
grande salle vide, Anna attend. Elle ne sait ni quoi ni pourquoi mais elle attend, des heures.
Finalement, on l’amène plus loin, vers des couloirs encore plus ternes Quand elle débouche dans
un grand bureau, une silhouette massive l’accueille en arrière-plan, de dos. Se dévoile alors le
corps du despote, bedonnant et souffreteux, succube d’un André Dussollier oublié. En quelques
scènes, voilà résumé le château de cartes déserté d’un pouvoir en fin de cycle, comme déjà
recraché, déjà renié : des halls fantômes, des sbires endormis, des gardes en cire, un dictateur
infirme reclus dans son bureau. Tableau d’une tristesse absolue.
Au contact de cette créature, la vie d’Anna est instantanément modifiée. Demande lui est faite de
devenir guérisseuse clandestine, ses dons de magnétiseuse ayant été consignés par un zélé
collègue. Pas question d’enfermement et de liquidation, juste d’effacement : au service du maître,
Anna doit oublier sa vie, ses parents, son mari. Par crainte d’un ébruitement sur son état de santé
et de sa croyance subite en une si déraisonnable sorcellerie, le camarade Staline fait le vide, de
gré ou de force. S’amorce alors un mécanisme implacable piégeant Anna dans la folie du vieux
régnant, monstre froid jonglant entre bonhomie calculée et cruauté rentrée. Cette ambivalence
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