DOCUMENTS LES IMAGINAIRES HISTORIQUES ET CULTURELS Modérateur : Jean Lebrun DEUX ALLEMAGNES : UNE THÉORIE ET SES RÉPERCUSSIONS NORBERT OHLER La théorie des deux Allemagnes réservait une énigme à ceux qui demandaient une réponse nette. Elle permit à chacun de rester fidèle à ses préférences personnelles et à ses préjugés. Cette théorie a trouvé maintes différenciations. Selon la géographie Nord-Sud, selon la confession catholique-protestante, ou la philosophie Kant-Fichte, ou la littérature Goethe-Kleist. Enfin la musique : Mozart-Beethoven, Schuman, Schubert représenteraient l'Allemagne éternelle humaniste. Beaucoup d'écrivains français ont vu dans la musique l'essence même du génie allemand. D'autre part Wagner n'a-t-il pas célébré Siegfried, l'incarnation du militarisme allemand, Siegfried qui évoquait la ligne Siegfried et Bach. Revenons au Silence de la Mer. Un soir von Ebbrenac joue le Huitième Prélude des Fugues que la nièce avait travaillé avant la débâcle. Von Ebbrenac s'arrête et songe : Rien n'est plus grand que cela. «Grand », ce n'est pas même le mot. Hors de l'homme. C'est une musique inhumaine. Bach ne pouvait être qu'Allemand. Notre terre a ce caractère inhumain. Je veux dire pas à la mesure de l'homme. Accusé d'avoir péché contre la mesure, Bach est déshumanisé. Combien l'Allemand est redoutable si ses plus grands artistes ont quelque chose qui dépasse le cadre humain. Mais Vercors connaît aussi deux Frances : la France éternelle et personnifiée par le maître de céans et sa nièce, une demoiselle silencieuse et fière. Et l'autre France, c'est celle de l'Amiral, celle de la lâcheté. Von Ebbrenac, l'officier allemand craignant que la France ne s'adonne à l'opportunisme. Qu'elle ne perde son honneur, voire son âme. La théorie des deux Frances était répandue pendant un certain moment. Qu'il me suffise de donner quelques motsclés nord-sud, royaliste-républicain, droite-gauche, Pétain-de Gaulle. Le Silence de la Mer, le livre ainsi que le film de Jean-Pierre Melville en 1947, a contribué à sensibiliser le public français pour les questions de l'après-guerre. Voilà donc les deux Allemagnes, pouvait-on dire de 1949 à 1990 : la République fédérale d'Allemagne et la RDA. Selon les préférences personnelles, telle représentait la bonne, telle la mauvaise Allemagne. Je n'épiloguerai pas sur les facettes de ce sujet. Vercors a fait preuve de hardiesse quand il a présenté en 1942 une bonne Allemagne sous les traits d'un officier de la Wehrmacht. Ne pouvait-on pas pressentir derrière von Ebbrenac la misère d'un peuple livré à une bande d'assassins qui ne reculaient devant rien pour exploi15 DOCUMENTS ter sa misère, sa crédulité, ses passions. C'est ce que se demandait il y a tout juste trente ans Pierre Macé dans un compte rendu du Monde consacré à la bataille du silence. Au fur et à mesure que l'on connaissait mieux en France après 1945 l'histoire de l'Allemagne depuis 1933, on se rendit compte que parmi les millions de victimes du national-socialisme, il y avait eu des Allemands, socialistes, marxistes, chrétiens, massacrés par milliers. Parmi les fusillés il y avait Klaus Graf von Stauffenberg qui avait mis en œuvre l'attentat contre Hitler en 1944, attentat malheureusement avorté, mais qui avait au départ été un officier soumis à cet homme-là. L'interlocuteur muet de von Ebbrenac, von Stauffenberg, était pour ainsi dire un camarade de von Ebbrenac. Vercors a donc sensibilisé son public pour les ruptures dans l'histoire de leurs voisins. En pleine guerre Vercors a propagé la conviction que ce serait la dernière guerre. Il avait accompagné cet espoir de la vision d'une Europe commune chère à Victor Hugo, chère à Aristide Briand. Si des hommes tels que Jean Monnet, Robert Schumann, ainsi que De Gasperi, Konrad Adenauer pouvaient mettre les bases pour sa réalisation, c'est parce que des auteurs comme Vercors avaient préparé les esprits, enlevé des obstacles et parce qu'il y avait des hommes de bonne volonté qui ont construit des ponts au-dessus de l'abîme qui semblait devoir séparer nos deux pays pour toujours. Qu'il me soit permis de nommer ici M. Joseph Rovan. Vercors avait précisé son espoir. Nous nous marierons. Depuis cinquante ans on a célébré des mariages franco-allemands favorisés par le fait que des milliers de jeunes Français ont effectué leur service militaire en Allemagne, accéléré aussi par des centaines de jumelages entre villes et villages. Permettez-moi d'insérer ici une expérience vécue par notre famille : Au cours d'un échange dans le cadre du programme Erasmus, un de nos fils a fait à l'Université de Dijon la connaissance d'une jolie Française ; elle est maintenant son épouse, notre belle-fille Véronique. Chacun de nous pourrait multiplier de tels exemples. Militaires, élèves, étudiants, artistes, touristes, artisans, syndicalistes, délégations de toute sorte ont acquis une connaissance intime du pays voisin même si telle région jouit toujours d'une certaine prédilection. Les jumelages ont créé un réseau qui englobe Tourcoing, Thionville et Montceau-les-Mines, Wanneeickel, Salzgitter et Eisenhüttenstadt. Comme des milliers de Français et d'Allemands connaissent personnellement des hommes et des femmes, des adultes et des jeunes du peuple voisin, ils résistent plus facilement à la caricature que certains médias tendent à immortaliser. Longtemps on n'aperçut que ce qui correspondait aux préférences personnelles ; aujourd'hui l'on se rend compte que les qualités et les défauts sont les facettes d'un seul peuple, que la variété fait justement la richesse de l'Europe comme elle fait la richesse de nos deux pays. Sachant que les peuples vivent avec les lumières et les ombres de leur passé respectif, on peut se passer de théories boiteuses y compris la théorie des deux Allemagnes, des deux Frances… ■ 16 DOCUMENTS VRAIS ET FAUX CONTRASTES JEAN-MARIE ZEMB La clarté et l'humour s'accordent volontiers, et il faudrait singulièrement manquer d'humour pour estimer que la clarté est le privilège du français. S'agissant de nos deux langues, la courtoisie amusée des propos de M. Rommel encourage à prendre quelques libertés avec les opinions politiquement correctes sur Marianne et Germania – au fait, pourquoi pas sur Gallia et Gretchen ? – ou plutôt avec les schémas qui persistent à tant arranger l'imaginaire et à conforter les préjugés ? En la matière, les passions et les raisons de l'époque dont l'exposition se veut le reflet documentaire et qui ont sans aucun doute suscité à la fois, de part et d'autre, de l'admiration souvent cupide et du calcul parfois méprisant, ont des causes plus lointaines. Et avant ? questionnent nos enfants, et ils ont raison d'insister. Avant ? La France exerçait sur l'Europe une hégémonie culturelle, mais aussi – et ne s'en offusqueront que des intellectuels scrupuleusement naïfs – démographique et militaire que ses voisins ne contestaient pas vraiment. Exerçait ? Plutôt que de s'arrêter à cet imparfait, d'autres expositions documentaires, il faut l'espérer, inviteront les Européens à remonter de modèle en modèle le passé antérieur de leur Léthé. Source mythique ou bief plus-que-parfait que les Flandres, la