L’alimentation et la science Le besoinde nourriture a toujours été un lancinant aiguillon pourl’intelligence humaine. Pendant des générations sansnombre,l’hommea employé sonesprità trouver de quoimanger. Il devra déployer toutesa clairvoyance dansce domaine à la findu présent siècle, alorsquele monde aura,estime-t-on, 2 milliards de bouches de plus à nourrir... Ainsi,il n’estpasques[] La nourriture est si étroitement liéeà la vie vienneun jourà manquer. quotidienne qu’àmoinsde ne pasen avoirassez,les tion qu’il devienneimpossibled’acheterdes gens n’attachentguèred’importanceà sa com- pommes de terre parce que la brunissureou le a détruitla récolte.Les approvisionposition ou à sa provenance. Pourle citadinnord- doryphore américain attablédevantsondînerde Noël,cette nements de pommes de terre--et de tous les année,peu importeque la dindequ’ilmangeratire autres légumes de l’Amérique du Nord--sont Les méthodesmodernes sonorigine d’unoiseaude la familledu faisanre- aussisûrsqu’inépuisables. montantà quarantemillionsd’annéeset domesti- de cultureet de luttecontreles maladieset les insectes y pourvoient. qué par les Aztèquesde l’ancienMexique;ni de Vientensuite la cuisson. Sansy réfléchir un seul savoirqu’ilconsommera unedosesalubrede potasla maîtresse de maisondisposed’unecolsium, de phosphoreet de fer avec ses pommes instant, d’ingrédients, d’instruments et de connaispurée.Ce quicompte,c’estquelesaliments soient lection sancesignorésde tout le monde,sauf de très bons,abondants et bienapprêtés. Maisderrièrece festintraditionnelet même grandsmaîtresqueux,il y a centans.Les exploits de la science culinaire de jadis presquetoutrepasdansles paysdéveloppés d’au- lesplusdifficiles affairecourante. Il suffiraà la jourd’huise profileunevictoire de l’ingéniositésontmaintenant humaine.Prenonsla dinde:son poidsest de beau- ménagèrede jeterun coupd’oeilsur l’emballage et la coup supérieurà celui de son ancêtremexicain de la dindepour connaîtrela température grâceaux procédésscientifiques de reproduction durée de cuissonet de tournerun bouton pour le degréde chaleurvoulu. et d’alimentation qui,nous dit-on,permettront commanderexactement Les épices qu’elle emploie pourla farcearrivent, bientôtde produireun dindonaussigros qu’un sur les tablettes de son armoire, des quatrecoins porcelet. Elleestparvenue jusqu’à nosfoyerstypidu monde. quementaméricainspar des moyensde transport Bref,cetteménagèreet sa famillebénéficient réfrigérés et mécanisés que les hommesd’ily a un d’un trésorde connaissances surl’artde fairelever siècleauraientjugésmiraculeux. Un autrequasiet de préparer les aliments, qui a commencéà miraclede la technique nousa valules appareils s’accumuler avant même que l’histoire existe.Le électriques ou au gaz naturelqui en assurentla besoin de nourriture--et encore de nourriture cuisson. Pourceuxquisavourent ce repas,il est presque agréableau palais--atoujoursété un lancinant pourl’esprit.En lui donnantses preinconcevable que l’unou l’autrede ses éléments aiguillon Les villageoisavaientaussià protégerleurs mièresarmes,il a engagél’hommedansun processusd’évolution différent de celuide sescongénères. culturescontred’autrespillardsque les maraudeurs humainsaffamés.C’étaientles animaux Il l’aincitéà uvrer pouracquérir la maîtrise de sauvages quirôdaient à la lisièrede leurschamps sonunivers. On pourrait direquela scienceestnéelorsqu’un pour en mangerle grain.Grâcecommetoujoursà sonintelligence, l’hommeapprivoisa cesbêtes,qui hommedes cavernesa remarquéque la moellede l’osde rhinocéros ou de bisonqu’ilavaitjetéau feu lui donnèrentde la viande,des vêtementset des étaitplusfacileà extraire et plussavoureuse que outres,du suif pourses lampes,des bousespour la moellecrue.Ce qui l’amenasansdouteà lancer se chauffer,ainsique du lait,du beurreet du un pavé de viandesur la braisepour voir s’il fromage. On peut considérerle harnachementdes aniobtiendrait le mêmerésultat. Ou peut-être la cuismaux