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Film italien en couleurs. 1971. 130 min.
Titre original Morte a Venezia.
Scénario
Luchino Visconti et Nicola Badalucco, d’après le roman de Thomas Mann.
Photographie Pasquale De Santis.
Musique
Gustav Mahler. Extraits des 3ème et 5ème Symphonies (en particulier l’Adagietto de la
5ème). Orchestre dirigé par Franco Mannino. Et extraits de Moussorgsky et Beethoven.
Production
Alfa Cinematografica et les Productions Cinématographiques Françaises.
Interprétation
0
Mardi 5 mai 1998
Dirk Bogarde
Silvana Mangano
Björn Andresen
Romolo Valli
Nora Ricci
Mark Burns
Marisa Berenson
Gustav Aschenbach, compositeur allemand vieillissant, arrive à l’hôtel des Bains au
Lido, à Venise, pour se reposer un été. Une famille polonaise s’installe dans le même hôtel.
La beauté du fils, Tadzio, adolescent androgyne, fascine Aschenbach qui cherche sans
cesse à le rencontrer et ne parvient plus à quitter Venise.
Mort à Venise est un film à part, tant en
ce qui concerne le point de vue proposé sur Venise, tous domaines artistiques confondus, que
d’un point de vue strictement cinématographique. Il est tout à fait représentatif de Visconti dans sa période de maturité qui cite
comme “phrase de lancement” du film cette affirmation de Mann : “Qui a contemplé de ses
yeux la beauté est déjà voué à la mort”. Le film
entier est placé sous le signe du regard, des
échanges de regards entre personnages remplaçant toute autre forme de communication, du
regard profond et pénétrant du personnage
d’Aschenbach, archétype de l’artiste, et donc
du silence, mais aussi de la musique.
Le projet
Visconti souhaitait depuis longtemps
adapter le roman de Thomas Mann, qu’il avait
d’ailleurs rencontré. Mann déclarait au sujet de
son bref roman : “L’histoire est essentiellement
une histoire de mort - mort considérée comme
une force de séduction et d’immortalité-, une
histoire sur le désir de mort. Ce que je voulais
raconter,
à
l’origine,
n’avait
rien
d’homosexuel : c’était l’histoire du dernier
amour de Goethe, à 70 ans, pour une petite fille
de Marienbad. Une histoire méchante, belle,
grotesque, dérangeante. A cela s’est ajoutée
l’expérience de ce voyage lyrique et personnel,
qui m’a décidé à pousser les choses à l’extrême
en introduisant le thème de l’amour interdit.”
Visconti reste fidèle à Mann, à qui il
fait d’autres types de références, en particulier
au Doktor Faustus. Ce sont les scènes en flashback, et surtout une certaine quantité de citations insérées dans les dialogues. Mann s’ins-
Gustav von Aschenbach.
La mère de Tadzio.
Tadzio.
le directeur de l’hôtel.
la gouvernante.
Alfred.
L’épouse d’Aschenbach.
pire en fait de souvenirs personnels du compositeur Gustav Mahler et de la personnalité du compositeur. Mais dans le roman, il fait de lui un écrivain. Visconti revient à la figure du musicien,
dont il donne le prénom à Aschenbach.. On ne se
trouve cependant pas face à une biographie de
Mahler, malgré la musique qui renforce l’importance du personnage. Mort à Venise est le drame
d’une fascination amoureuse frappant brusquement un homme au seuil de la vieillesse. Le film
prend ainsi un ton très personnel et possède une
dimension autobiographique implicite.
Parmi les derniers films du réalisateur, il
y a ce qu’on a parfois appelé la “trilogie allemande”, c’est-à-dire Les Damnés, Mort à Venise
et Ludwig. Ces œuvres ont pour point commun un
intérêt pour l’Allemagne (la montée du nazisme
et les grandes familles industrielles, la littérature
de Mann, le personnage de Louis II de Bavière).