Toscane, Aix-en-Provence, Byzance, Palerme, Aix-la-Chapelle, Grenade, Carthage ; les Cyclades et les Sporades ? Les visiteurs de l'exposition « Paris-Berlin » renoncent généralement à parcourir l'exposition dans les deux sens pour ne pas provoquer de désordre. Mais qu'est-ce donc que l'historiquement correct ? En guise de conscience historique, l'exposition raconte le passage de l'anamnèse hagiographique au pronostic idéologique. L'enseignement de l'histoire ne devrait-il pas plutôt aller et venir, et notamment dans les hauts lieux qu'en imaginait Humboldt, les musées, s'interroger non seulement sur les causes lointaines des imageries, mais aussi sur les plus tenaces de leurs effets ? La réflexion pourra-t-elle longtemps ignorer la contingence et refuser de s'aventurer, justement au nom du sens, dans ce que les deux grammaires lui proposent, à savoir l'hypothèse historique, les futurs du passé et les conditionnels de l'à venir ? Si Cléopâtre…, si les héritiers de Charlemagne…, si Erasme…, si Charles le Téméraire…, si le Prince Eugène de Savoie…, si le Département des Bouches-de-la Meuse…, si le chancelier Otto von Bismarck…, si le général Charles de Gaulle…, si l'euro…! Non, ce ne sont précisément pas des enfantillages, mais des apprentissages. La philosophie serait borgne et bien étriquée qui ne verrait pas que la plénitude du sens réside dans les potentialités, les ressources et les horizons, bref dans ce que la métaphysique appelle la puissance, et que n'en subsistent souvent, dans l'indigence de son actualisation disparate et asynchrone, que des bribes, à la limite de l'absurde. A une distance égale de Paris et de Berlin, à Bonn, à Trieste ou à Rekjavik, quelle leçon que ce sens parfait du devenir imparfait : l'existence ne précède pas l'essence, même pour l'Europe. 17 DOCUMENTS Les modes ont leurs modèles. A défaut, elles en fabriquent. Pour fuir la foule, le prophète se retira dans le désert. Faut-il lui imputer la famine qui s'abattit sur la foule qui l'avait suivi. Gabriel Tarde (1843-1904) pensait que l'imité partageait avec l'imitant la responsabilité de l'imitation. Avant d'être appelé en 1900 au Collège de France et à l'Académie des sciences morales et politiques, ce magistrat avait ajouté à son expérience qualitative de la jurisprudence pénale une dimension quantitative en dirigeant le service des statistiques au ministère de la Justice. On lui doit notamment les Lois de l'imitation (1890) et l'Opinion et la Foule (1900). Ses Fragments d'histoire future (1896), sa Criminalité professionnelle (1897) et sa Transformation du pouvoir (1901) n'annonçaient sans doute pas l'hégémonie de la télévision, mais demeurent d'une lecture très éclairante. Si l'auteur de la Philosophie pénale (1996) dérangea longtemps les sociologues, c'est sans doute parce qu'il s'était intéressé à la manière dont des individus exceptionnels se faisaient imiter, pas toujours innocemment, par les masses. Les Lumières qui inspirèrent l'Aufklärung semblent avoir brillé à égale distance de ces asymptotes que sont les « individus exceptionnels » et la « masse ». Ses modèles n'étaient pas isolés et leurs modes ne furent pas générales. L'alamodisme – car c'est de ce conformisme-là qu'il s'agit – fut le fait de milieux restreints, mais influents, telles que les cours princières et ducales – à l'époque plus nombreuses dans les régions de langue allemande que dans les territoires de langue française – les salons bourgeois et les sociétés savantes – qui se multipliaient tout en se voulant élitaires. On n'oubliera pas ces creusets de l'opinion que devinrent les salles de rédaction, peut-être plus nombreuses qu'aujourd'hui, et qui au demeurant s'accommodèrent, chacune à sa façon, d'une censure loyalement conformiste ; loin d'avoir mis fin à cet alamodisme allemand dont certains patriotes dénonçaient la « francolâtrie », Napoléon substitua à l'ancien modèle un nouveau, le sien, au besoin en interdisant dans les départements annexés tous les journaux à l'exception du Moniteur, en édition bilingue. Tandis qu'à Potsdam et à Schönbrunn le français donnait le ton, un décalage analogue faisait parler allemand à Copenhague et à Saint-Pétersbourg. On le sait, les fruits du verger du voisin sont toujours les plus appétissants. A moins que, pour renverser le cours des choses, on ne jure plus que par soi, en substituant à la nature la nation, mais cela ne dure jamais bien longtemps. Du point de vue de Sirius, l'Europe connaît des phases de contraction et des phases de dilatation. Ces mouvements ne sont pas en phase entre eux dans tous les pays, pas plus que les vainqueurs et les vaincus ne sortent de la même guerre. Les coïncidences équivoques et éphémères n'excluent cependant ni le heurt brutal ni l'éclipse sournoise. A Versailles, où l'on parlait moins souvent l'italien, et à Sanssouci, où l'on n'entendait plus guère l'allemand, le français jouissait de la même réputation de clarté et de rigueur, d'harmonie et de précision, bref d'universalité. La langue, que dis-je, le langage de la Raison (pure) ! Les Français ne parlent-ils pas comme tout le monde pense ? Sujet-verbe-complément, qui dit plus juste ou mieux ? Moins bien ? Tous ces idiomes qui ne placent pas le sujet au début 18 DOCUMENTS ou qui placent le verbe à la fin, bien sûr, et notamment la langue que cette comparaison relègue parmi les barbares, l'allemand. Le français est rationnel et l'allemand irrationnel. Caricature, Image d'Épinal ? peut-être, mais néanmoins portrait certifié par le peintre et contresigné par le modèle. Cet imaginaire-là continue d'imposer son « ethnologique » malgré trois quarts de siècle de dénonciation de l'ordre direct, de l'inversion et du rejet par Jean Fourquet. Comment cela a-t-il été (on n'ose encore, hélas ! écrire : fut-il) possible ? Le français est-il si rationnel que cela ? Une langue peut-elle être plus rationnelle qu'une autre ? Le français a-t-il rationalisé ou perturbé le latin, l'a-t-il enrichi ou appauvri ? Où sont donc ses mérites, ses vertus et ses charmes ? Ils existent certes et même si bien qu'ils sont inconsciemment évidents et que la tâche de les décrire comme l'une des voix – des voies – de l'universel serait un vrai plaisir. Mais pourquoi diantre l'allemand serait-il irrationnel ? Sa structure n'est-elle pas simple, « mécaniquement » comme « organiquement » : des concepts bien boulonnés en fin d'énoncé, des rhèmes ; des percepts soigneusement circonscrits et regroupés en tête, la liasse des coordonnées thématiques ; entre les deux camps, l'arbitre, sifflet à la bouche et cartons en poche ; signalement à double effet par l'exergue du verbe qui annonce la proposition tout en clôturant l'espace d'ouverture qui permet aux phrases de ne pas rompre le discours ? Tout cela n'est-il pas d'une rationalité souveraine, pour tout dire (aujourd'hui et surtout après-demain) : calculable. Que croyez-vous qu'il arriva ? Au lieu de rétorquer à leurs contempteurs que l'allemand n'était pas plus irrationnel qu'une autre langue, et que ses structures étaient même particulièrement aisées à déchiffrer, les Romantiques du Sturm und Drang préférèrent la surenchère : « Irrationnels, nous ? Et comment ! C'est même là