Corrosion microbienne A propos de bactéries, de rouille et plus Par Koen Vandepopuliere Cela arrive plus qu’on ne le croit : perforation des canalisations et des parois de réservoirs, tuyaux bouchés par des produits de corrosion,… Bien souvent, les responsables du phénomène sont des coupables inattendus. Notamment, des bactéries formant des biofilms qui accélèrent la corrosion. Heureusement, on connaît mieux maintenant les facteurs qui conduisent à la corrosion bactérienne, la manière de l’éviter, de la reconnaître et d’y remédier. L a corrosion microbienne (CM) est un phénomène que l’on sous-estime beaucoup. C’est la thèse d’ir. Dries Demey, business manager chez EPAS (Eco Process Assistance). “Les circuits de refroidissement industriels sont très sensibles à ce phénomène Mais ailleurs aussi, la CM joue un rôle : dans les canalisations d’eau sans chlore, par exemple, ou dans les stations d’épuration. Mais il se produit également dans les systèmes d’extincteurs automatiques, les échangeurs de chaleur, etc.”. La corrosion La corrosion est un phénomène d’attaque des matériaux par l’environnement dans lequel ceux-ci se trouvent. Le béton peut être soumis à la corrosion, ainsi que les matières synthétiques, céramiques, etc. Mais en premier lieu, nous pensons aux métaux. Un cas bien connu de corrosion est la rouille, la for34 I a q u a ra ma # 6 2 34 I a q u a r a ma # 6 2 mation d’oxydes de fer. Les attaques sous influence purement mécanique, telles que frottement, bris par collision ou chute, ne tombent pas dans la catégorie de la corrosion. Une multitude de facteurs La transformation du fer en oxyde de fer (rouille) se fait en plusieurs étapes (mécanisme, voir encadré 3, et la figure ‘L’histoire de la rouille’). En observant le mécanisme, on aperçoit rapidement quelques facteurs qui facilitent la formation de rouille, et pourquoi. L’eau est certainement un facteur de corrosion. Dries Demey : “Un autre facteur très important est le pH, le degré d’acidité. Plus l’eau est acide, plus la réaction est rapide”. Mais il y a beaucoup d’autres facteurs qui jouent un rôle. Le business manager cite le cas des chlorures. Ils accélèrent la corrosion (se comportent comme des catalyseurs) et contribuent à l’augmentation du degré d’acidité. “C’est la raison pour laquelle les alliages métalliques contenant du fer se corrodent plus rapidement”, explique l’ingénieur. “Les navires naviguant dans l’eau salée - contenant donc beaucoup de chlorure de sodium- sont très sensibles à la corrosion, à moins qu’ils ne soient protégés par un revêtement de protection. La formation d’une couche protectrice spontanée joue également un rôle important. Par exemple, un fil barbelé dont la fine couche de rouille est peu soumise aux conditions atmosphériques, le vent ou autres facteurs d’enlèvement, ne sera attaqué que lentement par la rouille. La raison en est que l’oxyde de fer forme une couche protectrice pour le fer sous-jacent. En parallèle, un dépôt de calcaire dans les canalisations est un phénomène semblable : il peut éviter la corrosion car le métal est protégé. L’eau dure est favorable, alors que l’eau trop douce, par exemple produite par un adoucisseur, est plus agressive. Trop dure n’est pas une solution non plus, puisqu’elle peut donner lieu à l’entartrage des canalisations”. Oxygène, carbone et nutriments Les bactéries peuvent jouer un rôle important dans le phénomène de la corrosion”, explique Dries Demey. “On trouve ces organismes partout”, explique-t-il. “Certainement, là où il y a de l’eau: _D_O_SS m __I_E_R bio icro log ie ” h aa afv l m alw Les circuits de refroidissement industriels sont très sensibles à la corrosion microbienne. Il s’agit de circuits ouverts. ir. Dries Demey, business manager chez EPAS _D_O_SS m __I_E_R bio icro log ie vitesse de corrosion celle-ci transporte en effet beaucoup de matières dont elles ont besoin pour se développer. Parmi ces matières, des substances sources de carbone. Pour beaucoup de bactéries, par exemple celles qui métabolisent le soufre et les sulfates, le CO2 contenu dans l’eau suffit. Mais en général, les microorganismes trouvent le CO2 ainsi que d’autres nutriments dans les petites impuretés de l’eau. La plupart, les aérobies, ont besoin d’oxygène dissout dans l’eau. D’autres, des récepteurs d’électrons n’ont pas besoin d’oxygène, mais, par exemple, de sulfates: il s’agit de bactéries anaérobies”. u Plus l’eau est acide, plus la réaction est rapide (graphique :EPAS). Ouvert ou fermé Il ne faut donc pas beaucoup pour faire prospérer les bactéries. Ir. Demey : “Dans un circuit d’eau fermé tel que le