15 décembre 2016 La prochaine crise mondiale sera-t-elle (encore) une crise liée à un endettement excessif? Des excès du côté de l’endettement des ménages, notamment aux États‑Unis, ont contribué à la crise financière de 2008‑2009. Dans d’autres pays, c’est plutôt l’endettement des gouvernements qui a été à l’origine de difficultés éco‑ nomiques et de tensions financières. Par ailleurs, une particularité des crises liées à l’endettement est que les reprises économiques qui les accompagnent sont généralement plus lentes. Les secteurs trop endettés doivent d’abord assainir leur situation avant de recommencer à soutenir la croissance économique. À l’aube de l’année 2017, on pourrait penser que le processus de désendettement est avancé et que la croissance économique mondiale pourrait maintenant reposer sur des bases plus solides. À la lumière des données disponibles, force est d’admettre que cela n’est pas le cas. Bien que des améliorations notables soient observées dans certains pays, le problème de l’endettement demeure entier à l’échelle mondiale et constitue un risque important pour la croissance économique future. Ce risque est d’autant plus élevé que la récente tendance haussière des taux d’intérêt pourrait mettre de la pression sur les emprunteurs. Sans surprise, les pays avancés demeurent les plus endettés, à environ 280 % du PIB en moyenne. Les pays émergents se démarquent néanmoins par une tendance haussière net‑ tement plus prononcée. Les plus récents chiffres montrent un taux d’endettement moyen d’environ 190 % du PIB dans ces pays. L’ENDETTEMENT MONDIAL AFFICHE UN NOUVEAU RECORD Selon les données compilées par la Banque des règlements internationaux, l’endettement cumulatif des ménages, des gouvernements et des entreprises non financières dépas‑ sait 215 % du PIB à l’échelle mondiale au début de l’an‑ née 2008. Ce niveau a légèrement fléchi jusqu’au début de l’année 2009, puis a rebondi à plus de 230 % en l’espace de quelques mois. Après quelques années de relative stabilité, l’endettement mondial avoisine maintenant les 250 % du PIB (graphique 1). Lorsqu’on analyse les données par catégorie d’emprunteurs, on constate que l’endettement dans les pays avancés a fortement progressé du côté des gouvernements, alors que la dette des ménages et des entreprises a légèrement diminué en moyenne depuis 2008 (graphique 2 à la page 2). Les gouvernements ont donc plus que compensé pour le désendettement des ménages et des entreprises dans les pays avancés. La situation a été très différente dans les pays émergents où c’est plutôt l’endettement des entreprises qui a mené le bal (graphique 3 à la page 2). L’endettement des ménages a également augmenté dans ces pays, quoique moins que pour les entreprises. Graphique 1 – L’endettement dans le monde atteint de nouveaux sommets En % du PIB 300 Endettement total des pays (secteur privé et secteur public) En % du PIB 300 280 280 260 260 240 240 220 220 200 200 180 180 160 160 140 140 120 120 100 100 2000 2002 2004 Le monde 2006 2008 2010 Pays avancés 2012 2014 LA SITUATION DES MÉNAGES NE S’EST PAS AMÉLIORÉE PARTOUT 2016 Avant la crise financière de 2008‑2009, le taux d’endette‑ ment des ménages américains était de presque 100 % du Pays émergents Sources : Banque des règlements internationaux et Desjardins, Études économiques François Dupuis Vice-président et économiste en chef Hendrix Vachon Économiste senior 514-281-2336 ou 1 866 866-7000, poste 2336 Courriel : [email protected] Note aux lecteurs : Pour respecter l’usage recommandé par l’Office de la langue française, nous employons dans les textes et les tableaux les symboles k, M et G pour désigner respectivement les milliers, les millions et les milliards. Mise en garde : Ce document s’appuie sur des informations publiques, obtenues de sources jugées fiables. Le Mouvement des caisses Desjardins ne garantit d’aucune manière que ces informations sont exactes ou complètes. Ce document est communiqué à titre informatif uniquement et ne constitue pas une offre ou une sollicitation d’achat ou de vente. En aucun cas, il ne peut être considéré comme un engagement du Mouvement des caisses Desjardins et celui-ci n’est pas responsable des conséquences d’une quelconque décision