notre génie. Le Génie pur, aussi universel que votre Raison ! » L'écho ne s'en fit pas attendre : « Non seulement ils sont irrationnels, mais ils s'en font une gloire ! » Au début de ce siècle, un humoriste dessina deux couples qui venaient de se croiser sur le Pont des Arts, l'un allant à l'Opéra, l'autre se rendant dans une gargote du Quartier Latin. L'un et l'autre accoutrés selon. En se retournant, chacune des dames – la morale de la fable pouvait tenir dans une brève phrase commune – disait à l'oreille de son compagnon : « Sont-ils ridicules ! » Avec leur finesse ? Avec leur géométrie ? Avec leurs définitions ? Avec leurs formules toutes faites ? Avec leur obscurité gratuite ? Avec leur pseudoRaison ? Avec leur pseudo-Génie ? Lucien Tesnière a mis en évidence la cause syntaxique de cette opposition : les langues centrifuges, auxquelles appartient le français (sous une forme mitigée), énoncent d'abord le déterminé et ensuite le déterminant, les langues centripètes, parmi lesquelles figure (également sous une forme mitigée) l'allemand, font le contraire : ordre bizarre vs. bizarre Ordnung ! Bizarre aux yeux de qui ? De l'autre, bien évidemment. La chaîne parlée est à sens unique et, comme le temps, irréversible. Dans ses Éléments de syntaxe structurale (1957), Tesnière insiste sur le caractère arbitraire de l'ordre, quel qu'il soit, auquel on s'est tellement habitué qu'on le trouve naturel : « de même qu'on 19 DOCUMENTS ne remonte pas le cours du temps, on ne peur parler à l'envers » (A.I.5.12). Une séquence reproduite à l'envers deviendrait rigoureusement incompréhensible : « Engil erèinred ettec ed erutcel al ed trosser iuq tnemengiesne'l retidém ed ercniavnoc ne's ruop tiffus li » (ibidem). Le contraste entre les syntaxes est certes moins cru, mais lequel des deux arrangements, l'allemand ANIPV ou le français VPINA, se rapprochera donc le plus de l'ordre « structural » des espèces et formes nominales et verbales ? « Le mien, bien sûr ! » répondra chacun, bien sûr ! Mais sur ce Pont des Arts, le dramaturge serait bien en peine d'entendre une exclamation unique. Plutôt que « Ce qu'ils sont ridicules ! » il enregistrerait plutôt un « Ce qu'ils sont lourds, ces Allemands ! » et un « Ce qu'ils sont légers, ces Français ! » S'il leur fallait s'entendre sur une formule commune et définitive, ce serait plutôt « Ce chébran-là n'est vraiment pas génial ! » Sauf la déraison, sans doute provisoire, d'une récente tentative de réforme de l'orthographe allemande – dont certains articles comme l'effacement de la signalisation des fonctions par l'abandon de la ligature (schwer fallen également pour schwerfallen) ou le rétablissement mécanique de certaines majuscules (im Allgemeinen, quelle qu'en soit l'acception) ne semblent précisément pas inspirés par le culte du génie – un traducteur expérimenté dans les deux sens n'aperçoit rien qui puisse annexer l'Universel au français et en priver l'allemand. Mais il craint qu'une Europe qui, dans ses écoles et son parlement, dans ses librairies et ses médias, dans sa mémoire et dans son imagination, abandonnerait ses langues, notamment ces deux-là, la centrifuge française et la centripète allemande, aurait troqué pour bien longtemps l'aguichante universalité pour une singularité défraîchie. Sous prétexte de multiculture, une Europe SDF aurait perdu et beaucoup de Passions et beaucoup de Raison, et même beaucoup de son Génie. ■ 20 DOCUMENTS VINGT-TROIS GUERRES POUR FAIRE L'EUROPE JOSEPH ROVAN Il a fallu vingt-trois guerres franco-allemandes pour faire une Europe – j'essaierai de parler moins de vingt-trois minutes, mais c'est difficile – un instant dans la nécessité de l'histoire. Il est certain que les nombreux jeunes gens qui jettent actuellement des pierres sur les autobus ne doivent pas savoir grand-chose de l'histoire de France, ni de l'histoire romaine, ni de l'histoire d'Allemagne. Notre existence même en tant que collectivité ne tire de sens que de l'histoire. Un peuple qui ne connaît pas son histoire n'existe plus. Il faut dire et redire cela à un moment où on s'interroge dans certains pays ou dans certains Länder depuis quelque temps déjà, sur l'utilité de conserver l'enseignement de l'histoire dans les collèges. Je crois même que la Hesse et le Brandebourg l'ont déjà supprimée. Cela veut dire en fait mettre fin à toute possibilité d'existence sociale car seule la comparaison permet de savoir qui nous sommes. J'ai dit pour commencer : vingt-trois guerres. Quand j'étais encore professeur d'histoire allemande à Paris III, je commençais en général mes cours en disant : il y a eu vingt-trois guerres depuis Charles Quint et François 1er entre des Allemands et des Français, dix-neuf se sont déroulées sur le territoire allemand et quatre seulement, les quatre dernières sur le territoire français. Cela crée des mémoires extraordinairement différentes. Le Président de la République m'avait invité à venir avec lui à la réunion à Verdun en 1984 ; nous étions sur le terrain d'aviation, M. Kohl est arrivé en hélicoptère, les militaires français ont joué les deux hymnes nationaux et ensuite ils ont joué une marche très joyeuse. J'étais à côté du ministre de l'époque que j'aimais bien – maintenant on en dit du mal, M. Hernu. Je lui dis : « Sais-tu le texte de la marche que tes gens sont en train de jouer en l'honneur des Allemands ? » Il me dit que non. « C'est La Marche de Turenne et ça commence par : ils ont traversé le Rhin avec ceux de Turenne » ; c'est comme cela que nous avons salué M. Kohl. De même quelques années plus tard, nous avons reçu M. Schmidt comme Docteur à la Sorbonne. Le magnifique chœur mixte de professeurs et d'étudiants de la Sorbonne a chanté après les discours un superbe texte musical de Haendel et j'ai demandé à mon voisin s'il savait comment s'appelle ce texte. Il ne savait pas. C'était le Te Deum de Dettingen qui célèbre la victoire d'une armée anglo-allemande sur les Français ! Cela montre que même les musiciens officiels devraient parfois connaître un peu d'histoire. Le fond du problème c'est que la vision qu'on apprenait aux jeunes Allemands des relations franco-allemandes était très différente de la vision qu'on apprenait aux jeunes Français. On a eu raison de citer tout à l'heure Le Silence de la Mer. Je me souviens quand je m'efforçais dans des stages clandestins en 1942-43 de préparer de jeunes bourgeois lyonnais à leur rôle dans le maquis. On essayait de leur expliquer pourquoi nous combattions. Je leur racontais, parce que je l'avais entendu la veille à la radio anglaise, que des étudiants allemands à 21 DOCUMENTS Munich, qui s'étaient soulevés contre le nazisme, venaient d'être exécutés. J'en connaissais quelques-uns par leur famille et je leur disais : Nous sommes ici clandestins parce que nous devons avoir peur de la police de Vichy et les nazis ont des alliés en France ; mais nous aussi avons des alliés en Allemagne. Seule l'histoire permet de comprendre ce que nous avons été les uns et les autres dans ces affrontements. Quand je suis arrivé à Dachau en 1944, évidemment les résistants français savaient à peine ce que c'était, ils n'avaient pas lu le « Livre brun » paru avant la guerre ; je leur disais : nous sommes pratiquement les premiers politiques français ici. Mais regardez les numéros que nous avons. Avant nous 100.000 Allemands et Autrichiens ont été à Dachau avant le premier Français. Ceci simplement pour montrer que nous avons besoin d'une histoire commune où nous intégrons la façon dont un Allemand qui va à Heidelberg voit le château détruit par les Français, voit l'action des troupes de Louis XIV et pas seulement l'action des troupes nazies en France. Je ne fais pas de comparaison entre les deux. Ce ne serait pas digne d'un historien. Mais nous devons avoir pour faire l'Europe une mémoire commune qui intègre les vingt-trois guerres et aussi tout le reste. C'est une nécessité non seulement de rétablir l'enseignement de l'histoire dans toute sa dignité mais d'en faire d'abord un enseignement franco-allemand et ensuite européen parce qu'il n'y a aucune raison que nous ne connaissions pas l'histoire des « Gueux » hollandais et belges qui se sont soulevés contre l'Espagne, l'histoire du soulèvement de l'Espagne contre Napoléon, etc. Cela est vraiment le fondement de notre histoire commune. Qui d'entre vous sait que un tiers des soldats conduits par Napoléon contre la Russie en 1812 étaient allemands. Si vous vous promenez dans un cimetière bavarois les premières stèles pour des morts au champ d'honneur sont des stèles pour des soldats bavarois tombés devant Smolensk ou à Borodino. C'est là aussi une histoire commune puisqu'un des arrière grands-oncles de ma femme, Auvergnat après avoir été gouverneur de Croatie, est mort en 1812 dans la campagne de Russie à côté de soldats bavarois ou wurtembourgeois. Nous avons parlé tout à l'heure du Silence de la Mer. Quand je faisais ces réunions pour préparer des jeunes Français à leur rôle dans le maquis, nous lisions à la fois Le Silence de la Mer qui était une édition de la Résistance et le dernier livre de Jünger qui avait été traduit en français – parce que ça avait échappé aux censeurs allemands – où il est question de l'Oberförster (le maître forestier) qui est le symbole d'Hitler : c'était une des meilleures façons de faire comprendre à des jeunes Français de cette époque ce qu'était l'essence de l'hitlérisme. J'associe donc, et cela peut choquer certains, dans cette œuvre éducative de création d'une histoire commune aussi bien Vercors que Jünger et qui sont en bonne compagnie si je pense aux visites que le président Mitterrand avec le chancelier Kohl ont rendu à Jünger. Nous avons continuellement la nécessité d'intégrer dans notre propre histoire celle de l'Autre et avant tout celle de l'Allemagne. Pour moi c'est une nécessité d'autant plus évidente que j'ai un énorme privilège ; comme j'ai dit l'autre jour à la télévision allemande qui me demandait : « Mais M. Rovan, au fond, estce que vous vous sentez plus allemand ou plus français ? Je répondis : Moi, 22 DOCUMENTS je me considère comme un Français de soixante-dix-huit ans qui se souvient qu'il avait été Allemand pendant les quatorze premières années de sa vie. Et c'est là un privilège extraordinaire parce qu'ainsi j'ai pu intégrer dans ma vision de l'histoire à la fois ce qu'on apprend aux jeunes Allemands et ce qu'on apprend aux jeunes Français et j'en ai fait mon identité ; et c'est pour cela que je ne suis pas devenu Américain, car en 1940, après avoir servi loyalement comme soldat français, c'est-à-dire en courant plus vite que les Allemands, j'ai reçu un visa pour l'Amérique et je ne l'ai pas utilisé parce que je pensais que c'était normal de se battre là immédiatement, sinon je serais revenu sans doute comme officier de la CIA, mais j'ai voulu continuer le combat là où j'étais et avec mes amis de lycée et de la Sorbonne – et je crois que j'ai eu raison. C'est rare que l'on puisse dire un tel jour, j'ai fait un tel choix dans ma vie. J'ai fait aussi un deuxième choix qui est aussi très franco-allemand : quand je suis arrivé à Dachau, Edmond Michelet qui ensuite a été pendant vingt-cinq ans mon patron, est allé voir les nouveaux parce qu'il n'y avait pas beaucoup de Français auparavant à Dachau – c'était en général des prisonniers de guerre qui s'étaient fait mal voir, parce qu'ils avaient volé une poule ou parce qu'ils avaient couché avec une poule. On les mettait alors au KZ. Michelet était un des rares politiques. Alors il allait voir s'il y en avait d'autres. Il tomba sur moi et me dit : « Monsieur, vous avez de magnifiques chaussettes bleues. » On nous avait laissé nos chaussettes parce que les SS n'avaient pas assez de chaussettes pour les 4.000 Français qui étaient arrivés d'un seul coup. Et je lui dis : « Monsieur, pourquoi vous me dites cela ? » « Parce que j'ai les mêmes. » La même camarade de résistance avait tricoté les mêmes chaussettes pour ceux qui allaient partir en déportation. C'est la deuxième fois qu'un choix a décidé de ma vie. Je suis resté le second de Edmond Michelet pendant vingt-cinq ans parce que nous avions les mêmes chaussettes dans un camp allemand. Il est essentiel que nous ayons des histoires de ce genre pour que nous puissions les communiquer. Je dirais encore que cette histoire nous apprend aussi à faire ce qu'il faut faire maintenant. J'ai écrit quelque part dans une comparaison de nos deux histoires que la France était un État qui s'était créé une nation – je rappelle la guerre des Albigeois – tandis que l'Allemagne est un peuple qui a survécu à la multiplicité de ses États. Cela implique que les Allemands comprennent qu'une région de France ne sera jamais un Land et que, par exemple, si on veut jumeler la Thuringe avec la Picardie, ce n'est pas seulement avec la Région picarde, c'est avec les départements qui font la Picardie et avec ses grandes villes qu'il faut établir le lien, avec la difficulté majeure que souvent les départements, la région et les villes n'ont pas la même majorité politique. Tant pis pour les Thuringiens. Ce serait aussi une grave erreur de penser que la France est un pays supercentralisé. Il a simplement une autre tradition de la communication du haut et du bas. En Allemagne on décentralise au niveau des Länder. Le pays le plus centralisé d'Europe après la France, c'est la Bavière. Parce qu'elle fonctionne sur le modèle napoléonien. Nous avions créé en France un système extrêmement complexe et très utile qui faisait que la puissance du préfet, émanation 23 DOCUMENTS du centre, était compensée par le député-maire, président du Conseil général et ancien ministre qui obtenait les bureaux de tabac pour ses électeurs. Il faut qu'un Allemand comprenne que le rôle essentiel qu'on attend en France d'un politicien, c'est d'obtenir des bureaux de tabac pour ses électeurs. Quand on sait cela, on peut communiquer et on peut établir des relations entre la Picardie et la Thuringe. Cela implique bien évidemment aussi qu'on sache que le centralisme français n'est pas ce qu'on en pense et que la décentralisation ou le fédéralisme allemand non plus. Il est certain aussi que les Allemands peuvent nous apprendre beaucoup de choses sur le fonctionnement du fédéralisme. Nous allons l'année prochaine (en 1998) célébrer un certain nombre d'anniversaires. Un des plus importants à mon