domestiquescomme le signald’une percée son fut-elle découverte paraccident, un troglodyte technique. La chèvre,le moutonet le buf devienayantretirédu feuunepiècede viandequi y était nent les auxiliaires agricolesde l’homme;ils tombée.De toutefaçon,en la mangeant l’hommefit l’aident à semer, à labourer et à battrele grain. un premier actede recherche scientifique. L’énergie animale représente le premieroutil Ce fut assurément un énormesuccèsscientifique mécanique de l’homme. le jouroù, il y a quelque11,000ans,des hommes Le premier agriculteur a déjàfaitsonapparition. apprirentcommenttirerde la nourriturede ce C’est l’homme ou la femme qui a comprisque la quiparaissait êtredes herbessauvages. Il fallait récolte serait plus productive et plusfacileà préque quelqu’un conçûtl’idéeque les petitsgrains voir si on la mettait en terre de façonméthodique. durset féculents cachésdansles rugueuxépisde Le procédé essentiel du sarclage étaitsansdoute l’orgeet du bléseraient mangeables si on pouvait encore plus ancien, même si l’ingéniosité humaine les séparerde la balle.Mêmeune foisretirésde avait transformé certaines mauvaises herbes ellesleur enveloppe par rôtissage, ces grainsétaient mêmes, comme le seigle et la tomate, en plantes encoretropdurset tropsecspourse manger.D’où domestiques. la nécessitéde les moudreet d’en mélangerla L’avènement de l’agriculture marquapeut-être farineavec de l’eaupour en faireune sortede de l’enseignement sur la bouillie. Parhasardou parcalcul, on devaitdécou- aussi le commencement terre.On imagine,par exemple,un feu de camp vrirplustardquecettemixturese transformait en quelquechosede plusappétissant si on en faisait entouréde primitifscommuniquantpar grogneleurparlant une galetteen la déposantsur une pierrechaude. mentset par signesavecun étranger du dressagedes chèvresou de la culturedes céCe futle premier pain. réales,distribuant même quelquesgrainesà essayer. Selon les vestiges archéologiques, la conUnepercée technique versles naissance de l’agriculture se répanditrapidement outilsmécaniques chezlespeuplades postérieures à l’âgedescavernes. Cela ne pouvait se faire que par l’entremise D’après leshistoriens et lessociologues, lespredes laboureurs et des pasteurs en quêtede noumiers villagesconnusse formèrentautourdes velles terres, qui transmettaient leurs procédés champsde grain sauvagedans le Proche-et le à ceux qu’ils rencontraient sur leur route. Moyen-Orient dès avantl’inventionde la roue. C’estpours’épargner le labeurde transporter les céréalesdans leurslointaines cavernesque les Seulela mouchebleue hommes se groupèrenten un même lieu. Ainsi estplusinfecte quelataupe naquitl’organisme socialque nous appelonsauLa diffusiondu savoiren généralse développa jourd’hui une collectivité. Celle-ci devaitensuite avec l’essordu commerceet de l’industrie. Dès se consolider et s’affiner lorsque lesvillageois se que l’agriculture s’étendit, il y eut des surplus de liguèrent pourse défendre contrelesenvahisseurs nourriture que l’on pouvait troquer contre des intéressés par leursréserves, maismoinsportés vivresrécoltés ailleurs. Lespremiers commerçants qu’euxà se fixer.De sorteque la genèsede la société coïncida aveccellede la guerre. Parmiles géantsde l’agronomie figurele Canane mirentpas de tempsà le comprendre, et l’on C’estluiqui,en 1904, vitbientôt caravanes et navires sillonner l’ancien diensir CharlesSaunders. monde pour faire le commerce des denrées et mitau pointce qu’ona appelé« la plantela plus autresmarchandises. Si âpresau négocequ’elles précieuse de l’histoire »: unevariété de blédénomaientété,lespopulations quifaisaient le commerce mée Marquisqui mûrissait asseztSt pouréchapper entreelleséchangèrent plusque les produitsde aux fortesgeléesde la Prairiecanadienne. Saunensuited’autres variétés adaptées aux leurtroc;ellestendirent à mettreen communle dersréalisa meilleurde leurcultureet de leurstechniques. climatsfroids.C’estgrâcesurtoutà