La semaine prochaine Le Département d`espagnol de l`Ecole et le

Film italien en couleurs. 1971. 130 min.
Titre original
Morte a Venezia
.
Snario
Luchino Visconti et Nicola Badalucco, daprès le roman de Thomas Mann.
Photographie
Pasquale De Santis.
Musique
Gustav Mahler. Extraits des 3ème et 5ème Symphonies (en particulier l
Adagietto
de la
5ème). Orchestre dirigé par Franco Mannino. Et extraits de Moussorgsky et Beethoven.
Production
Alfa Cinematografica et les Productions Cinématographiques Françaises.
Interptation
Dirk Bogarde
Gustav von Aschenbach.
Silvana Mangano
La mère de Tadzio.
Björn Andresen
Tadzio.
Romolo Valli
le directeur de ltel.
Nora Ricci
la gouvernante.
Mark Burns
Alfred.
Marisa Berenson
Lépouse dAschenbach.
Le Département despagnol de
lEcole et le Ciné-Club organisent une
se-
maine cinématographique : un film par soir
sur le thème “Un art de la dérision : 40 ans de
cinéma espagnol. Les films seront présentés
par ordre chronologique. 10 F pour chaque
film. 50F pour lensemble.
Lundi 11 :
El Pisito
, de Mario Ferreri.
Mardi :
Le Bourreau
, de Luis Garcia
Ber-
langa.
Mercredi :
Le Jardin des délices
, de Carlos
Saura.
Jeudi :
Stico
, de Jaime de Armiñan.
Vendredi :
Quest-ce que jai fait pour
méri-
ter ça ?
, de Pedro Almodovar.
Samedi :
Le Roi ébahi
, de Imanol Uribe.
Dimanche :
Le Jour de la bête
, de Alex de la
Iglesia.
Reprise dun rythme hebdomadaire avec
Lou-
lou
, de Pabst. Film allemand muet en noir et
Gustav Aschenbach, compositeur
alle-
mand vieillissant, arrive à ltel des Bains au
Lido, à Venise, pour se reposer un été. Une
fa-
mille polonaise sinstalle dans le même tel.
La beauté du fils, Tadzio, adolescent
andro-
gyne, fascine Aschenbach qui cherche sans
cesse à le rencontrer et ne parvient plus à
quit-
ter Venise.
Mort à Venise
est un film à part, tant en
ce qui concerne le point de vue proposé sur
Ve-
nise, tous domaines artistiques confondus, que
dun point de vue strictement
cinématogra-
phique. Il est tout à fait représentatif de
Vis-
conti dans sa période de maturité qui cite
comme “phrase de lancementdu film cette
af-
firmation de Mann
: Qui a contemplé de ses
yeux la beauté est déjà voué à la mort. Le film
entier est placé sous le signe du regard, des
échanges de regards entre personnages
rempla-
çant toute autre forme de communication, du
regard profond et pénétrant du personnage
dAschenbach, archétype de lartiste, et donc
du silence, mais aussi de la musique.
Le projet
Visconti souhaitait depuis longtemps
adapter le roman de Thomas Mann, quil avait
dailleurs rencontré. Mann déclarait au sujet de
son bref roman
: Lhistoire est essentiellement
une histoire de mort - mort considérée comme
une force de séduction et dimmortalité-, une
histoire sur le désir de mort. Ce que je voulais
raconter, à lorigine, navait rien
dhomosexuel
: cétait lhistoire du dernier
amour de Goethe, à 70 ans, pour une petite fille
de Marienbad. Une histoire méchante, belle,
grotesque, dérangeante. A cela sest ajoutée
lexpérience de ce voyage lyrique et personnel,
qui ma décidé à pousser les choses à lextrême
en introduisant le thème de lamour interdit.
Visconti reste fidèle à Mann, à qui il
fait dautres types de références, en particulier
au
Doktor Faustus
. Ce sont les scènes en flash-
back, et surtout une certaine quantité de
cita-
tions insérées dans les dialogues. Mann
sins-
pire en fait de souvenirs personnels du
composi-
teur Gustav Mahler et de la personnalité du
com-
positeur. Mais dans le roman, il fait de lui un
écri-
vain. Visconti revient à la figure du musicien,
dont il donne le prénom à Aschenbach.. On ne se
trouve cependant pas face à une biographie de
Mahler, malgré la musique qui renforce
limpor-
tance du personnage.