avis est les trois cent cinquante ans des Traités de Westphalie. L'histoire de l'Allemagne et l'histoire de la France – ce n'est pas à des Alsaciens que je dois l'apprendre – ont leur origine pour une large part dans ces Traités qui ont mis fin à une des guerres les plus sanglantes de nos histoires qui avait coûté la vie à la moitié des habitants de l'Allemagne. Nous allons aussi célébrer le centième anniversaire de la mort de Theodor Fontane. Dans un des plus beaux livres de Fontane Vor dem Sturm (Avant la tempête), on voit le jour de l'An de 1813, réunis dans un château du Brandebourg un certain nombre de jeunes amis allemands. On constate que l'un revenait d'Espagne où il avait combattu dans les troupes de je ne sais quel Land d'Allemagne qui avaient été mises à la disposition de Napoléon. Un autre revenait du même front d'Espagne où il avait combattu dans les rangs anglais parce que son seigneur, le Duc de Brunswick était allé en Angleterre. Ces deux jeunes gens qui se retrouvaient le 1er janvier 1813, juste au début de l'année qui allait être décisive pour le destin de l'Allemagne et la France, avaient combattu dans deux armées contraires sur le même front. C'est arrivé aussi à certains de nos amis italiens, l'un était à Guadalajara avec les troupes de Mussolini et l'autre était en face avec les troupes de la Liberté. Il est essentiel que nous ayons la conscience de l'histoire, que nous sachions que nous sortons de vingt-trois guerres franco-allemandes et que le dépassement de ce passé ne peut se faire que par sa connaissance. Si nous l'ignorons nous ne sommes plus existants. Avec mon ami le philosophe Jean Beauffret, j'avais un peu de temps pendant la Résistance. Je fabriquais des faux papiers pour les mouvements de la zone Sud mais nous nous étions pris d'une passion commune pour la pensée de Heidegger. Tous les soirs après le couvre-feu décrété par les Allemands, j'allais chez Beauffret traduire Heidegger. Je m'étais fabriqué une fausse carte m'autorisant à circuler dans les rues de Lyon. C'est amusant de penser qu'un résistant fabriquant de faux papiers les fabriquait aussi pour pouvoir traduire Heidegger avec un philosophe français. Un jour, rentrant tard de ces séances de traduction, je marchais fièrement au milieu de la rue pour montrer que j'avais bonne conscience ; je vis arriver de l'autre côté un soldat allemand. Il avança vers moi. Et je me rendis compte que j'étais tranquillement en train de siffler l'Internationale. J'ai continué. Il est venu à ma rencontre et quand il a été à vingt mètres, il s'est mis à siffler l'Internationale lui aussi et il m'a fait un petit signe en passant. ■ 24 DOCUMENTS L'EXCEPTION FRANÇAISE MAURICE AGULHON Les comparaisons entre deux grandes nations voisines font apparaître à la fois des similitudes et des différences. Personnellement et peut-être parce que trop spécialisé sur la France, je serais surtout sensible aux différences. Naturellement, je dois le préciser tout de même, je ne suis pas un dévôt de l'exception française parce que, l'expérience le prouve, l'idée de l'exception française est surtout utilisée lorsque l'on veut freiner l'intégration européenne. Or je suis plutôt partisan de cette intégration. Mais ce n'est pas une raison pour ne pas voir les singularités nationales et pour réfléchir sur elles. La première saute aux yeux dans l'intitulé même de l'exposition qui est l'occasion de la réunion d'aujourd'hui. Dans une famille où figurent non seulement Germania, mais Britannia, Helvetia ou même au-delà de l'Atlantique Colombia, on attendrait Gallia ou Francia. Or on ne les trouve pas, non pas que des représentations de la France sous le nom de Gallia ou de Francia n'aient existé dans la peinture et la gravure ou même la sculpture de l'Ancien Régime. Mais précisément elles se sont heurtées à une discontinuité qui s'appelle Révolution et la principale représentation actuelle de la France, qu'on l'appelle Marianne ou beaucoup plus souvent et plus légitimement République française, est entrée dans l'imaginaire national par une toute autre voie. Le bonnet phrygien symbolisait la liberté dans l'iconographie la plus traditionnelle et la Révolution française a décidé en fondant la République que le sceau de l'État serait une figure de la liberté, et c'est pour cela que la femme au bonnet phrygien est entrée dans l'histoire de France pour ne plus en sortir. Entrée dans l'histoire de France, mais aussi pour s'y promener. Il est bien connu que la Révolution n'a été acceptée que par une petite moitié des Français et qu'elle a été vigoureusement combattue par une autre partie, sans doute à l'origine plus nombreuse. Et la femme au bonnet phrygien, sous le nom de République, a été pendant longtemps l'emblème politique d'une partie de la France contre une autre. C'est le sens, ce sont les acceptions, les connotations politiques et partisanes du mot République qui ont prévalu au début, et ce n'est qu'à la suite d'une lente, longue et d'ailleurs consciente évolution que l'on voit beaucoup mieux maintenant, après coup, que les contemporains ne la voyaient elle-même, que la femme à bonnet phrygien sous le nom de République ou sous le nom de Marianne a glissé peu à peu de l'emploi de politique intérieure à l'emploi de politique extérieure, de la représentation de la République contre les monarchistes à la représentation de la Répubique française contre les pays voisins ou par rapport à eux. L'histoire de Marianne est celle d'une mutation de symboles, pour dire les choses en termes un peu pédants, du passage d'une signification partisane 25 DOCUMENTS en termes idéologiques, à la fois concrète par ses conséquences politiques, mais un peu abstraite aussi dans sa signification, pour revêtir le sens familièrement reçu aujourd'hui. Alors la question est de savoir si cette histoire avérée dans le cadre français a quelques équivalences ou quelques ressemblances dans le cadre de l'évolution de Germania. Il y a d'autres façons de représenter les nations et l'on a évoqué ici la comparaison entre les personnages historiques et les références ethniques les plus anciennes : c'est-à-dire Vercingétorix et Hermann. Là encore j'insisterai sur les différences. Je ne pense pas que, sauf à de brefs moments, Vercingétorix ait été traité comme Hermann ou Arminius, plus connu des lycéens français sous le nom que lui donna Tacite. Le mythe gaulois en France n'a eu qu'un temps. Il a été entravé de deux côtés : d'une part par la tradition monarchique et catholique qui faisait remonter l'histoire de France au début des Mérovingiens et au baptême de Clovis ; la France faite par les rois. Par rapport à cette tradition l'idée que la France remonte à la Gaule a été une idée subversive, une idée de gauche, une idée républicaine. Ce n'est pas par hasard si elle s'est surtout épanouie à la belle époque de la Troisième République. Mais il y a aussi une autre différence et une autre façon d'entraver ou de freiner le culte de Vercingétorix ; c'est qu'une autre tradition française et non la moindre consistait à être le pays par excellence de la culture et que la France au siècle de Louis XIV avait été à l'échelle des temps quelque chose comme le siècle