Célestin Freinet, le pédagogue par Francine Best

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Célestin Freinet, le pédagogue par Francine Best
Une manifestation publique a rendu hommage au grand pédagogue Célestin Freinet à
l’occasion de la célébration du centenaire de sa naissance en octobre 1996 à l’UNESCO à
Paris. Plusieurs personnalités du monde de l’éducation ont rappelé à cette occasion, lors
d’une conférence internationale, l’universalité de la pensée et de l’œuvre de Freinet,
l’actualité des pédagogies nouvelles. Parmi eux Louis Legrand et Francine Best, Président et
Vice-présidente du comité d’organisation du centenaire nous exposent ici en quoi la
pédagogie Freinet, centrée sur l’enfant, est ouverture sur l’environnement et sur la vie, c’est
la vie coopérative et c’est un choix politique. Robert Lelarge nous parle des outils et des
méthodes de travail que sont les Bibliothèques de Travail (BT). Freinet aura beaucoup
apporté à la pédagogie du XXème siècle : nombre des techniques qu’il a proposées et de ses
idées ont été reprises par les responsables des systèmes éducatifs de par le monde et donc,
se sont généralisées. Mais à l’aube du XXIe siècle, que gardons-nous des progrès qu’il a
initiés en matière d’éducation ? Les enseignants en formation aujourd’hui seront les acteurs
de l’éducation en l’an 2000. On constate, en les interrogeant, que Freinet reste actuel, “
moderne ”, comme il le souhaiterait.
La première conquête, durable, reconnue de tous, est celle de la liberté d’expression de
l’enfant. Expression libre dans les œuvres picturales, mais surtout expression de soi et
communication par l’écrit. Le texte libre, tout le monde le reconnaît, est la pièce maîtresse
de la pédagogie Freinet.
La liberté de penser de l’enfant
Écrire ce que l’on veut, sur un support (papier ou autre) choisi par soi, sur le thème qui vous
tient à cœur, dans l’endroit où l’on se sent bien (en classe, à la maison, assis sur un talus...),
le communiquer, ce texte, à qui l’on veut... voilà une invention pédagogique qui correspond
à un principe - la liberté de pensée de l’enfant - et qui, par là même, est bien plus qu’une
simple technique. Magnifier ce texte, si le groupe-classe en décide ainsi, en l’imprimant, en
le dactylographiant sur ordinateur, en le faisant paraître dans le journal scolaire, en
l’adressant aux correspondants de la classe, en France ou à l’étranger... proposer tout cela,
c’est proprement révolutionner l’écrit, lui donner sens.
Bien sûr, tous les pédagogues-militants de la pédagogie Freinet se plaignent des manières,
nombreuses, de dévoyer, d’affadir la signification du texte libre. Pourtant, sa définition
exacte est bel et bien reprise dans les instructions officielles. La pensée de Freinet sur la
conquête de l’écrit par l’enfant a été au cœur des travaux de recherche ayant abouti à la
rénovation de l’enseignement du Français. Nombreuses ont été, depuis 1965, les avancées
de la pédagogie - ou didactique - de l’écrit. Ateliers d’écriture de poésie, écriture collective
de nouvelles, voire de romans, beaucoup de pratiques qui, au collège ou à l’école
élémentaire, développent, enrichissent l’idée même du texte libre. Les journaux scolaires
aussi fleurissent dans les collèges et les lycées. La correspondance est devenue
internationale et se réalise par téléfax ou par internet. Ces avancées très modernes et qui,
sans nul doute, transformeront encore les écrits scolaires, ne sont-elles pas dues à Freinet, à
sa trouvaille de l’imprimerie à l’école ?
L’étude du milieu
Tout cela est en somme connu et reconnu. Mais on doit aussi à Freinet l’ouverture de l’école
à son milieu environnant, les promenades-découvertes. Dans “ l’éducation du travail ” (1),
Freinet prône l’étude du milieu, cette pratique chère aux CEMÉA, qui existait déjà dans
l’expérience personnelle de Freinet. La “ glane ” d’observations, d’objets rencontrés au
détour d’un chemin ou lors d’une visite de ferme, sert de support, en classe, à des écrits, à
des dessins, à des observations scientifiques plus poussées, à des lectures documentaires
pour approfondir les connaissances venues de l’observation directe.