Mort à Venise
est le drame
dune fascination amoureuse frappant
brusque-
ment un homme au seuil de la vieillesse. Le film
prend ainsi un ton très personnel et possède une
dimension autobiographique implicite.
Parmi les derniers films du réalisateur, il
y a ce quon a parfois appelé la trilogie
alle-
mande”, cest-à-dire
Les Damnés
,
Mort à Venise
et
Ludwig
. Ces œuvres ont pour point commun un
intérêt pour lAllemagne (la montée du nazisme
et les grandes familles industrielles, la littérature
de Mann, le personnage de Louis II de Bavière).
Mais on retrouve aussi toute une thématique, qui
revient ensuite dans
Violence et passion
, dernier
film de Visconti. Le monde est chez Visconti un
monde en décomposition, ce quon peut percevoir
dès
Le Guépard
. Mais la collectivité, très
pré-
sente dans les premiers films du réalisateur,
sef-
face. Ses œuvres sont désormais empreinte de
so-
litude et deviennent personnelles, ce qui va de
pair avec un certain désenchantement politique et
un repli de la part de Visconti.
Mort à Venise
est
le plus intime de tous ces films. Désormais, la
lucidité individuelle remplace les illusions
collec-
tives
1
Visconti et Venise
Autre grande caractéristique et comme
son titre lindique,
Mort à Venise
est un film sur
Venise. Visconti est le réalisateur qui sest le plus
attaché à cette ville.
Senso
(1954) commençait à
Venise. La ville y était le cadre dune passion
tra-
gique dans lItalie du Risorgimento.
Senso
est un
film plein de fougue, de jeunesse.
Mort à Venise
,
au contraire, est marqué dès le début par la
vieil-
lesse et la mort. On y trouve une minutieuse
re-
constitution de la Venise des années 1910, placée
sous la menace symbolique du choléra. La ville,
comme Aschenbach, appartient au passé. On a
le sentiment dune certaine irréalité, voire
dune théâtralité - en fait beaucoup plus
appa-
rente dans
Senso
- que Visconti suggère
mer-
veilleusement. Venise semble appartenir au
passé et devient le décor idéal de cette passion.
Cest le labyrinthe de la vaine poursuite de
Tadzio, un lieu de mystères, souvent envahi de
fumée. Le début du film est très représentatif
à cet égard. Il sagit de larrivée à Venise
dAschenbach et des étranges rencontres quil
fait dans le silence de la lagune. Demblée naît
une aura de mystère.
Venise est aussi le lieu du miracle
:
pour un instant éphémère, le reflet de Tadzio
rejoint celui dAschenbach dans un canal.
Certes le mirage est fugitif. Leau a même une
dimension mortifère, une beauté morbide,
quon retrouve ailleurs chez Visconti, mais qui
prend ici une importance particulière. Le reflet
se retourne aussi contre Aschenbach à qui il
Mardi 5 mai 1998
renvoie limage de son visage maquillé quand il
poursuit Tadzio une dernière fois. Bref, Venise
est un espace vieilli, comme Aschenbach, et
ma-
gique, comme Tadzio. Quel meilleur cadre alors
que cette fascinante cité pour un film jouant
au-
tant sur la fascination
?
Désir et fascination
La beauté surgit tout à coup de
lexté-
rieur, comme un produit du hasard. Aschenbach
accepte sa passion - dans tous les sens du terme
- après une pathétique poursuite dans une
Ve-
nise à lagonie. Il assiste en même temps à
lef-
fondrement de ses conceptions esthétiques très
formalistes. La beauté comporte alors sa part
dambiguïté. La fascination quexerce Tadzio
sur lui est dabord refusée par Aschenbach, qui
associe en rêve ladolescent à une prostituée. Un
même morceau de musique fait le lien
: la
Lettre
à Elise
. Je désirais unifier et en même temps
dédoubler lélément de la “
contamination
” et
de lattraction des sens et celui de la pureté
en-
fantine. [...] Bref, Aschenbach, en reliant la
pré-
sence de Tadzio au souvenir de la prostituée,
cest-à-dire à la contamination qui sétait
pro-
duite des années auparavant, saisit pleinement
laspect le plus équivoquement
pêcheur
de
son attitude à légard de Tadzio. [...] Tadzio
ré-
sume ce qui a constitué un pôle de la vie
dAschenbach, un pôle qui, représentant la vie -
comme alternative et antithèse de lunivers
rigi-
dement intellectuel de cette “
vie sublimée
où
Aschenbach sest enfermé - se termine par la
mort. Esmeralda et Tadzio ne représentent pas
seulement la vie, mais sa dimension spécifique,
troublante, contaminatrice quest la beauté.