d'Auguste ou celui de Périclès. A partir du moment où on accroche l'excellence française et finalement l'originalité française aux étapes de la culture gréco-latine, on est obligé d'en vouloir un peu aux Gaulois qui auraient essayé de freiner l'arrivée de César, et partant, de cette culture. Je n'invente rien en disant cela, l'un des historiens français du début du XXe siècle, qui a été le plus influencé par la pensé traditionaliste, Jacques Bainville, a écrit en propres termes : Vercingétorix était bien sympathique, etc. mais il a été vaincu et c'est heureux qu'il l'ait été. Y-a-t-il jamais eu un Allemand pour souhaiter la défaite de Hermann le Chérusque. Voici donc une réelle différence ; la gallomanie en France n'a eu qu'un temps. L'un des derniers hommes d'État qui ait cru aux Gaulois, le Général de Gaulle, n'a pu récupérer ces Gaulois auxquels il croyait. Le Général de Gaulle, né en 1890, avait fait toutes ses études avant 1914, c'est-à-dire à une époque où la gallomanie était à son plus haut point. De Gaulle n'a pu récupérer les Gaulois qu'à condition de représenter la France comme double, un peuple et un État et s'il a assigné aux Gaulois l'origine du peuple, c'est aux Mérovingiens qu'il a assigné l'origine de l'État et l'État était dans son esprit prédominant. On peut établir aussi d'autre parallèles, je ne cite que pour mémoire parce que je connais moins bien la question, le parallèle qui aboutirait je crois à des divergences entre les stéréotypes de l'homme du peuple, entre votre Michel allemand (der deutsche Michel) et notre Jacques Bonhomme. 26 DOCUMENTS Une dernière chose que je voulais suggérer ici, quitte à faire entendre dans ce colloque une voix un peu discordante : l'Allemagne forme-t-elle vraiment avec la France un couple antagoniste important, ami certes mais en même temps antagoniste. A vrai dire cet antagonisme est surtout évident et apparaît tel entre 1870 et 1945, mais il me semble qu'en matière d'imaginaire national, de culture nationale, il faut remonter un peu plus haut et que la tradition et le substrat le plus ancien de l'imaginaire français, désignent plutôt l'Anglais comme notre ennemi héréditaire. Il y a des signes objectifs qui pourraient démontrer que les personnages les plus répandus dans l'imaginaire national français soient Jeanne d'Arc et Napoléon. Jeanne d'Arc victime des Anglais, ce n'est que trop évident, mais Napoléon aussi bien qu'il ait aussi souvent affronté des Allemands sur le champ de bataille, est surtout perçu comme une victime des Anglais grâce à Nelson, grâce à Wellington, le véritable vainqueur de Waterloo, malgré l'aide de Blücher et grâce surtout à Sainte Hélène. Je crois qu'une très vieille tradition d'anglophobie est un des éléments très tenaces en France et peut-être seraitce un colloque très éclairant qui traiterait de l'anglophobie française à travers les âges, sentiment que je ne partage pas pour ma part. Mais ce n'est pas parce qu'on n'approuve pas certaines choses qu'on ne peut pas être tenté de les étudier. De même il faudrait savoir comment évoluera la vision du troisième personnage qui est en train d'entrer dans la mythologie nationale française après Jeanne d'Arc et après Napoléon : le général De Gaulle. Comment évoluera la vision de sa vie, le verra-t-on plutôt comme l'ennemi d'Hitler, le nazi, ou comme l'ennemi de la supranationalité tous azimuts ? L'avenir le dira. Il est encore trop tôt pour le savoir. Ce sont là des problèmes en pleine évolution. Je souhaite pour ma part que cette évolution aille vers l'amitié franco-allemande et vers la construction européenne mais ce sont là des responsabilités de citoyen et de politicien. Les réflexions des intellectuels ne peuvent viser qu'à éclairer les débats en montrant les difficultés et les complexités des choses sans se faire trop d'illusions sur l'audience que rencontreront leurs discours. ■ 27 DOCUMENTS MÉMOIRES PARTAGÉES MÉMOIRES ENTRELACÉES ÉTIENNE FRANÇOIS J'aurais voulu, comme Joseph Rovan, commencer par la Guerre de Trente ans, ne serait-ce que pour rappeler que l'histoire commune qui est la nôtre est une histoire très ancienne et qu'il faudrait se garder de la rétrécir soit au demi-siècle impressionnant de réconciliations et de partenariat franco-allemand dont nous sommes les héritiers immédiats, soit au siècle plus ancien des confrontations. Notre histoire est bien plus ancienne et elle surabonde de mythes fondateurs communs qui à la fois nous réunissent et nous séparent. Joseph Rovan évoquait tout à l'heure la Guerre de Trente ans ; la mémoire que nous en avons en France et en Allemagne est tout à fait différente, mais en même temps elle est très largement à l'origine du système des relations internationales qui continue à bien des égards à bien fonctionner aujourd'hui et l'on en trouve des traces un peu partout. Autre exemple de ces événements fondateurs communs devenus de véritables mythes qui nous rapprochent et nous séparent en même temps – cela a été évoqué, mais il faut y revenir : la Révolution française en la prenant au sens large du terme. Je n'aurai pas l'outrecuidance d'expliquer ce qu'a signifié pour les Français la Révolution française, mais je crois pouvoir dire que pour les Allemands elle a été au moins aussi importante que pour les Français. A ses débuts d'abord parce qu'on sait que l'opinion publique allemande, aussi bien l'opinion publique éclairée des intellectuels que celle de larges couches de la population, a suivi ce qui se passait en France avec une attention passionnée qui montrait bien que ces très nombreux Allemands se sentaient solidaires et partisans de ce qui se passait chez nous. On sait la danse du jeune Hegel, de Schelling et de quelques autres dans le Stift de Tübingen le 14 juillet 1790 autour de l'Arbre de la Liberté, mais on sait aussi les soulèvements de paysans ou d'artisans dans diverses régions d'Allemagne portant la cocarde. Et ceci n'est qu'un début car lorsque la Révolution concerne directement l'Allemagne, et cette fois-ci c'est la révolution militaire qu'évoquait tout à l'heure Jean-Marie Zemb, et qu'elle entreprend de réorganiser l'Allemagne, l'Allemagne est autant modifiée en profondeur que la France l'avait été à ce moment-là. Un des meilleurs historiens allemands, Thomas Nipperdey, a commencé son histoire du XIXe siècle en disant « Am Anfang war Napoléon » (Au début fut Napoléon). Cela montre bien que la Révolution française telle qu'elle a été vécue concrètement par les Allemands a modifié leur structure politique et leur perception du monde d'une manière analogue à ce qu'elle a fait en France. On sait que le Code civil est resté en vigueur sur la rive gauche du Rhin jusqu'en 1900. La carte politique de l'Allemagne en 1815 est complètement transformée par rapport à ce qu'elle avait été en 1789. Le Saint Empire est devenu un lieu de mémoire, mais il a cessé d´être une réalité, sinon comme une espérance pour l'avenir. Le sentiment national allemand se forme très largement aux rencontres de l'expansionnisme prétendument universel français mais qui en fait est un impérialisme et de l'humiliation d'origine française reprenant à son compte un certain nombre de termes qui sont