Mais on retrouve aussi toute une thématique, qui
revient ensuite dans Violence et passion, dernier
film de Visconti. Le monde est chez Visconti un
monde en décomposition, ce qu’on peut percevoir
dès Le Guépard. Mais la collectivité, très présente dans les premiers films du réalisateur, s’efface. Ses œuvres sont désormais empreinte de solitude et deviennent personnelles, ce qui va de
pair avec un certain désenchantement politique et
un repli de la part de Visconti. Mort à Venise est
le plus intime de tous ces films. “Désormais, la
lucidité individuelle remplace les illusions collectives”1
Visconti et Venise
Autre grande caractéristique et comme
son titre l’indique, Mort à Venise est un film sur
Venise. Visconti est le réalisateur qui s’est le plus
attaché à cette ville. Senso (1954) commençait à
Venise. La ville y était le cadre d’une passion tragique dans l’Italie du Risorgimento. Senso est un
film plein de fougue, de jeunesse. Mort à Venise,
au contraire, est marqué dès le début par la vieillesse et la mort. On y trouve une minutieuse reconstitution de la Venise des années 1910, placée
sous la menace symbolique du choléra. La ville,
La semaine prochaine
Le Département d’espagnol de
l’Ecole et le Ciné-Club organisent une semaine cinématographique : un film par soir
sur le thème “Un art de la dérision : 40 ans de
cinéma espagnol”. Les films seront présentés
par ordre chronologique. 10 F pour chaque
film. 50F pour l’ensemble.
Lundi 11 : El Pisito, de Mario Ferreri.
Mardi : Le Bourreau, de Luis Garcia Berlanga.
Mercredi : Le Jardin des délices, de Carlos
Saura.
Jeudi : Stico, de Jaime de Armiñan.
Vendredi : Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ? , de Pedro Almodovar.
Samedi : Le Roi ébahi, de Imanol Uribe.
Dimanche : Le Jour de la bête, de Alex de la
Iglesia.
Le mardi suivant
Reprise d’un rythme hebdomadaire avec Loulou, de Pabst. Film allemand muet en noir et
comme Aschenbach, appartient au passé. On a
le sentiment d’une certaine irréalité, voire
d’une théâtralité - en fait beaucoup plus apparente dans Senso - que Visconti suggère merveilleusement. Venise semble appartenir au
passé et devient le décor idéal de cette passion.
C’est le labyrinthe de la vaine poursuite de
Tadzio, un lieu de mystères, souvent envahi de
fumée. Le début du film est très représentatif
à cet égard. Il s’agit de l’arrivée à Venise
d’Aschenbach et des étranges rencontres qu’il
fait dans le silence de la lagune. D’emblée naît
une aura de mystère.
Venise est aussi le lieu du miracle :
pour un instant éphémère, le reflet de Tadzio
rejoint celui d’Aschenbach dans un canal.
Certes le mirage est fugitif. L’eau a même une
dimension mortifère, une beauté morbide,
qu’on retrouve ailleurs chez Visconti, mais qui
prend ici une importance particulière. Le reflet
se retourne aussi contre Aschenbach à qui il
renvoie l’image de son visage maquillé quand il
poursuit Tadzio une dernière fois. Bref, Venise
est un espace vieilli, comme Aschenbach, et magique, comme Tadzio. Quel meilleur cadre alors
que cette fascinante cité pour un film jouant autant sur la fascination ?
Désir et fascination
La beauté surgit tout à coup de l’extérieur, comme un produit du hasard. Aschenbach
accepte sa passion - dans tous les sens du terme
- après une pathétique poursuite dans une Venise à l’agonie. Il assiste en même temps à l’effondrement de ses conceptions esthétiques très
formalistes. La beauté comporte alors sa part
d’ambiguïté. La fascination qu’exerce Tadzio
sur lui est d’abord refusée par Aschenbach, qui
associe en rêve l’adolescent à une prostituée. Un
même morceau de musique fait le lien : la Lettre
à Elise. “Je désirais unifier et en même temps
dédoubler l’élément de la “ contamination ” et
de l’attraction des sens et celui de la pureté enfantine. [...] Bref, Aschenbach, en reliant la présence de Tadzio au souvenir de la prostituée,
c’est-à-dire à la contamination qui s’était produite des années auparavant, saisit pleinement
l’aspect le plus équivoquement “ pêcheur ” de
son attitude à l’égard de Tadzio. [...] Tadzio résume ce qui a constitué un pôle de la vie
d’Aschenbach, un pôle qui, représentant la vie comme alternative et antithèse de l’univers rigidement intellectuel de cette “ vie sublimée ” où
Aschenbach s’est enfermé - se termine par la
mort. Esmeralda et Tadzio ne représentent pas
seulement la vie, mais sa dimension spécifique,
troublante, contaminatrice qu’est la beauté.”