sestravaux, L’accession de l’humanité à la cultureintellec- que l’Ouestcanadienest devenu l’un des plus du monde. tuellefut en grandepartiela conséquence indirec- richesgreniers te du commercené avec les denréesalimentaires. L’alimentation a toujours excitéchezl’hommele Le sort de l’humanité dépendra sensde l’aventure. Il estclairquecertaines de ses peut-être de notrescience expériences gastronomiques aboutirent à l’échec; il fallaitde l’audaceau premierhommequi manAu coursdu présentsiècle,le continent nordgeades champignons, car il auraitpu y laissersa américain a assuméle rôlede premierfournisseur vie. Mais au cours des siècles,les hommesont du globe.Les progrèsrécentsdes techniques de réussi,aprèsbiendes tâtonnements, à découvrir culture, desmachines aratoires et de la luttecontre un nombre stupéfiantde choses à manger et à lesparasites et lesmaladies ontprovoqué un essor boire,ainsiquedesfaçonsde lesrendreagréables. ahurissant de la productivité. L’agriculteur nordUn auteuranglaisdu XIXe siècle,chercheur assidu américainmoyen produit maintenantassez de de ce qu’onpeutet ne peutpasmangeravecplaisir, vivrespournourrirquelque50 autrespersonnes. signalequeseulela moucheà viandeest plusin- C’estlà environ10 foisplusquece qu’ilpouvait fecteencorequela taupe. produire il y a 60 ans. Malgrécertaines erreurs, l’histoire de l’alimenLe Canadaet les États-Unisproduisentbeautation à partirde l’antiquité se révèle unesuitede coupplusde vivresque n’enconsommeleurpopuprogrèsintermittents. Les anciensRomainsobser- lation; ilsréunissent à euxdeuxlesdeuxtiersdes vèrentque le faitde semertousles ansles mêmes exportations céréalières dansle monde.Maisleur plantes finissait parépuiser le solet commencèrentproduction alimentaire a moinsde valeurpourle doncà laisserreposerla terrependantun an. Au monde que leur connaissancedes techniquesde moyenâge,lespeuplesde l’Europe centrale feront production. Peut-être le sortde l’humanité dépenmieux encoreen adoptantune rotationdes cul- dra-t-ilen fin de comptede notrescienceen maturesquiconsistait à semerun champsur troisde tièrede production vivrière. légumespourrestaurer le sol.Versla mêmeépoLe concoursde la technique et du savoira déjà que, un type de charrueamélioréeparvenaità accompliénormémentpour arracherles peuples défoncer des terresque les anciennes charrues ne des pays en voiede développement à leur vie de permettaient pas de cultiver. famine.Dansles années40, la FondationRockeLa connaissance des moyensde produirede la feller,de New York,envoyaitun agronomenommé nourriture en plusgrandequantité et de meilleure George Harrar en missionau Mexique,pays en qualité s’estdéveloppée aveclessiècles. La science majeure partieagrairealorsen proieà unedisette de l’agronomie a peut-être débutélorsqu’un agri- chronique. Avec une équipeinterdisciplinaire de culteurinconnus’estaperçuque lesplantespous- spécialistes en sciences agricoles, Harrarentreprit saientmieuxs’ilen recouvrait la semenced’humus d’aiderles paysansmexicains à se tirerd’affaire ou de fumier. Depuisl’artde tirertoujours davan- eux-mêmes. Au bout de quelques années, des tage du sol par diversestechniquesa accompli travauxde création de nouvelles plantes, d’aménades progrès incroyables. gementdu sol et de luttecontrela destruction des récoltes avaientdéjàapportéune immenseaméliorationdansle rendementagricole.Au débutdes années50,la Colombie et le Chiliadoptaient avec le même succèsla formulemexicaine.En 1955, un ambitieux programme modelé sur celui du Mexiqueétaitlancéen Inde.Dès lorsla « Révolu- à chaquehabitant de la terre.Pourtant, pas moins tionverte» se répandit danstouslespaysaffamés. de 40 p. 100de la population de la planète souffrent de sous-alimentation. Cela,en partie,parceque À qui a faimne donnepas les peuplesdes pays en voie de développement ont troppeu de céréalesalorsque,dansle monde un poisson; apprends-lui à pêcher occidental, on en donneaux bêtespour produire En 1970,le travailqui