ceux du message politique de la Révolution. De là découle ce sur quoi je voulais insister un peu plus ici, à savoir 28 DOCUMENTS le fait que nos imaginaires politiques sont des imaginaires entrelacés et imbriqués. Cela est particulièrement vrai au XIXe siècle – et c'est cela qui constitue, selon moi, le grand mérite de l'exposition Marianne et Germania. On y voit que les deux pays n'ont eu de cesse de se définir l'un par rapport à l'autre, y compris pour mieux s'opposer à l'autre, et qu'ils se placent alors dans une situation de dépendance réciproque que nous avons du mal à percevoir aujourd'hui dans ses conséquences ultimes. Les cultures politiques de l'Allemagne et de la France au XIXe siècle sont très largement à la fois solidaires et antagonistes, et lorsqu'un des deux pays insiste sur une valeur, l'autre développe son antonyme mais ce faisant il se situe au fond par rapport à lui. L'insistance mise par les Français à se revendiquer de la définition révolutionnaire de la nation explique pourquoi la définition allemande du Volk en est le contre-pied, mais on ne peut pas comprendre l'un sans l'autre. L'insistance mise en France à se réclamer de l'héritage glorieux de la Révolution fait que par contre-coup en Allemagne l'on insiste sur la supériorité allemande des transitions par le biais des réformes et qu'on réinterprète la première réforme, die Reformation, c'est-à-dire la réforme protestante comme étant la vraie révolution, ce qui permet de donner le change aux Français. On pourrait continuer dans cette liste d'oppositions qui sont en fait des renvois perpétuels de l'un à l'autre, je serais presque tenté de dire un jeu de miroirs des cultures politiques, et cela se retrouve dans les imaginaires historiques. Hermann est l'inverse de Vercingétorix, mais Vercingétorix est l'opposé de Hermann… La commémoration des victoires de la Révolution et de Napoléon prend le contre-pied de la célébration des guerres de Libération et même le personnage de Jeanne d'Arc, réinventé au XIXe siècle, trouve son équivalent allemand avec la sainte de la patrie prussienne : la reine Louise de Prusse ; oppositions, déterminations réciproques et emprunts. Car qu'aurait été Jeanne d'Arc en France s'il n'y avait pas eu précédemment Schiller et quelques érudits allemands qui avaient publié les actes du procès. On évoquait tout à l'heure Fontane ; mais n'oublions pas aussi le célèbre épisode où, lui-même descendant de Huguenots venus de France, va à Domrémy parce qu'il avait été un lecteur passionné de la Jeanne d'Arc de Schiller. Fontane se fait alors capturer par des soldats français, des francs-tireurs (comme on les appelle déjà dans le langage prussien), qui lui reprochent d'être un espion ; il est à deux doigts d'être fusillé et ensuite passe pratiquement un an en France comme prisonnier de guerre, Kriegsgefangener. Il y écrit un de ses plus beaux livres, et grâce à lui, nous avons une ethnographie de la France de 1870 rédigée par un opposant très proche. Ces fascinations et ces emprunts se terminent dans des mémoires très partagées et très imbriquées, très partagées aux deux sens du terme : partagées parce qu'elles nous sont communes et en même temps, qu'à bien des égards encore, elles nous différencient et fort heureusement nous sommes différents. Ce que nous serions ennuyeux si nous finissions par tous nous ressembler ! Je pourrais vous inviter, pour terminer, à passer avec moi en revue un certain nombre de ces lieux de nos mémoires à la fois antagonistes et proches que sont d'abord des lieux d'affrontement, des lieux de batailles qui ont été invoqués tout à l'heure sous la forme du grand mémorial de la Bataille de Leipzig en 1813, le Völkerschlachtdenkmal. Il y a là le charnier où ont été enterrés les soldats de la Bataille des Nations, et dans cette bataille il y avait des Allemands qui combattaient dans les rangs français et des Allemands qui combattaient contre les troupes de Napoléon. Leurs ossements sont inséparables et ce grand monument qui est tout à la gloire de la victoire 29 DOCUMENTS remportée sur la France est posé en fait sur les restes de soldats opposés morts ensemble et dont on ne peut plus séparer les restes mortels. Je pourrais vous inviter à revisiter les champs de bataille de Metz et de Sedan de 1870 où les tombes françaises sont à côté des tombes allemandes et où l'on trouve quelquefois, par exemple à Gravelotte ou à Saint Privat, sur les tombes qui commémorent le sacrifice de la Garde prussienne beaucoup de noms français car ce sont les tombes d'officiers ou de soldats descendants de huguenots. Et à l'inverse, sur les tombes des officiers des régiments de cuirassiers massacrés à la suite des ordres imbéciles qui leur avaient été donnés, énormément de noms à consonnance germanique car la plupart des soldats français présents sur ces champs de bataille se recrutaient dans la France de l'Est qui était elle-même largement une France allemande. On évoquait tout à l'heure Verdun qui est aussi un lieu d'une mémoire partagée et d'une mémoire commune. On pourrait y ajouter d'autres lieux disputés : la cathédrale de Strasbourg est autant un monument allemand, ne serait-ce qu'en raison de la manière dont Goethe l'a célébrée, qu'un monument français à cause du serment de Koufra ou de la Marseillaise qui a été composée à son ombre. Si nous prenons les lieux de la centralité de nos deux pays, Paris et Berlin, ils foisonnent eux aussi de références aux voisins. Je connais maintenant presque mieux Berlin que Paris. Mais depuis la Französische Strasse jusqu'au Pariser Platz en passant par la Siegessäule (la Colonne de la Victoire), ou bien encore par les nouveaux chantiers du nouveau Berlin, dans lesquels nous retrouvons des artistes parisiens, Nouvel, Porzemparc ou Perraut, j'y trouve partout les traces d'une présence française qui montre que ce Berlin, dans son histoire comme dans son aujourd'hui, ne peut se comprendre sans l'interférence et sans la relation forte avec la France. Je terminerai par ce dernier point qui me paraît le plus important : c'est que ces mémoires ne sont pas simplement les mémoires de deux collectivités invoquées par leurs porte-parole. Elles sont tout autant, et c'est cela qui leur donne leur véritable sens, les mémoires de familles et d'individus qui ont souffert dans leur chair. Dont beaucoup, dont plusieurs millions ont été dans le pays voisin à l'occasion des guerres et des captivités. Mon père a été déporté à Neuengamme et c'est à lui que je dois de m'intéresser à l'histoire allemande. C'est enfin la mémoire des rencontres, des jumelages et des échanges qui se sont multipliés depuis une cinquantaine d'années et qui font que, désormais, nous ne sommes plus véritablement étrangers l'un à l'autre, mais que nous sommes, l'un pour l'autre, pour reprendre l'excellent titre de la version allemande du livre qui a été évoqué tout à l'heure, des fremde Freunde, des amis proches, différents certes, mais non plus étrangers. Mon plus grand plaisir, mon plus grand bonheur même en tant qu'enseignant à Berlin qui a la chance d'avoir des étudiants français et allemands, est de constater comment aujourd'hui les jeunes générations sont capables