Le personnage de Tadzio est en fait à la
fois un ange et un démon. Ses traits sont
étranges, fragiles et mystérieux. Sa jeunesse
exacerbée par ses costumes enfantins n’empêche pas qu’il soit aussi un ange de la mort. La
scène où on le voit à Saint-Marc avec les chandelles en fait une sorte de créature mythique. La
relation entre Aschenbach et lui est dès lors
complexe. La composante homosexuelle est indéniable, mais il ne faut pas négliger une fascination quasiment mystique et une tendresse paternelle. On trouve un écho de cette tendresse
dans le personnage de la mère. Elle est nettement idéalisée. Cultivée (elle lit tout le temps),
élégante, belle et sensuelle, elle est à la fois
mère et maîtresse. Tadzio lui fait le baisemain
et a envers elle l’attitude d’un soupirant. Leur
relation est étonnamment adulte. La mère est
néanmoins très attentive à son fils. Un peu de ce
sentiment maternel passe dans le regard
d’Aschenbach sur Tadzio.
Méditation sur la création artistique : l’art et
la vie.
Le personnage d’Aschenbach est un archétype de l’artiste cherchant à justifier sa vie
en revenant sur son passé. Il met en cause toute
son existence et s’interroge sur les rapports de la
vie et de l’art. Visconti explique : “J’ai toujours
été attiré par le thème de la divergence qui peut
surgir entre les aspirations esthétiques et la vie
d’un artiste, entre son exigence qui dépasse apparemment l’histoire et sa participation aux
conditions “ historiques ” bourgeoises. [...] J’attendais de posséder la maturité et l’expérience
suffisantes derrière moi pour poser le problème
du bilan, que la maturité et l’expérience impliquent et qui se trouve dans la nouvelle de
Mann.” Aschenbach semble vaincu à la fin du
film. Mort à Venise refuse une conception de
l’art comme pur produit de l’imagination et des
formes. Mais le finale est aussi un véritable
triomphe de l’amour, qui ne demeure pas sans
ambiguïtés. Deux interprétations sont en fait
possibles.
On peut d’abord y voir une leçon proche
de celle de Violence et passion : Les richesses
culturelles ne suffisent et Mort à Venise répond
à Senso en compensant l’échec qui s’y exprimait
(Livia était profondément déçus par le réel,
puisque Franz Mahler -encore ce nom- était médiocre). Là, l’amour d’Aschenbach transforme le
réel. Le personnage n’est pas passif. Son regard
est la marque du volontarisme de ses actions. La
rencontre avec Tadzio est un moment remarquable. Si elle est fortuite dans le roman, dans le
film, elle est véritablement provoquée et dirigée
par Aschenbach. Les derniers regards de Tadzio
peuvent alors suggérer un réciprocité. La lumière
qui envahit les dernières images forme donne
une impression de plénitude permettant de
conclure qu’Aschenbach meurt exaucé. L’adolescent désigne un ailleurs, la lumière. Le compositeur mourant, un sourire figé aux lèvres, le
contemple. La beauté est une forme d’au-delà de
l’apparence, des apparences de richesse qu’étale
la bourgeoisie en vacances au Lido.
Mais on ne sait pas si cette réciprocité est
réelle ou imaginaire, et si la lumière est la même
pour tous les personnages, ce qui donne alors
lieu à une seconde interprétation. Aschenbach
est exclu de l’éblouissant spectacle de la fin. Lui
bascule dans les ténèbres alors que le cadre est
celui d’une profonde luminosité. Il meurt face
aux vagues étincelantes. La teinture de ses cheveux coule en mince filet sur son visage dans un
mélange d’apaisement et d’horreur. Le climat de
la fin n’est pas celui d’une harmonie, car des indices de division existent. Visconti parle d’une
“destruction de soi-même à la recherche d’une
perfection qu’on ne peut pas atteindre”.