prise à partir des renseignements contenus dans le présent document. Les prix et les taux présentés sont indicatifs seulement parce qu’ils peuvent varier en tout temps, en fonction des conditions de marchés. Les rendements passés ne garantissent pas les performances futures, et les Études économiques du Mouvement des caisses Desjardins n’assument aucune prestation de conseil en matière d’investissement. Les opinions et prévisions figurant dans le document sont, sauf indication contraire, celles des auteurs et ne représentent pas la position officielle du Mouvement des caisses Desjardins. Copyright © 2016, Mouvement des caisses Desjardins. Tous droits réservés. 15 décembre 2016 Point de vue économique Graphique 2 – Une forte hausse de l’endettement public a été observée dans les pays avancés En % du PIB En % du PIB Endettement dans les pays avancés Graphique 4 – Le taux d’endettement des ménages a diminué dans plusieurs pays avancés En % du PIB 110 En % du PIB Endettement des ménages 140 110 www.desjardins.com/economie 140 130 130 120 120 110 110 100 100 90 90 80 80 70 70 100 100 90 90 80 80 70 70 60 60 50 50 60 60 40 2012 2014 Gouvernements 2014 2016 Espagne En % du PIB 0 2015 100 90 90 80 80 70 70 60 60 50 50 40 2016 40 2000 2002 Gouvernements Sources : Banque des règlements internationaux et Desjardins, Études économiques PIB, il se situe maintenant à moins de 80 % du PIB. Cette tendance à la baisse a été observée dans d’autres pays avan‑ cés (graphique 4), mais dans certains cas, c’est totalement l’inverse qui s’est produit (graphique 5). Le taux d’endettement des ménages au Canada, en Norvège et en Nouvelle‑Zélande s’apparente maintenant à ce qu’il était aux États‑Unis avant la crise de 2008‑2009. En Australie et en Suisse, ce sont des niveaux encore plus élevés qui sont observés, et la tendance ne semble pas vouloir se renverser. Les ménages du Danemark et des Pays‑Bas affichent aussi un endettement très élevé, mais la tendance est en baisse depuis quelques années. 2004 2006 2008 2010 2012 2014 2016 Canada Australie Norvège Suède Suisse Nouvelle-Zélande Sources : Banque des règlements internationaux et Desjardins, Études économiques Graphique 6 – La progression des prix des maisons a été plus rapide dans les pays où la dette des ménages a augmenté En % En % Variation des prix des maisons depuis dix ans 80 80 60 60 40 40 20 20 0 0 (20) (20) (40) (40) Suède 0 110 100 Norvège 20 120 110 Australie 20 130 120 N.-Z. 40 En % du PIB Endettement des ménages Canada 40 2014 Graphique 5 – En progression dans d’autres pays avancés, l’endettement des ménages s’approche ou dépasse 100 % du PIB Suisse 60 Entreprises Pays-Bas Belgique 60 Ménages Irlande Danemark Allemagne 80 2013 2012 Royaume-Uni Royaume-Uni 80 2012 2010 Portugal Japon 100 2011 2008 États-Unis 130 100 2010 2006 France En % du PIB Endettement dans les pays émergents 2009 2004 Sources : Banque des règlements internationaux et Desjardins, Études économiques Graphique 3 – L’endettement des entreprises domine dans les pays émergents 2008 2002 Finlande Sources : Banque des règlements internationaux et Desjardins, Études économiques En % du PIB 40 2000 2016 Danemark Entreprises 2010 Pays-Bas Ménages 2008 Italie 2006 États-Unis 2004 Irlande 2002 Espagne 2000 Sources : Banque des règlements internationaux et Desjardins, Études économiques Ces divergences au niveau de l’endettement des ménages concordent notamment avec l’évolution des prix des mai‑ sons, lesquels n’ont pas subi de correction dans tous les pays durant la dernière décennie (graphique 6). L’endettement des ménages a également pu être favorisé par une conjonc‑ ture économique plus favorable dans certains pays et où l’effet de la baisse des taux d’intérêt a été plus efficace pour stimuler le crédit. 