© Olivier Donnet
Histoires pour faire des cauchemars
Spectacle pour enfants à partir de 8 ans
Texte : Etienne Lepage
Mise en scène : Anne Thuot
Avec : Yannick Duret, Eno Krojanker et Anne-Cécile Massoni
Lumières : Raphaël Noël
Scénographie : Marilyne Grimmer
Construction : Thomas Noël/Marc Defrise
Assistanat : Lorette Moreau
Une coproduction du Centre Culturel Jacques Franck et des compagnies Barakha et Fastasbl. Accueil en création au Centre
Dramatique Wallonie Enfance et Jeunesse. Avec le soutien de la Fédération Wallonie Bruxelles section théâtre enfance et
jeunesse.
« Patricia et Damien
malgré qu’ils ont l’air fin
sont deux petits vauriens
à qui on n’apprend rien
Plutôt que de dormir
quand arrive le soir
ils veulent encore rire
et conter des histoires
Mais il faut prendre garde
quand la nuit devient noire
où les joyeux refrains
finiront cauchemars »
-Étienne Lepage
Introduction de Histoires pour faire des cauchemars
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Lhistoire
Damien et Patricia se racontent des histoires, le soir, avant de s’endormir. Des
histoires noires et ludiques à travers lesquelles ils mettent en jeu leurs peurs et leurs corps
dans un échange verbal vigoureux, comme pour s’inventer ailleurs, différemment, en marge
de l’école, de la famille, des maux de ventre, de tête…
Damien et Patricia sont deux enfants qui ne mâchent pas leurs mots, qui se prêtent
l’un l’autre, au fil des chapitres – il y en a 8aux scénarios de l’autre. Ils inventent ensemble,
créent sur l’instant et se laissent aussi, parfois, déborder par leurs fictions personnelles.
Damien et Patricia sont “deux petits vauriens” qui jouent avec les limites, qui testent,
explorent, avec les mots et les images qu’ils inventent, sur scène les personnages savent
qu’ils sont au théâtre, ils montrent sans cesse les ficelles des histoires qu’ils racontent en
direct, devant le public qui est un partenaire fondamental tant dans la construction du
spectacle que des personnages.
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Les grands thèmes
La peur :
La peur est au centre de ce texte. Comme elle l’est, d’ailleurs, au centre de nos vies,
constitutive de notre qualité d’être humain. La peur a plusieurs visages. Elle peut aider à se
protéger, ou au contraire paralyser. Mais la peur de quoi, au juste ? De mourir, du noir, d’être
séparé de ceux que l’on aime, d’aller à l’école, de tomber, de ne pas réussir, de ne pas être à
la hauteur, de décevoir, d’être seul… La liste est longue.
Déjà dans les grottes qu’habitaient les hommes préhistoriques, on retrouve des
tentatives de représentation “des peurs” sous différentes formes. Entre autres celle d’une
déesse, puis plus tard d’un serpent. Tout au long de l’histoire humaine, on a usé d’une
imagination sans limite dans le but de représenter les peurs. C’est une manière de se les
raconter, mais aussi de les mettre à distance, de se donner une emprise sur elles.
Si je devais rapprocher ce texte à l’aide d’une figure mythologique, je choisirais Persée
qui part à la recherche de Méduse, la Gorgone, pour la tuer. C’est le récit d’une quête
initiatique le héros quitte le monde qu’il connaît, un monde sécurisant, pour partir à la
découverte du monstre, de ses peurs, dans le but de les combattre. Dans cette histoire,
Persée est armé d’un bouclier donné par Athéna, déesse de la Sagesse, dont il utilise le reflet
pour éviter le regard direct de la Gorgone: il parvient ainsi à la terrasser. Persée utilise un jeu
de miroir que l’on retrouve dans Histoires pour faire des cauchemars. Damien et Patricia se
regardent sans cesse l’un l’autre en train d’avoir peur ou de jouer à avoir peur. Ils utilisent les
phrases et les jeux de mots comme des boucliers et se renvoient sans cesse les images de
leurs peurs, le reflet de leurs peurs. Et ils font tout cela avec intelligence, comme Persée, qui
a eu l’idée d’éviter le regard de la Gorgone, en utilisant non son arme, mais son bouclier.
