renvoie l’image de son visage maquillé quand il
poursuit Tadzio une dernière fois. Bref, Venise
est un espace vieilli, comme Aschenbach, et
gique, comme Tadzio. Quel meilleur cadre alors
que cette fascinante cité pour un film jouant
La beauté surgit tout à coup de
rieur, comme un produit du hasard. Aschenbach
accepte sa passion - dans tous les sens du terme
- après une pathétique poursuite dans une
nise à l’agonie. Il assiste en même temps à
fondrement de ses conceptions esthétiques très
formalistes. La beauté comporte alors sa part
d’ambiguïté. La fascination qu’exerce Tadzio
sur lui est d’abord refusée par Aschenbach, qui
associe en rêve l’adolescent à une prostituée. Un
même morceau de musique fait le lien
. “Je désirais unifier et en même temps
dédoubler l’élément de la “
de l’attraction des sens et celui de la pureté
fantine. [...] Bref, Aschenbach, en reliant la
sence de Tadzio au souvenir de la prostituée,
c’est-à-dire à la contamination qui s’était
duite des années auparavant, saisit pleinement
l’aspect le plus équivoquement “
son attitude à l’égard de Tadzio. [...] Tadzio
sume ce qui a constitué un pôle de la vie
d’Aschenbach, un pôle qui, représentant la vie -
comme alternative et antithèse de l’univers
dement intellectuel de cette “
Aschenbach s’est enfermé - se termine par la
mort. Esmeralda et Tadzio ne représentent pas
seulement la vie, mais sa dimension spécifique,
troublante, contaminatrice qu’est la beauté.”
Le personnage de Tadzio est en fait à la
fois un ange et un démon. Ses traits sont
étranges, fragiles et mystérieux. Sa jeunesse
exacerbée par ses costumes enfantins
pêche pas qu’il soit aussi un ange de la mort. La
scène où on le voit à Saint-Marc avec les
delles en fait une sorte de créature mythique. La
relation entre Aschenbach et lui est dès lors
complexe. La composante homosexuelle est
déniable, mais il ne faut pas négliger une
nation quasiment mystique et une tendresse
ternelle. On trouve un écho de cette tendresse
dans le personnage de la mère. Elle est
ment idéalisée. Cultivée (elle lit tout le temps),
élégante, belle et sensuelle, elle est à la fois
mère et maîtresse. Tadzio lui fait le baisemain
et a envers elle l’attitude d’un soupirant. Leur
relation est étonnamment adulte. La mère est
néanmoins très attentive à son fils. Un peu de ce
sentiment maternel passe dans le regard
Méditation sur la création artistique
Le personnage d’Aschenbach est un
chétype de l’artiste cherchant à justifier sa vie
en revenant sur son passé. Il met en cause toute
son existence et s’interroge sur les rapports de la
vie et de l’art. Visconti explique
été attiré par le thème de la divergence qui peut
surgir entre les aspirations esthétiques et la vie
d’un artiste, entre son exigence qui dépasse
paremment l’histoire et sa participation aux
tendais de posséder la maturité et l’expérience
suffisantes derrière moi pour poser le problème
du bilan, que la maturité et l’expérience
quent et qui se trouve dans la nouvelle de
Mann.” Aschenbach semble vaincu à la fin du
l’art comme pur produit de l’imagination et des
triomphe de l’amour, qui ne demeure pas sans
ambiguïtés. Deux interprétations sont en fait
On peut d’abord y voir une leçon proche
culturelles ne suffisent et
en compensant l’échec qui s’y exprimait
(Livia était profondément déçus par le réel,
puisque Franz Mahler -encore ce nom- était
diocre). Là, l’amour d’Aschenbach transforme le
réel. Le personnage n’est pas passif. Son regard
est la marque du volontarisme de ses actions. La
rencontre avec Tadzio est un moment
quable. Si elle est fortuite dans le roman, dans le
film, elle est véritablement provoquée et dirigée
par Aschenbach. Les derniers regards de Tadzio
peuvent alors suggérer un réciprocité. La lumière
qui envahit les dernières images forme donne
une impression de plénitude permettant de
conclure qu’Aschenbach meurt exaucé.
lescent désigne un ailleurs, la lumière. Le
positeur mourant, un sourire figé aux lèvres, le
contemple. La beauté est une forme d’au-delà de
l’apparence, des apparences de richesse qu’étale
la bourgeoisie en vacances au Lido.