avaitd’abordportésur de la viande. Lorsd’unerécenteréuniondu Conseilmondial le blé et le maïsétaitétenduau riz,grâceà la à Ottawa,le présidentde la fondation de l’Institut international de recherches de l’alimentation, Commissionprésidentielle américaine de la faim sur le riz en Indonésie. Bientôt, l’introduction de a réclaméun reclasnouveauxtypesde plantsde riz venaitmultiplier dansle monde,Sol Lonowitz, des prioritésinternationales de plusieurs foisles récoltes. D’autres instituts sementfondamental pourparerà la mortalité massivepar la faimpende recherches, créésdepuis;se spécialisent dansla dant le reste du siècle. « Parceque le problème culturedesterresarides, les maladies desanimaux mondial de la faim s’aggrave au lieude s’amélioet l’élevage. Danstoutela Révolution verte,les rer, a-t-il dit, une crise majeure nousattends’il spécialistes ontmis l’accent surl’adaptation aux n’y a pas d’effort concerté pour l’éviter. » conditions localeset la formationdes habitants Une grande partie de l’opération devra porter du pays aux méthodesnouvelles.Les hommesde sur le domaine technique en vue de tirer profit de scienceoccidentaux qui y ont participése sont ce qui se fait déjà pour accroître la production. rappelésle vieuxdictonchinois:« Ne donnepas C’estune tâcheà la foistrèsprometteuse et très un poissonà un homme,apprends-lui à pêcher.» exaltante que de tenter de surélever la productivité Les Canadiens ont prisunepartactiveà la camdesterressous-utilisées des paysen voiede dévepagneentreprisepour assurerdes denréesaliloppement jusqu’à un degré voisin des normes mentaires plus abondantes et plusnutritives aux nord-américaines et européennes. La sciencepergénérations futures.En 1975,le prix annuelde mettra peut-être d’ouvrir de nouvelles terresà la $50,000,accordépar la BanqueRoyaledu Canada production alimentaire tout comme les recherches pour récompenserceux qui contribuentau biende Saunders permirent autrefois de cultiver du blé êtrede l’humanité, a été attribuéà deux cherdans les régions nord de l’Ouest canadien. Peutcheurs canadiens:MM. Keith Downey et Baldur être réussira-t-elle aussi à tirer d’abondantes Stefansson,pour leurs travaux concernantla « récoltes » d’autres sources quele sol. valeuralimentaire de la grainede colza.Les réMais il ne faut pas tout attendrede la seule sultatsde leurseffortspourproduire unevariété science. Des améliorations marquées serontaussi de grainede colzaricheen protéines sontactuelinterlementappliquésavec succèsdans diverspays. nécessairesen matièrede développement national, d’investissement et de pratiques commerMême si la Révolutionverte a fait des merciales. Au planpolitique et social, le besoin fondaveilles, personne ne prétendqu’ellereprésente la mentalse faitsentird’unemeilleurerégulation solutioncomplètedu problèmealimentaire qui se poseaujourd’hui à l’humanité. À la fin du présent démographique. siècle, la population mondiale passera, estime-t-on, Une actionconcertéepour assurerune alimenà toutel’humanité s’imposede de 4 milliardsà 6. Pour nourrirtout ce monde tationsuffisante la chosene sauraitfairede doute convenablement, il faudraréaliserdes progrès touteévidence; à l’âgede la coopération internationale. Ceteffort gigantesques dans beaucoupde domaines. des connaissances, La répartition desvivres,au sensle pluslarge exigeratoutesles ressources et de la volonté humaines. Maissi du terme, appelleune améliorationradicale. de l’intelligence l’onse fieauxenseignements de l’histoire, le proD’aprèsObjectifs pourl’humanité, étudefaiteen serasurmonté. Il s’agira 1977pourle Clubde Romeet coordonnée par Ervin blèmede l’alimentation à l’avenir à la question Lazlow, la production céréalière mondiale estsuffi- pourl’hommede consacrer autantet plusencored’énergie santepour assurerune alimentation convenable de l’alimentation intellectuelle queparle passé. PUBLIÉAUSSI EN ANGLAISET EN BRAILLE ~LA BANQUE ROYALE DU CANADA ]C)79/IMPRIMÉ AU CANADA