chauffage central nous ne devons pas les craindre outre mesure. La raison en est que les matières dont les bactéries ont besoin, telles que carbone et oxygène, sont rapidement épuisées, les empêchant de se multiplier. Etant donné que les bactéries prospèrent moins dans les systèmes fermés, nous ne devons pas craindre l’apparition de rouille ou d’autres types de corrosion. Il en va autrement dans les circuits ouverts, par exemple dans le cas d’un robinet : si celui-ci est en fonte, il sera rouillé dans les plus brefs délais. Autre exemple : les circuits de refroidissement industriels. Ils sont très sensibles à la corrosion bactérienne. En effet, il s’agit de circuits ouverts. En outre, souvent filtrée ou conditionnée d’une autre manière, l’eau peut être soumise à d’autres types de contamination, notamment par le carbone et par l’oxygène. Les bactéries peuvent prospérer généreusement et induire la CM”. Diagnostic aquarama #60 2 I 35 photo KV “Une analyse chimique est la première étape pour résoudre un problème de corrosion” explique Dries Demey. “On prend des échantillons de l’eau, et on mesure le pH, la concentration en carbonates, chlorures, sulfates,…L’étape suivante pourrait être une analyse microscopique de l’eau, pour vérifier la présence de bactéries typiques de la CM : bactéries produisant des EPS, réduisant les sulfates, oxydant le soufre,… Parfois il y a lieu de rassembler plus d’informations, de compter les bactéries de manière classique (par exemple par comptage sur plaques), ou par des méthodes modernes, ATPmétrie. Dans les cas les plus complexes il faut identifier les bactéries par leur ADN et ARN. La localisation de l’endroit où se forment les biofilms se fait au moyen d’un débitmètre électromagnétique : aux endroits de faible débit, le risque est plus grand. Parfois il sera nécessaire d’ouvrir une canalisation et d’étudier au microscope le matériau atteint. _D_O_ a q u a r a m a # 6 2 I 35 _D_O_SS m __I_E_R bio icro log ie h _D_O_ aa afv l m alw environnement typique propice à la CM. La zone la plus sensible est celle où les boues activées sont en contact avec les parois et l’air. Pour protéger la paroi, il convient d’y appliquer un revêtement. S’il s’agit d’une application où le métal n’est pas indispensable, il faut envisager des canalisations en matières synthétiques. “Mais, même dans cellesci, il se forme des biofilms”, précise Dries Demey. Ils ne présentent pas un danger de corrosion, mais peuvent contaminer l’eau, ce qui peut être néfaste, par exemple dans des process critiques comme on en trouve dans l’industrie agroalimentaire.” _D_O_SS m __I_E_R u Les circuits ouverts sont sensibles à la corrosion. Comme dans le cas d’un robinet : s’il est en fonte, il sera rouillé dans les plus brefs délais. (photo iStock, par EPAS) u Bassin de boues activées : l’eau sur la partie inférieure Classe d’eau comme relativement corrosive, ou ait tendance à produire des dépôts de calcaire. La température joue également un rôle important. Les hautes températures en effet accélèrent les réactions chimiques, dont l’oxydation des métaux. Les bactéries se multiplient également plus rapidement à 20 ou 35°C, par exemple, qu’à très basse ou haute température ; sans oublier que des biofilms peuvent se former dans l’eau particulièrement froide ou chaude. Une bonne conception permet d’éviter la corrosion microbienne. Tout d’abord par le choix des matériaux. Dries Demey met d’emblée le doigt sur un malentendu : notamment que l’inox, donc l’acier inoxydable, résiste de toute façon à la corrosion. Ce n’est pas toujours le cas. Quelques types d’inox (par exemple le 316L) résistent plus, d’autres (par exemple le 304) moins. Il est important de choisir les matériaux en fonction des propriétés de l’eau. Une analyse chimique est nécessaire pour déterminer la concentration en sel, le pH, la dureté,… Dries Demey explique que sur base de ces résultats, on peut calculer des indices permettant de déterminer le matériau approprié. Exemples connus : l’indice de Langelier et l’indice de Ryznar. Calculés à partir du pH, de l’alcalinité de l’eau et de la conductivité, ils définissent la classe d’eau. Il se peut que l’eau apparaisse de la photo, et un peu au-dessus, la corrosion (photo EPAS) bio icro log ie Vitesse d’écoulement “A la conception de l’équipement il faut prévoir une vitesse d’écoulement suffisamment élevée”, poursuit Ir. Demey. La règle de base est de 2m/s. A ces vitesses, le risque est faible que les bactéries restent accrochées aux parois. Il faut éviter le plus possible des zones où la vitesse de l’eau diminue, comme par exemple