Ces pratiques ont été mises en valeur et officialisées lors de la période où les instructions
officielles prônaient les activités d’éveil. Bien que ce terme n’apparaisse plus dans les
instructions officielles françaises depuis 1984, bien des instituteurs et professeurs de
géographie continuent à les pratiquer, à se saisir de l’étude du milieu pour faire comprendre
aux enfants les problèmes d’environnement qu’ils soient ruraux ou urbains. On parle
beaucoup d’éducation à l’environnement comme s’il s’agissait d’une innovation
pédagogique récente. Or, toutes les pratiques qui sont liées à cette préoccupation
(perception, observation directe des phénomènes, explications scientifiques, actes de
protection) peuvent être trouvées dans les études des milieux que prônent à la fois les
Centres d’entraînement aux méthodes d’éducation active et Freinet. Cet aspect de la
pédagogie Freinet est moins connu que d’autres, mais il est riche d’avenir : la
compréhension du monde futur passe par la connaissance de notre planète, par les sciences
de la Terre, par la géographie dans toutes ses dimensions (sociale, historique, économique,
politique). L’étude du milieu est la propédeutique à cette géographie pluridimensionnelle
qui sera celle de l’avenir. Freinet avait le sens de la complexité, de l’interdisciplinarité. Dans
l’éducation d’aujourd’hui et de demain, ces deux caractéristiques de la connaissance et des
apprentissages intellectuels sont et seront nécessairement présentes.
Le tâtonnement expérimental
Un exemple de cette pensée soucieuse de complexité : le tâtonnement expérimental,
comme vecteur de l’apprentissage. Les théories actuelles de l’apprentissage parlent
d’anticipation, de retours de la pensée sur elle-même, de traitement des informations ; bref,
elles s’éloignent de plus en plus d’une conception linéaire de l’apprentissage où tout se
ferait par simple répétition des réponses adéquates à du stimulé. Le tâtonnement
expérimental, lui, n’est pas linéaire : il procède par essais et par erreurs corrigées, par une
série d’anticipations. Freinet avait très bien observé les tout premiers apprentissages : celui
de la marche, celui du langage. Il n’est que de regarder attentivement comment procèdent
les tout petits qui apprennent : ils imitent, certes, leur entourage mais cette imitation est
insérée dans une chaîne de tâtonnements. Se tenir debout, en s’appuyant des deux mains
sur celles d’un adulte, lorsqu’on a huit mois demande intelligence, volonté, tâtonnement,
expérience répétée. C’est là un premier tâtonnement qui sera suivi de mille autres. Les
tâtonnements permettant de comprendre les phénomènes physiques, s’ils sont plus
intellectuels et conceptuels, sont cependant de même ordre : ce n’est pas en récitant
quelques lignes sur la pression atmosphérique qu’on comprend ce qu’elle est et produit,
mais bien en expérimentant, en essayant, en tâtonnant, en émettant des hypothèses que le
montage expérimental vérifiera ou informera. Le questionnement est toujours présent,
avant de et pour résoudre un problème. G. Delacôte montre combien les montages
expérimentaux d’un exploratorium peuvent contribuer aux apprentissages scientifiques (2).
Nous ne sommes pas loin de la notion d’expérimentation telle que la prône Freinet lorsqu’il
propose des systèmes simples de montages d’expériences (pour découvrir l’électricité,
notamment).
Freinet, une pédagogie moderne
Les notions d’expérience personnelle, d’expérimentation scientifique jouent un rôle capital
dans la pédagogie Freinet, dont on oublie parfois qu’elle est rationnelle et réfléchie, même si
la spontanéité enfantine est respectée. Il faudrait aussi insister sur la coopération entre
enfants dans les apprentissages. Freinet est, là encore, très moderne : les interactions
sociales entre enfants ont une fonction dans les apprentissages. C’est ce que démontrent,
après Vitgosky, les chercheurs du CRESAS-INRP (3).
La modernité de la pensée pédagogique de Freinet n’est donc plus à prouver. Mais pour la
reconnaître, il faut relire les textes de Freinet, ce que ne font pas assez les pédagogues
d’aujourd’hui. Il faudrait encore évoquer, comme promesses d’avenir, les institutions
coopératives, le renouvellement total de la relation pédagogique entre maîtres et enfants, la
confiance en l’homme, en ses progrès, la confiance faite au petit d’homme, à l’enfant tel que
le voit Freinet : un être qui conquiert son autonomie grâce à des expériences personnelles,
vécues dans la classe, cette société d’enfants où les règles de vie sont élaborées en commun,
adulte et enfants se respectant réciproquement.
Francine Best Francine Best est inspectrice générale de l’Éducation nationale.
(1) C. Freinet, L’éducation du travail, Ed. Delachaux Niestlé. (2) G. Delacôte, Savoir
apprendre, les nouvelles méthodes, Ed. O. Jacob - 1996. (3) Cf. CRESAS, Naissance d’une
pédagogie interactive, ESF - 1991.
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