Mais on ne sait pas si cette réciprocité est
réelle ou imaginaire, et si la lumière est la même
pour tous les personnages, ce qui donne alors
lieu à une seconde interprétation. Aschenbach
est exclu de l’éblouissant spectacle de la fin. Lui
bascule dans les ténèbres alors que le cadre est
celui d’une profonde luminosité. Il meurt face
aux vagues étincelantes. La teinture de ses
veux coule en mince filet sur son visage dans un
mélange d’apaisement et d’horreur. Le climat de
la fin n’est pas celui d’une harmonie, car des
dices de division existent. Visconti parle d’une
“destruction de soi-même à la recherche d’une
perfection qu’on ne peut pas atteindre”.
Visconti enrichit cette méditation de
tiste par l’emploi de la musique. Il utilise
quement deux des symphonies de Mahler en
: “Au cinéma, un musicien est plus
” qu’un homme de lettres,
qu’il est toujours possible de faire entendre la
musique d’un compositeur, alors que pour un
écrivain, on est obligé de recourir à des
dients fastidieux et peu expressifs comme la voix
””. Mais pour Mann lui-même, Mahler est
l’homme “en qui s’incarne la volonté artistique
la plus sacrée et la plus rigoureuse de notre
temps.” La musique est une composante
tielle de son personnage. D’où l’utilisation
matique, parfois jugée trop “voyante”, du
ceau très connu qu’est l’
de Mahler. (six fois en tout
dans le film, in extenso, dont une fois au piano).
beaucoup d’idées et d’hypothèses. [...] Et puis
est arrivé le jour où j’ai essayé l’
et cela a été un choc évident qui
confinait à la perfection, comme s’il avait été
écrit pour cela, coïncidant avec les images, les
mouvements, les coupes, les rythmes internes.”
Et en effet, ce morceau donne au film un rythme
propre, un tempo lent, pourrait-on dire. Tout le
film est un adagietto. La fascination visuelle se
trouve enrichie par un envoûtement musical qui
participe à la forte dimension contemplative de
, alors que l’action prime dans le
Le chef d’œuvre de Visconti
est effectivement le fruit
d’un grand travail de composition. On
quera d’abord sa perfection dramatique.
Aschenbach rencontre au début sur le bateau
: un vieil homme fardé qu’il
regarde avec répulsion. Tout est dit. Le destin
en marche. L’introduction est toujours
mentale chez Visconti. La structure qui suit est
très claire. On distingue cinq moments
contre, la réaction de refus d’Aschenbach (et sa
décision de partir), son conflit intérieur (et son
choix de rester), la naissance d’une complicité
avec Tadzio, l’apaisement et la mort. Cet
semble linéaire se complète de flash-back très
clairs. La narration est quasiment littéraire chez
Visconti. Il ne la brise pas
vienne un peu à une espèce de style narratif
zacien.” A cet effet, les détails réalistes
nent une certaine importance, par exemple la
minutie de l’observation de la population des
salons d’hôtels et de la plage. Visconti
prime une scène de cauchemar du roman pour
jourd’hui une bacchanale de ce genre, je
brais dans ce qu’il y a de pire chez Fellini.”
Le film est en outre d’une grande beauté
plastique. On peut souligner la précision des
teintes de plein air du paysage vénitien, qui
gère l’exposition extérieure d’un être orienté
vers son intériorité. De ce point de vue,
bach est un être vulnérable.
œuvre d’un regard. C’est un des principaux
thèmes développés. L’utilisation que Visconti
fait du zoom est significative. Le regard est un
mécanisme d’abord des gens. “Dans une
gards, le zoom ‘aidait beaucoup pour donner
cette impression que le regard approche d’un
être, d’une personne.” La communication se
trouve au-delà des mots. Une opposition se fait
jour entre le visible et l’invisible. D’où le rôle
de la musique pour suggérer l’invisible.
Aschenbach compose en prenant Tadzio devant
la mer pour modèle. Il fait ainsi passer sa
ception sensible à une abstraction.
Le regard est aussi une mise à distance