Le personnage de Tadzio est en fait à la
fois un ange et un démon. Ses traits sont
étranges, fragiles et mystérieux. Sa jeunesse
exacerbée par ses costumes enfantins
nem-
pêche pas quil soit aussi un ange de la mort. La
scène où on le voit à Saint-Marc avec les
chan-
delles en fait une sorte de créature mythique. La
relation entre Aschenbach et lui est dès lors
complexe. La composante homosexuelle est
in-
déniable, mais il ne faut pas négliger une
fasci-
nation quasiment mystique et une tendresse
pa-
ternelle. On trouve un écho de cette tendresse
dans le personnage de la mère. Elle est
nette-
ment idéalisée. Cultivée (elle lit tout le temps),
élégante, belle et sensuelle, elle est à la fois
mère et maîtresse. Tadzio lui fait le baisemain
et a envers elle lattitude dun soupirant. Leur
relation est étonnamment adulte. La mère est
néanmoins très attentive à son fils. Un peu de ce
sentiment maternel passe dans le regard
dAschenbach sur Tadzio.
ditation sur la création artistique
: lart et
la vie.
Le personnage dAschenbach est un
ar-
chétype de lartiste cherchant à justifier sa vie
en revenant sur son passé. Il met en cause toute
son existence et sinterroge sur les rapports de la
vie et de lart. Visconti explique
: Jai toujours
été attiré par le thème de la divergence qui peut
surgir entre les aspirations esthétiques et la vie
dun artiste, entre son exigence qui dépasse
ap-
paremment lhistoire et sa participation aux
conditions
historiques
bourgeoises. [...]
Jat-
tendais de posséder la maturité et lexpérience
suffisantes derrière moi pour poser le problème
du bilan, que la maturité et lexpérience
impli-
quent et qui se trouve dans la nouvelle de
Mann.Aschenbach semble vaincu à la fin du
film.
Mort à Venise
refuse une conception de
lart comme pur produit de limagination et des
formes. Mais le
finale
est aussi un véritable
triomphe de lamour, qui ne demeure pas sans
ambiguïtés. Deux interprétations sont en fait
possibles.
On peut dabord y voir une lon proche
de celle de
Violence et passion
: Les richesses
culturelles ne suffisent et
Mort à Venise
répond
à
Senso
en compensant léchec qui sy exprimait
(Livia était profondément déçus par le réel,
puisque Franz Mahler -encore ce nom- était
mé-
diocre). Là, lamour dAschenbach transforme le
réel. Le personnage nest pas passif. Son regard
est la marque du volontarisme de ses actions. La
rencontre avec Tadzio est un moment
remar-
quable. Si elle est fortuite dans le roman, dans le
film, elle est véritablement provoquée et dirigée
par Aschenbach. Les derniers regards de Tadzio
peuvent alors suggérer un réciprocité. La lumière
qui envahit les dernières images forme donne
une impression de plénitude permettant de
conclure quAschenbach meurt exaucé.
Lado-
lescent désigne un ailleurs, la lumière. Le
com-
positeur mourant, un sourire figé aux lèvres, le
contemple. La beauté est une forme dau-delà de
lapparence, des apparences de richesse quétale
la bourgeoisie en vacances au Lido.