les coudes. Revêtement Lorsque, en termes de résistance à la corrosion, un type de métal ne peut être rangé dans aucune classe d’eau, il est conseillé d’utiliser un revêtement préventif. Par exemple, une peinture anticorrosion, ou un revêtement époxy. Un exemple bien connu est fourni par les stations d’épuration disposant de bassins en acier dans lesquels l’eau est aérée. C’est un Conditionnement de l’eau L’idéal serait que l’on réduise les risques de CM déjà dans la phase de conception. Mais on a souvent affaire à des installations existantes. Dans ces cas-là, l’on peut cependant conditionner l’eau pour diminuer les risques de corrosion. Dries Demey : “Deux types de produits conviennent. En premier Plus que du fer Dries Demey affirme que le mécanisme de corrosion d’autres métaux présente des similitudes avec la formation de rouille sur le fer. Le zinc, le cuivre et l’aluminium, par exemple, ont également tendance à produire des électrons libres et, de nouveau, le phénomène est plus soutenu lorsque le pH de l’eau est plutôt faible. Dans certaines circonstances, il se forme sur ces métaux une fine couche d’oxyde de zinc, de cuivre ou d’aluminium qui protège le métal contre une attaque de corrosion en profondeur. Le phénomène de la corrosion n’a pas seulement lieu dans les métaux : des matériaux tels que le béton ou l’asphalte y sont également sujets, mais dans une moindre mesure. Même le plastique n’est pas épargné : il y a des bactéries qui attaquent le nylon. aquarama #60 2 I 37 Photo Istock/EPAS a q u a r a m a # 6 2 I 37 _D_O_SS m __I_E_R bio icro log ie h _D_O_ aa afv l m alw u Selon Dries Demey, l’analyse chimique est la première étape dans la résolution d’un problème de corrosion (photo KV) _D_O_SS m __I_E_R lieu, il y a ceux qui ralentissent la vitesse de corbio icro log ie Le process comprend la libération d’électrons à la surface du métal (anode = oxydation = libération d’électrons) avec formation d’ions Fe2+ solubles 2 Fe w 2 Fe2+ (aq) + 4 e - (1) L’eau et l’oxygène réagissent avec les électrons libérés (cathode = réduction = absorption d’électrons) : O2 + 2 H2O + 4 e - w 4 OH- (2) Les réactions (1) et (2) donnent lieu à la formation d’oxyde de fer : Fe2+ + 2OH- w Fe(OH)2 En cas de pH très acide, les ions d’hydrogène libres réagissent avec les électrons libres, accélérant encore la corrosion. 2H+ + 2 e - w H2 La combinaison des réactions anodiques et cathodiques ci-dessus donnent lieu à la formation de divers oxydes de fer : 2Fe + O2 +2 H2O w 2Fe(OH)2 Oxyde Fe II 4Fe(OH)2 +2H2O +O2 w 4Fe(OH)3 Oxyde Fe III 4Fe(OH)2 +O2 w 2H2O+2Fe2O3.H2O Rouille= oxyde de fer hydraté Le chlore a l’effet suivant: Fe2+ + 2Cl- w FeCl2 FeCl2 +2H2O w Fe(OH)2+2HCl u l’histoire de la rouille (représentation EPAS) rosion, les inhibiteurs de corrosion. Il s’agit par exemple de carbonates que l’on ajoute à l’eau pour augmenter la dureté, et qui donneront lieu à une couche protectrice de dépôt de calcaire. A ce groupe appartiennent aussi les produits qui inhibent la corrosion par voie chimique. Ils contiennent par exemple un composé qui réagit avec l’oxygène, plutôt qu’avec le fer. En second lieu, il a le groupe qui comprend des produits qui empêchent les bactéries de proliférer. Le plus connu parmi ces produits est le chlore, donc de l’eau de javel. L’inconvénient est qu’on ne peut en utiliser beaucoup. Pour l’eau de ville, c’est l’idéal car elle contient de toute façon peu de bactéries. Mais on n’accepte plus aujourd’hui des produits qui tuent tout. C’est la raison pour laquelle les surfactants, des savons en réalité, prennent de plus en plus d’importance. Ils rendent les surfaces tellement glissantes que les bactéries ne peuvent plus s’y accrocher. Mais la société s’attend à ce que ces produits soient biodégradables, ce qui n’est pas toujours évident”. Ultraviolet Le nettoyage mécanique est un autre remède possible. Ir. Demey : “On utilise souvent des lampes UV. Leur rayonnement ultraviolet tue les bactéries qui se trouvent dans l’eau. Ce procédé est efficace lorsque l’eau n’est pas trop trouble. Le problème est que les bactéries qui ne sont pas soumises aux UV, survivent. Les UV n’ont pas d’effet sur une colonie de bactéries installée loin de la lampe.”. Plus que des métaux Les biofilms peuvent donc induire des problèmes de corrosion, et plus souvent qu’on ne le soupçonne. D’ailleurs, dans certains cas très rares, les facteurs sont tels qu’il y a développement de la légionelle, qui peut conduire à une maladie mortelle, la légionellose. Mais, c’est une autre histoire. E www.epas.be a q u a r a m a # 6 2 I 39 a q u a r a m a # 6 2 I 39