Damien et Patricia jouent à se faire peur et parfois, comme Persée, ils ont peur
réellement, ils sont dépassés. Mais qu’est ce que ce mécanisme de “jouer à se faire peur” ? À
quoi correspond-il dans la construction de l’être humain?
“L’enfant montre le plaisir qu’il éprouve à jouer ou à écouter des
histoires qui font peur et qui lui permettent d’externaliser et d’innocenter
ses propres fantasmes agressifs. En effet, ceux-ci sont chargés d’une
toute puissance destructrice caractéristique de la vision infantile, liés
aux vécus de séparation et de perte de la mère et des personnes
familières. La joie de l’enfant de découvrir que les tragédies
shakespeariennes qui le tourmentent à travers les fantasmes de son
monde interne peuvent se dérouler au-dehors de lui, sur une autre
scène (et peut-être même parvenir à une fin heureuse du style : ils
vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants… comme dans les
contes) le tranquillise.”
Francisco Palacio Espasa. Psychiatre.
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Dans ce texte, Étienne Lepage utilise un mécanisme que tout le monde a eu l’occasion
d’expérimenter : le plaisir ambigu que l’on éprouve à se faire peur ou à faire peur aux autres.
L’auteur, en utilisant ce procédé universel, propose une magnifique approche ainsi qu’un outil
théâtral aux nombreux ressorts, une sorte de tremplin pour l’imaginaire. Quoi de plus jouissif
que de faire peur aux spectateurs, que de se faire peur entre acteurs. Histoires pour faire des
cauchemars, c’est comme une histoire de fantôme : On a beau savoir que c’est loufoque, que
c’est faux, quand l’obscurité se fait, on n’en est quand même pas tout à fait sûr, et soudain
notre imagination nous fait sentir une main velue sur notre nuque…
Les questionnements des enfants :
À travers les peurs de Damien et Patricia, on entend aussi toute une série de
questions que les enfants de 8 à 11 ans se posent fréquemment : Comment être juste ?
Comment tout avoir ? Suis-je ce que je fais ou ce que je dis ? Que disent les autres de moi ?
Puis-je vivre sans ma famille ? Qu’est-ce que ça veut dire, éprouver ? Avoir peur ? Être
content ? Et si j’étais une fille et toi un garçon ? C’est quoi être un garçon, une fille ? Autant
de questions qui accompagnent les enfants dans leur prise d’autonomie, dans leur
découverte “rationnelle” du monde, dans leur tentative d’organiser leurs pensées.
Raconter des histoires :
Raconter des histoires m’apparaît comme un formidable outil de rêve, d’organisation
ludique, de découverte de soi. Avoir peur, cauchemarder, fait partie du “côté sombre” de tout
être. Il y a en chaque humain une part d’inconnu sur laquelle il est important de s’appuyer
pour oser, se dépasser, avoir de l’audace. Et c’est ce que font Damien et Patricia. Ils tentent,
par le jeu et la parole, de dépasser ce qui est sourd, souterrain, obscur. Il me semble
fondamental à l’heure actuelle de remettre “le pouvoir” de la parole et de l’imaginaire au
centre de la vie des enfants afin de trouver un équilibre dans notre monde d’images, de
télévision et de jeux vidéo.
Ce texte m’intéresse également pour sa forme en chapitre chaque chapitre
correspond une histoire) et son ton vif, cruel. C’est comme si, pour une fois, les enfants se
passaient des adultes. C’est comme si, la nuit, ils osaient dire, dans une langue brute. Ce
texte, qui peut parfois sembler violent, ne tombe jamais dans la complaisance. Il exprime des
émotions directes mais aussi paradoxales, comme le rapport à la mère, par exemple. La
présence maternelle a plusieurs couleurs. Tout comme la peur, elle peut à la fois protéger et
étouffer. Histoires pour faire des cauchemars ne rend pas compte d’un monde simple tout
serait noir ou blanc, il y aurait les méchants et les gentils, mais d’un univers complexe à
organiser par le biais de la parole et des images, tant celles contenues dans le texte que
celles à inventer sur le plateau.
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