Mais on ne sait pas si cette réciprocité est
réelle ou imaginaire, et si la lumière est la même
pour tous les personnages, ce qui donne alors
lieu à une seconde interprétation. Aschenbach
est exclu de léblouissant spectacle de la fin. Lui
bascule dans les ténèbres alors que le cadre est
celui dune profonde luminosité. Il meurt face
aux vagues étincelantes. La teinture de ses
che-
veux coule en mince filet sur son visage dans un
mélange dapaisement et dhorreur. Le climat de
la fin nest pas celui dune harmonie, car des
in-
dices de division existent. Visconti parle dune
“destruction de soi-même à la recherche dune
perfection quon ne peut pas atteindre”.
Visconti enrichit cette méditation de
lar-
tiste par lemploi de la musique. Il utilise
logi-
quement deux des symphonies de Mahler en
expliquant
: Au cinéma, un musicien est plus
représentable
quun homme de lettres,
puis-
quil est toujours possible de faire entendre la
musique dun compositeur, alors que pour un
écrivain, on est obligé de recourir à des
expé-
dients fastidieux et peu expressifs comme la voix
off
””. Mais pour Mann lui-même, Mahler est
lhomme “en qui sincarne la volonté artistique
la plus sacrée et la plus rigoureuse de notre
temps.La musique est une composante
essen-
tielle de son personnage. Doù lutilisation
systé-
matique, parfois jugée trop voyante”, du
mor-
ceau très connu quest l
Adagietto
de la
Cin-
quième Symphonie
de Mahler. (six fois en tout
dans le film, in extenso, dont une fois au piano).
Réponse du réalisateur
: Au départ, javais
beaucoup didées et dhypothèses. [...] Et puis
est arrivé le jour où jai essayé l
Adagietto
de la
Cinquième
et cela a été un choc évident qui
confinait à la perfection, comme sil avait été
écrit pour cela, coïncidant avec les images, les
mouvements, les coupes, les rythmes internes.
Et en effet, ce morceau donne au film un rythme
propre, un tempo lent, pourrait-on dire. Tout le
film est un adagietto. La fascination visuelle se
trouve enrichie par un envoûtement musical qui
participe à la forte dimension contemplative de
Mort à Venise
, alors que laction prime dans le
cinéma classique.
Le chef dœuvre de Visconti
?
Mort à Venise
est effectivement le fruit
dun grand travail de composition. On
remar-
quera dabord sa perfection dramatique.
Aschenbach rencontre au début sur le bateau
ce-
lui quil de viendra
: un vieil homme fardé quil
regarde avec répulsion. Tout est dit. Le destin
en marche. Lintroduction est toujours
fonda-
mentale chez Visconti. La structure qui suit est
très claire. On distingue cinq moments
: la
ren-
contre, la réaction de refus dAschenbach (et sa
décision de partir), son conflit intérieur (et son
choix de rester), la naissance dune complicité
avec Tadzio, lapaisement et la mort. Cet
en-
semble linéaire se complète de flash-back très
clairs. La narration est quasiment littéraire chez
Visconti. Il ne la brise pas
: il faut quon
re-
vienne un peu à une espèce de style narratif
bal-
zacien.A cet effet, les détails réalistes
pren-
nent une certaine importance, par exemple la
minutie de lobservation de la population des
salons dhôtels et de la plage. Visconti
sup-
prime une scène de cauchemar du roman pour
préserver lunité de ton
: Si javais refait
au-
jourdhui une bacchanale de ce genre, je
som-
brais dans ce quil y a de pire chez Fellini.
Le film est en outre dune grande beauté
plastique. On peut souligner la précision des
teintes de plein air du paysage vénitien, qui
sug-
gère lexposition extérieure dun être orienté
vers son intériorité. De ce point de vue,
Aschen-
bach est un être vulnérable.
Enfin,
Mort à Venise
est la mise en
œuvre dun regard. Cest un des principaux
thèmes développés. Lutilisation que Visconti
fait du zoom est significative. Le regard est un
mécanisme dabord des gens. Dans une
his-
toire comme
Mort à Venise
, une histoire de
re-
gards, le zoom aidait beaucoup pour donner
cette impression que le regard approche dun
être, dune personne.La communication se
trouve au-delà des mots. Une opposition se fait
jour entre le visible et linvisible. Doù le rôle
de la musique pour suggérer linvisible.
Aschenbach compose en prenant Tadzio devant
la mer pour modèle. Il fait ainsi passer sa
per-
ception sensible à une abstraction.
Le regard est aussi une mise à distance
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