d'assumer ces héritages différents et proches, de les mettre en valeur et de les transcender en direction de l'Europe. ■ 30 DOCUMENTS NATION ET SYMBOLES NATIONAUX MARIE-LOUISE VON PLESSEN Je voudrais vous encourager à illustrer votre imaginaire en visitant l'exposition qui, par son visuel et par ses écrits, un florilège de citations, dépasse même ce qui a été évoqué par M. Rommel. Je voudrais cependant à la fois vous amener à me suivre en écoutant une citation de Ernst Moritz Arndt, un des plus grands penseurs allemands du début du XIXe siècle, qui a combattu les Français quand ils étaient occupants de l'Allemagne et qui, en 1813, année de la « Bataille des Nations » à Leipzig, a publié un pamphlet intitulé « De la haine et de l'usage d'une langue étrangère ». Il dit : « Le Français est un peuple qui parle, l'Allemagne est un peuple qui pense ». Il dit bien l'Allemagne et cela a été traduit correctement ; il ne dit pas l'Allemand. Contrairement à cette position qui donne déjà beaucoup à réfléchir, Victor Hugo écrit dans son fameux récit de voyage sur le Rhin en 1841 (l'année qui a suivi la crise du Rhin, l'origine de la fameuse querelle des poètes) : l'Allemagne et la France sont essentiellement l'Europe. L'Allemagne est le cœur et la France la tête. L'Allemagne sent et la France pense. C'est là une position tout à fait opposée. Quelles sont donc les différences et de quelle manière se lient-elles à ces figurines nationales que j'ai essayé d'évoquer comme leitmotiv à travers les salles de l'exposition ? Je n'aurais pas pu le faire sans MM. Agulhon et Leenhardt car les recherches très approfondies de M. Agulhon m'ont encouragée à placer Germania en relation avec la figurine de Marianne dans son évolution historique. Et la connaissance de ces préjugés et stéréotypes nationaux et le miroir des préjugés qui ont été évoqués par les publications de M. Leenhardt et de M. Picht sont également à l'origine de la conception qui a mené finalement à cette exposition. Celleci était un peu plus grande à Berlin et elle a suscité énormément d'intérêt aussi bien à Berlin qu'à Paris. Depuis 1789, l'époque où commencent les mouvements nationaux européens, sous l'impulsion de la Tricolore révolutionnaire, des figures féminines définissent les clichés nationaux. Pour l'Allemagne la Germania tardive proclame l'Empire sous dominance prussienne et sur les socles nationaux en cotte de maille. En tant que Walkyrie au plastron cuirassé la Garde du Rhin se dresse contre l'ennemi envahisseur venant de l'Ouest. En revanche la Marianne républicaine qui donne son sein à tous les Français ne porte pas toujours depuis 1792, l'année de la proclamation de la République, le bonnet révolutionnaire comme image de la liberté et de la fierté républicaine, présente depuis 1848 sur les timbres et les pièces de monnaie français. Elle perpétue aussi la maternité pour une nation qui défend les idéaux républicains. Sa sœur allemande, la Germania romantique, idéalise d'abord l'idée de la nation unifiée, d'une culture allemande suite à l'occupation napoléonienne ; Napoléon fut en quelque sorte le créateur même de l'idée de la nation en Allemagne. Mais l'espoir des pionniers libéraux allemands de voir naître après 1815 un État constitutionnel libéral ne se réalise pas. C'est pourquoi la Germania, d'abord figure du Saint Empire germanique se transforme par la suite en symbole des Libéraux allemands portant même le bonnet rouge. L'échec de la Révolution de 1848 met de nouveau à sa place la couronne impériale de Charlemagne avec son bouclier à deux têtes 31 DOCUMENTS d'aigle de l'ancien Saint Empire germanique, bien que Napoléon l'ait fait disparaître en 1806. (1) Il faut remarquer qu'ici, à part les mentions qui ont été faites à propos de la Guerre de Trente ans, personne n'a parlé de l'Autriche. Il est toujours question de l'Allemagne et jusqu'en 1806 les possessions des Habsbourg firent partie du Saint-Empire. Après 1815, à la suite de la création de la Confédération germanique (Deutscher Bund) les États des Habsbourg qui naguère avaient appartenu à l'Empire furent membres de cette Confédération. Alors que Napoléon III secourt le mouvement national en Italie et bouleverse ainsi après 1860 l'équilibre établi par la Restauration, la Germania place sous son bouclier de la paix les morts tombés pour l'unification allemande. La femme forte se déféminise au profit d'un ordre supérieur assisté souvent par les génies de la guerre et de la victoire. A cette image guerrière correspond la Marianne de la défense de Paris pendant le siège de 1870. Elle est couronnée des remparts fortifiés de Paris. L'une et l'autre image proviennent des fonds iconographiques de la République romaine et de l'Empire classique enrichis du côté de Marianne par des emprunts à la franc-maçonnerie transmis par les Jacobins. L'évolution et l'influence des deux symboles nationaux reflètent les histoires nationales respectives. Marianne représente l'État centralisé ; Germania, la province transalpine décrite jadis par Tacite, incarne la constitution d'une nation formée sur la base d'une fédération d'États et légitimée par l'idée de la patrie unissant depuis les guerres napoléoniennes le mouvement patriotique allemand. Sa dernière image héroïque fut imprimée sur les premiers timbres représentant Germania en 1900 et qui furent retirés par les autorités de la République de Weimar qui jugeaient la Guerrière mal placée comme autoportrait du nouveau gouvernement. La transformation des stéréotypes imaginaires de la mémoire nationale est attestée en France liée au rythme de la fécondité, donc à la survie du peuple par la présence des Marianne dans toutes les mairies de France. De l'autre côté du Rhin la Germania évacuée du collectif national après la chute de la monarchie ne survit qu'en insigne pour des clubs d'aviation ou comme raison sociale de compagnies aériennes. A la chute des rêves de l'Empire des Mille ans succède la mise en question de l'identité nationale qui se méfie des valeurs nationales naguère considérées comme permanentes. La Germania s'est enterrée dans les ruines de la Deuxième Guerre mondiale et elle n'en reviendra pas. Au seuil de la construction de l'Europe unie, quelle forme prendra une image d'identité pour une Europe unie et représentera-t-elle toujours l'idée de l'universalité de la liberté des peuples ? L'effigie féminine sera-t-elle effacée au XXIe siècle ? Est-ce que l'Europe ne serait qu'un espace géographique sans (ou avec) des valeurs transnationales ou est-ce qu'elle ne ferait pas plutôt revivre ensemble les identités liées à l'idée de la nation par une interpénétration de leur différences imaginaires ? En tout cas l'institution d'une chaîne de magasins de literie en France s'appelant « Le lit national », serait impensable dans l'Allemagne d'aujourd'hui. ■ (1) Ce fut, pour être tout à fait exact, le dernier empereur, François II, qui, sous la poussée des victoires de Napoléon et après que celui-ci eut décidé de regrouper la plupart des États allemands subsistant dans une Confédération rhénane (Rheinbund) renonça à la dignité impériale, ayant déjà auparavant assumé en 1804 le titre d'Empereur d'Autriche. (N.d.l.R.) 32