Visconti enrichit cette méditation de l’artiste par l’emploi de la musique. Il utilise logiquement deux des symphonies de Mahler en
expliquant : “Au cinéma, un musicien est plus
“ représentable ” qu’un homme de lettres, puisqu’il est toujours possible de faire entendre la
musique d’un compositeur, alors que pour un
écrivain, on est obligé de recourir à des expédients fastidieux et peu expressifs comme la voix
“ off ””. Mais pour Mann lui-même, Mahler est
l’homme “en qui s’incarne la volonté artistique
la plus sacrée et la plus rigoureuse de notre
temps.” La musique est une composante essentielle de son personnage. D’où l’utilisation systématique, parfois jugée trop “voyante”, du morceau très connu qu’est l’Adagietto de la Cinquième Symphonie de Mahler. (six fois en tout
dans le film, in extenso, dont une fois au piano).
Réponse du réalisateur : “Au départ, j’avais
beaucoup d’idées et d’hypothèses. [...] Et puis
est arrivé le jour où j’ai essayé l’Adagietto de la
Cinquième et cela a été un choc évident qui
confinait à la perfection, comme s’il avait été
écrit pour cela, coïncidant avec les images, les
mouvements, les coupes, les rythmes internes.”
Et en effet, ce morceau donne au film un rythme
propre, un tempo lent, pourrait-on dire. Tout le
film est un adagietto. La fascination visuelle se
trouve enrichie par un envoûtement musical qui
participe à la forte dimension contemplative de
Mort à Venise, alors que l’action prime dans le
cinéma classique.
Le chef d’œuvre de Visconti ?
Mort à Venise est effectivement le fruit
d’un grand travail de composition. On remarquera d’abord sa perfection dramatique.
Aschenbach rencontre au début sur le bateau celui qu’il de viendra : un vieil homme fardé qu’il
regarde avec répulsion. Tout est dit. Le destin
en marche. L’introduction est toujours fondamentale chez Visconti. La structure qui suit est
très claire. On distingue cinq moments : la rencontre, la réaction de refus d’Aschenbach (et sa
décision de partir), son conflit intérieur (et son
choix de rester), la naissance d’une complicité
avec Tadzio, l’apaisement et la mort. Cet ensemble linéaire se complète de flash-back très
clairs. La narration est quasiment littéraire chez
Visconti. Il ne la brise pas : “il faut qu’on revienne un peu à une espèce de style narratif balzacien.” A cet effet, les détails réalistes prennent une certaine importance, par exemple la
minutie de l’observation de la population des
salons d’hôtels et de la plage. Visconti supprime une scène de cauchemar du roman pour
préserver l’unité de ton : “Si j’avais refait aujourd’hui une bacchanale de ce genre, je sombrais dans ce qu’il y a de pire chez Fellini.”
Le film est en outre d’une grande beauté
plastique. On peut souligner la précision des
teintes de plein air du paysage vénitien, qui suggère l’exposition extérieure d’un être orienté
vers son intériorité. De ce point de vue, Aschenbach est un être vulnérable.
Enfin, Mort à Venise est la mise en
œuvre d’un regard. C’est un des principaux
thèmes développés. L’utilisation que Visconti
fait du zoom est significative. Le regard est un
mécanisme d’abord des gens. “Dans une histoire comme Mort à Venise, une histoire de regards, le zoom ‘aidait beaucoup pour donner
cette impression que le regard approche d’un
être, d’une personne.” La communication se
trouve au-delà des mots. Une opposition se fait
jour entre le visible et l’invisible. D’où le rôle
de la musique pour suggérer l’invisible.
Aschenbach compose en prenant Tadzio devant
la mer pour modèle. Il fait ainsi passer sa perception sensible à une abstraction.
Le regard est aussi une mise à distance
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