2 LA CHINE RATTRAPE LES PAYS AVANCÉS En analysant plus en détail la tendance haussière de l’endet‑ tement dans les pays émergents, on constate que la Chine constitue un vecteur de croissance important. La somme des dettes chinoises totalise 255 % du PIB, ce qui est net‑ tement plus que les autres principaux pays émergents et 15 décembre 2016 225 225 200 200 175 150 175 150 125 125 100 100 75 50 75 50 25 25 2000 2002 2004 Chine 2006 Inde 2008 2010 Russie 2012 Brésil 2014 2016 Pays avancés Comme c’est le cas pour plusieurs pays émergents, la crois‑ sance de la dette en Chine provient essentiellement du sec‑ teur privé, et plus particulièrement des entreprises. À ce chapitre, la Chine dépasse largement les niveaux observés dans les pays du G7 (graphique 8). Si l’on ajoute l’endette‑ ment des ménages, la Chine est tout juste dépassée par le Canada qui trône au sommet de l’endettement du secteur privé parmi les pays du G7 (graphique 9). Graphique 8 – L’endettement des entreprises en Chine dépasse les niveaux observés dans les pays du G7 En % du PIB En % du PIB Endettement des entreprises non financières 180 20 0 0 Allemagne 40 20 États-Unis 60 40 RoyaumeUni 80 60 Italie 100 80 Japon 120 100 Canada 140 120 France 160 140 Chine 160 Sources : Banque des règlements internationaux et Desjardins, Études économiques UN PORTRAIT INQUIÉTANT 140 120 120 100 100 80 80 60 60 40 40 20 20 0 0 Sources : Banque des règlements internationaux et Desjardins, Études économiques au surendettement, menaçant encore une fois de déstabili‑ ser l’économie mondiale et les marchés financiers. Sources : Banque des règlements internationaux et Desjardins, Études économiques 180 160 140 Allemagne 275 250 180 160 Italie 275 250 200 180 États-Unis Endettement total 220 200 RoyaumeUni En % du PIB En % du PIB Endettement des ménages et des entreprises non financières Japon En % du PIB En % du PIB 220 France Graphique 7 – La Chine tire vers le haut l’endettement moyen des pays émergents Graphique 9 – Le Canada domine les pays du G7 pour l’endettement total du secteur privé Chine très près de la moyenne des pays avancés (graphique 7). En fait, il s’agit d’un taux d’endettement similaire à celui des États‑Unis (254,7 % du PIB), mais inférieur à celui en zone euro (271,2 %). www.desjardins.com/economie Canada Point de vue économique En résumé, le problème de l’endettement ne s’est pas véri‑ tablement résorbé au cours des dernières années, mais s’est plutôt déplacé. L’amélioration du bilan des ménages aux États‑Unis et dans d’autres pays avancés a, entre autres, été contrebalancée par une hausse de l’endettement des gouvernements. L’endettement privé a aussi enregistré une progression importante ailleurs dans le monde, ce qui fait qu’aujourd’hui de nouveaux pays font face aux risques liés Il n’existe pas de seuils d’endettement clairs à partir desquels les ménages, les entreprises ou les gouvernements vont connaître des difficultés financières et nuire à l’économie. La Commission européenne juge néanmoins que la dette du secteur privé devient problématique lorsqu’elle dépasse 160 % du PIB1. Pour les gouvernements, il est question d’un seuil de 60 % du PIB. Cela dit, des taux d’endettement supérieurs à ces seuils sont observés dans plusieurs pays depuis plusieurs années sans que cela se soit nécessairement traduit par une crise économique ou financière. Il faut également considérer l’environnement dans lequel évolue chacun des pays pour évaluer la soutenabilité de la dette. Par exemple, les pays émergents qui ont générale‑ ment davantage recours aux capitaux étrangers pour finan‑ cer leurs emprunts, tant publics que privés, peuvent voir les investisseurs fuir rapidement et les tensions financières ap‑ paraître dès les premiers signes de surendettement. À l’op‑ posé, le Japon compte très peu sur les capitaux étrangers, ce qui l’aide à supporter un endettement public supérieur à 230 % du PIB. Le niveau des taux d’intérêt est également important. Plus les taux d’intérêt sont bas, comme cela est le cas depuis plusieurs années, plus il est facile de suppor‑ ter une dette élevée. Un bel exemple est celui des ménages canadiens, australiens, norvégiens et suédois qui ont vu une diminution de leur ratio du service de la dette depuis 2008 malgré un endettement accru (graphique 10 à la page 4). 