Le recensement thématique des grands domaines de plaisance1
A l’échelle de la Suisse, le canton de Genève compte sans conteste la plus forte densité de domaines
de plaisance des XVIIe, XVIIIe et XIXe siécles, certains plongeant leurs racines loin dans le moyen
âge, voire même dans l’antiquité gallo-romaine. Au fil des générations, à la faveur d’une longue et
patiente succession d’améliorations foncières, agricoles et paysagères, ces grandes propriétés en
campagne alliant l’agréable à l’utile ont façonné le territoire. De par leur envergure, la qualité
d’ensemble de leur cœur bâti et aménagé, la scénographie toute en simplicité de leurs jardins
d’agrément et le raffinement de leur architecture et des décors intérieurs, ces grands domaines
constituent à n’en pas douter une catégorie patrimoniale d’importance majeure pour Genève.
L’exiguïté du territoire et le charme d’une topographie vallonnée multipliant les dégagements sur
d’agréables lointains ont certes contribué à cette forte concentration. Toujours est-il que le réel moteur
de cet essor est à chercher non pas en campagne, mais du côté de la ville de Genève et de ses
riches familles bourgeoises actives dans le négoce international et siégeant pour la plupart dans les
organes gouvernementaux de la cité-Etat. Ce sont elles - de même que la petite noblesse savoyarde
ou gessienne - qui détiennent ces grands domaines en campagne, domaines dont l’exploitation est
invariablement confiée à des tiers, fermiers ou « grangers ». Ce sont elles aussi qui, au gré de leurs
goûts et de leurs possibilités financières, s’activeront à embellir leur fonds agricole d’une maison de
plaisance environnée de jardins d’agrément pour y couler les plus beaux mois de l’année.
Longuement discutés et réfléchis, les travaux de construction et d’aménagement qui y sont effectués
tirent parti de projets parfois directement importés de l’étranger ou le plus souvent largement inspirés
d’eux et adaptés aux mœurs plus simples de la région.
Au fil du XIXe siècle, le grand domaine, muni ou non d’aménagements de plaisance d’envergure,
connaît un progressif désinvestissement de sa composante agricole au profit d’une extension de l’aire
dédiée au jardin, traitée comme un morceau de paysage. Son étendue tend d’ailleurs à diminuer.
Alors qu’au XVIIIe siècle, un grand domaine embrasse au minimum 10 ha2, les campagnes créées de
toute pièce au XIXe siècle - souvent par démembrement d’une propriété plus grande -, avoisinent les
6ha, un chiffre descendant même à 3 ha environ pour les propriétés à fleur d’eau. En contrepartie ces
domaines de plaisance se dotent de magnifiques serres et orangeries pour y cultiver des fruits de
primeur ou des plantes méditerranées ou tropicales d’importation récente concourant à renouveler
l’esthétique des jardins.
Le recensement thématique des grands domaines, qui est encore en cours, s’appuie sur les
recensements existants3. Il ambitionne cependant de considérer ces propriétés comme des
ensembles structurés et organisés auxquels participent tout à la fois les volumes bâtis, les espaces
non bâtis (cours, circulations extérieurs) ainsi que les jardins et éléments de composition paysagère.
Le travail doit déboucher sur des propositions de mise à jour des mesures de protection.
Christine Amsler
Historienne de l’architecture régionale et de l’art des jardins
1 La locution « grands domaines de plaisance » sert, dans la révision de la Loi sur les constructions et installations diverses
(LCI), du 27 avril 1940, introduisant la notion de zones, à établir une distinction entre ces grandes propriétés à composantes de
villégiature et les exploitations à vocation essentiellement agricoles. Elle a le mérite d’être concise mais ne recouvre de loin pas
l’ensemble du phénomène des grands domaines nobles et bourgeois à travers des siècles.
2 Dominique Zumkeller, Le paysan et la terre : agriculture et structure agraire à Genève au XVIIIe siècle, Genève (éd. Passé
Présent) 1992, p. 96.
3 C’est-à-dire : le recensement géographique des villages et hameaux (dit « recensement Bory »), les compléments de
recensement de l’Etude de la Maison rurale à Genève,. et le recensement ICOMOS des jardins historiques.