1 Un autre seuil de 133 % est maintenant utilisé, mais la méthode de comptabilisation de la dette du secteur privé diffère de celle de la Banque des règlements internationaux. Pour une méthode comparable, le seuil de 160 % avait été proposé en 2011. Commission européenne, Scoreboard for the surveillance of macroeconomic imbalances : Envisaged initial design, Bruxelles, 2011. http://ec.europa.eu/economy_finance/economic_governance/documents/ swp_scoreboard_08_11_2011_en.pdf. 3 15 décembre 2016 Point de vue économique Graphique 10 – Le ratio du service de la dette des ménages a diminué, même dans les pays où l’endettement s’est accru En % du revenu 19 18 17 16 15 14 13 12 11 10 9 8 2000 2002 En % du revenu Ratio du service de la dette des ménages 2004 2006 Canada 2008 Australie 2010 2012 Norvège 19 18 17 16 15 14 13 12 11 10 9 8 2014 2016 Suède Sources : Banque des règlements internationaux et Desjardins, Études économiques Graphique 11 – Les taux obligataires ont augmenté récemment En % En % Taux obligataires de dix ans 4 4 3 3 2 2 1 1 0 0 (1) 2010 (1) 2011 États-Unis 2012 2013 Canada 2014 Allemagne 2015 Royaume-Uni 2016 à hausser leurs dépenses apparaît beaucoup plus limitée. Le même constat d’impuissance menacerait plusieurs banques centrales, ce qui exposerait l’économie à une plus forte contraction. Peu de banques centrales disposent actuelle‑ ment d’une marge de manœuvre significative pour abaisser leurs taux directeurs. Le recours à des politiques d’achat massif d’actifs pourrait encore être envisagé, mais la marge de manœuvre a aussi fondu de ce côté. Cela est sans comp‑ ter qu’il est très difficile de stimuler l’économie via le crédit lorsque l’endettement est déjà très élevé. Au mieux, les banques centrales pourraient essayer de gagner du temps en maintenant les taux d’intérêt bas, incluant ceux de long terme. Dans un autre ordre d’idées, le financement moné‑ taire, communément appelé l’hélicoptère à argent, pourrait être plus sérieusement considéré, surtout si le risque de déflation augmentait. Dettes élevées et déflation ne font pas bon ménage. TÔT OU TARD, L’ENDETTEMENT DEVRA DIMINUER Il est dommage de constater que l’endettement a continué d’augmenter au cours des dernières années, ce qui expose l’économie mondiale à un risque accru d’une récession de grande ampleur advenant un choc. À long terme, la solution réside en une véritable réduction de l’endettement. Dans un scénario idéal, cette réduction devra se faire très graduelle‑ ment pour minimiser d’éventuels effets négatifs sur la crois‑ sance économique. Japon Sources : Datastream et Desjardins, Études économiques PLUS EXPOSÉS AUX CHOCS ADVERSES Considérant que les bas taux d’intérêt ont permis de sou‑ tenir un endettement élevé, on pourrait s’inquiéter de leur récent rebond un peu partout dans le monde (graphique 11 à la page 4). Si ce rebond devait prendre trop d’ampleur, les emprunteurs pourraient être nombreux à se retrouver sous pression. Un endettement élevé ne garantit peut-être pas à lui seul une crise financière et une récession, mais cela rend certainement l’économie plus sensible aux chocs adverses. Outre les taux d’intérêt, un choc pourrait provenir d’une baisse des prix de l’immobilier ou des revenus. Une possible montée du protectionnisme aux États‑Unis pourrait aussi être l’élément déclencheur d’un nouveau ralentissement économique mondial, lequel serait accentué par les taux élevés d’endettement. Lors de la crise de 2008‑2009, plusieurs gouvernements avaient répondu au ralentissement de la demande par d’importants plans de relance. C’est l’une des raisons pour laquelle leur endettement a bondi. Aujourd’hui, advenant une nouvelle crise, la capacité de plusieurs gouvernements 4 www.desjardins.com/economie Maintenir les taux d’intérêt bas pourrait donner une chance à ce scénario de se matérialiser, mais, en même temps, cela pourrait aussi favoriser un endettement encore plus élevé. Les actions des banques centrales doivent par conséquent être accompagnées par d’autres mesures pour limiter l’en‑ dettement et pour stimuler la croissance. Le maintien d’un rythme de croissance très faible n’a pas aidé à améliorer les ratios dette/PIB au cours des dernières années. Relever le potentiel de croissance économique avec des mesures structurelles ou de soutien à l’investissement productif pourrait par conséquent être bénéfique. Il faudrait par ailleurs que les gains économiques soient équitable‑ ment redistribués parmi la population afin que tous puissent bénéficier d’une marge de manœuvre supplémentaire pour réduire son endettement. Hendrix Vachon Économiste senior